Un témoignage d'Israel Shamir, écrit en 2013
- Comment l'anticommunisme nous aveugle ! Exemple du Cambodge...
En ce moment, à la saison des moussons, le Cambodge est verdoyant, frais et paisible. les rizières au flanc des collines basses sont inondées, les forêts qui abritent de vieux temples sont impénétrables, la mer violente repousse les nageurs.
C’est bien agréable pour revisiter ce modeste pays : le Cambodge n’est pas surpeuplé, et les Cambodgiens ne sont pas des gens âpres au gain, ils sont apaisés. Ils pêchent la crevette, le calamar, tout ce qu’offre la mer, et Ils cultivent du riz sans herbicides, repiqué et récolté à la main. Ils en produisent assez pour eux-mêmes, et en exportent aussi; bref, ce n’est pas le paradis, mais le pays s’en sort.
Le socialisme est en plein démantèlement. Des usines appartenant à des Chinois continuent à produire pour le marché américain et européen de T-shirts fabriqués par des dizaines de milliers de jeunes filles cambodgiennes qui gagnent 80 dollars par mois. Elles sont mises à la porte à la moindre velléité syndicale.
Les nouveaux-riches vivent dans des palaces, il y a beaucoup de voitures Lexus, et les Rolls Royce ne sont pas rares. De grands troncs d’arbres rouges et noirs, des bois durs et précieux, sont constamment convoyés vers le port, ce qui vient à bout des forêts et enrichit les commerçants.
Nombreux sont les restaurateurs français dans la capitale. Et les agents des ONG gagnent en une minute l’équivalent du salaire mensuel d’un travailleur.
Il ne reste pas grand chose de la période turbulente où les Cambodgiens ont essayé de changer l’ordre des choses radicalement, lors de leur révolution traditionnaliste, résolument conservatrice, paysanne et unique, sous la bannière communiste.
C’était l’époque de Godard et de La Chinoise, de la Révolution culturelle en Chine envoyant les bonzes en rééducation dans des fermes reculées, et des Khmers rouges décidés à écraser le capital corrompu.
Le mouvement socialiste se trouvait face à un choix: avancer vers plus de socialisme, dans le style maoïste, ou faire marche arrière, à la façon de Moscou. L’expérience des Khmers rouges ne dura que trois ans, de 1975 à 1978.
Curieusement, les Cambodgiens n’ont pas de mauvais souvenirs de cette période. C’est une découverte ahurissante pour qui ne leur rend pas souvent visite. Je ne venais pas pour reconstruire “la vérité”, quelle qu’elle soit, mais plutôt pour comprendre en quoi consiste la mémoire collective des Cambodgiens, comment ils perçoivent les événements de la fin du XX° siècle, quel est le récit qui s’est décanté au fil du temps.
La machinerie toute puissante de l’Occident a implanté dans notre conscience une image de Khmers rouges communistes cannibales, saignant leur propre peuple à mort, et gouvernés par un Pol Pot de cauchemar, le dictateur par antonomase.
RJ. Rummel, professeur américain souvent cité, a écrit que “sur une population de près de 7. 100 000 en 1970, environ 3. 300 000 hommes, femmes et enfants ont été assassinés… la plupart par les Khmers rouges communistes”. Une personne sur deux, donc, selon son estimation.
Cependant, la population du Cambodge a plus que doublé depuis 1970, malgré les multiples génocides allégués. Apparemment, donc, les génocidaires étaient des gens ineptes à moins que leurs records aient été très exagérés.
Le Pol Pot dont se souviennent les Cambodgiens n’était pas un tyran, mais un grand patriote et un nationaliste, amoureux de la culture locale et du mode de vie autochtone. Il avait grandi dans les cercles du palais royal ; sa tante était une concubine du roi précédent. Il avait fait des études à Paris, mais au lieu de faire de l’argent et de se bâtir une carrière, il était rentré chez lui, et avait passé quelques années à vivre avec des tribus de la forêt pour apprendre des paysans.
Il éprouvait de la compassion pour les villageois qui se voyaient chassés tous les jours par les citadins, les parasites de la bourgeoisie compradore. Il avait levé une armée pour défendre la campagne contre ces brigands assoiffés de pouvoir.
Pol Pot, un ascète aux goût simples, ne convoitait ni richesse, ni gloire ni pouvoir pour lui-même. Il avait une ambition : en finir avec le capitalisme colonial dévastateur au Cambodge, revenir à la tradition villageoise, et à partir de là, construire un nouveau pays.
Sa vision était très différente de celle des soviétiques. Ils avaient bâti leur industrie au détriment de la paysannerie ; Pol Pot voulait d’abord relever les villages, et ensuite édifier une industrie capable de satisfaire les besoins des villageois. Il tenait les citadins pour des bons à rien, il s’en méfiait. Beaucoup d’entre eux étaient en cheville avec les requins de la bourse, typiques du Cambodge post-colonial ; d’autres prêtaient main-forte aux compagnies étrangères pour dépouiller le peuple de ses richesses.
Nationaliste solide, Pol Pot se méfiait des minorités vietnamienne et chinoise. Mais ce qu’il détestait par-dessus tout, c’était la cupidité, l’obsession pour l’accaparement. Saint François et Tolstoï l’auraient compris.
Les Cambodgiens avec qui j’ai parlé souriaient à l’évocation des histoires d’holocauste communiste comme autant de calembredaines occidentales. Ils me rappelaient ce qui s’était passé: leur brève histoire de troubles avait commencé en 1970, lorsque les Américains avaient chassé leur dirigeant légitime, le prince Sihanouk, pour le remplacer par leur agent, le dictateur militaire Lon Nol.
Lon Nol, c’était la corruption personnifiée, et son équipe avait volé tout ce qu’elle pouvait ; ils avaient transféré leurs profits mal acquis à l’étranger, puis s’en étaient allés vivre aux USA. Pour couronner le tout, les raids et bombardements américains. Les paysans fuyaient et rejoignirent la guérilla de Pol Pot dans la jungle. C’étaient des diplômés de la Sorbonne qui les dirigeaient, et ils parvinrent à chasser Lon Nol et ses soutiens américains.
En 1975, Pol Pot s’empara du pays, dévasté par une campagne de bombardements US aussi féroce que celle de Dresde, et il fut un sauveur, disent-ils. En fait, les avions US (rappelez-vous la chevauchée des Walkyries dans Apocalypse Now) ont lâché plus de bombes sur ce malheureux pays que sur l’Allemagne nazie, et ils ont laissé leurs mines partout autour.
Si l’on presse les Cambodgiens de nommer leur massacreur en chef (ils n’aiment pas du tout se replonger dans le passé) c’est Henri Kissinger qu’ils mentionnent, et non pas le camarade Pol Pot.
- Comment l'anticommunisme nous aveugle ! Exemple du Cambodge...
En ce moment, à la saison des moussons, le Cambodge est verdoyant, frais et paisible. les rizières au flanc des collines basses sont inondées, les forêts qui abritent de vieux temples sont impénétrables, la mer violente repousse les nageurs.
C’est bien agréable pour revisiter ce modeste pays : le Cambodge n’est pas surpeuplé, et les Cambodgiens ne sont pas des gens âpres au gain, ils sont apaisés. Ils pêchent la crevette, le calamar, tout ce qu’offre la mer, et Ils cultivent du riz sans herbicides, repiqué et récolté à la main. Ils en produisent assez pour eux-mêmes, et en exportent aussi; bref, ce n’est pas le paradis, mais le pays s’en sort.
Le socialisme est en plein démantèlement. Des usines appartenant à des Chinois continuent à produire pour le marché américain et européen de T-shirts fabriqués par des dizaines de milliers de jeunes filles cambodgiennes qui gagnent 80 dollars par mois. Elles sont mises à la porte à la moindre velléité syndicale.
Les nouveaux-riches vivent dans des palaces, il y a beaucoup de voitures Lexus, et les Rolls Royce ne sont pas rares. De grands troncs d’arbres rouges et noirs, des bois durs et précieux, sont constamment convoyés vers le port, ce qui vient à bout des forêts et enrichit les commerçants.
Nombreux sont les restaurateurs français dans la capitale. Et les agents des ONG gagnent en une minute l’équivalent du salaire mensuel d’un travailleur.
Il ne reste pas grand chose de la période turbulente où les Cambodgiens ont essayé de changer l’ordre des choses radicalement, lors de leur révolution traditionnaliste, résolument conservatrice, paysanne et unique, sous la bannière communiste.
C’était l’époque de Godard et de La Chinoise, de la Révolution culturelle en Chine envoyant les bonzes en rééducation dans des fermes reculées, et des Khmers rouges décidés à écraser le capital corrompu.
Le mouvement socialiste se trouvait face à un choix: avancer vers plus de socialisme, dans le style maoïste, ou faire marche arrière, à la façon de Moscou. L’expérience des Khmers rouges ne dura que trois ans, de 1975 à 1978.
Curieusement, les Cambodgiens n’ont pas de mauvais souvenirs de cette période. C’est une découverte ahurissante pour qui ne leur rend pas souvent visite. Je ne venais pas pour reconstruire “la vérité”, quelle qu’elle soit, mais plutôt pour comprendre en quoi consiste la mémoire collective des Cambodgiens, comment ils perçoivent les événements de la fin du XX° siècle, quel est le récit qui s’est décanté au fil du temps.
La machinerie toute puissante de l’Occident a implanté dans notre conscience une image de Khmers rouges communistes cannibales, saignant leur propre peuple à mort, et gouvernés par un Pol Pot de cauchemar, le dictateur par antonomase.
RJ. Rummel, professeur américain souvent cité, a écrit que “sur une population de près de 7. 100 000 en 1970, environ 3. 300 000 hommes, femmes et enfants ont été assassinés… la plupart par les Khmers rouges communistes”. Une personne sur deux, donc, selon son estimation.
Cependant, la population du Cambodge a plus que doublé depuis 1970, malgré les multiples génocides allégués. Apparemment, donc, les génocidaires étaient des gens ineptes à moins que leurs records aient été très exagérés.
Le Pol Pot dont se souviennent les Cambodgiens n’était pas un tyran, mais un grand patriote et un nationaliste, amoureux de la culture locale et du mode de vie autochtone. Il avait grandi dans les cercles du palais royal ; sa tante était une concubine du roi précédent. Il avait fait des études à Paris, mais au lieu de faire de l’argent et de se bâtir une carrière, il était rentré chez lui, et avait passé quelques années à vivre avec des tribus de la forêt pour apprendre des paysans.
Il éprouvait de la compassion pour les villageois qui se voyaient chassés tous les jours par les citadins, les parasites de la bourgeoisie compradore. Il avait levé une armée pour défendre la campagne contre ces brigands assoiffés de pouvoir.
Pol Pot, un ascète aux goût simples, ne convoitait ni richesse, ni gloire ni pouvoir pour lui-même. Il avait une ambition : en finir avec le capitalisme colonial dévastateur au Cambodge, revenir à la tradition villageoise, et à partir de là, construire un nouveau pays.
Sa vision était très différente de celle des soviétiques. Ils avaient bâti leur industrie au détriment de la paysannerie ; Pol Pot voulait d’abord relever les villages, et ensuite édifier une industrie capable de satisfaire les besoins des villageois. Il tenait les citadins pour des bons à rien, il s’en méfiait. Beaucoup d’entre eux étaient en cheville avec les requins de la bourse, typiques du Cambodge post-colonial ; d’autres prêtaient main-forte aux compagnies étrangères pour dépouiller le peuple de ses richesses.
Nationaliste solide, Pol Pot se méfiait des minorités vietnamienne et chinoise. Mais ce qu’il détestait par-dessus tout, c’était la cupidité, l’obsession pour l’accaparement. Saint François et Tolstoï l’auraient compris.
Les Cambodgiens avec qui j’ai parlé souriaient à l’évocation des histoires d’holocauste communiste comme autant de calembredaines occidentales. Ils me rappelaient ce qui s’était passé: leur brève histoire de troubles avait commencé en 1970, lorsque les Américains avaient chassé leur dirigeant légitime, le prince Sihanouk, pour le remplacer par leur agent, le dictateur militaire Lon Nol.
Lon Nol, c’était la corruption personnifiée, et son équipe avait volé tout ce qu’elle pouvait ; ils avaient transféré leurs profits mal acquis à l’étranger, puis s’en étaient allés vivre aux USA. Pour couronner le tout, les raids et bombardements américains. Les paysans fuyaient et rejoignirent la guérilla de Pol Pot dans la jungle. C’étaient des diplômés de la Sorbonne qui les dirigeaient, et ils parvinrent à chasser Lon Nol et ses soutiens américains.
En 1975, Pol Pot s’empara du pays, dévasté par une campagne de bombardements US aussi féroce que celle de Dresde, et il fut un sauveur, disent-ils. En fait, les avions US (rappelez-vous la chevauchée des Walkyries dans Apocalypse Now) ont lâché plus de bombes sur ce malheureux pays que sur l’Allemagne nazie, et ils ont laissé leurs mines partout autour.
Si l’on presse les Cambodgiens de nommer leur massacreur en chef (ils n’aiment pas du tout se replonger dans le passé) c’est Henri Kissinger qu’ils mentionnent, et non pas le camarade Pol Pot.
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