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Algérie : jusqu’où ira l’affaire Rebrab ?

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  • Algérie : jusqu’où ira l’affaire Rebrab ?

    Nouveau bras de fer entre le patron du premier groupe privé du pays et le pouvoir. Cette fois autour du rachat du quotidien El Khabar. Enquête sur le dernier épisode en date d'un vieux contentieux.

    Quand l’une de ses vieilles connaissances lui propose, en 2013, d’acquérir les droits de la chaîne généraliste privée El Djazairia, Issad Rebrab, PDG du groupe Cevital, fait une moue dubitative. « C’est trop lourd pour moi », répond-il. Certes, le conglomérat que cet homme d’affaires dirige en famille envisage de longue date de lancer une chaîne de télévision, laquelle viendrait s’ajouter au quotidien Liberté, que Rebrab a fondé au printemps 1992.

    Extension d’un empire

    Certes, encore, l’un des membres de sa fratrie de cinq enfants pilotait alors secrètement depuis des mois le projet de création d’une chaîne de télé en Europe. Mais Rebrab était trop accaparé par ses multiples activités en Algérie et à l’étranger pour jeter un regard attentif au dossier suggéré par ce conseiller. « Quand on pense que Rebrab a abandonné une idée, juge cette connaissance, il y revient au moment où on l’attend le moins. »

    Trois ans après, voilà que le capitaine d’industrie se ravise et décide de faire mieux que d’acquérir les droits d’une télévision. Après plusieurs mois de négociations, le groupe Cevital a racheté, au début d’avril, via l’une de ses multiples filiales, 95 % des actions de la SPA El Khabar – le quotidien El Khabar est le deuxième titre privé lancé par un groupe de journalistes au lendemain de l’ouverture démocratique qui a mis fin au régime du parti unique, en 1990.

    À LIRE AUSSI :Le puzzle mondial d’Issad Rebrab
    C’est peu dire que l’entrée dans le capital d’El Khabar confère au conglomérat de la famille Rebrab, présent notamment dans l’agroalimentaire, la distribution, l’automobile ou encore l’électroménager, une tout autre dimension. Outre le quotidien El Khabar (tiré à plus de 350 000 exemplaires et jouissant d’une excellente réputation) et son siège, d’une valeur de plusieurs millions d’euros, Cevital contrôle désormais la chaîne de télé KBC, une société de diffusion, cinq imprimeries (en association avec le journal El Watan), ainsi que plusieurs actifs.

    Déjà propriétaire de Liberté, dont l’hostilité à l’égard du président Bouteflika n’est plus à démontrer, ce Kabyle de 71 ans, qui s’est lancé dans les affaires au début des années 1970, est ainsi en passe de devenir un acteur majeur de la scène médiatique algérienne. D’autant que, avec un chiffre d’affaires de 2,9 milliards de dollars en 2014 et près de 15 000 employés, Cevital a renforcé sa position de premier groupe privé en Algérie.

    L’acquisition d’El Khabar au cœur d’une bataille judiciaire

    Mais trois semaines après l’annonce officielle du rachat, coup de tonnerre : le ministère de la Communication décide de saisir la justice pour faire annuler la transaction au motif qu’elle serait illégale. Arguments commerciaux contre arguments politiques, batailles judiciaires sur l’interprétation de la loi, pétitions, campagnes sur les réseaux sociaux, attaques contre Hamid Grine, ministre de la Communication — et ancien collaborateur… du journal Liberté – -, contre-attaque de ce dernier… Le mariage El Khabar-Rebrab tourne au feuilleton.

    Saisi en référé, le tribunal administratif de Bir Mourad Raïs, sur les hauteurs d’Alger, devait examiner le dossier le 2 mai, puis le surlendemain, puis le 11 mai, avant de reporter l’audience au 27 mai. Les juges ne semblent pas pressés de trancher une affaire qui a viré au bras de fer entre Rebrab et le pouvoir.

    Pour le gouvernement, cette transaction a enfreint l’article 25 du code de l’information de février 2012, lequel dispose qu’« une même personne morale de droit algérien ne peut posséder, contrôler ou diriger qu’une seule publication périodique d’information générale de même périodicité éditée en Algérie ». Les autorités s’appuient aussi sur un autre texte qui oblige le nouveau propriétaire, en cas de vente ou de cession de la publication, à solliciter un nouvel agrément.

    Or si le groupe Cevital devait en demander un, il risquerait fort de ne jamais l’obtenir. Réplique de Rebrab : la loi a été scrupuleusement respectée, le rachat a été fait au bénéfice d’une filiale du groupe Cevital, le propriétaire n’a pas changé d’identité, et les actes ont été enregistrés en toute transparence. Cherif Rezki, directeur de la publication d’El Khabar, abonde dans ce sens : « Nous avons conclu cet accord devant un notaire et avons payé nos impôts. Nous sommes donc en règle. »

    Issad Rebrab crie au régionalisme

    Ce conflit aurait pu se limiter à la sphère juridique et commerciale si les uns et les autres ne lui avaient pas conféré une dimension politique. En Algérie, les débats sur l’indépendance de la presse sont particulièrement passionnés. Hamid Grine accable certains titres, qu’il qualifie de « lobbies », de « machines de destruction et de production de pessimisme » qui lui mènent une « sale guerre ».

    Comme je ne suis pas de leur région, que j’aime mon indépendance, ça ne leur plaît pas. Ils essaient de bloquer toute personne qui essaie d’émerger
    Cible, selon lui, d’une campagne de dénigrement, il appelle les opérateurs privés à ne plus conclure de contrats publicitaires avec ces journaux. Une invite synonyme de condamnation à mort, ces titres étant déjà privés de publicité publique. Droit dans ses bottes, Rebrab évoque, lui, un « coup de force », dénonce « le fait du prince » et accuse les autorités de verser dans le régionalisme.

    « Je ne suis pas de leur clan et, comme je ne suis pas de leur région, que j’aime mon indépendance, que je suis un électron libre, ça ne leur plaît pas, souligne-t-il. Ils ont peur pour leurs postes et ils se disent que, si ce bonhomme continue de progresser, il risque de prendre le pouvoir. Ils essaient de bloquer toute personne qui essaie d’émerger. »

    Le dossier El Khabar aurait pu ne pas tourner au psychodrame s’il n’était venu s’ajouter à une autre polémique qui avait fait couler beaucoup d’encre neuf mois plus tôt. En octobre 2015, une passe d’armes oppose pendant des semaines Issad Rebrab et Abdeslam Bouchouareb, ministre de l’Industrie et des Mines. Le premier reproche au second de bloquer ses projets. Le second accuse le premier de surfacturation lors de l’importation d’équipements usagés pour le compte de la filiale algérienne de FagorBrandt.

    Du Brésil, où il se trouvait à l’époque, Rebrab soutient que certains cercles du pouvoir travailleraient à sa perte et évoque l’existence d’un mandat d’arrêt lancé contre lui par les autorités. L’échange d’accusations tourne à l’affaire d’État. De mandat d’arrêt, il n’a pourtant jamais été question. Il n’empêche : la polémique avec Bouchouareb, membre influent du cercle présidentiel, ajoutée à l’affaire El Khabar, est de nature à accréditer la thèse d’une conspiration visant à freiner l’ascension d’un homme d’affaires présenté, aussi bien en Algérie que dans le reste du monde, comme un modèle de success-story.

    Rebrab est-il la victime d’un lobby qui veut faire de la place à ce que Louisa Hanoune, leader du Parti des travailleurs, appelle les nouveaux oligarques ? Ou alors les tracasseries dont il se dit victime relèvent-elles de la paranoïa ?

    « Ils me bloquent », a coutume de répéter cet homme qui se fait recevoir comme un chef d’État par François Hollande ou par l’Italien Matteo Renzi. Blocage du rachat en 2013 de la société de fabrication de pneumatiques Michelin Algérie, complexe sidérurgique à Jijel confié aux Qataris au détriment de Cevital, usine de trituration de graines oléagineuses bloquée depuis près de dix ans ou complexe pétrochimique dans l’ouest du pays entravé, la liste des projets freinés est trop longue pour relever du simple hasard.

    Véto présidentiel !

    Ceux qui ont servi d’intermédiaires entre Rebrab et les autorités ou qui ont gravité dans les arcanes du pouvoir rapportent des anecdotes qui laissent peu de doute sur l’ostracisme dont est victime l’industriel. Ainsi, au début du premier mandat de Bouteflika, Cevital envisage de racheter une usine de sacs de jute à Béjaïa, en Kabylie, à la demande des travailleurs, qui redoutent la fermeture de leur gagne-pain.

    Rebrab est alors reçu par Ali Benflis, chef du gouvernement entre 2000 et 2003, avant de basculer dans l’opposition. « Allez-y… » lui dit-il. Passé en conseil interministériel, le dossier est validé. Mais peu de temps après, Benflis appelle une connaissance de Rebrab : « Désolé ! Le président a opposé son veto. » Le rachat tombe à l’eau. Au cours de la même période, Cevital soumissionne pour racheter une société publique de fabrication de meubles en faillite.

    Volonté délibérée de la part de la présidence de mettre la bride à Rebrab pour éviter qu’il ne se transforme en un « Berlusconi kabyle »
    Le Conseil des participations de l’État (CPE) donne son accord, d’autant qu’il permettrait de sauvegarder entre 700 et 800 emplois. La suite, c’est un ministre qui a suivi ce projet qui la raconte : « Lorsque le dossier de Cevital atterrit en Conseil des ministres, il est rejeté. Sans explication ! » Fermez le ban.

    Volonté délibérée de la part de la présidence de mettre la bride à Rebrab pour éviter qu’il ne se transforme en un « Berlusconi kabyle », selon le mot d’un haut responsable de l’État ? S’il est vrai que le PDG de Cevital a refusé de soutenir le candidat Bouteflika en 2004, en 2009 et en 2014, il n’en avait pas moins ses entrées dans les ministères et les grandes administrations.

    Rebrab se faisait recevoir par tous les chefs de gouvernement qui ont travaillé sous l’autorité du président. Ce dernier a même inauguré, en mai 2007, une usine de Cevital près de Larbaa, au sud-ouest d’Alger. Mais un autre mégaprojet du groupe à Cap Djinet, à 80 km à l’est de la capitale, ne verra pas le jour. Pourtant, sur le papier, ce hub portuaire, qui s’étend sur 20 km2, est gigantesque : complexe pétrochimique, centrale électrique, usines de construction d’automobiles, de sidérurgie et de dessalement de l’eau de mer.

    Pour débloquer le dossier, Rebrab rencontre le chef du gouvernement de l’époque, Ahmed Ouyahia. Celui-ci lui explique que la réponse ne dépend pas de lui. Comprendre : plus haut que lui. Il s’entretient ensuite avec Abdelhamid Temmar, alors ministre de l’Industrie et de la Promotion des investissements. « Je crois que l’endroit ne convient pas, observe Temmar. Il y a un espace à prendre à Mostaganem [dans l’Oranie]. »

  • #2
    suite

    Une perte pour l’économie algérienne

    Rebrab y prospecte, mais la toponymie des lieux (eaux peu profondes) ne convient pas non plus à un tel projet. On lui propose de le réaliser à Djendjen, à 315 km à l’est d’Alger. Là encore, la nature du littoral n’est pas adaptée, et l’assiette du terrain est trop petite. Un ami de Rebrab intervient alors auprès de l’ex-patron du DRS (services secrets dissous en janvier 2016), le général Mohamed Mediène, dit Toufik, pour tenter de lever les blocages.

    « Vous êtes en train de priver le pays d’un grand projet économique », lui dit cette connaissance. Réponse de Toufik : « Ce n’est pas moi. » Un haut gradé des services expliquera plus tard à notre émissaire que la proximité de Cap Djinet avec la Kabylie confère au projet un caractère politico-sécuritaire très sensible. On suggère à Rebrab de plaider sa cause auprès d’Ahmed Ben Bella, proche de Bouteflika.

    On sabote un projet économique qui peut générer 35 milliards de dollars en dehors des hydrocarbures au moment où le pays a plus que jamais besoin de sortir de la rente pétrolière.
    En Suisse, la rencontre entre l’ancien président et le PDG de Cevital est tiède, pour ne pas dire glaciale. Dans l’avion qui le ramène à Alger, un ex-ministre évoque avec Ben Bella le cas de l’industriel. « Vous voyez ce Rebrab ? Il veut tout prendre ! », maugrée l’ex-président.

    Dix ans après le bouclage du projet, le dossier de Cap Djinet en est encore au stade de la maquette. « Ces blocages illustrent les interférences politiques et les calculs régionalistes de certains cercles du pouvoir face à des hommes d’affaires qui s’émancipent de leur tutelle, analyse un vieil ami de Rebrab. On sabote un projet économique qui peut générer 35 milliards de dollars en dehors des hydrocarbures au moment où le pays a plus que jamais besoin de sortir de la rente pétrolière. C’est à se taper la tête contre un mur. »

    Issad Rebrab n’est pas homme à verser dans la complaisance, juge l’un de ses conseillers. « Il a un caractère indépendant, n’a pas vocation à être opposant, mais s’il est agressé, il sait se défendre. » Selon un ministre du gouvernement Sellal, « il n’y a aucune volonté du pouvoir de le bloquer. Si tel était le cas, Cevital serait-il encore le premier groupe privé en Algérie ? Il faut en finir avec cette victimisation, et Rebrab n’est pas le seul homme d’affaires à rencontrer des difficultés dans notre pays ».

    jeune Afrique

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