L’allocution de Gaïd Salah à Béchar sonne comme une véritable mise en garde contre une menace qui se profile contre l’Algérie. Les termes utilisés sont pesés, l’intervention inédite, à son côté, du commandant de la 3e Région militaire, et le choix de la localité d’où ont été lancés les messages nullement fortuits, comme en déduisent les experts en matière militaire que nous avons interrogés sur le fait.
Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Ce qu’il faut savoir d’abord : Gaïd Salah, vice-ministre de la Défense, a effectué un déplacement ce dimanche à Béchar, 3e Région militaire, où il a adressé un message pour le moins surprenant. Il a appelé «les ennemis de l’Algérie à ne pas franchir les lignes rouges aux couleurs du sang de nos chouhada». Le discours diffusé par le biais d’un communiqué du MDN poursuit : «La meilleure récolte pour l’ANP (…) est le fruit de sa capacité à accomplir pleinement et en tous moments son devoir national envers sa patrie et son peuple pour que l’Algérie puisse demeurer inaccessible aux conspirations de ses ennemis.» Le même communiqué indique, par ailleurs, que le vice-ministre de la Défense a tenu ces propos au siège de la 40e division d’infanterie «afin de s’enquérir de la disponibilité opérationnelle des unités de l’Armée nationale populaire». Fait inhabituel, le texte cite y compris une déclaration du général-major Saïd Chengriha, commandant de la 3e Région militaire lequel a affirmé que ses troupes «étaient prêtes à accomplir leurs missions dans toutes les situations et en toutes circonstances». Le contenu des deux interventions interpelle et pousse à l’interrogation. A qui s’adresse Gaïd Salah ? Pourquoi avoir choisi de s’exprimer de la sorte aux frontières ouest et pas ailleurs ? Quelles sont, enfin, ces lignes rouges et pourquoi Saïd Chengriha a-t-il jugé nécessaire de faire savoir publiquement que ses troupes sont prêtes à intervenir ? Pour tenter de décrypter le message, nous avons contacté trois experts des questions militaires. L’ancien responsable de la 1re Région militaire, le général Abderrezak Maïza, son collaborateur aguerri aux questions sécuritaires, le général Ouddaï et Mohamed Khalfaoui, un ancien officier de l’ANP, ont accepté de répondre à nos questions et se livrent ici dans des analyses qui se rejoignent souvent.
Le général Maïza établit immédiatement un lien entre la région à partir de laquelle a été prononcé ce discours et lancé le message. «Le fait que l’allocution ait été prononcée à Béchar veut dire qu’elle s’adresse à nos voisins de l’ouest. Au Maroc, à Mohammed VI qui s’agite et dit qu’il est prêt à se lancer dans une guerre. De tels propos ne pouvaient pas être tenus ailleurs, ils n’auraient pas eu le même impact, la même interprétation. Le fait qu’ils aient été prononcés dans la 3e Région veut dire qu’ils ne sont pas destinés à l’intérieur, mais à nos voisins. Le conflit autour du dossier du Sahara occidental prend de l’ampleur, on ne veut pas en parler ni s’en rendre compte simplement. Le Maroc est engagé dans une logique qui peut aller loin. L’issue politique est bouchée, le roi fait fi de l’injonction des Nations-Unies pour le retour de la Minurso (Mission des Nations-Unies pour le référendum au Sahara occidental).
Beaucoup d’informations circulent au sujet d’achat d’armes, financé par l’Arabie Saoudite, le roi a même commandé des navires, il y a un renforcement extraordinaire de la flotte marocaine, d’équipements militaires. Contre qui cela se fait-il ? En fait, les Marocains se disent prêts à en découdre. En 1984, son père, Hassan II, avait lancé toute son aviation à Béchar. Il réclamait le droit de poursuite et voulait bombarder les camps de réfugiés du Front Polisario. Les autorités algériennes avaient elles aussi décidé de réagir. Aujourd’hui, Mohammed VI reprend du poil de la bête.» Le général Maïza poursuit : «Les propos du vice-ministre de la Défense sont nets. Il indique que l’Algérie est prête à se défendre en cas de conflit ou d’agression externe. Toute cette histoire risque d’aller loin. La responsabilité de l’Espagne et de la France est totale. Elles sont impliquées de même que l’ONU qui n’a jamais pris ses responsabilités dans ce dossier.
A tel point que le Front Polisario indique aujourd’hui qu’il a beaucoup de mal à contenir la colère de ses jeunes dans les camps. Ce discours est très important et les propos du chef de la 3e Région militaire sont clairs là aussi : nos troupes sont prêtes à défendre le pays en cas d’agression».
L’analyse du général Ouddaï rejoint a priori celle du général Maïza sur le point relatif à la menace extérieure. Il estime cependant que les déclarations de Gaïd Salah concernent d’une certaine mesure l’aspect interne. «Le vice-ministre de la Défense est intervenu dans une conjoncture très particulière que traverse le pays, dit-il. D’abord, il y a une grande agitation politique liée à ce qui est appelé une guerre de succession. En fait, tout tourne autour de l’état de santé du président de la République. Il y a aussi les déclarations intempestives de certains chefs de partis politiques qui s’en prennent à tout le monde sous prétexte de défendre l’Algérie mais ce sont eux qui risquent de créer des dérapages et des troubles dont nous n’avons pas besoin. A mon avis, c’est à ces personnes que s’adresse le message en évoquant les lignes rouges à ne pas franchir». Il poursuit : «L’essentiel de ce même message reste cependant dirigé au Maroc, bien sûr. Les manœuvres du roi, ses différentes attaques à l’encontre de l’Algérie et tout ce qui soutient de près ou de loin l’indépendance du Sahara occidental ne peuvent pas passer inaperçues. Mohammed VI renforce son armement et n’hésite pas à le faire savoir publiquement. Gaïd Salah a répondu pour dire que nous sommes prêts à nous défendre».
Cette analyse est partagée en tout point par Mohamed Khelfaoui. Selon lui, le discours du vice-ministre de la Défense veut dire que «l’Algérie relève le défi qui lui a été lancé. Quel que soit l’espace, nos troupes sont prêtes. A qui s’adresse un discours prononcé à partir de Béchar, selon-vous ? Vous savez, pour le militaire, la ligne rouge veut dire qu’il ne faut pas toucher aux frontières et que nous sommes prêts à nous défendre quel que soit l’espace utilisé, c'est-à-dire terrestre, aérien ou autre. Le fait qu’il ait été prononcé à Béchar veut dire qu’il s’adresse au Maroc où règne une grande agitation en ce moment. Je pense que ce discours a également un lien avec la situation particulière que traverse le pays actuellement et marquée notamment par l’agitation politique qui règne dans certains cercles. L’opinion assiste à des déclarations incroyables de certains hommes politiques, Saâdani en l’occurrence, et il me semble que ce discours est aussi une manière de dire «arrêtez». C’est en quelque sorte le coup de sifflet final de l’arbitre».
A. C.
Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Ce qu’il faut savoir d’abord : Gaïd Salah, vice-ministre de la Défense, a effectué un déplacement ce dimanche à Béchar, 3e Région militaire, où il a adressé un message pour le moins surprenant. Il a appelé «les ennemis de l’Algérie à ne pas franchir les lignes rouges aux couleurs du sang de nos chouhada». Le discours diffusé par le biais d’un communiqué du MDN poursuit : «La meilleure récolte pour l’ANP (…) est le fruit de sa capacité à accomplir pleinement et en tous moments son devoir national envers sa patrie et son peuple pour que l’Algérie puisse demeurer inaccessible aux conspirations de ses ennemis.» Le même communiqué indique, par ailleurs, que le vice-ministre de la Défense a tenu ces propos au siège de la 40e division d’infanterie «afin de s’enquérir de la disponibilité opérationnelle des unités de l’Armée nationale populaire». Fait inhabituel, le texte cite y compris une déclaration du général-major Saïd Chengriha, commandant de la 3e Région militaire lequel a affirmé que ses troupes «étaient prêtes à accomplir leurs missions dans toutes les situations et en toutes circonstances». Le contenu des deux interventions interpelle et pousse à l’interrogation. A qui s’adresse Gaïd Salah ? Pourquoi avoir choisi de s’exprimer de la sorte aux frontières ouest et pas ailleurs ? Quelles sont, enfin, ces lignes rouges et pourquoi Saïd Chengriha a-t-il jugé nécessaire de faire savoir publiquement que ses troupes sont prêtes à intervenir ? Pour tenter de décrypter le message, nous avons contacté trois experts des questions militaires. L’ancien responsable de la 1re Région militaire, le général Abderrezak Maïza, son collaborateur aguerri aux questions sécuritaires, le général Ouddaï et Mohamed Khalfaoui, un ancien officier de l’ANP, ont accepté de répondre à nos questions et se livrent ici dans des analyses qui se rejoignent souvent.
Le général Maïza établit immédiatement un lien entre la région à partir de laquelle a été prononcé ce discours et lancé le message. «Le fait que l’allocution ait été prononcée à Béchar veut dire qu’elle s’adresse à nos voisins de l’ouest. Au Maroc, à Mohammed VI qui s’agite et dit qu’il est prêt à se lancer dans une guerre. De tels propos ne pouvaient pas être tenus ailleurs, ils n’auraient pas eu le même impact, la même interprétation. Le fait qu’ils aient été prononcés dans la 3e Région veut dire qu’ils ne sont pas destinés à l’intérieur, mais à nos voisins. Le conflit autour du dossier du Sahara occidental prend de l’ampleur, on ne veut pas en parler ni s’en rendre compte simplement. Le Maroc est engagé dans une logique qui peut aller loin. L’issue politique est bouchée, le roi fait fi de l’injonction des Nations-Unies pour le retour de la Minurso (Mission des Nations-Unies pour le référendum au Sahara occidental).
Beaucoup d’informations circulent au sujet d’achat d’armes, financé par l’Arabie Saoudite, le roi a même commandé des navires, il y a un renforcement extraordinaire de la flotte marocaine, d’équipements militaires. Contre qui cela se fait-il ? En fait, les Marocains se disent prêts à en découdre. En 1984, son père, Hassan II, avait lancé toute son aviation à Béchar. Il réclamait le droit de poursuite et voulait bombarder les camps de réfugiés du Front Polisario. Les autorités algériennes avaient elles aussi décidé de réagir. Aujourd’hui, Mohammed VI reprend du poil de la bête.» Le général Maïza poursuit : «Les propos du vice-ministre de la Défense sont nets. Il indique que l’Algérie est prête à se défendre en cas de conflit ou d’agression externe. Toute cette histoire risque d’aller loin. La responsabilité de l’Espagne et de la France est totale. Elles sont impliquées de même que l’ONU qui n’a jamais pris ses responsabilités dans ce dossier.
A tel point que le Front Polisario indique aujourd’hui qu’il a beaucoup de mal à contenir la colère de ses jeunes dans les camps. Ce discours est très important et les propos du chef de la 3e Région militaire sont clairs là aussi : nos troupes sont prêtes à défendre le pays en cas d’agression».
L’analyse du général Ouddaï rejoint a priori celle du général Maïza sur le point relatif à la menace extérieure. Il estime cependant que les déclarations de Gaïd Salah concernent d’une certaine mesure l’aspect interne. «Le vice-ministre de la Défense est intervenu dans une conjoncture très particulière que traverse le pays, dit-il. D’abord, il y a une grande agitation politique liée à ce qui est appelé une guerre de succession. En fait, tout tourne autour de l’état de santé du président de la République. Il y a aussi les déclarations intempestives de certains chefs de partis politiques qui s’en prennent à tout le monde sous prétexte de défendre l’Algérie mais ce sont eux qui risquent de créer des dérapages et des troubles dont nous n’avons pas besoin. A mon avis, c’est à ces personnes que s’adresse le message en évoquant les lignes rouges à ne pas franchir». Il poursuit : «L’essentiel de ce même message reste cependant dirigé au Maroc, bien sûr. Les manœuvres du roi, ses différentes attaques à l’encontre de l’Algérie et tout ce qui soutient de près ou de loin l’indépendance du Sahara occidental ne peuvent pas passer inaperçues. Mohammed VI renforce son armement et n’hésite pas à le faire savoir publiquement. Gaïd Salah a répondu pour dire que nous sommes prêts à nous défendre».
Cette analyse est partagée en tout point par Mohamed Khelfaoui. Selon lui, le discours du vice-ministre de la Défense veut dire que «l’Algérie relève le défi qui lui a été lancé. Quel que soit l’espace, nos troupes sont prêtes. A qui s’adresse un discours prononcé à partir de Béchar, selon-vous ? Vous savez, pour le militaire, la ligne rouge veut dire qu’il ne faut pas toucher aux frontières et que nous sommes prêts à nous défendre quel que soit l’espace utilisé, c'est-à-dire terrestre, aérien ou autre. Le fait qu’il ait été prononcé à Béchar veut dire qu’il s’adresse au Maroc où règne une grande agitation en ce moment. Je pense que ce discours a également un lien avec la situation particulière que traverse le pays actuellement et marquée notamment par l’agitation politique qui règne dans certains cercles. L’opinion assiste à des déclarations incroyables de certains hommes politiques, Saâdani en l’occurrence, et il me semble que ce discours est aussi une manière de dire «arrêtez». C’est en quelque sorte le coup de sifflet final de l’arbitre».
A. C.
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