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Etats-Unis – Vietnam: vieux ennemis, nouveaux frères d’armes

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  • Etats-Unis – Vietnam: vieux ennemis, nouveaux frères d’armes

    Good morning… China!

    Le 23 mai, un peu plus de 41 ans après la prise de Saïgon par les communistes, Barack Obama a annoncé la levée de l’embargo sur les ventes d’armes américaines au Vietnam, en vigueur depuis 1984. Face à la puissance chinoise, les deux anciens ennemis resserrent également les liens économiques, le président américain espèrant aussi le soutien vietnamien pour faire passer le Traité de libre-échange transpacifique avant la fin de son mandat.

    Dans son discours d’investiture, le 20 mai, la nouvelle présidente de Taïwan Tsai Ing-wen a invité Chinois et Taïwanais à se « débarrasser du fardeau de l’Histoire ». Même si ce discours a été adressé à des oreilles chinoises, il a apparemment eu un écho du côté du président américain. En visite à Hanoï, celui-ci n’a pas perdu de temps pour annoncer, dès sa première prise de parole, la levée de l’embargo sur les ventes d’armes américaines au Vietnam. Armer les héritiers des Vietcongs de M-16 et F-16 est donc, après le discours taïwanais, le deuxième pied de nez à la Chine en trois jours, alors que celle-ci ne cesse de vouloir étendre son influence notamment en mer de Chine méridionale, où les tensions sont fortes entre Hanoï et Pékin. Les deux capitales revendiquent en effet chacune l’archipel des îles Spartleys, inhabitées mais situées sur d’immenses gisements de pétrole ainsi que sur une zone de pêche foisonnante.

    Un moyen de pression pour le TPP
    Avec cette annonce, Barack Obama espère faire coup double : en armant le Vietnam, il contrarie un peu plus les ambitions chinoises. Mais il cherche surtout à convaincre les Vietnamiens – dont certains hauts responsable restent méfiants vis-à-vis de l’ancien ennemi – de ratifier le traité de libre-échange transpacifique (TPP). Pour ce faire, Obama a lié les conditions de la levée totale de l’embargo au TPP. Et, pour faire face aux critiques américaines épinglant l’état des droits de l’homme dans ce pays dirigé par un parti unique, il a aussi exigé que le Vietnam accepte la création de syndicats indépendants ainsi que l’instauration du droit de grève. Pas sûr que ces mesures puissent satisfaire les militants qui ont été assignés à résidence avant la venue d’Obama, ni les participants d’un concert clandestin animé par Mai Khoi, chanteuse et militante prodémocratie, qui s’est tenu à Hanoï, samedi 21 mai. « Sommes-nous libres ? Sommes-nous vraiment libres ? », se demandait-elle à la fin d’une chanson. Mais les véritables destinataires des conditions posées par Obama sont américains : dans ce petit jeu stratégique, on ne sait plus qui s’adresse à qui…

    En y regardant de plus près, le système politique vietnamien a bien plus de similarités avec la Chine qu’avec les Etats-Unis : parti unique, répression des opposants et manifestants, censure de l’information, non-respect des droits de l’homme. Mais la géopolitique et les intérêts nationaux ont toujours le dernier mot et entre ces deux pays supposés « frères » et partageant le même système politique, les tensions, parfois graves (une presque guerre en 1979) ne datent pas d’hier. Déjà dans les années 1960, au beau milieu de la guerre de Vietnam, les dirigeants nordistes n’ont pas apprécié le soutien assez tiède de la Chine et se sont tournés vers l’URSS où la plupart de l’actuelle classe dirigeante vietnamienne a été formée.

    Etats-Unis et Vietnam, eux, ont en commun, en plus d’une guerre sanglante, une étonnante capacité à faire table rase du passé. Selon un sondage mené il y a un an à l’occasion du quarantième anniversaire de la chute de Saïgon, 76% des personnes interrogées ont exprimé des opinions favorables envers l’ancien ennemi. Mais ces mêmes enquêtes d’opinion dévoilent que les Vietnamiens sont surtout attachés aux libertés économiques et les dirigeants du pays pourraient donc envisager un développement « à la chinoise », offrant dans un premier temps une progression spectaculaire du niveau de vie, mais reléguant les libertés politiques et publiques aux calendes grecques.

    L’avenir des Etats-Unis est à l’est
    Même si Obama arrive à obtenir la ratification du TPP par Hanoï, ce traité, qui regroupe douze pays – dont la Chine ne fait pas partie – devra être soumis au vote du Congrès américain. Il est peu probable que cela ait lieu avant le départ de Barack Obama, en janvier 2017. L’opposition affichée à cet accord de la part des deux futurs candidats à la Maison Blanche - confrontés tous les deux à la colère des classes populaires, surtout blanches, face à la délocalisation des activités et des emplois industriels vers ces pays à bas coût et aux mauvaises conditions de travail -, rendra difficile la tâche d’Obama.

    Ce dernier pourra néanmoins se féliciter d’avoir pu s’allier à un nouvel acteur dans la région – qui plus est, celui-ci ! – afin d’espérer endiguer l’influence chinoise grandissante. Le vieux « containment » version Obama, avec une composante militaire (vente d‘armes et ce qui s’en suit) et économique (intégration dans une zone de commerce libre de droits). Cependant, fidèle au jargon diplomatique, il a assuré que la levée de l’embargo n’était pas liée à la politique américaine vis-à-vis de la Chine, mais que la décision était basée sur son « désir de compléter le long processus de normalisation que nous avons entrepris avec le Vietnam. »

    Tran Truong Thuy, directeur de l’Institut d’études sur la mer orientale – l’appellation vietnamienne de la mer de Chine méridionale – a néanmoins sous-entendu que la Chine était bien au cœur des discussions avec l’Oncle Sam : « Sur ce dossier, le Vietnam est du côté des Américains et de Taïwan ; il considère qu’il faut défendre le statu quo régional. Nous nous attendons d’ailleurs à ce que, si Hillary Clinton est élue, elle soit encore plus ferme qu’Obama vis-à-vis des Chinois. »

    Pékin, par l’intermédiaire de l’agence de presse gouvernementale Xinhua, a également réagi. Tout en reconnaissant que les tensions en mer de Chine méridionale s’étaient « intensifiées ces dernières années », elle a accusé les Etats-Unis d’en être responsable en ayant envoyé « de manière répétée des avions et des navires dans la région ». L’agence chinoise a aussi incité Washington à ne pas se servir de ce rapprochement « en tant qu’outil pour menacer ou même endommager les intérêts stratégiques d’un pays tiers », à savoir les siens.

    Sans minimiser l’importance du rapprochement entre Washington et Hanoï, le bilan de la politique d’Obama dans la région est mitigé. Le président qui souhaitait au début de son mandat réorienter l’intention des Etats-Unis vers la zone Asie-pacifique (« re-balance » est sa formule favorite) aura du mal à afficher de réels succès, surtout quand la Chine semble continuer de prendre le contrôle de la mer orientale/Chine méridionale. Au mieux, la progression du contre-projet américain, consistant à tisser des alliances supposées servir de contrepoids au projet stratégique chinois avance très lentement : si le rapprochement avec le Vietnam avance, il ne faut pas oublier que quelques jours avant l’arrivée d’Obama à Hanoï, un personnage hostiles aux Etats-Unis a été élu président de l’un des plus vieux alliés dans la région : les Philippines. En fait, le nouveau président philippin, Rodrigo Duterte, semble pencher plutôt du côté chinois concernant les îles disputées. Quoiqu’il arrive, et même si le prochain président des Etats-Unis est un homme, les idées formulées dans « le siècle asiatique des Etats-Unis », article programmatique signé en octobre 2011 par Hillary Clinton, secrétaire d’Etat à l’époque, restent répandues, voire hégémoniques parmi les élites américaines : l’avenir est en Asie-Pacifique et non pas en Irak ni en Afghanistan, et les Etats-Unis devraient être au cœur de l’action. Hanoï est un bon endroit pour le redire.

    le causeur
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