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La politique, cette chose anachronique

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  • La politique, cette chose anachronique

    Le politique de carrière est une espèce totalement anachronique dans notre monde où un gestionnaire intègre et compétent au mandat unique est le profil idéal.

    La puérilité des débats de « Nuit Debout » ou l’archaïsme des contestations plus traditionnelles de la loi Travail en sont de nouveaux exemples. À part concerts et casseurs, ces mouvements plus ou moins organisés aux franges de la gauche n’ont aucun débouché. Sauf à se transformer peu à peu en Partis de gauche radicale rénovés, mais finalement plus classiques qu’ils ne le voudraient, à l’image de Podemos en Espagne.

    Cette impasse est logique : tous ces protestataires plus ou moins virulents selon la conjoncture, ainsi que la faiblesse relative des partis traditionnels, courent après des mirages. Non, il n’y a pas d’alternative… – «There Is No Alternative», «TINA» comme on le disait du temps de Thatcher dans les années 80. Car en fait, les grands combats politiques sont terminés.

    Le Grand Soir, c’est quand ?

    Eh oui, amoureux du Grand Soir, justiciers en herbe, manifestants professionnels, adorateurs des joutes partisanes, experts patentés de la chose politicienne ou de son commentaire, tout ça est dépassé. Usé. Périmé.
    C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles la classe politique est autant rejetée et méprisée. Car pour l’essentiel, ses joutes comme ses expériences gouvernementales sonnent faux et creux. Tout donne l’impression de se ressembler et de se confondre, seuls diffèrent les clans au pouvoir. C’est bien ce qui insupporte : le sentiment d’une caste dont les camps se partagent tour à tour un gâteau en passant la vie entière aux crochets des contribuables. D’où la tentation d’écarter ces professionnels de la politique. Une vague sur laquelle a surfé à fond Donald Trump depuis les débuts de la primaire républicaine aux États-Unis. Dans d’autres pays, à défaut d’acteurs externes à la classe politique en capacité d’émerger, ce sont les partis extrêmes de celle-ci, comme le Front national en France, qui captent une partie de ce mécontentement… alors même qu’il s’agit tout autant que les autres de professionnels de la politique.

    Parce qu’il n’y a pas d’alternative crédible au modèle qui a très largement conquis la planète, l’économie de marché, les promesses et discours politiques sont une source permanente de désenchantement. Ceux-ci sont en effet à chaque élection les pourvoyeurs de promesses plus ou moins fantaisistes, mais qui ont toutes le point commun de faire croire qu’une quelconque « volonté politique » permettrait de s’abstraire des réalités économiques. Ou de les infléchir.

    Le quinquennat Hollande est la piteuse illustration d’un enfumage politique au goût amer : une campagne pleine de promesses déraisonnables et démagogiques ; un retour à la réalité besogneux et penaud, qui ne fait que des mécontents, des perplexes ou des désenchantés. Mais le précédent mandat était finalement assez similaire : dans son genre, Sarkozy avait aussi fait du volontarisme politique une arme censée être dotée de pouvoirs magiques, qui allait par exemple magnifier le pouvoir d’achat ou encore bouleverser la répartition des profits (souvenez-vous de l’invocation de la « règle des trois tiers »…).

    Face à la crise, ses discours musclés promettaient la mise au pas de la finance. Rien de tout ça n’est advenu, naturellement, et comme d’autres marchands de rêve avant lui, il fut désavoué.
    Bien entendu, se présenter en simple gestionnaire des réalités dures et concrètes est beaucoup moins engageant pour ces professionnels de la politique. D’une part, ils comptent toujours sur le discrédit qui frappe l’adversaire au pouvoir et sur la mémoire courte de l’électeur pour continuer à séduire sur la base de leurs promesses, celles qui n’engagent que ceux qui y croient, selon le vieil adage attribué à feu Charles Pasqua. D’autre part, ils n’ont plus vraiment la possibilité de se peindre en d’efficaces gestionnaires. Du fait de leur track-record, même si le temps estompe parfois les erreurs et les bilans. Mais surtout, car ils apparaissent, dans une lumière de plus en plus crue, comme dénués de toutes compétences.

    La fin de l’expertise politicienne

    À force d’occuper le plus clair de leur temps à des combines partisanes – leur seule expertise et ce qui permet à la fois d’asseoir et de conserver leur pouvoir –, les politiques professionnels font de moins en moins illusion. L’époque n’est plus très tendre : traqués par les caméras ou les réseaux sociaux, leur décalage avec les réalités économiques et sociales est de plus en plus frappant. Une ministre du Travail ne sait pas combien de CDD on peut enchaîner. Un ancien président aspirant à le redevenir ne sait pas ce qu’est Le Bon Coin en 2016. C’est aussi énorme que ça. Chacun peut constater que les élus ne sont le plus souvent expert ou spécialiste de rien du tout. Qu’ils travaillent fort peu, si ce n’est pas du tout, au sens commun de ce mot pour la plupart de nos concitoyens.
    Que leur niveau moyen de formation a d’ailleurs plutôt tendance à s’affaiblir, à l’exception des sempiternels hauts fonctionnaires qui jouissent de la protection de leur statut pour faire de la politique sans souci du lendemain. Qu’au fond, ils épuisent tout leur temps et énergie entre les relations publiques autour de leur petite personne et les combines partisanes déjà évoquées. Déléguant paresseusement, quand ils ont des responsabilités, l’essentiel du vrai job aux fonctionnaires en charge de leur ministère ou de leur collectivité.

    Tout ceci n’est peut-être pas très neuf, mais prend un éclairage particulier à notre époque. Le rendant encore plus insupportable, au point de permettre à un Trump d’écraser ses adversaires au motif principal qu’il n’est pas l’un de ces professionnels de la politique. Que lui a vraiment fait des choses, vécu la vraie vie professionnelle, qu’il peut présenter un bilan et des résultats (ce qui en l’espèce peut se discuter). Car, s’il y a encore quelques décennies, le responsable politique pouvait être implicitement doté d’une aura présupposant pour beaucoup d’électeurs des compétences et un savoir incontournables, ce voile d’ignorance s’est largement déchiré aujourd’hui.
    La politique professionnalisée à outrance n’apparaît plus que dans sa vérité nue : au mieux, des parasites du système qui n’en favorisent jamais la réforme par crainte de compromettre leur position ; au pire, des corrompus qui abusent de leur pouvoir à des fins d’enrichissement et de favoritisme. Mais plus, en tout cas pour l’immense majorité des électeurs, des visionnaires ou même de grands serviteurs de la chose publique. Il est donc tentant de s’en passer, comme en témoigne en France également la multiplication des initiatives pour des candidatures de novices aux échéances de 2017.

    Le triomphe de la démocratie

    Bien sûr, tout est loin d’aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais à l’exception de quelques dérives oscillant entre le pathétique et le folklorique comme en Corée du Nord, au Zimbabwe ou au Venezuela, nos valeurs de référence sont toujours plus universelles. Avec des fondations toujours plus claires de ce que doit être une société du XXIe siècle : droits des individus, économie de marché.

    Il y a bien entendu, depuis 15 ans que cette « fin de l’Histoire » a trébuché avec les attentats du 11 septembre, la violente contestation que représente l’islamisme. La seule qui soit d’ailleurs structurée, cohérente à sa façon, et déterminée à en découdre avec le nouvel universalisme à l’échelle de la planète. Toutefois, comme l’évoque par exemple Marcel Gauchet, il peut être soutenu que cette résurgence obscurantiste est justement la manifestation de la poussée inéluctable des valeurs issues des Lumières. Et que c’est une forme d’ultime convulsion, à la fois déchaînée et délirante, face à ce qui est perçu comme une invasion des valeurs occidentales et un risque d’effacement d’autres identités.

    Globalement, il n’y a jamais eu autant de démocraties dans le monde (63% des pays aujourd’hui contre 41% en 1990 d’après l’ONG Freedom House). Et en plus de 30 ans d’économie libérale mondialisée, la pauvreté a reculé comme jamais auparavant sur la planète : selon la Banque mondiale, l’extrême pauvreté concernait 12% de la population mondiale en 2012 contre 44% en 1981.



    Le développement de nombreux pays africains est ainsi enclenché, et avec lui la transition démographique de ces régions. L’innovation permet, par exemple grâce aux mobiles et à Internet, de sauter une génération entière d’infrastructures qui faisaient défaut dans ces pays.
    Il serait évidemment inconséquent de sous-estimer les menaces et les défis auxquels est confrontée la planète, au-delà de la seule question de la réaction islamiste déjà citée. La croissance tend à être plus faible, avec un cycle d’innovation qui peine à soutenir les gains de productivité. Les problématiques environnementales sont incontestables, même si le progrès technologique devrait contribuer à y répondre. La rareté de certaines ressources est également un risque pour le développement économique. Les inégalités ont progressé au sein de beaucoup de pays. Et face à ces risques et contraintes, le populisme et le protectionnisme ont le vent en poupe auprès d’une partie des populations touchées.

  • #2
    suite

    Pas d’alternative à la démocratie

    Pour autant, ces enjeux ne font émerger aucune alternative au modèle de référence dans lequel nous évoluons. Tout ce qui apparaît en rupture serait largement pire, y compris pour faire face aux difficultés énoncées. Et de fait, les ruptures supposées s’évanouissent très vite d’elles-mêmes. Il n’y a qu’à voir l’expérience Syriza en Grèce. Après avoir fait beaucoup de rodomontades, le gouvernement Tsipras suit finalement une feuille de route assez proche de ses prédécesseurs et des requêtes de ses créanciers. Sans être toujours aussi spectaculaires, ces retours à la réalité sont en fait nombreux, comme en témoignent les expériences françaises depuis le début des années 1980.

    Il reste dès lors aux pouvoirs publics à assurer la meilleure gestion possible dans le cadre d’ajustements limités. Entre différents pays, les écarts peuvent rester significatifs selon les choix effectués, même si l’on reste dans un même modèle. La France confirme par exemple une forme de préférence pour le chômage plutôt que pour des mini-jobs à l’allemande ou des contrats zéro heure à l’anglaise, et maintient une protection assez forte pour les insiders.

    Elle s’arc-boute également sur une protection sociale obligatoire en quasi-totalité, là où la part « à la carte » et privée est bien plus importante ailleurs, expliquant des différences importantes de prélèvements obligatoires. Mais il s’agit toujours, globalement, d’économie de marché. Et dans un pays donné, les possibilités d’évolution sont encore plus minces. Comme en témoigne la campagne démocrate américaine de cette année. Bernie Sanders est jugé nettement plus sympathique, authentique et honnête que sa rivale par l’électorat. Qui va pourtant la choisir, car Sanders propose des ajustements trop importants, vers un modèle plus « scandinave » qui resterait pourtant toujours, là aussi, pleinement ancré dans l’économie de marché.

    Ce n’est d’ailleurs même plus vraiment une question d’idéologie, tant les fondements principaux de ce qui est à l’œuvre ne sont plus sérieusement contestés parmi ceux en mesure d’exercer des responsabilités de tous ordres. On est ainsi avant tout dans le réglage, dans l’optimisation. Ce qui explique, mondialisation aidant, que nos sorts soient de plus en plus liés, et nos résultats d’ensemble assez proches. Vous en doutez ? Regardez combien en vingt ans l’économie française a peu dévié des moyennes de la zone euro et de l’Union européenne.

    Ce n’est pas faute d’avoir tenté des choix divergents : la France a mis en place les 35 heures, relevé les impôts et joué avec les déficits, là où l’Allemagne choisissait au contraire la rigueur budgétaire et la libéralisation du marché du travail. Le Royaume-Uni a également suivi des voies libérales sous ses différents gouvernements, tandis que les pays d’Europe du Sud connaissaient un choc violent avec la crise de 2008, après des années d’expansion. Au final, en plus de 20 ans, les écarts sont pourtant infimes.

    Derrière des choix d’apparence forts et des décisions politiques divergentes, l’essentiel de l’activité économique mondiale converge et s’imbrique de plus en plus. Et quand un décrochage s’opère, il faut souvent vite le compenser : avec les 35 heures, il faut alléger les charges sur les bas salaires, accepter modulation, forfaits jours et contingents d’heures supplémentaires ; après un « choc fisal », il faut le CICE et le « pacte de responsabilité » pour redresser les taux de marge des entreprises. Dans l’épure de l’économie de marché, la politique économique devient une variable de second ordre, par rapport à ce qu’on pourrait caractériser comme des « lois physiques » qui s’imposent à tous. De la physique, dure et concrète, en lieu et place du romantisme politique d’antan ou des sirènes d’économistes marginaux.

    Le politique de carrière est donc une espèce totalement anachronique dans ce nouvel univers où un gestionnaire intègre et compétent au mandat unique est le profil idéal. Pour survivre, les dinosaures de la politique vont bien sûr tout faire pour mettre des bâtons dans les roues des outsiders du système, s’ingénier à compliquer la vie des nouveaux venus et surtout chercher à entretenir la flamme des lendemains qui chantent et des grands soirs. Mais ça leur sera de plus en plus difficile, car les peuples sont de moins en moins crédules. Parce qu’ils savent qu’au fond il n’y a pas d’alternative. TINA.

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