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L’école est-elle raciste?

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  • L’école est-elle raciste?

    Et les parents, les enseignants et les élèves le sont-ils, consciemment ou non? La réponse est oui.

    Un joueur de football s’indigne des choix du sélectionneur de l’équipe de France et l’accuse d’être influencé par la partie «raciste» de l’opinion française. On ne parle plus que de cela. Mais Karim Benzema a formulé à sa manière quelque chose qu’on entend parfois, dans la vie de tous les jours, dans des propos lancés à l’emporte-pièce et/ou sous le coup de l’émotion.
    L’accusation de racisme dans la ville où je vis –appelons-la le grand Paris– est devenue banale dans les petits et grands conflits qui peuvent apparaître au travail, dans les commerces ou les transports en commun. Par exemple: «Vous me dites cela parce que je suis…» Ou le plus direct «sale raciste!». Et pour aller jusqu’au bout de ma pensée, je déteste profondément assister à ce genre de scènes mais j’avoue que j’ai moi-même parfois eu des doutes sur les raisons pour lesquelles je me prenais une réflexion désagréable pour des micro-évènements du type ne pas se pousser assez rapidement quand la porte s’ouvre, être en possession d’un enfant qui hurle, rigoler trop fort– le fait d’être jeune, de porter des baskets ou d’être basanée ou les trois doivent-ils justifier des commentaires agacés de personnes âgées dans un autobus? Je pense que non mais en général je ne dis rien car quand une accusation de racisme est lancée à tort et à travers, cela peut légitimement énerver.

    La facilité des clichés

    Au collège notamment, c’est une accusation que des élèves peuvent lancer à un prof… ou proférer à son endroit entre eux ou devant un autre adulte. J’ai eu l’occasion d’entendre ce genre de choses lorsque j’ai enseigné dans un établissement dans lequel la majorité des élèves avaient des origines étrangères, eux-mêmes ou leur parents n’étant pas nées en France alors que cela représentait une partie beaucoup plus faible de la communauté éducative.

    Certains de ces élèves étaient d’ailleurs assez peu gênés avec leur propre racisme. Entendre des «ouais, de toute façon, c’est des Chinois» dans sa salle de classe est une des choses les plus pénibles contre lesquelles j’ai dû lutter le peu de temps où j’ai enseigné. Entendre les gamins parler du racisme des profs qui se décarcassent pour eux à longueur d’année est très choquant… la dernière chose que j’ai envie d’être, c’est raciste. Et je suppose que c’est le cas d’énormément d’enseignants plutôt attachés à un souci permanent de justice.

    Il suffit de parler à des parents de milieux bourgeois/ classe moyenne vivant dans des quartiers gentrifiés pour entendre «oui, mais c’était le seul blond dans son école primaire»

    Sauf que…

    Sauf que les choses sont ainsi faites que la politique de la ville (et le non-respect des obligations en terme de logements sociaux de la part de communes riches et la concentration de difficultés dans des communes ou quartiers pauvres) aboutit au fait que l’école publique concentre parfois des élèves monochromes de par leurs origines sociales et polychromes si on ne regarde que la couleur de la peau dans les quartiers populaires.
    Stratégie d'évitements

    À cela s’ajoute le contournement de la carte scolaire pratiqué par des millions de familles. Il faut savoir que les assouplissements successifs de la carte scolaire, notamment à partir de 2007 et par la suite, ont fortement accru la ségrégation et en particulier la «ghettoïsation» des établissements les moins favorisés socialement (1). Voilà qui légitime les stratégies parentales d'évitement de la mixité sociale et ethno-raciale, et même incite à ces stratégies.

    Parfois, les parents rapportent que ce sont les enseignants eux-mêmes qui leur conseillent de partir. Ces arguments-là, je les ai entendues maintes fois, je les entendrai encore. Les gens qui les avancent ne se rendent jamais compte à quel point c’est choquant. A fortiori quand on se compte soi-même dans la grande catégorie des «non blancs».

    Et, pour prendre un autre exemple personnel, étant passée d’une école primaire située au milieu d’une cité populaire de banlieue à un lycée beaucoup plus chic, j’ai été vraiment étonnée, arrivée en sixième, de voir qu’autant de gens pouvaient avoir les yeux bleus. La ségrégation ethno-raciale est aussi ancienne que les quartiers populaires et l’immigration. Mais elle existe encore davantage aujourd’hui.

    Orientation d'origine contrôlée

    Une scolarité réussie est aussi le fruit d’une bonne orientation. Et l’origine joue un rôle dans ce processus. Comme l’avait montré le sociologue Hugo Palheta dans son ouvrage La domination scolaire. Sociologie de l’enseignement professionnel et de son public, les stratégies et le choix de l’orientation des élèves sont influencés par cet évitement. Voici comment, interrogé par Slate, il résume les choses aujourd’hui:

    «Étant donné les effets de composition (school mix), cela peut évidemment avoir des effets non seulement sur les dynamiques d'apprentissage au sein des établissements, mais aussi sur la perception par les enseignants de l'avenir scolaire de leurs élèves, et sur la formation des aspirations scolaires chez les élèves», expliquait-il.

    Dans mon lycée, j’ai des classes que de noirs. Et on ne fait rien, on accepte
    Eric Dogo, principal adjoint d'un lycée professionnel de banlieue parisienne
    À ceci, on peut ajouter que les enseignants ne donnent pas les mêmes conseils à tous. À résultat égal, un élève de milieu populaire est moins «poussé» qu’un fils de cadre… ou de prof. La logique est complexe:
    «L'appartenance massive aux classes populaires des élèves issus de l'immigration postcoloniale –notamment en raison des discriminations racistes à l'emploi et à l'avancement, qui a souvent condamné leurs parents aux emplois les moins bien payés et les plus durs, voire au sous-emploi– et le capital scolaire plus faible en moyenne de leurs parents engendrent un moindre niveau moyen de réussite dans les apprentissages, non en raison de caractéristiques ethno-raciales mais bien de caractéristiques de classe (sociale), et un moindre niveau moyen d'aspiration scolaire que dans les classes “moyennes” et favorisées.»

    Et concernant le processus d'orientation lui-même, le sociologue ajoute qu'«on peut retrouver de la part du personnel de l'Éducation nationale (enseignants, conseillers d'orientation, etc.) des attitudes teintées de paternalisme, voire de racisme, enjoignant les élèves issus de l'immigration postcoloniale à “choisir” les voies scolaires les moins valorisées socialement (filières technologiques et professionnelles plutôt que filières générales).»


    Et maintenant?

    Difficile de documenter des «comportements» mais tout ceci est largement démontré par les statistiques de l’orientation et la sociologie de l’éducation: les classes sociales se reproduisent très bien à l’école. Et quand ces classes recoupent des origines ethniques visibles, cela se voit. C’est ce que constatent des enseignants (comme j’ai pu le faire en zone d’éducation prioritaire) et des cadres comme Éric Dogo, principal adjoint d’un lycée professionnel de banlieue parisienne que s’exprimait le 21 mars à l’occasion d’un journée sur la Fraternité à l’école organisée par le journal en ligne Café pédagogique:

    «Dans mon lycée, j’ai des classes que de noirs. Et on ne fait rien, on accepte… En bac pro esthétique, les élèves, quasiment toutes des filles, sont pour l’essentiel des blanches, souvent de classes moyennes. À l’inverse du bac “accueil” où ce sont des noires, de milieux très modestes. Le commerce est l’une des rares filières où existe une mixité à la fois de genre –filles et garçons–, de milieux et d’origines.»

    La couleur, le genre. la classe. Voici donc la réalité –une des réalités– des écoles, collèges et lycées de France. Et que se passe-t-il ensuite? Au moment des choix d’orientation post-bac, les choix ne sont pas dénués de tout le poids des représentations sociales voire ethniques.

    Inégalité des chances

    Ainsi, l’Insee publiait une étude sur le poids de l’origine sociale sur l’orientation des bacheliers. L’Institut national de la statistique souligne aussi que les choix relève du certain de liberté… ou d’une autocensure plus ou moins consciente:

    «À caractéristiques équivalentes, les enfants issus de familles aisées (…) émettent en effet un vœu plus ambitieux en premier choix: certains l'obtiennent, d'autres non, mais ces derniers décrochent quand même une proposition correspondant à la filière souhaitée. Ils obtiennent également bien plus souvent une autre académie –la probabilité est 1,5 fois plus élevée: l'aisance financière ou une meilleure information leur permet d'élargir le champ de leurs vœux. (…) Un élève d'origine sociale plus modeste s'oriente plus souvent vers une STS [section de technicien supérieur donnant accès au BTS, ndlr]. Les enfants se projettent ainsi plus facilement dans des études débouchant sur des métiers proches du statut social des parents.»

    Très certainement, les profs et l’école ne sont pas racistes dans leur très grande majorité. C'est le moins que l'on puisse espérer. Mais il est urgent de travailler sur ces représentations des genres, des classes mais aussi de l’immigration. D’une part, pour qu’on ne puisse pas accuser une institution aussi centrale que l'école d’être raciste. D'autre part, pour que la réalité colle enfin aux belles idées que celle-ci transmet et qu'elle est censée faire vivre. Vous voyez lesquelles, non? Elles sont écrites sur le fronton de toutes les écoles: égalité, fraternité.

    1 — C'est le grand acquis du livre L'Apartheid scolaire de Georges Felouzis, Liot et Perroton, qui montre comment la ségrégation entre établissements reproduit et même amplifie la ségrégation résidentielle, d'un point de vue ethno-racial. Retourner à l'article

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