«Je suis ‘‘enterré’’ au cimetière de Maghnia»
«Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent.» (Kropotkine)
A l’instar de son compagnon d’armes et son associé en affaires, lui aussi membre du groupe des 22, le regretté Zoubir
Bouadjadj, Othmane Belouizdad est un homme silencieux. Tellement silencieux que beaucoup arrivent à peine à croire que cet homme de 88 ans, toujours alerte, que Dieu lui prête vie, continue à vaquer à ses occupations dans le tumulte et le vacarme de la vie. Surtout n’évoquez pas avec lui la politique, sujet qu’il abhorre depuis qu’il a mis un trait dessus après l’avoir pratiquée dans le tourbillon de la guerre.
Celle-ci terminée, Othmane s’est retiré chez lui avec le profond sentiment du devoir accompli. Depuis, il stigmatise la politique et surtout la manière dont elle est pratiquée avec ses mensonges, ses chausses-trappes et ses hypocrisies. C’est pourquoi lorsqu’il constate aujourd’hui ses méfaits il en est outré.
Préférant le réalisme à l’optimisme, Si Othmane a préféré le silence, d’autres on ne sait pour quelle raison ont choisi pour lui le silence des cimetières, principalement celui de Maghnia où son nom agrémenté de sa photo est immortalisé pour la postérité sur la liste des chouhada. Cette histoire d’outre-tombe de mauvais goût le fait sourire. «Il y a quelques années, nous sommes partis, Ahmed El Caba, Hadj Slimane, le Dr Benadouda, Moumdji et moi à Tlemcen pour assister à un colloque. Nous voulions au terme de cette rencontre faire un peu de tourisme. Nous sommes partis à Maghnia où on s’est arrêtés au cimetière des chouhada.
Là, nous découvrîmes une stèle dédiée aux chouhada où je figure avec ma photo. Le Dr Benadouda s’est empressé de me prendre en photo dans cette posture insolite. Je ne savais pas que j’avais quitté ce bas monde. Alors, pour rire, j’ai suggéré à mes amis d’aller vite à la mairie pour réclamer la pension de chahid.» Cet épisode extravagant le fait rire encore. Mais plus sérieusement, on décèle à travers ce fait la haute idée que le pouvoir se fait de la préservation des symboles de la lutte contre le joug colonial.
Othmane raconte qu’au cours d’une rencontre avec Ben Bella, il lui a fait part de cette «bourde» commise dans son patelin ; il en resté bouche bée. Méditerranéen jovial, Othmane n’a pas dérogé à la tradition chaleureuse qui sied aux gens de cet espace géographique. Des passionnés qui savent opposer à la tragédie un humour sarcastique sûrement salvateur. Quand on naît dans un quartier populaire comme celui de Belcourt, de surcroît révolutionnaire, fils d’un homme qui croit aux vertus du travail, imprégné tout jeune d’un code de l’honneur familial, patriote et militant, on apprend vite les subtilités et les exigences de la vie.
L’histoire est ingrate
Tantôt énergique, tantôt mélancolique, fonceur ou désabusé, ce vieux monsieur à l’air digne et courtois nous explique comment parfois l’histoire ingrate maltraite son peuple. De Belcourt de sa naissance, il garde des souvenirs vivaces. D’abord, c’est qui Belcourt ? «Je pense, selon mes informations, que le nom est dû à un maréchal-ferrant. Il s’appelait Belcourt et pratiquait l’art de forger et d’adapter aux sabots des chevaux des semelles et des contours protecteurs qu’il fabriquait lui-même.
Il était très connu, d’autant qu’on venait de tous les coins, notamment les cavaliers attirés par la foire qui jouxtait son atelier et où se pratiquaient des exhibitions. C’était un passage obligé et tout le quartier tient son nom de ce patronyme». Révolutionnaire, le quartier de Belcourt l’était avec les Belouizdad, Bouda, Mahsas, El Caba, Moumdji, Tazir, Bouadjadj et bien d’autres. Le Dr Benadouda raconte : «Quand son père qui travaillait dans les pièces détachées chez Chereau & Cie a été arrêté en mai 1945, Othmane avait 16 ans. Il est parti à sa recherche au commissariat.
Un homme complètement défiguré par la torture en est sorti. Othmane s’est approché de lui pour qu’il lui donne des informations sur son père. Il ne l’avait pas reconnu, c’était son paternel. Un sentiment diffus de colère et de haine contre l’occupant s’est emparé du jeune mineur.» C’est sans doute à partir de là que Othmane, très jeune, rejoindra la résistance.
Benguesmia, compagnon de lutte et ami témoigne : «Othmane, on le voyait petit par la taille mais grand dans le sacrifice. Toute la famille
Belouizdad s’est engagée fermement dans la résistance et n’a pas arrêté de militer, à commencer par Mohamed, très jeune leader dans l’Organisation spéciale (OS), hélas mort très tôt à la fleur de l’âge, 24 ans, après avoir montré des qualités insoupçonnables de guide et de leader.» Othmane parle peu, mais il est des silences parlants où on en vient presque à lire ouvertement sur le visage les non-dits qui en disent long. L’homme est à la fois douloureux, entier et anxieux.
L'OS et le groupe des 22
Jeune, il a eu un scolarité normale près de chez lui à la rue Causemille. Il est né le 25 juillet 1929, non loin des magasins qu’il gère toujours. Lorsque la Deuxième Guerre éclata en 1939, tout est parti en l’air. «Je me débrouillais en vendant des sardines, des figues et parfois des armes. Tout ce qui est bricolage m’intéressait et le marché noir instauré de facto après le débarquement des Alliés en 1942, encourageait tout trafic. On achetait des armes chez les Américains surtout car les Anglais étaient moins coopératifs.
Mon père Ahmed tenait un bureau de tabac à Belcourt. Le 8 novembre 1942, ils ont débarqué du côté du Hamma après les Halles. Je suis descendu dans le tunnel. Je m’attendais à des cow-boys sur des chevaux. J’ai trouvé des sacs de sable et des hommes lourdement armés. Ils m’avaient donné un pain que je distribuais en bribes en cours de route. Avant d’arriver à la maison, il ne restait qu’un bout que j’ai offert à ma mère. Quant au chewing-gum qu’ils m’ont offert, je l’ai avalé, pensant que c’était un bonbon.» C’étaient les années noires, les maladies, la misère et la mort. Face à cela, il n’y avait que la solidarité.
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