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"Banque d'Algérie, Laksaci, inflation, dinar, lobbies, monopoles" : le Pr Meddahi décrypte tout

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  • "Banque d'Algérie, Laksaci, inflation, dinar, lobbies, monopoles" : le Pr Meddahi décrypte tout

    Maghreb Emergent | Par Ihsane El Kadi

    Le professeur Nour Meddahi de la Toulouse Schools of Economics (TSE) cosignataire de plusieurs papiers sur les politiques économiques en situation de contre choc pétrolier en Algérie livre un entretien exclusif à Maghreb Emergent. Première partie la banque d’Algérie et les enjeux de politique monétaire après le départ du gouverneur Mohamed Laksaci.

    Vous êtes d’accord pour dire que l’inflation a été maîtrisée comme jamais depuis l’indépendance ces dix dernières années en Algérie ? Quelle est la part de l’inflation importée dans cette performance ?

    Effectivement, l’inflation est restée sous contrôle, avec une moyenne de 4% sur la période 2001-2015, contre une inflation de 2,15% aux Etats-Unis. C’est d’autant plus remarquable que l’écart entre ces deux moyennes est inférieur à celui de la période 1975-1985 (9,9% pour l’Algérie et 7,4% pour les Etats-Unis) alors que les prix algériens étaient administrés à cette époque-là.
    L'inflation algérienne a été faible depuis une bonne dizaine d’années du fait d'une faible inflation importée et d'une inflation endogène modérée.

    Ainsi, l’inflation mondiale a été faible depuis une quinzaine d’année, pour trois raisons. D’abord, l’arrivée massive des produits chinois a freiné la progression des prix de tous les produits manufacturiers. De plus, les prix des produits agricoles ont certes augmenté mais dans des proportions raisonnables, avec de fortes baisses en 2015.

    Enfin, la crise financière mondiale de 2008 a plombé l’économie mondiale, et on se retrouve avec des économies proches de la déflation, en particulier l’Europe qui est un partenaire économique très important, notamment pour nos importations. L’inflation importée a donc été faible.

    On peut tout de même attribuer le mérite de « l’inflation endogène modérée » à une politique monétaire contraignante de la banque d’Algérie sous Mohamed Laksaci ?

    L’inflation endogène a été principalement tirée par les produits frais. Le principal outil de la Banque d’Algérie pour la lutte contre l’inflation est son taux directeur, c’est-à-dire le taux auquel elle prête l’argent aux banques commerciales. Suite à la montée des prix du pétrole au début des années 2000, le système bancaire a été inondé par les liquidités monétaires.

    La conséquence a été que les banques commerciales n’ont plus eu besoin du refinancement de la Banque d’Algérie, qui a perdu son principal outil de politique monétaire. Pour pouvoir lutter contre l’inflation qui pourrait être entrainée par une disponibilité élevée de la monnaie, la Banque d’Algérie s’est lancée dans un programme de reprise des liquidités.

    C’est une politique recommandée par certains experts en politique monétaire qui a manifestement porté ses fruits avec un taux moyen d’inflation de 4% sur la période 2001-2015. Deux années seulement ont connus une inflation supérieure à 5% : d’abord en 2009 qui a connu une inflation de 5,7%, suite à la baisse du dinar suivant la crise financière mondiale et la baisse du prix du pétrole de l’époque.

    Ensuite, l’année 2012, où l’inflation a été de 8,9% suite à la très forte hausse en 2011 des salaires dans le secteur public avec effet rétroactif et aussi du salaire minimum (+20%). La politique de reprise des liquidités était sans effet important face à la hausse de la masse monétaire et de l’inflation car cette dernière était tirée par la consommation des ménages. Seule l’épargne pouvait lutter contre l’inflation.

    A l’époque, j’avais recommandé l’augmentation des taux de rémunération de l’épargne pour la rendre plus attractive et freiner la consommation des ménages et l’emballement des importations. Rien n’a été fait, et le problème persiste à nos jours. Il a fallu l’arrivée des programmes de logements pour inciter nos compatriotes à plus d’épargne pour ramener l’inflation à des niveaux nettement en dessous de la moyenne de la période (+3,3% en 2013 et 2,9% en 2014). Donc on peut dire, pour répondre à la question, que le contrôle de l’inflation a été une réussite de la période Laksaci.

    Vous avez dans un papier à plusieurs mains, pointé en 2015, le fait qu’une année après le contre choc de juin 2014 la dévaluation du dinar était moins ample que celle du Rouble et de la couronne Norvégienne. Aujourd’hui que Mohamed Laksaci a été remercié il se dit qu’il a été victime du "lobby des importateurs ". Est-ce que la banque d’Algérie a été si "entreprenante" que cela dans l’ajustement par la baisse de la valeur du dinar ?

    Effectivement, nous avions affirmé à l’époque que la baisse du dinar était nettement plus faible que le rouble russe et la couronne norvégienne. C’est encore le cas, au moins par rapport au rouble russe. Si on compare ces trois monnaies, on peut observer qu’entre fin juin 2014 et fin mai 2016, le dinar a baissé par rapport au dollar américain de 28%, le rouble russe de 47,5% et la couronne norvégienne de 24%, alors que le prix du pétrole a baissé de 55%.

    Les baisses par rapport à l’euro sont par contre plus faibles : 13,2% pour le dinar, 37% pour le rouble et 9,4% pour la couronne. La comparaison du dinar avec ces deux monnaies est intéressante, car d’une part la Russie et la Norvège ont des économies fortement liées aux hydrocarbures, et que la valeur du rouble et de la couronne sont fixées par les marchés financiers et non pas par les banques centrales de ces pays comme c’est le cas pour l’Algérie.

    L’économie norvégienne est beaucoup plus diversifiée que l’économie algérienne, les finances publiques sont dans un bien meilleur état (surplus de 5,7% de PIB en 2015 contre un déficit budgétaire de 16% pour l’Algérie), mais sa monnaie a baissé de 24%.

    D’ailleurs les politiciens et les agents économiques norvégiens, à commencer par le Gouverneur de la Banque Centrale de la Norvège, se sont réjouis de la baisse de la couronne car c’est un ajustement nécessaire suite à l’effondrement du prix du pétrole. La Banque d’Algérie a fait convenablement son travail en baissant la valeur du dinar ; on peut appeler cela un glissement ou une dévaluation, ce n’est pas important. Ce qui est important c’est que la Banque d’Algérie a fait son travail.

    La banque d’Algérie a fait son travail, mais des voix se sont exprimées récemment, dont celle du FMI, pour considérer que le dinar reste surévalué. Vous le pensez aussi ?

    Je le pense aussi. Le FMI a publié en 2008 une étude sur le taux de change réel algérien. En prenant la relation estimée par ce document, j’arrive à une valeur de 123,5 dinars pour un dollar, et non pas 110,5 dinars comme c’est le cas actuellement. Autrement dit, le dinar est surévalué de près de 12%. C’est mauvais pour l’économie du pays et c’est de fait une prime aux importations.

    Evidemment, à l’échelle individuelle, personne n’aime la baisse du dinar (ou l’augmentation des impôts), mais à l’échelle collective la baisse du dinar est une nécessité économique. Il ne faut surtout pas refaire les erreurs du passé comme celle de la période 1986-1988 qui a vue par exemple la valeur du dinar augmenter de 6,8% en 1986 ; un acte de folie que le pays a lourdement payé par la suite.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    ... Et pour revenir au lobby des importateurs...

    Clairement, la Banque d’Algérie est devenue une cible de ce lobby à cause de la baisse du dinar, des différentes mesures de limitation des capacités des banques commerciales à financer les importations. Mais le vrai tournant, c’est la domiciliation électronique qui est un outil très efficace contre la fraude et la surfacturation.

    L’annonce a été faite le 14 mars, avec effet le 15 mars. La Banque d’Algérie, en particulier son Gouverneur, ont connus des attaques politiques très virulentes pendant les deux semaines qui ont suivis. Du jamais vu depuis le recouvrement de l’indépendance du pays. Il faut espérer pour l’économie du pays que ces différentes mesures ne soient pas remises en cause par la nouvelle direction de la Banque d’Algérie, et que la baisse du dinar va continuer car il est surévalué et que le déficit budgétaire est gigantesque.

    Pour conclure, franchement, je ne pense pas que ça soit seulement le lobby des importateurs qui soit à l’origine du départ de Mohamed Laksaci. D’autres forces ont probablement contribué à ce départ.

    Quelle politique de change vous préconisez donc en contexte de contre choc pétrolier ?

    Cette question contient plusieurs volets : la façon de fixer le taux de change ; les allocations touristiques, études, santé ; le change parallèle ; le développement de produits de couverture des devises.

    Pour la fixation du taux de change, je pense que le système actuel est adéquat. En particulier, je suis totalement opposé à une convertibilité du dinar. Depuis quelques mois, nous observons des interventions qui réclament la convertibilité du dinar pour une bonne transformation de l’économie. Par exemple, un financier de la place d’Alger vient de déclarer à l’agence Bloomberg que la priorité du nouveau Gouverneur devrait être un taux de change plus flexible.

    Une économie rentière comme l’Algérie ne peut pas se permettre un tel luxe ; d’ailleurs notez bien que nos voisins maghrébins n’ont pas une monnaie convertible et exercent un contrôle de capital.

    Si la convertibilité du dinar est instaurée, nous aurions une fuite massive des capitaux, ce qui amènera une forte baisse du dinar, amenant différents lobbies à faire pression sur la Banque d’Algérie pour qu’elle défende le dinar et qui serait obligée d’injecter plus de devises des réserves de change.

    En un temps record, une année peut-être, les réserves de change se retrouveraient presque à vide. Je ne parle pas de politique fiction ; il suffit de voir ce qui s’est passé en Russie depuis juin 2014. Plus de 200 milliards de dollars ont quitté la Russie en 2014 et 2015, et près de 400 milliards depuis 2010. Notez bien qu’un intérêt important pour ceux qui veulent transférer leurs dinars est son utilisation. Ces personnes pourraient le faire par le change parallèle ; le problème est que la législation en Europe s’est durcie et que ces fonds sont difficilement utilisables pour l’investissement ou le placement dans l’immobilier. Un transfert bancaire réglerait ce problème.

    Pour ce qui est des allocations pour le tourisme, les études, les soins et les déplacements des hommes d’affaires, je pense que la réglementation devrait s’aligner sur celles de nos voisins : à peu près 3000 euros pour le tourisme ; 1000 euros par mois pour les études, plus les frais de scolarité ; etc…

    Le pays a assez de devises pour se le permettre, quitte à annuler cette politique au bout de quelques années s’il s’avère qu’elle est trop coûteuse en devises et sans effet sur le change parallèle. Il m’a été dit que la Banque d’Algérie a fait des propositions dans ce sens. Manifestement, il y a eu rejet de ces propositions.

    Pas de convertibilité intégrale du dinar mais des allocations tourisme et études plus conséquentes, est-ce suffisant pour réduire le déstabilisant écart entre le taux officiel et le taux parallèle du dinar ?

    Je ne le pense pas. Augmenter les allocations tourisme et études va diminuer la demande de devises sur le marché parallèle, ce qui va naturellement diminuer l’écart entre les deux taux du dinar. Mais il y a une autre demande tirée par la fuite des capitaux, par exemple pour investir dans l’immobilier, qui ne sera pas satisfaite et qui fera donc monter le taux parallèle au-dessus du taux officiel. Vous savez, la différence entre les deux taux, actuellement de l’ordre de 50%, pose deux problèmes importants.

    Les allocations citées ci-dessus sont trop faibles, ce qui amène ces personnes à passer par le change parallèle, ce qui n’est pas normal. Par exemple, une bonne partie de la classe moyenne ne peut pas envoyer ses enfants faire des études à l’étranger ; c’est particulièrement important pour les Master où le niveau local est vraiment faible, avec des conséquences importantes sur la transformation et la modernisation de l’économie du pays.

    Relever les allocations de voyage et études règlerait ce problème. Le second problème est lié aux surfacturations des importations. Une telle différence entre les deux taux de change crée de fortes incitations à la surfacturation. C’est les services de douanes, des impôts, et bancaires qui doivent lutter contre ce fléau. L’introduction de la domiciliation électronique est un outil très utile dans cette lutte.

    Pour terminer, je suis évidemment favorable au développement de produits de couverture des devises. Les économistes sont toujours favorables au développement de produits d’assurance contre les risques, dans ce cas le risque étant une baisse de la valeur du dinar pour l’importation des produits utilisés dans l’industrie et les services. Ceci dit, la Banque d’Algérie ne peut pas le faire tant que le dinar est surévalué. Un tel produit n’a de sens que lorsque le dinar est à sa propre valeur, sinon ce serait une subvention de la Banque d’Algérie et des banques aux opérateurs économiques.

    Vous avez également critiqué l’écart trop important laissé aux banques commerciales entre le taux de rémunération de l’épargne et le taux d’intérêt du crédit, souvent plus de 04 points. Est-ce-que ce n’était pas la responsabilité du régulateur, la banque d’Algérie, de réduire cet écart pour obliger les banques à mieux collecter l’épargne ?

    Ces deux taux doivent être au-dessus de l’inflation. Ce spread est élevé car la rémunération de l’épargne (au tour de 2,5%) est nettement inférieure à l’inflation (pas loin de 5%) alors que le taux de crédit est bien supérieur à l’inflation (6,5%). La Banque d’Algérie ne peut pas obliger une banque à augmenter la rémunération de l’épargne. Son principal outil pour le faire est le refinancement des banques et donc son taux directeur.

    Or les sur-liquidités ont complètement gelé cet outil. Le problème vient des banques publiques. Elles représentent pas loin de 90% du marché et appliquent les mêmes taux. C’est de fait une situation de monopole. La tutelle de ces banques, c’est-à-dire le Ministère des Finances, aurait pu ordonner aux banques publiques de relever le taux de rémunération de l’épargne. Il ne l’a pas fait car il tirait avantage de ce pouvoir monopolistique.

    Encore mieux, il aurait dû emprunter sur le marché local et non pas injecter massivement de la monnaie qui a amené les surliquidités, empêchant les marchés financiers de se développer. Il se retrouve maintenant dans le besoin de s’endetter localement mais il fait face à un marché chétif, malgré une rémunération de l’emprunt obligataire nettement au-dessus de tout ce qui est proposé sur le marché.

    Ceci dit, je ne connais pas les textes, mais la Banque d’Algérie en tant que régulateur a probablement un arsenal juridique pour s’attaquer à des situations de monopoles, ce qu’elle n’a pas fait. Dans le cas contraire, elle aurait dû demander la modification de la législation. Je ne sais pas si elle l’a fait.

    Est-ce que-vous vous attendez à des progrès de ce côté dans le nouveau contexte de rareté des ressources financières ?
    La rareté des ressources financières va assécher les sur-liquidités et redonner à la Banque d’Algérie la possibilité d’avoir de l’influence sur le taux de rémunération de l’épargne.

    Par ailleurs, l’emprunt obligataire propose une rémunération de 5% et 5,75%, rémunérations qui sont au-dessus de l’inflation et nettement au-dessus de la rémunération du marché. Donc tout devrait pousser pour l’augmentation de la rémunération de l’épargne. Mais la situation de monopole dont j’ai parlé ci-dessus pourrait soit empêcher un taux de rémunération de l’épargne au-dessus de l’inflation, ou aboutir à des taux de crédit nettement au-dessus des niveaux actuels. J

    e tiens à préciser que la Banque d’Algérie peut, par-contre, mettre un maximum aux taux ; la législation lui permet de définir un taux excessif. Ceci pourrait s’avérer très utile dans l’avenir pour empêcher les banques d’appliquer des taux de crédits exorbitants.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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    • #3
      Pr Nour Meddahi :"Comment le scénario du choc différé conduit l’Algérie à un ajustement brutal par le FMI"

      Une politique monétaire plus accommodante de la Banque d’Algérie peut aider le gouvernement à ne pas engager l’ajustement de ses dépenses à ses revenus. Un scénario entaché « d’un aléa moral » qui se précise nous explique le professeur Nour Meddahi de la Toulouse School of Economics (TSE) dans la 2 e partie de l’entretien accordé à Maghreb Emergent. Document.




      Comment expliquer vous l’aggravation du déficit budgétaire au premier bimestre de 2016 alors que la loi de finances pour cette année avait pour objectif de le contenir par rapport au 16% du PIB en 2016 ?

      J’ai trois commentaires à faire sur les explications du gouvernement au sujet de ce premier bimestre 2016, mais auparavant rappelons quelques chiffres. Le déficit budgétaire a été de 7,1% du PIB en 2014 au moment où le prix du baril était de 99,2 dollars. Ce déficit a augmenté à 16% du PIB en 2015, un record et de loin depuis le recouvrement de l’indépendance du pays, au moment où le baril était de 52,8 dollars. Les chiffres annoncés pour les deux premiers mois de l’année sont stupéfiants : 1400 milliards de dinars de déficit budgétaire ! Ceci représente déjà plus de 7% du PIB prévisionnel pour 2016, ce qui est ahurissant. Vous suivez surement les discussions pour les déficits des pays européens. La cible maximale est de 3% sur toute une année, alors que nous sommes déjà à 7% pour les deux premiers mois.

      Le Ministre des Finances a affirmé que ce déficit est dû au « parachèvement de l’exécution des investissements relevant des programmes de 2014 et 2015», avant de rajouter « Nous avons décidé de parachever l’exécution de tous les reliquats d’investissements des anciens programmes avant la fin mars 2016. Tous les projets qui accusaient des retards de paiement ont été réglés. C’est cela qui a donné ce niveau de dépenses durant les deux premiers mois de l’année ». Par ailleurs, le ministre délégué au Budget et à la Prospective a annoncé « D’ici trois à quatre mois, nous arriverons à un rythme de dépenses qui correspond à nos recettes ». Ces affirmations m’amènent donc à ces trois commentaires. D’abord, les dépenses de fonctionnement ont aussi augmenté de 34% par rapport aux deux premiers mois de 2015 et représentent déjà plus de 27% des dépenses de fonctionnement de l’année 2015 alors que la Loi de Finance 2016 prévoit une baisse de 4% de ces dépenses. Ensuite, c’est bien les services du Ministère des Finances qui ont élaboré la Loi de Finances 2016. Ont-ils inclus ces reliquats dans les dépenses prévisionnelles ? Enfin, les dépenses de fonctionnement sont au même niveau que les recettes fiscales, ce qui implique que pour équilibrer les dépenses et les recettes dans quelques mois il n’y aura plus de dépenses d’équipement et donc plus de projets; est-ce vrai ?


      Quelle incidence cette dégradation a-t-elle sur le Fonds de régulation des recettes budgétaires ?

      Etant donné le niveau des dépenses de cette année, je pense que le Fonds de Régulation des Recettes est déjà à son minimum légal, soit 700 milliards de DA. Je m’attends à un changement rapide de la loi pour permettre au Trésor de mettre la main sur cet argent. Par ailleurs, la loi sur le crédit et la monnaie (article 46) permet une avance de la Banque Centrale au Trésor de 10% des recettes ordinaires de l’an passé, soit 240 milliards de DA, à rembourser dans 240 jours. Un changement de loi modifiant le montant de l’avance et le délai de son remboursement est probable aussi. Ces changements sont à la charge du législateur et non pas la Banque d’Algérie. Jusqu’où ira le législateur, en particulier pour les montants et les délais de remboursement ?

      L’emprunt national sera-t-il suffisant pour compléter le financement du déficit budgétaire de 2016 sans recourir à d’autres formes d’endettement public ?

      Nous ne connaissons pas le montant collecté par l’emprunt obligataire. La montée récente du prix du pétrole et le maintien de la valeur d’un dollar à 110 dinars ou plus donne de l’air aux finances publiques. Dans le cas où les dépenses totales ne dépassent pas les 8000 milliards de DA (contre 7750 milliards pour 2015), que la collecte de l’emprunt obligataire soit de l’ordre de 400 milliards, et que le prix du baril se maintient au niveau actuel, l’utilisation des 700 milliards du FRR et l’avance de 240 milliards de DA de la Banque d’Algérie suffiront probablement à financer le déficit de l’année 2016. Ce sera une autre affaire en 2017.

      Raouf Boucekkine, Elies Chitour et moi-même avons rendu public un document en mars dernier où nous recommandions un « policy mix » entre un endettement interne auprès de la population et des entreprises et un financement monétaire par la Banque d’Algérie, à condition d’entamer un ajustement significatif pour redresser les finances publiques, en particulier réduire le déficit budgétaire. Nous avons insisté sur le rôle névralgique que va jouer la Banque d’Algérie au cours des prochaines années. Clairement, c’est plutôt le chemin inverse qui est pris pour le moment pour la réduction du déficit budgétaire.

      Certains parlent d’endettement externe pour financer le déficit budgétaire, surtout que le niveau actuel de l’endettement externe est faible. Ecoutez, il faut absolument comprendre quelque chose d’important : L’Algérie ne trouvera pas sur les marché extérieurs des prêts annuels de 10% de son PIB. C’est impossible. Les prêts ne dépassent pas les 5% de PIB dans les meilleurs des cas, ce qui serait déjà énorme pour l’Algérie. En plus, le taux d’intérêt sera extrêmement élevé. Comment pourrait-il en être autrement quand le déficit budgétaire a été de 7% en 2014, 16% en 2015 et sera probablement plus élevé en 2016 ?


      Doit-on comprendre de tout cela que la pression sur la banque d’Algérie et sur son nouveau gouverneur va être plus forte dans l’avenir pour qu’elle contribue au financement des déficits publics ?

      C’est, en effet, par un financement interne, et donc massivement monétaire au vue des montants en jeu, que le déficit sera financé. Autrement dit, le scénario le plus probable est que la planche à billets va fonctionner à grande échelle. Probablement sans ajustement significatif car d’une part le Ministre des Finances vient d’annoncer qu’il n’y aura pas de Loi de Finances complémentaire et que d’autre part le calendrier électoral va entrer en jeux : élections législatives au printemps 2017, élections municipales à l’automne 2017, et élections présidentielles au printemps 2019. Est-ce qu’il y aura des pressions sur le nouveau Gouverneur ? Il ne faut surtout pas lui faire de procès d’intention ; attendons de voir ce qu’il va dire et faire. Néanmoins, je pense que c’est la raison la plus logique qui expliquerait le départ de Mohamed Laksaci. Il était clairement partisan d’une politique monétaire orthodoxe, pas opposé à des avances monétaires au Trésor, à condition d’entamer l’ajustement budgétaire avec une trajectoire crédible ramenant le déficit à un niveau présentable.
      The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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      • #4
        Quand on regarde l’histoire de la Banque d’Algérie, on observe que sur les trente dernières années, il y a eu deux nominations externes de Gouverneur et une interne. Les nominations externes (Hadj Nacer et Keramane) ont marqué des changements de politique monétaire. La nomination interne (Laksaci) a été une continuité de la politique de son prédécesseur. Le plus probable est donc que la nomination du nouveau Gouverneur marque un changement de politique, sinon on aurait dû avoir une promotion interne. C’est d’autant plus important que l’itinéraire professionnel de Mohamed Loukal ne présente pas toutes les garanties en analyse et gestion macroéconomique, particulièrement l’inflation, qui risque d’être un enjeu majeur au cours des prochaines années en cas de baisse importante des subventions implicites et du financement monétaire. Ceci dit, Mohamed Loukal a dirigé la plus grande banque du pays pendant plus de dix ans, ce qui veut dire qu’il sait s’entourer. Il le fera surement pour les aspects qu’il ne maitrise pas très bien.

        Mais ceux qui ont choisi Mohamed Loukal à la tête de la banque d’Algérie font valoir d’autres qualités notamment sa connaissance du financement de l’économique à travers les entreprises…

        C’est juste. Le Premier Ministre Abdelmalek Sellal vient d’affirmer que « Le nouveau Gouverneur est un banquier et c’est la première fois où un banquier est désigné à la tête de la Banque d’Algérie. Il est très sensible à l’investissement et sa désignation est un signal fort de la volonté de soutenir l’investissement ». C’est donc sa connaissance des mécanismes d’investissement et sa connaissance et proximité des milieux d’affaires qui expliquent sa nomination. Cela peut apparaître comme un atout mais suscite à mes yeux aussi une inquiétude.

        Le problème que pose la proximité entre un gouverneur d’un banque centrale et les banques commerciales est que l’intérêt des banques commerciales est souvent en contradiction avec celui de la banque centrale, et qu’une tâche essentielle d’une banque centrale est la bonne supervision des banques et du système financier. La critique sur le Temps d’Algérie du dimanche 05 juin, du Président du FCE sur les règles prudentielles trop strictes appliquées aux banques algériennes explique peut-être la nomination du nouveau Gouverneur de la Banque d’Algérie. Certains commentateurs ont relevé la limitation en connaissances macroéconomiques de Mohamed Loukal comme une grande inquiétude. Franchement, en tant qu’universitaire, c’est sa proximité avec les milieux bancaires et des affaires qui m’inquiètent plus.

        Il est intéressant de faire le parallèle avec ce qui s’est passé aux Etats-Unis pour la nomination de l’actuel gouverneur de la FED (banque centrale). Il y a avait deux fortes candidatures, une interne (Janet Yellen) et une externe (Laurence Summers). La presse américaine affirmait que Summers était le préféré de Barack Obama : une brillante carrière universitaire, président de l’Université de Harvard, ancien ministre des finances sous Bill Clinton, et en charge du conseil économique sous Barack Obama. Yellen aussi avait un excellent CV mais moins brillant que celui de Summers. Il y a eu une levée de bouclier dans le milieu universitaire et aussi les différentes FED régionales contre la nomination de Summers, avec des pétitions, à cause de la proximité de Summers avec les banques et le système financier, en particulier durant la crise financière. Finalement, Obama a choisi Yellen. Le même reproche avait été fait à Mario Draghi, ce qui n’a pas empêché sa nomination à la tête de Banque Centrale Européenne.

        Une fois cette réserve exprimée, il faut bien admettre que les crédits à l’économie sont encore faibles même s’ils sont en progression. Les entrepreneurs se plaignent souvent des garanties demandées par les banques, et non pas des taux d’intérêts. Dans le document du mois d’octobre dernier que Raouf Boucekkine et moi-même avions écrit, nous avions identifié les problèmes du spread discuté précédemment et de la platitude de la courbe des taux comme des freins majeurs au crédit. L’argument est que d’une part les banques font beaucoup de bénéfices avec un spread élevé, ce qui baisse leurs incitations à prendre des risques en prêtant à des porteurs de projets d’investissement. Par ailleurs, comme la courbe des taux est plate et que les prêts productifs sont à moyen et long termes et donc plus risqués que ceux de court terme, les banques sont encore incitées à prêter à court terme et donc à des projets non productifs. Puisque le nouveau Gouverneur est issu du système bancaire, comme le Ministre des Finances qui est de fait à la tête des banques publiques, l’occasion est évidemment formidable pour régler les tares des taux d’intérêts.


        Le problème que pose la proximité des gouverneurs centraux avec les grandes banques d’affaires est assez bien connu dans les pays développés. Comment peut-il s’illustrer dans le cas algérien au sujet des banques commerciales ?

        Prenons un exemple. Le programme ANSEJ est une bombe qui à mon avis va exploser pendant la mandature du nouveau Gouverneur. Un responsable de l’ANSEJ a récemment annoncé que le taux des projets financés qui éprouvent des difficultés est faible et de l’ordre du tiers, taux qui à mon avis va augmenter avec le ralentissement économique. D’un point de vue bancaire, c’est un énorme taux, les standards étant entre 3 et 5%. Toutes les banques publiques ont financé les projets ANSEJ sous la contrainte politique, sinon jamais elles ne se seraient lancées dans une telle opération. Un scénario possible est donc que le nouveau PDG de la BEA va aller à la Banque d’Algérie pour rencontrer son prédécesseur pour trouver une solution. Quelle solution va adopter le nouveau Gouverneur ? Dans le document du mois d’octobre dernier que Raouf Boucekkine et moi avons écrit, nous avions recommandé de créer une entité qui gèrerait ce type de prêts.

        Encore une fois, il ne faut surtout pas faire de procès d’intention au nouveau Gouverneur. L’avenir nous dira comment sera sa gestion, en particulier la gestion prudentielle des banques qu’il va mener.

        Mais le Gouverneur ne sera pas seul à décider. Les grandes décisions sont prises par le Conseil de la Monnaie et du Crédit (CMC). La récente lecture de la composition du CMC sur le site internet de la Banque d’Algérie m’a intrigué. Son conseil d’administration est composé du Gouverneur qui le préside, de trois Vice-Gouverneurs et de trois personnalités. A ce conseil d’administration s’ajoutent deux membres et deux censeurs de la Banque d’Algérie. Tous les membres sont nommés par décret présidentiel. Manifestement, les postes des deux membres sont vacants. Par contre j’ai été stupéfait de découvrir les fonctions des trois autres membres du conseil d’administration du CMC: Le directeur du Trésor ; Le premier responsable de la Direction Générale de la Prévision et de Politiques du Ministère des Finances ; et un conseiller du Ministre de l’Energie et représentant de l’Algérie à l’OPEP. Ces nominations ont été faites par décret présidentiel le 17 Novembre 2015. Elles posent deux problèmes majeurs. Le premier est que ces personnes ne se consacrent pas à plein temps à leur travail de membre du CMC. Ils ont d’autres fonctions très importantes et très prenantes. Le second problème est que ces hauts fonctionnaires se retrouvent de manière injuste en situation de conflit d’intérêt avec leurs ministères de tutelles, en particulier au vue de la situation économique actuelle, ce qui est mauvais pour ces fonctionnaires et pour le pays.

        La flexibilité de la banque d’Algérie dans le financement monétaire du déficit budgétaire dans les prochaines années peut-elle aider le gouvernement à reporter l’ajustement entre les dépenses et les revenus ?

        Le fonctionnement du conseil d’administration du CMC nous amène en fait à un problème de fond, que les économistes appellent aléa moral (moral hazard), et il concerne le comportement du Gouvernement face à la crise. La crise pétrolière a commencée en juin 2014. Pendant six mois, le Gouvernement l’a niée. Ensuite il l’a reconnue mais n’a pas pris de mesures significatives d’ajustement, alors que tous les autres pays pétroliers l’ont fait, incluant l’Arabie Saoudite. La raison est simple : il disposait du FRR qui était bien fourni et des réserves de changes substantielles. Maintenant, le FRR est vide ou presque. La logique voudrait que l’ajustement significatif commence. Mais un autre chemin pourrait être suivi. Il est possible que le Gouvernement se dise : la dette de l’Etat est faible ; le Gouvernement peut s’endetter massivement, en particulier auprès de la Banque d’Algérie, en attendant le retournement du marché pétrolier et d’une économie plus productive. C’est possible tant que les réserves de change ne sont pas vides. Evidemment, pour qu’un tel scénario fonctionne, il faut le consentement de la Banque d’Algérie et du CMC. Est-ce que c’est ce qui explique le départ de Mohamed Laksaci ?

        L’aléa moral dont je parle ci-dessous est que le Gouvernement pourrait préférer ne pas gérer les troubles qui pourraient découler de la mise en œuvre de l’ajustement budgétaire et préfèrerait le retarder au maximum, quitte à ce que ça soit une autre équipe qui mène cet ajustement. Le problème pour le pays est que plus l’ajustement est retardé, plus il sera violent et couteux pour la population, comme ce fut le cas de l’ajustement de la période 1994-1998 qui a été mené bien après le début de la crise de 1986.

        Pour terminer, si une telle politique est suivie, le terme planche à billets ne sera évidemment pas utilisé. Je m’attends plutôt à quelque chose comme Quantitative Easing (programme d’assouplissement monétaire) comme ça été fait aux Etats-Unis et en Europe. Je tiens à dire que la situation est vraiment différente, en particulier en ce qui concerne les montants en jeu (en % de PIB), car ils seront bien plus élevés en Algérie.
        The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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        • #5
          Quels sont alors, dans ce cas, les scenarios les plus probables pour la conjoncture d’une économique algérienne qui tarde à s’auto-ajustée ?

          Avec la poursuite des énormes déficits budgétaire et de la balance des paiements dus à l'absence d'ajustement et l'utilisation massive de la planche à billets, je m'attends à ce que l'inflation reste modérée tant que les réserves de change existent mais qu'elle explose lorsque l'ajustement structurel deviendra inévitable (probablement conduit par le FMI), et que le dinar sera massivement dévalué. Par contre, l'effet baissier de cette politique sur les investissements privés, notamment étrangers, devrait être immédiat et très fort du fait de l'anticipation de l'inflation et des dévaluations à venir. Cette baisse des investissements va favoriser une montée du chômage, que l'on constate déjà aujourd'hui malheureusement. Je m’explique.

          En général faire marcher la planche à billets augmente la masse monétaire et donc l’inflation. Mais actuellement, le pays importe beaucoup et il a un déficit de la balance commerciale, ce qui veut dire que la masse monétaire ne va pas forcément augmenter car une bonne partie est détruite par le financement des importations. Ainsi, l’inflation ne va pas forcément augmenter à court terme, même si, d’autres raisons, peuvent l’accélérer comme par exemple sous l’effet de l’augmentation des prix du carburant, du gaz et de l’électricité, ou même des revendications salariales qu’il ne faut pas exclure car les dernières remontent à 2011.

          Etant donné le montant actuel des réserves de change à 136 milliards de dollars, et en supposant un déficit de la balance des paiements de 25 milliards de dollars par an ce scénario du « choc différé » serait tenable cinq années, voire plus avec un peu plus de rigueur dans la gestion des importations et la continuation d’une gestion orthodoxe de la valeur du dinar.


          Et si à la fin de cette période la balance des paiements ne se redresse pas, vous parlez du recours au FMI. Pourquoi ?

          Parce que l’Etat serait très endetté envers la Banque d’Algérie ; il ne trouverait pas de financement externe, et devrait s’adresser au FMI. La première mesure que ce dernier demandera sera une dévaluation drastique du dinar, d’autant qu’il aura passé toutes les années à venir à critiquer l’usage de la planche à billets. L’ajustement serait terrible avec des inflations très élevées comme le pays en a connu à partir de 1989 (9,3% en 1989 ; 17,9% en 1990 ; 25,9% en 1991 ; 31,7% en 1992 ; 20,5% en 1993 ; 29% en 1994 ; 29,8% en 1995 et 18,7% en 1996). Pour résumer, la planche à billets pourrait avoir peu d’inflation à court terme, mais une très forte inflation à moyen terme. Je pense que le principal problème à court terme sera la baisse de l’investissement privé en cas de l’utilisation massive de la planche à billets. Si vous êtes un investisseur national ou étranger, et que vous observez l’utilisation de la planche à billets, le plus logique serait de vous dire que c’est risqué d’investir, et vous abstenir de le faire. C’est encore plus vrai pour les investisseurs étrangers car ils vont aussi anticiper la baisse du dinar quand le FMI va intervenir et vont donc préférer attendre. Le chômage s’est remis à augmenter et il est probable qu’il continue de le faire à cause du ralentissement économique, surtout si les investissements privés baissent.
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