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Comment la stratégie du miroir aux alouettes de l’Arabie Saoudite nuit-elle à la Russie ?

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  • Comment la stratégie du miroir aux alouettes de l’Arabie Saoudite nuit-elle à la Russie ?

    Malgré le fait que la Russie ait été maintes fois trompée par des promesses vides de Riyad, il semble qu’il y ait encore à Moscou, quelques cercles portés à croire qu’un jour, Riyad investira des dizaines de milliards de dollars dans l’économie russe et commencera même à acheter régulièrement des équipements militaires et des armes. Ces espoirs absurdes se comprennent au vu des prix plancher du pétrole – en dépit d’une reprise temporaire entrevue ces quatre derniers mois – qui, aggravant les effets des sanctions anti-russes, forcent Moscou à chercher ses principaux partenaires parmi ceux qui ne sont pas engagés dans la campagne lancée par les États-Unis et l’UE afin de « contenir la Russie ». Quoi qu’il en soit, les engagements précédents avec l’Arabie Saoudite suggèrent une idée simple: la Russie ne peut compter que sur elle, en atteignant ses objectifs grâce à des réformes économiques profondes qui réduiront sa dépendance aux ventes de pétrole et de gaz. Et si vous vous apprêtez à faire du business avec un État, vous devez d’abord acquérir une compréhension profonde des processus internes cachés qui s’y déroulent. Jetons donc un coup d’œil à l’Arabie Saoudite.

    Début juin, Saudi Aramco, le géant pétrolier et gazier saoudien, a tenu à Moscou un forum destiné aux entreprises russes. L’objectif déclaré étant d’informer les milieux d’affaires russes sur les projets d’Aramco, une poignée d’analystes ont supposé que cet événement fût la confirmation factuelle de la réelle volonté saoudienne d’établir des liens d’affaires étroits avec la Russie. Or, pour l’instant, il n’y a, à proprement parler, pratiquement ni commerce, ni relations économiques entre les deux pays. En outre, la Russie et l’Arabie Saoudite restent principaux compétiteurs sur le marché pétrolier.

    Dans le contexte de la dépendance de la sécurité saoudienne aux États-Unis et de la confiance du régime des Saoud envers Washington pour garantir la stabilité interne du pays, le Royaume d’Arabie Saoudite n’osera jamais continuer à se réconcilier sérieusement avec la Russie, même dans l’intérêt d’assurer la stabilité des marchés pétroliers mondiaux. En outre, à plusieurs reprises, l’Arabie Saoudite a interféré dans les affaires de la communauté musulmane russe, et la Russie abrite la plus grande population musulmane de toutes les nations européennes.

    Il n’est pas vraiment nécessaire de mentionner le rôle maléfique qu’a joué le Royaume saoudien dans le conflit syrien, il est en ce moment à peu près partout évident. Aussi, après quatre ans de réflexion sur les relations bilatérales concernant la Syrie, toute déclaration selon laquelle Riyad aurait finalement décidé d’abandonner ses ambitions de politique étrangère et ses relations économiques pour établir « un partenariat stratégique global » avec la Russie, semble au mieux délirante. De plus, ces déclarations sont dangereuses, car elles créent au sein de l’establishment politique russe, l’illusion que Riyad veut se réconcilier avec la Russie, alors qu’en fait, l’Arabie Saoudite veut jouer la comédie de la « prétendue coopération » avec Moscou pour faire pression sur Washington et aggraver encore les tensions dans les relations russo-iraniennes. Pendant ce temps-là, l’Arabie Saoudite aura encore aggravé le plan d’asphyxie économique de la Russie, ce même programme initié par Washington devant le clan des Saoud.

    Le 2 juin, tous les yeux étaient braqués sur l’OPEP et d’autres grands producteurs de pétrole, réunis dans le but de geler la production pétrolière. Bien qu’aucun analyste n’attende une percée sérieuse sur la question des prix pétroliers, certains experts, dont des Russes, espéraient qu’avec le changement du ministre saoudien de l’énergie, de nouvelles politiques pourraient prévaloir. Or il n’y avait aucune condition sine qua non en faveur d’un quelconque changement, en partie du fait que Riyad cherche toujours à pousser à la faillite les sociétés schistières étasuniennes. Pour atteindre cet objectif, l’Arabie Saoudite doit supporter un coup financier sévère, dépassant le chiffre des cent milliards de dollars, car elle ne peut couvrir jusqu’à 50% de ses dépenses budgétaires, alors que le prix du baril fait du surplace autour des 50 dollars. Si les prix pétroliers plongent encore plus bas, le déficit budgétaire annuel du Royaume saoudien atteindra le nombre impressionnant de 150 milliards de dollars. Riyad creuse profondément dans ses fonds de réserves, qui sont passés de 800 à 590 milliards de dollars. Cela signifie que le royaume est sur une trajectoire de choc économique et qu’il sera en mesure de maintenir ses politiques actuelles pendant seulement 3 à 4 ans de plus.

    C’est pourquoi le clan des Saoud a adopté un plan visant à diversifier l’économie du royaume pour diminuer sa dépendance excessive au pétrodollar. Ils sont obligés en même temps de maintenir leur politique de bradage des prix afin de préserver le volume de leurs exportations pétrolières. Cela veut dire qu’il leur faut sérieusement durcir leur discipline financière, arrêter un grand nombre de projets, et tarir toute subvention sur l’eau, l’éducation, les soins de santé, le carburant et la nourriture. Mais aucune de ces mesures n’aura d’effet si le plan de Mohammad ben Salmane, de créer un fonds d’investissement de deux trillions pour s’installer dans les marchés financiers mondiaux, échoue.

    Or ce plan ne peut guère être qualifié d’option réaliste. Il n’y a absolument aucun spécialiste financier expérimenté dans le royaume, toute une génération de Saoudiens ayant appris à profiter d’une vie de luxe aux dépens du régime, et cela transparaît aujourd’hui là-bas dans les tendances sociales. Pour que le plan de Salmane réussisse, Riyad doit avoir hâte d’un changement dans peut-être 2 à 3 générations. Et aujourd’hui le temps est compté pour l’Arabie Saoudite. Dès que les prix pétroliers monteront, les entreprises schistières étasuniennes reprendront leur activité. C’est pourquoi les prix pétroliers n’ont aucune perspective de croissance rapide et l’Arabie Saoudite perdra encore rapidement de l’argent. Elle sera contrainte de renoncer à ses projets de projection de l’influence de Riyad au Yémen, Liban, en Syrie, Libye et Irak, et de réduire ses dépenses militaires. Il est évident qu’elle n’a ni les moyens d’acheter des armements russes, ni de chercher à coopérer avec Moscou dans le domaine de l’énergie nucléaire pacifique.

    Même si les prix pétroliers parviennent au niveau de 70 à 80 dollars par baril d’ici à 2018, ce qui est improbable, Riyad aura à ce moment perdu tout intérêt pour les réformes de l’économie et, dans les années suivantes, la stagnation conséquente entraînera l’agonie du clan des Saoud au pouvoir et du royaume entier.

    La rhétorique de l’Arabie Saoudite est plus féroce que jamais, mais sa capacité à se maintenir grâce à de réelles options a été considérablement amoindrie. En réalité, l’Arabie Saoudite et le reste des membres du Conseil de Corporation du Golf Arabique (CCG), prévoient d’accélérer sérieusement la production pétrolière jusqu’à 2020. Dans le Royaume saoudien, la production pétrolière restera au seuil minimum journalier de 10,5 à 11 millions de barils, quels qu’en soient les moyens, et la Russie devrait se plier à ce fait comme à la réalité, au lieu d’espérer mieux.

    Pourtant, Alexander Novak, le ministre russe de l’énergie, a fait une erreur en n’allant pas à la réunion de l’OPEP, même s’il n’a pas été invité officiellement. À la veille même de la dernière réunion de l’OPEP à Doha, le Président Poutine a fait tout ce qu’il pouvait pour arriver à un accord entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, les deux principaux concurrents du Moyen-Orient. Il a tenté de les convaincre de geler la production pour stimuler les prix. Aujourd’hui, quand le prix est autour de 50 dollars le baril, la Russie préfère attendre : « Le prix a augmenté considérablement, et le gel de la production n’est plus une option pertinente, » a dit Alexander Novak lors d’une interview.

    Seulement, avec les rumeurs sur la Chine stockant des millions de barils de pétrole, la montée des prix avait un tas de causes. La production dépasse encore la consommation mondiale. Selon les experts du Financial Times, le prix de 50 dollars est le pire : Trop bas pour que les économies productrices de pétrole se remettent, il est, en même temps, trop haut pour les forcer à conclure un accord qui les sauvera toutes. À la réunion, Suhail Al Mazroui, le ministre émirati de l’Énergie, a déclaré que le marché prendra soin de lui-même, ce qui est invraisemblable.

    Selon Falah al-Amri, le représentant de l’Iraq à l’OPEP, certains pays ont été « virtuellement détruits » par l’effondrement des prix. En Russie, la détérioration économique peut désormais être ressentie par la population. Selon le média russe Vedomosti, pour la première fois en près de 10 ans, la vente de médicaments en Russie a diminué de 10%, un signe montrant que les Russes ont commencé à couper sur leurs besoins les plus vitaux. L’OSCE vient d’abaisser ses prévisions pour l’économie russe de 0,4%, à moins de 1,7% en 2016, alors que le gouvernement russe a fait certaines concessions à l’égard des sanctions qui, si elles restent inchangées, conduiront à la pénurie de certains produits essentiels, comme les aliments pour bébés.

    Par rapport aux membres de l’OPEP, la Russie peut encore se considérer plutôt « chanceuse ». Le Venezuela est au bord de la faillite. Le Nigeria est truffé d’attaques terroristes, la Libye est embourbée dans un chaos perpétuel et l’Irak est en permanence un champ de bataille sanglant. Avec l’Algérie, désormais baptisés les Cinq Fragiles, ces pays sont incapables de résister à la course à la production et, pour un certain nombre de raisons internes, ils ont été contraints de réduire leur production pétrolière.

    L’action du Royaume saoudien a donc coûté cher à la Russie, et c’est pourquoi il ne devrait y avoir aucune illusion sur la possibilité de relations futures. C’est particulièrement vrai dans le contexte des prochaines élections aux États-Unis, où Riyad a parié sur Hillary Clinton, une candidate qui méprise Moscou. Et l’État wahhabite du Qatar ne diffère en rien, sans parler des autres membres du CCG.

    Peter Lvov, docteur en sciences politiques, écrit en exclusivité pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.

    NEO, Peter Lvov
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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