Le professeur Nour Meddahi de la Toulouse Schools of Economics (TSE) cosignataire de plusieurs papiers sur les politiques économiques en situation de contre choc pétrolier en Algérie livre un entretien exclusif à Maghreb Emergent. Première partie la banque d’Algérie et les enjeux de politique monétaire après le départ du gouverneur Mohamed Laksaci.
L'inflation algérienne a été faible depuis une bonne dizaine d’années du fait d'une faible inflation importée et d'une inflation endogène modérée.
Ainsi, l’inflation mondiale a été faible depuis une quinzaine d’année, pour trois raisons. D’abord, l’arrivée massive des produits chinois a freiné la progression des prix de tous les produits manufacturiers. De plus, les prix des produits agricoles ont certes augmenté mais dans des proportions raisonnables, avec de fortes baisses en 2015.
Enfin, la crise financière mondiale de 2008 a plombé l’économie mondiale, et on se retrouve avec des économies proches de la déflation, en particulier l’Europe qui est un partenaire économique très important, notamment pour nos importations. L’inflation importée a donc été faible.
On peut tout de même attribuer le mérite de « l’inflation endogène modérée » à une politique monétaire contraignante de la banque d’Algérie sous Mohamed Laksaci ?
L’inflation endogène a été principalement tirée par les produits frais. Le principal outil de la Banque d’Algérie pour la lutte contre l’inflation est son taux directeur, c’est-à-dire le taux auquel elle prête l’argent aux banques commerciales. Suite à la montée des prix du pétrole au début des années 2000, le système bancaire a été inondé par les liquidités monétaires.
La conséquence a été que les banques commerciales n’ont plus eu besoin du refinancement de la Banque d’Algérie, qui a perdu son principal outil de politique monétaire. Pour pouvoir lutter contre l’inflation qui pourrait être entrainée par une disponibilité élevée de la monnaie, la Banque d’Algérie s’est lancée dans un programme de reprise des liquidités.
C’est une politique recommandée par certains experts en politique monétaire qui a manifestement porté ses fruits avec un taux moyen d’inflation de 4% sur la période 2001-2015. Deux années seulement ont connus une inflation supérieure à 5% : d’abord en 2009 qui a connu une inflation de 5,7%, suite à la baisse du dinar suivant la crise financière mondiale et la baisse du prix du pétrole de l’époque.
Ensuite, l’année 2012, où l’inflation a été de 8,9% suite à la très forte hausse en 2011 des salaires dans le secteur public avec effet rétroactif et aussi du salaire minimum (+20%). La politique de reprise des liquidités était sans effet important face à la hausse de la masse monétaire et de l’inflation car cette dernière était tirée par la consommation des ménages. Seule l’épargne pouvait lutter contre l’inflation.
A l’époque, j’avais recommandé l’augmentation des taux de rémunération de l’épargne pour la rendre plus attractive et freiner la consommation des ménages et l’emballement des importations. Rien n’a été fait, et le problème persiste à nos jours. Il a fallu l’arrivée des programmes de logements pour inciter nos compatriotes à plus d’épargne pour ramener l’inflation à des niveaux nettement en dessous de la moyenne de la période (+3,3% en 2013 et 2,9% en 2014). Donc on peut dire, pour répondre à la question, que le contrôle de l’inflation a été une réussite de la période Laksaci.
Vous avez dans un papier à plusieurs mains, pointé en 2015, le fait qu’une année après le contre choc de juin 2014 la dévaluation du dinar était moins ample que celle du Rouble et de la couronne Norvégienne. Aujourd’hui que Mohamed Laksaci a été remercié il se dit qu’il a été victime du "lobby des importateurs ". Est-ce que la banque d’Algérie a été si "entreprenante" que cela dans l’ajustement par la baisse de la valeur du dinar ?
Effectivement, nous avions affirmé à l’époque que la baisse du dinar était nettement plus faible que le rouble russe et la couronne norvégienne. C’est encore le cas, au moins par rapport au rouble russe. Si on compare ces trois monnaies, on peut observer qu’entre fin juin 2014 et fin mai 2016, le dinar a baissé par rapport au dollar américain de 28%, le rouble russe de 47,5% et la couronne norvégienne de 24%, alors que le prix du pétrole a baissé de 55%.
Les baisses par rapport à l’euro sont par contre plus faibles : 13,2% pour le dinar, 37% pour le rouble et 9,4% pour la couronne. La comparaison du dinar avec ces deux monnaies est intéressante, car d’une part la Russie et la Norvège ont des économies fortement liées aux hydrocarbures, et que la valeur du rouble et de la couronne sont fixées par les marchés financiers et non pas par les banques centrales de ces pays comme c’est le cas pour l’Algérie.
L’économie norvégienne est beaucoup plus diversifiée que l’économie algérienne, les finances publiques sont dans un bien meilleur état (surplus de 5,7% de PIB en 2015 contre un déficit budgétaire de 16% pour l’Algérie), mais sa monnaie a baissé de 24%.
D’ailleurs les politiciens et les agents économiques norvégiens, à commencer par le Gouverneur de la Banque Centrale de la Norvège, se sont réjouis de la baisse de la couronne car c’est un ajustement nécessaire suite à l’effondrement du prix du pétrole. La Banque d’Algérie a fait convenablement son travail en baissant la valeur du dinar ; on peut appeler cela un glissement ou une dévaluation, ce n’est pas important. Ce qui est important c’est que la Banque d’Algérie a fait son travail.
La banque d’Algérie a fait son travail, mais des voix se sont exprimées récemment, dont celle du FMI, pour considérer que le dinar reste surévalué. Vous le pensez aussi ?
Je le pense aussi. Le FMI a publié en 2008 une étude sur le taux de change réel algérien. En prenant la relation estimée par ce document, j’arrive à une valeur de 123,5 dinars pour un dollar, et non pas 110,5 dinars comme c’est le cas actuellement. Autrement dit, le dinar est surévalué de près de 12%. C’est mauvais pour l’économie du pays et c’est de fait une prime aux importations.
Evidemment, à l’échelle individuelle, personne n’aime la baisse du dinar (ou l’augmentation des impôts), mais à l’échelle collective la baisse du dinar est une nécessité économique. Il ne faut surtout pas refaire les erreurs du passé comme celle de la période 1986-1988 qui a vue par exemple la valeur du dinar augmenter de 6,8% en 1986 ; un acte de folie que le pays a lourdement payé par la suite.
... Et pour revenir au lobby des importateurs...
Clairement, la Banque d’Algérie est devenue une cible de ce lobby à cause de la baisse du dinar, des différentes mesures de limitation des capacités des banques commerciales à financer les importations. Mais le vrai tournant, c’est la domiciliation électronique qui est un outil très efficace contre la fraude et la surfacturation.
L’annonce a été faite le 14 mars, avec effet le 15 mars. La Banque d’Algérie, en particulier son Gouverneur, ont connus des attaques politiques très virulentes pendant les deux semaines qui ont suivis. Du jamais vu depuis le recouvrement de l’indépendance du pays. Il faut espérer pour l’économie du pays que ces différentes mesures ne soient pas remises en cause par la nouvelle direction de la Banque d’Algérie, et que la baisse du dinar va continuer car il est surévalué et que le déficit budgétaire est gigantesque.
Pour conclure, franchement, je ne pense pas que ça soit seulement le lobby des importateurs qui soit à l’origine du départ de Mohamed Laksaci. D’autres forces ont probablement contribué à ce départ.
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Le Huffpost Algerie
Vous êtes d’accord pour dire que l’inflation a été maîtrisée comme jamais depuis l’indépendance ces dix dernières années en Algérie ? Quelle est la part de l’inflation importée dans cette performance ?
Effectivement, l’inflation est restée sous contrôle, avec une moyenne de 4% sur la période 2001-2015, contre une inflation de 2,15% aux Etats-Unis. C’est d’autant plus remarquable que l’écart entre ces deux moyennes est inférieur à celui de la période 1975-1985 (9,9% pour l’Algérie et 7,4% pour les Etats-Unis) alors que les prix algériens étaient administrés à cette époque-là. L'inflation algérienne a été faible depuis une bonne dizaine d’années du fait d'une faible inflation importée et d'une inflation endogène modérée.
Ainsi, l’inflation mondiale a été faible depuis une quinzaine d’année, pour trois raisons. D’abord, l’arrivée massive des produits chinois a freiné la progression des prix de tous les produits manufacturiers. De plus, les prix des produits agricoles ont certes augmenté mais dans des proportions raisonnables, avec de fortes baisses en 2015.
Enfin, la crise financière mondiale de 2008 a plombé l’économie mondiale, et on se retrouve avec des économies proches de la déflation, en particulier l’Europe qui est un partenaire économique très important, notamment pour nos importations. L’inflation importée a donc été faible.
On peut tout de même attribuer le mérite de « l’inflation endogène modérée » à une politique monétaire contraignante de la banque d’Algérie sous Mohamed Laksaci ?
L’inflation endogène a été principalement tirée par les produits frais. Le principal outil de la Banque d’Algérie pour la lutte contre l’inflation est son taux directeur, c’est-à-dire le taux auquel elle prête l’argent aux banques commerciales. Suite à la montée des prix du pétrole au début des années 2000, le système bancaire a été inondé par les liquidités monétaires.
La conséquence a été que les banques commerciales n’ont plus eu besoin du refinancement de la Banque d’Algérie, qui a perdu son principal outil de politique monétaire. Pour pouvoir lutter contre l’inflation qui pourrait être entrainée par une disponibilité élevée de la monnaie, la Banque d’Algérie s’est lancée dans un programme de reprise des liquidités.
C’est une politique recommandée par certains experts en politique monétaire qui a manifestement porté ses fruits avec un taux moyen d’inflation de 4% sur la période 2001-2015. Deux années seulement ont connus une inflation supérieure à 5% : d’abord en 2009 qui a connu une inflation de 5,7%, suite à la baisse du dinar suivant la crise financière mondiale et la baisse du prix du pétrole de l’époque.
Ensuite, l’année 2012, où l’inflation a été de 8,9% suite à la très forte hausse en 2011 des salaires dans le secteur public avec effet rétroactif et aussi du salaire minimum (+20%). La politique de reprise des liquidités était sans effet important face à la hausse de la masse monétaire et de l’inflation car cette dernière était tirée par la consommation des ménages. Seule l’épargne pouvait lutter contre l’inflation.
A l’époque, j’avais recommandé l’augmentation des taux de rémunération de l’épargne pour la rendre plus attractive et freiner la consommation des ménages et l’emballement des importations. Rien n’a été fait, et le problème persiste à nos jours. Il a fallu l’arrivée des programmes de logements pour inciter nos compatriotes à plus d’épargne pour ramener l’inflation à des niveaux nettement en dessous de la moyenne de la période (+3,3% en 2013 et 2,9% en 2014). Donc on peut dire, pour répondre à la question, que le contrôle de l’inflation a été une réussite de la période Laksaci.
Vous avez dans un papier à plusieurs mains, pointé en 2015, le fait qu’une année après le contre choc de juin 2014 la dévaluation du dinar était moins ample que celle du Rouble et de la couronne Norvégienne. Aujourd’hui que Mohamed Laksaci a été remercié il se dit qu’il a été victime du "lobby des importateurs ". Est-ce que la banque d’Algérie a été si "entreprenante" que cela dans l’ajustement par la baisse de la valeur du dinar ?
Effectivement, nous avions affirmé à l’époque que la baisse du dinar était nettement plus faible que le rouble russe et la couronne norvégienne. C’est encore le cas, au moins par rapport au rouble russe. Si on compare ces trois monnaies, on peut observer qu’entre fin juin 2014 et fin mai 2016, le dinar a baissé par rapport au dollar américain de 28%, le rouble russe de 47,5% et la couronne norvégienne de 24%, alors que le prix du pétrole a baissé de 55%.
Les baisses par rapport à l’euro sont par contre plus faibles : 13,2% pour le dinar, 37% pour le rouble et 9,4% pour la couronne. La comparaison du dinar avec ces deux monnaies est intéressante, car d’une part la Russie et la Norvège ont des économies fortement liées aux hydrocarbures, et que la valeur du rouble et de la couronne sont fixées par les marchés financiers et non pas par les banques centrales de ces pays comme c’est le cas pour l’Algérie.
L’économie norvégienne est beaucoup plus diversifiée que l’économie algérienne, les finances publiques sont dans un bien meilleur état (surplus de 5,7% de PIB en 2015 contre un déficit budgétaire de 16% pour l’Algérie), mais sa monnaie a baissé de 24%.
D’ailleurs les politiciens et les agents économiques norvégiens, à commencer par le Gouverneur de la Banque Centrale de la Norvège, se sont réjouis de la baisse de la couronne car c’est un ajustement nécessaire suite à l’effondrement du prix du pétrole. La Banque d’Algérie a fait convenablement son travail en baissant la valeur du dinar ; on peut appeler cela un glissement ou une dévaluation, ce n’est pas important. Ce qui est important c’est que la Banque d’Algérie a fait son travail.
La banque d’Algérie a fait son travail, mais des voix se sont exprimées récemment, dont celle du FMI, pour considérer que le dinar reste surévalué. Vous le pensez aussi ?
Je le pense aussi. Le FMI a publié en 2008 une étude sur le taux de change réel algérien. En prenant la relation estimée par ce document, j’arrive à une valeur de 123,5 dinars pour un dollar, et non pas 110,5 dinars comme c’est le cas actuellement. Autrement dit, le dinar est surévalué de près de 12%. C’est mauvais pour l’économie du pays et c’est de fait une prime aux importations.
Evidemment, à l’échelle individuelle, personne n’aime la baisse du dinar (ou l’augmentation des impôts), mais à l’échelle collective la baisse du dinar est une nécessité économique. Il ne faut surtout pas refaire les erreurs du passé comme celle de la période 1986-1988 qui a vue par exemple la valeur du dinar augmenter de 6,8% en 1986 ; un acte de folie que le pays a lourdement payé par la suite.
... Et pour revenir au lobby des importateurs...
Clairement, la Banque d’Algérie est devenue une cible de ce lobby à cause de la baisse du dinar, des différentes mesures de limitation des capacités des banques commerciales à financer les importations. Mais le vrai tournant, c’est la domiciliation électronique qui est un outil très efficace contre la fraude et la surfacturation.
L’annonce a été faite le 14 mars, avec effet le 15 mars. La Banque d’Algérie, en particulier son Gouverneur, ont connus des attaques politiques très virulentes pendant les deux semaines qui ont suivis. Du jamais vu depuis le recouvrement de l’indépendance du pays. Il faut espérer pour l’économie du pays que ces différentes mesures ne soient pas remises en cause par la nouvelle direction de la Banque d’Algérie, et que la baisse du dinar va continuer car il est surévalué et que le déficit budgétaire est gigantesque.
Pour conclure, franchement, je ne pense pas que ça soit seulement le lobby des importateurs qui soit à l’origine du départ de Mohamed Laksaci. D’autres forces ont probablement contribué à ce départ.
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