Modèle de croissance
Ce que les chiffres ne disent pas.
Le Maroc crée 2 fois moins d’emplois que l’Egypte et 3 fois moins que la Malaisie
Un demi-siècle de retard vis-à-vis de l’Europe
Emploi, santé, mobilité et transport… là où le bât blesse
L’activité non agricole montre des signes d’essoufflement, passant d’une croissance annuelle de 4,7% entre 2000 et 2012 à 1,9% entre 2013 et 2016 Source: HCP
Bank Al-Maghrib, Fonds monétaire international, Banque mondiale… Les warning se succèdent depuis plusieurs mois sur une réalité inquiétante: la croissance au Maroc, si elle a été au rendez-vous, n’aurait finalement été qu’une question de chiffres sur les 15 dernières années. Et la récente révision à la baisse du taux attendu pour 2016 (1,7% selon la Banque mondiale, contre 2,7 en janvier dernier), n’est pas pour rassurer. La mauvaise pluviométrie est passée par là. Le segment non-agricole, en particulier, a perdu du rythme avec une croissance de 1,9% en 2015, contre 2,4% une année auparavant. Autant d’éléments d’un tableau macro-économique ponctué d’incertitudes. C’est dans ce contexte qu’un récent diagnostic de la Banque mondiale vient enfoncer le clou des défis socio-économiques qui attendent le Maroc sur la prochaine décennie. De plus, il accentue l’urgence de l’exécution des chantiers de réformes (éducation/enseignement, justice, etc.) du modèle économique du Royaume.
■ Education/Formation:
Ce n’est un secret pour personne, la machine est grippée. Mais ce dont on est moins au courant, c’est que sur les 600.000 jeunes Marocains âgés aujourd’hui de 20 ans, les deux-tiers, soit 400.000, n’ont pas obtenu le baccalauréat et seront, une fois sur le marché du travail, à des niveaux de qualification extrêmement faibles. Les perspectives d’accéder à l’emploi en seront, par conséquent, d’autant plus minces. Sur les 200.000 bacheliers, on peut se projeter sur 140.000 jeunes qui n’obtiendront aucun diplôme de l’enseignement supérieur. Au mieux, ils obtiendront un diplôme de faible qualification et peu valorisé sur le marché de l’emploi. Parmi les bacheliers restants, l’on estime qu’environ 50.000 bénéficieront d’une formation adéquate leur permettant une insertion professionnelle répondant à leurs attentes. «Seulement 10.000 jeunes, soit moins de 2% de la classe d’âge, obtiendront des diplômes très qualifiants qui leur garantiront un niveau élevé d’employabilité», révèlent les auteurs du diagnostic.
■ Niveau de vie:
Sur ce point, il reste encore une cinquantaine d’années à parcourir pour combler l’écart économique actuel entre le Maroc et l’Europe. «Sur un plan historique, le niveau de vie actuel des Marocains correspond à celui atteint par les Français en 1950, par les Italiens en 1955, par les Espagnols en 1960 et par les Portugais en 1965». Les experts relèvent par exemple que la structure actuelle des dépenses de consommation des ménages marocains est proche de celle des pays européens dans les années 1950-1960. En particulier, la part des dépenses alimentaires dans le budget qui se maintient à un niveau élevé (environ 40%), témoignant du faible pouvoir d’achat des familles et de la prédominance des dépenses de nécessité. La classe moyenne peine à émerger en raison notamment de la cherté de la vie et du dysfonctionnement des services publics
■ Mobilité/Transport
Malgré les nombreux investissements réalisés et les projets en cours, le Royaume serait encore loin du compte dans ce domaine essentiel au développement économique. Le Maroc est effectivement en retard avec un taux de motorisation (des Marocains) bien inférieur à celui observé il y a un demi-siècle dans certains pays d’Europe du Sud. Il faut également savoir que seuls 18% des ménages marocains posséderaient aujourd’hui une voiture, contre 30% des ménages en France, en 1960. Ce faible taux d’équipement affecte fortement le bien-être de la population marocaine dans la mesure où il se conjugue à un phénomène grandissant d’extension urbaine et à la faiblesse de la mobilité.
Extrêmement sensibles à une pluviométrie toujours imprévisible, les activités agricoles se seraient contractées de 9,2% au premier trimestre 2016, par rapport à la même période en 2015. Ce facteur pèsera sur la croissance cette année
■ Emploi
C’est le casse-tête de tous les gouvernements qui se sont succédé à l’exécutif lors des dernières années. L’économie nationale ne crée pas assez d’emplois pour satisfaire les aspirations d’une jeunesse de plus en plus exigeante.
Les chiffres parlent d’eux mêmes: sur les 5 dernières années (2010-2015), seuls 50.000 nouveaux emplois nets, en moyenne, ont été créés par an pour une population en âge de travailler (15-65 ans). Cette frange démographique a pourtant crû sur un rythme moyen de 270.000 individus par an. Pour une économie et une population de plus de 34 millions, le Maroc crée deux fois moins d’emplois que l’Egypte et trois fois moins que la Malaisie. «Les jeunes arrivants sur le marché du travail sont donc confrontés à un chômage et à un sous-emploi de masse», conclut le rapport.
■ Chômage
C’est évidemment une suite à la situation précitée. Le taux de chômage des jeunes âgés de 15 à 24 ans s’élève à plus de 20% au niveau national et atteint même près de 40% dans les villes. Pis, le chômage touche proportionnellement davantage les jeunes diplômés. Alors que le taux de chômage parmi les jeunes non-qualifiés est de 4,5%, il grimpe à 21,7% chez les jeunes diplômés de l’enseignement technique et à 24,6% chez les jeunes titulaires d’un diplôme universitaire.
Les experts décrivent une tendance préoccupante, à la différence, pourtant, de ce que l’on observe généralement ailleurs dans le monde. Cela, alors que de plus en plus de jeunes rejoignent les bancs de l’université. Par ailleurs, lorsqu’ils ont un emploi, environ 90% des jeunes n’ont pas de contrat de travail et évoluent dans l’économie informelle, ce qui illustre la précarité de leur situation au regard de l’emploi.
■ Croissance:
Tous ces indicateurs résument l’essoufflement du modèle de croissance. Le Royaume risque particulièrement d’être «rapidement confronté aux limites d’une croissance basée sur l’accumulation de capital fixe», expliquent les auteurs du rapport. Ces derniers avancent qu’en dépit d’une démographie favorable, «le facteur travail a peu contribué à la dynamique de croissance récente». Avec moins d’un Marocain sur deux au travail ou à la recherche d’emploi, le Maroc présente l’un des taux d’emploi les plus faibles au monde.
L’effort d’investissement du Maroc -principalement le fait de l’Etat et des entreprises publiques- ne s’est pas traduit par des gains de productivité significatifs. Parallèlement aux vulnérabilités qui caractérisent l’offre, le modèle de croissance marocain présente des fragilités importantes du côté de la demande. La croissance récente a été principalement tirée par la consommation intérieure sur fond d’augmentation de l’endettement public et privé.
■ Disponibilité des ressources:
Le rapport souligne que trois tendances essentielles se dégagent quand on se penche sur la dynamique structurelle de l’économie marocaine à travers l’allocation des ressources. La première est relative à une difficulté d’allocation du travail non-qualifié, qui découle elle-même d’une industrialisation insuffisante. S’y ajoute une difficulté d’allocation du travail qualifié, conséquence, quant à elle, de la lenteur de la montée en gamme du tissu économique. Enfin, le diagnostic met en avant «une difficulté d’allocation des talents» qui finit par mener à un faible dynamisme entrepreneurial.
«Nœuds» institutionnels et sociétaux
Des goulots d’étranglement devront sauter pour libérer le plein potentiel de la croissance sur les années à venir. Il s’agit de plusieurs «nœuds institutionnels et sociétaux» qui empêcheraient la bonne évolution de trois facteurs macroéconomiques clés tels que le taux d’investissement, le taux d’emploi et les gains de productivité. Pour accélérer sa dynamique de croissance, le Royaume devra enclencher un profond changement des paradigmes qui font jusque-là son économie. Cela passera d’abord par un renforcement des institutions d’appui au marché, via une meilleure allocation du capital. Pour des actions à court terme, il s’agira d’éliminer les arriérés de l’Etat et des entreprises publiques, de tenir les délais de paiement pour ne pas menacer la trésorerie des opérateurs privés. Il faudra également accélérer le remboursement des crédits TVA afin que cette taxe retrouve sa neutralité économique.
A long terme, la lutte contre la concurrence déloyale et les rentes, à travers le renforcement de l’autonomie et des pouvoirs des autorités de régulations, est un des chantiers prioritaires. Il s’agira aussi de développer, en quantité et en qualité, les institutions et services publics, ainsi que les capitaux humain et social.
leconomiste
Ce que les chiffres ne disent pas.
Le Maroc crée 2 fois moins d’emplois que l’Egypte et 3 fois moins que la Malaisie
Un demi-siècle de retard vis-à-vis de l’Europe
Emploi, santé, mobilité et transport… là où le bât blesse
L’activité non agricole montre des signes d’essoufflement, passant d’une croissance annuelle de 4,7% entre 2000 et 2012 à 1,9% entre 2013 et 2016 Source: HCP
Bank Al-Maghrib, Fonds monétaire international, Banque mondiale… Les warning se succèdent depuis plusieurs mois sur une réalité inquiétante: la croissance au Maroc, si elle a été au rendez-vous, n’aurait finalement été qu’une question de chiffres sur les 15 dernières années. Et la récente révision à la baisse du taux attendu pour 2016 (1,7% selon la Banque mondiale, contre 2,7 en janvier dernier), n’est pas pour rassurer. La mauvaise pluviométrie est passée par là. Le segment non-agricole, en particulier, a perdu du rythme avec une croissance de 1,9% en 2015, contre 2,4% une année auparavant. Autant d’éléments d’un tableau macro-économique ponctué d’incertitudes. C’est dans ce contexte qu’un récent diagnostic de la Banque mondiale vient enfoncer le clou des défis socio-économiques qui attendent le Maroc sur la prochaine décennie. De plus, il accentue l’urgence de l’exécution des chantiers de réformes (éducation/enseignement, justice, etc.) du modèle économique du Royaume.
■ Education/Formation:
Ce n’est un secret pour personne, la machine est grippée. Mais ce dont on est moins au courant, c’est que sur les 600.000 jeunes Marocains âgés aujourd’hui de 20 ans, les deux-tiers, soit 400.000, n’ont pas obtenu le baccalauréat et seront, une fois sur le marché du travail, à des niveaux de qualification extrêmement faibles. Les perspectives d’accéder à l’emploi en seront, par conséquent, d’autant plus minces. Sur les 200.000 bacheliers, on peut se projeter sur 140.000 jeunes qui n’obtiendront aucun diplôme de l’enseignement supérieur. Au mieux, ils obtiendront un diplôme de faible qualification et peu valorisé sur le marché de l’emploi. Parmi les bacheliers restants, l’on estime qu’environ 50.000 bénéficieront d’une formation adéquate leur permettant une insertion professionnelle répondant à leurs attentes. «Seulement 10.000 jeunes, soit moins de 2% de la classe d’âge, obtiendront des diplômes très qualifiants qui leur garantiront un niveau élevé d’employabilité», révèlent les auteurs du diagnostic.
■ Niveau de vie:
Sur ce point, il reste encore une cinquantaine d’années à parcourir pour combler l’écart économique actuel entre le Maroc et l’Europe. «Sur un plan historique, le niveau de vie actuel des Marocains correspond à celui atteint par les Français en 1950, par les Italiens en 1955, par les Espagnols en 1960 et par les Portugais en 1965». Les experts relèvent par exemple que la structure actuelle des dépenses de consommation des ménages marocains est proche de celle des pays européens dans les années 1950-1960. En particulier, la part des dépenses alimentaires dans le budget qui se maintient à un niveau élevé (environ 40%), témoignant du faible pouvoir d’achat des familles et de la prédominance des dépenses de nécessité. La classe moyenne peine à émerger en raison notamment de la cherté de la vie et du dysfonctionnement des services publics
■ Mobilité/Transport
Malgré les nombreux investissements réalisés et les projets en cours, le Royaume serait encore loin du compte dans ce domaine essentiel au développement économique. Le Maroc est effectivement en retard avec un taux de motorisation (des Marocains) bien inférieur à celui observé il y a un demi-siècle dans certains pays d’Europe du Sud. Il faut également savoir que seuls 18% des ménages marocains posséderaient aujourd’hui une voiture, contre 30% des ménages en France, en 1960. Ce faible taux d’équipement affecte fortement le bien-être de la population marocaine dans la mesure où il se conjugue à un phénomène grandissant d’extension urbaine et à la faiblesse de la mobilité.
Extrêmement sensibles à une pluviométrie toujours imprévisible, les activités agricoles se seraient contractées de 9,2% au premier trimestre 2016, par rapport à la même période en 2015. Ce facteur pèsera sur la croissance cette année
■ Emploi
C’est le casse-tête de tous les gouvernements qui se sont succédé à l’exécutif lors des dernières années. L’économie nationale ne crée pas assez d’emplois pour satisfaire les aspirations d’une jeunesse de plus en plus exigeante.
Les chiffres parlent d’eux mêmes: sur les 5 dernières années (2010-2015), seuls 50.000 nouveaux emplois nets, en moyenne, ont été créés par an pour une population en âge de travailler (15-65 ans). Cette frange démographique a pourtant crû sur un rythme moyen de 270.000 individus par an. Pour une économie et une population de plus de 34 millions, le Maroc crée deux fois moins d’emplois que l’Egypte et trois fois moins que la Malaisie. «Les jeunes arrivants sur le marché du travail sont donc confrontés à un chômage et à un sous-emploi de masse», conclut le rapport.
■ Chômage
C’est évidemment une suite à la situation précitée. Le taux de chômage des jeunes âgés de 15 à 24 ans s’élève à plus de 20% au niveau national et atteint même près de 40% dans les villes. Pis, le chômage touche proportionnellement davantage les jeunes diplômés. Alors que le taux de chômage parmi les jeunes non-qualifiés est de 4,5%, il grimpe à 21,7% chez les jeunes diplômés de l’enseignement technique et à 24,6% chez les jeunes titulaires d’un diplôme universitaire.
Les experts décrivent une tendance préoccupante, à la différence, pourtant, de ce que l’on observe généralement ailleurs dans le monde. Cela, alors que de plus en plus de jeunes rejoignent les bancs de l’université. Par ailleurs, lorsqu’ils ont un emploi, environ 90% des jeunes n’ont pas de contrat de travail et évoluent dans l’économie informelle, ce qui illustre la précarité de leur situation au regard de l’emploi.
■ Croissance:
Tous ces indicateurs résument l’essoufflement du modèle de croissance. Le Royaume risque particulièrement d’être «rapidement confronté aux limites d’une croissance basée sur l’accumulation de capital fixe», expliquent les auteurs du rapport. Ces derniers avancent qu’en dépit d’une démographie favorable, «le facteur travail a peu contribué à la dynamique de croissance récente». Avec moins d’un Marocain sur deux au travail ou à la recherche d’emploi, le Maroc présente l’un des taux d’emploi les plus faibles au monde.
L’effort d’investissement du Maroc -principalement le fait de l’Etat et des entreprises publiques- ne s’est pas traduit par des gains de productivité significatifs. Parallèlement aux vulnérabilités qui caractérisent l’offre, le modèle de croissance marocain présente des fragilités importantes du côté de la demande. La croissance récente a été principalement tirée par la consommation intérieure sur fond d’augmentation de l’endettement public et privé.
■ Disponibilité des ressources:
Le rapport souligne que trois tendances essentielles se dégagent quand on se penche sur la dynamique structurelle de l’économie marocaine à travers l’allocation des ressources. La première est relative à une difficulté d’allocation du travail non-qualifié, qui découle elle-même d’une industrialisation insuffisante. S’y ajoute une difficulté d’allocation du travail qualifié, conséquence, quant à elle, de la lenteur de la montée en gamme du tissu économique. Enfin, le diagnostic met en avant «une difficulté d’allocation des talents» qui finit par mener à un faible dynamisme entrepreneurial.
«Nœuds» institutionnels et sociétaux
Des goulots d’étranglement devront sauter pour libérer le plein potentiel de la croissance sur les années à venir. Il s’agit de plusieurs «nœuds institutionnels et sociétaux» qui empêcheraient la bonne évolution de trois facteurs macroéconomiques clés tels que le taux d’investissement, le taux d’emploi et les gains de productivité. Pour accélérer sa dynamique de croissance, le Royaume devra enclencher un profond changement des paradigmes qui font jusque-là son économie. Cela passera d’abord par un renforcement des institutions d’appui au marché, via une meilleure allocation du capital. Pour des actions à court terme, il s’agira d’éliminer les arriérés de l’Etat et des entreprises publiques, de tenir les délais de paiement pour ne pas menacer la trésorerie des opérateurs privés. Il faudra également accélérer le remboursement des crédits TVA afin que cette taxe retrouve sa neutralité économique.
A long terme, la lutte contre la concurrence déloyale et les rentes, à travers le renforcement de l’autonomie et des pouvoirs des autorités de régulations, est un des chantiers prioritaires. Il s’agira aussi de développer, en quantité et en qualité, les institutions et services publics, ainsi que les capitaux humain et social.
leconomiste
Commentaire