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Le pouvoir, l’argent, l’information

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  • Le pouvoir, l’argent, l’information

    Par Abdelmadjid Merdaci*
    « Les cris des hommes libres », désormais récurrents, se suffiraient-ils de leur nombre pour masquer le silence pesant de ceux qui ne le seraient pas, ou pas tout à fait ou alors pas encore ; et suffirait-il aussi d’un trait de plume au bas d’une pétition, généreuse et légitime eut-elle été, pour s’inscrire au fronton des combats répétés pour les libertés ?
    Est-il aussi encore possible de tenir ce qu’il est convenu de désigner comme « l’affaire El Khabar » pour la stricte transaction commerciale qu’elle était censée être alors même qu’elle portait en elle, au-delà de l’indiscutable légitimité industrielle de l’acquéreur, la redoutable question de savoir si l’information pouvait être une marchandise comme les autres ?
    Cette question doit interpeller l’ensemble des acteurs de la communication - professionnels des médias, entrepreneurs économiques ou culturels, politiques - et prioritairement les pouvoirs publics en charge de la législation et de l’action publique.
    La légalité du recours du ministère de la Communication à la justice pour bloquer l’offre d’achat des actions du groupe El Khabar par la Ness Prod, filiale du groupe Cevital, a largement été contestée par la défense de l’acquéreur et la démarche aura trouvé peu de soutien auprès des juristes.
    La procédure judiciaire en cours a-t-elle formellement un effet suspensif et Ness Prod est-elle suffisamment assurée de son acquisition pour qu’Issad Rabrab puisse se permettre l’inédite offre en Bourse des actions El Khabar ou s’agit-il surtout d’une passe d’armes visant à contourner les accusations de monopole ?
    Le traitement médiatique de la question, notamment la forte personnalisation des critiques adressées au ministre Grine - au demeurant, on peut s’étonner que ceux qui découvrent aujourd’hui l’épisode marocain de sa carrière n’aient pas été plus avisés lorsqu’il officiait à la tête de la communication de Djezzy, grand pourvoyeur de publicité - a pu brouiller les termes du nécessaire débat sur l’état de la presse et de l’audiovisuel vingt-cinq ans après la circulaire Hamrouche et maintenant quatre années après l’adoption de la loi organique de l’information. Il ne fait pas de doute que la puissante personnalité de Issad Rebrab, le réel contentieux qui l’oppose au gouvernement – rappelons les différents blocages de quelques-unes de ses initiatives, la violente diatribe du ministre de l’Industrie et des Mines jusque et y compris une menace d’arrestation - rajoutent à un brouillage qu’alimentent les incessantes rumeurs de crise du sommet de l’Etat, de guerre des clans.
    Poser la question de savoir si la situation aurait pu être différente si l’offre d’achat du groupe «El Khabar » avait émané de tout autre opérateur économique – lever en quelque sorte l’hypothèque Rebrab - n’autorise pas à ignorer le statut singulier de l’information et, à ce sujet, que n’aurait-on pas écrit et dit si l’acquéreur avait été un proche du pouvoir politique en place. D’ailleurs, le cas est avéré en l’espèce avec la création de deux chaînes offshore et d’un titre de presse écrite par l’un des plus visibles porte-paroles du régime politique et il est notable que si le cas est bien cité à l’ombre des polémiques suscitées par l’affaire El Khabar, les « hommes libres » n’avaient pas particulièrement été émus, en son temps, par l’émergence du pouvoir de l’argent dans le secteur de l’information. Comment, en effet, poser sans équivoque les termes de ce débat sans faire le constat, à juste titre accablant, du choix stratégique d’une dérégulation sauvage.
    De ce point de vue, l’absence d’une haute autorité de régulation de l’audiovisuel et/ou de la presse écrite est sans doute l’enseigne la plus manifeste du laisser-aller, laisser-faire qui constitue l’Exécutif en maître sans contrôle des jeux d’ombres et d’allégeance.
    La loi organique de l’information toujours orpheline des textes d’accompagnement - sur la publicité notamment - peut-elle indéfiniment couvrir l’état de non-droit ou les situations dérogatoires de plus d’une cinquantaine de chaînes dites «privées ».
    Ce constat peut valider la thèse généralement admise, pas uniquement en Algérie et pas exclusivement concernant les régimes autoritaires, que le pouvoir politique fait effectivement peser des menaces significatives sur les libertés, notamment sur la liberté d’informer.
    Les rapports complexes entre l’autoritarisme algérien et les médias nationaux, inscrits dans la durée, demandent toujours à être examinés plus sérieusement qu’à la seule et commode aulne de « pensée unique », opportun faire-valoir « d’hommes libres » de la vingt-cinquième heure.
    Rappeler à ce titre que l’improbable « aventure intellectuelle » s’inscrivait d’abord dans un agenda politique, celui des réformes initiées par Hamrouche sous l’autorité du président Bendjedid, peut placer sous d’inédits
    éclairages l’appellation contrôlée de «presse indépendante».
    Cette notion même d’indépendance fait problème et demeure l’un des marqueurs de l’histoire internationale des médias et a-t-elle, à juste titre, occupé les esprits des journalistes algériens qui avaient été peu ou prou associés au « brainstorming » hamrouchien. L’une des préoccupations avait été, légitimement, de mettre la presse à l’abri du « pouvoir de l’argent ». L’énoncé ou le rappel de principes ayant présidé à la création de titres privés – quoiqu’il eut été plus pertinent, pour un temps au moins, de parler de « presse parapublique » eu égard à la diversité des soutiens dont l’expérience avait bénéficié - ne peut pas faire l’économie de l’examen des mutations du passage médiatique dont la plus déterminante est la transformation du statut des fondateurs en actionnaires avec ce que cela comporte d’obligations et d’avantages. Jusque dans quelles limites l’actionnaire est-il ou peut-il encore être journaliste ?
    La question du destin des journalistes d’El Khabar peut être exemplaire dans l’histoire de cette transaction. Ont-ils eu leur mot à dire ? Sont-ils « vendus » avec les murs et les équipements ? Question simple mais qui va au-delà du cas d’espèce qui peut signaler la présence ou l’absence, au sein de l’entreprise de presse privée, d’instances internes de régulation et de négociations. Au demeurant, vingt-cinq années d’existence de la presse privée algérienne auront aussi été celles d’une suite d’échecs des tentatives d’organisations syndicales de journalistes ou de patrons de presse.
    Toute chose politique égale par ailleurs, il est demandé aujourd’hui d’être solidaires de l’argent sorti par Ness Prod pour acquérir le groupe et plus singulièrement de celui que doivent recevoir les actionnaires d’El Khabar, et la situation est suffisamment inédite pour susciter d’abord le malaise et ensuite d’incontournables questions sur l’avenir des titres de la presse privée. Tout le monde n’est pas, en effet, Rabrab, et qui peut, à ce titre, garantir du risque d’un contrôle étranger ?
    La question de savoir si l’information est une marchandise comme les autres et les transactions éventuelles y afférente ne relevant que de la stricte commercialité demeure posée et doit interpeller en priorité les pouvoirs publics et ce ne sont pas les effets d’annonce sur « l’assainissement » de la gabegie télévisuelle qui y pourvoiront.
    Le régime du laisser-faire, dont la démultiplication des titres privés, des chaînes de télévision est l’enseigne objective, appelle aussi à s’interroger sur la réalité de la contribution de la presse et des médias à l’enracinement des valeurs et de la culture démocratique.
    Et d’abord sur le terrain premier de l’information. Les Algériens sont-ils mieux informés aujourd’hui, bénéficient-ils d’une expertise de nature à les éclairer sur les enjeux et le sens des évènements ?
    La carence des formations politiques – elles aussi multiples - a-t-elle pu aussi entraîner une forme de perversion qui fait que tel ou tel titre peut s’accorder un pouvoir de prescription qui excède les missions de l’information.
    Alors, si l’affaire « El Khabar » devenait effectivement une affaire politique, exposant dans la clarté et la transparence l’état de la presse écrite algérienne – y compris celle des titres publics - et des médias audiovisuels et y compris les dérivations dites des « réseaux sociaux », l’Algérie y gagnerait. Si « les cris des hommes libres » contribuent à cette indispensable clarification, ils auront alors balisé la part citoyenne du débat.

    * Professeur à la faculté des Sciences de la communication, de l’information et de l’audiovisuel. Université Constantine III
    reporters.dz
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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