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L’Etat islamique féroce dans ses fiefs

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  • L’Etat islamique féroce dans ses fiefs




    Aux discours optimistes et annonciateurs d’une victoire imminente ont succédé les déclarations prudentes et inquiètes. Il y a moins d’un mois, les villes de Manbij, dans le nord de la Syrie, et de Fallouja, en Irak, deux fiefs de l’Etat islamique (EI), semblaient sur le point d’être reprises. Des milliers d’hommes avaient été mobilisés de chaque côté de la frontière. Ils avaient le soutien de forces spéciales occidentales, dont des soldats français en Syrie. Dans le ciel, bombardiers, chasseurs et hélicoptères d’attaque de la coalition frappaient sans relâche. Plus nombreux, mieux équipés et soutenus par une aviation puissante, les combattants anti-Daech ne pouvaient qu’avancer. C’est ce qu’ils ont fait dans les premiers jours, progressant de village en village. Comme prévu aussi, ils ont ralenti à mesure qu’ils s’approchaient des villes. Mais ils se heurtent depuis à une résistance féroce. «Il est évident que l’EI s’est mieux préparé que ce que nous avions anticipé,explique Ahmad Mohamad, un activiste réfugié à Gaziantep dont la famille vit toujours à Manbij. Mercredi, ils ont réussi à lancer une contre-offensive au nord de la ville alors que nous les encerclons. La reprise de Manbij sera compliquée.»

    Le même sentiment prévaut à Fallouja. Mercredi, un porte-parole militaire américain reconnaissait que la ville n’était pas encore encerclée et que les combats étaient «difficiles». «Les forces antiterroristes et celles de la police rencontrent une forte résistance de Daech», a ajouté un colonel de la police irakienne.

    L’opposition que rencontrent les forces anti-Daech ne signifie pas que les jihadistes soient en passe de regagner du terrain. L’heure n’est plus à «l’expansion permanente», l’un des slogans de l’organisation. A l’inverse, ils reculent. L’EI est sur «la défensive», a assuré Barack Obama mardi, trois jours après le massacre dans une boîte gay d’Orlando (lire aussi pages 24-27). Le groupe «n’a pas été en mesure de mener une offensive majeure couronnée de succès en Irak ou en Syrie depuis un an», a-t-il ajouté. Ciblé par 13 000 frappes de la coalition, le groupe a perdu la moitié des territoires peuplés qu’il contrôlait en Irak à son apogée, à l’été 2014.

    «Little London»
    Mais ces reculs tiennent aussi à la stratégie d’évitement suivie par l’EI. «Dans la plupart, sinon la totalité des cas, […] il a refusé le combat, reculé, retiré ses troupes pour justement éviter de les perdre et préserver ses capacités», a affirmé Bernard Bajolet, directeur général de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) lors de son audition en avril devant une mission d’information de l’Assemblée nationale.

    Cette fois, aussi bien à Manbij qu’à Fallouja, les jihadistes ont décidé de riposter, en raison du caractère stratégique des deux villes. Manbij, environ 150 000 habitants en grande majorité sunnites, permet à l’EI de relier Raqqa, sa capitale de facto en Syrie, à la frontière turque. Surnommée «Little London», la ville est connue pour abriter des jihadistes britanniques, mais aussi beaucoup de Français et leurs familles. En Irak, Fallouja est la première ville dont s’est emparé l’EI, en janvier 2014, six mois avant la création du «califat».

    A Manbij et à Fallouja, les jihadistes ont anticipé les tentatives de reconquête. Ces derniers mois, ils ont creusé des tranchées et des tunnels, à la fois pour se protéger des raids aériens mais aussi pour pouvoir circuler d’une position à l’autre lorsque les combats débuteront. A Manbij, ils ont aussi laissé croire qu’ils s’apprêtaient à abandonner la ville. «Il y a trois semaines, ils ont évacué les familles des jihadistes étrangers, environ 700 personnes au total, vers Mayadin, dans la région de Deir el-Zor. Ils ont aussi fermé les services civils, les postes de police et de sécurité, les tribunaux, etc. On s’est dit qu’ils se préparaient à partir. En réalité, c’était un leurre. Les employés civils ont pris les armes tandis qu’une majorité de combattants étaient restés», explique Ahmad Mohamad.

    Des rochers piégés
    A la différence de Fallouja, dont les faubourgs ont fait l’objet de combats acharnés, ils n’ont que peu défendu les villages des environs. Ce qui ne les a pas empêchés de poser des mines artisanales. Les combattants des Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance kurdo-arabe, ne circulent plus sur les routes qui mènent à Manbij. Ils ont découvert des mines cachées dans de faux rochers déposés au milieu des rocailles. «L’EI les laisse s’approcher. Ils savent que la coalition hésitera à bombarder la ville alors qu’il y a encore plus de 100 000 civils à l’intérieur», poursuit l’activiste syrien.

    Se protéger derrière les habitants est une tactique employée aussi à Fallouja. Des dizaines de milliers sont toujours piégés tandis que près de 50 000 ont réussi à fuir (lire aussi page 4). L’armée irakienne a ouvert un corridor pour les aider à s’échapper, mais la plupart de ceux qui l’ont emprunté vivaient dans les quartiers périphériques. Les autres doivent éviter les tirs des jihadistes et les mines artisanales. L’une d’elles a tué plusieurs personnes, mardi, à quelques mètres de la sortie du corridor. «Soyons parfaitement clairs : il n’y a actuellement pas de voie pour sortir en sécurité de Fallouja», a déclaré Nasr Muflahi, directeur pour l’Irak du Conseil national pour les réfugiés (NRC). Ceux qui sont restés devront survivre à une guérilla et aux combats rapprochés, qui se font rue par rue.

    «Mauvais augure»
    A Manbij, les affrontements n’ont pas encore gagné la ville, même si elle est assiégée. Mais les pénuries s’aggravent déjà. Il n’y a plus de pain, les minoteries, situées au nord de la ville, étant désormais inaccessibles. Les habitants ont commencé à puiser dans leurs réserves de lentilles et de pois chiches. «Daech aggrave la pénurie en n’approvisionnant plus les marchés», assure Ahmad Mohamad.

    Jeudi, les combattants des FDS continuaient à avancer. Leurs positions les plus proches se situaient à environ 700 mètres de Manbij. Même plus tardive qu’espéré, sa chute, comme celle de Fallouja, ou de Syrte en Libye (lire page 4), est programmée. Mais se posera alors la question de son contrôle. Les FDS sont formées majoritairement de Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) alors que Manbij est très largement arabe. A Fallouja, ville sunnite, les milices chiites irakiennes sont en deuxième ligne, juste derrière l’armée. Selon Human Rights Watch, elles se sont déjà rendues coupables début juin de détentions arbitraires, de tortures et d’exécutions sommaires de civils dans des villages des alentours. «Le choix des grandes puissances de se reposer et de soutenir des forces combattantes hostiles aux populations qui vivent sous le contrôle de l’EI est un piège de très mauvais augure,prévient Pierre-Jean Luizard, historien et directeur de recherches au CNRS.Cela va nourrir la haine intercommunautaire et l’on sait que l’EI est gagnant sur ce terrain.»


    libération fr
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