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Daech et al-Qaida seront-ils éternellement rivaux?

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  • Daech et al-Qaida seront-ils éternellement rivaux?

    L’union aurait des avantages, mais les objectifs des deux groupes sont bien différents.

    Le 23 mai, près de 150 personnes trouvaient la mort dans une série d’attentats revendiqués par l’État islamique à Tartous et Jableh, villes syriennes contrôlées par le régime de Bachar el-Assad et proches de bases russes. Une dizaine de jours plus tôt, l’État islamique détruisait plusieurs hélicoptères russes stationnés au centre du pays. Pour autant, le régime syrien et la Russie sont loin d’être les seuls ennemis de Daech: en Syrie et ailleurs dans le monde musulman, l’État islamique est en guerre contre al-Qaida. Pour ces derniers, la menace que représente Daech est si élevée –et leurs bastions pakistanais si faibles– qu’ils auraient envoyé certains de leurs officiers en Syrie et envisageraient d’imiter l’État islamique en y constituant leur propre émirat.
    Comprendre l’importance, l’ampleur et la durée de ce conflit est essentiel pour lutter contre le terrorisme. Parce que ces groupes ont beau être très dangereux séparément, il est terrifiant d’imaginer ce qu’ils pourraient accomplir en s’unissant. Une éventualité bien moins improbable qu’il n’y paraît.
    Si les deux groupes ont des objectifs différents –al-Qaida veut surtout s’en prendre aux États-Unis tandis que l’EI cherche plutôt à consolider et étendre son territoire–, le mouvement, dans sa globalité, est tissé de nombreux liens personnels, remontant souvent à des combats communs en Afghanistan, Irak et autres fronts. Pour beaucoup, les individus affiliés aux deux groupes djihadistes, d’autant plus qu’on s’éloigne de l’Irak et de la Syrie, se considèrent comme frères d’armes et n’ont pas très envie de choisir leur camp. Qui plus est, les deux groupes piochent dans le même réservoir de ressources et de recrues, ce qui les incite à suivre des trajectoires similaires.

    Pour certains des plus éminents spécialistes du terrorisme islamiste, à l’instar de mon collègue Bruce Hoffman, la fusion pourrait être proche. Comme Hoffman a raison de le répéter, on aura à de nombreuses reprises, et à tort, estimé qu’al-Qaida était fini. Et il souligne aussi combien les similitudes idéologiques entre les deux groupes sont bien plus nombreuses que leurs divergences, ce qui n’est pas étonnant vu que Daech est une bouture d’al-Qaida. Reste que, si je pourrais, moi aussi, envisager leur rapprochement, il faut savoir que ces différences sont profondes et entravent réellement toute velléité unificatrice.

    Schisme
    Les divisions accablent depuis longtemps le mouvement djihadiste contemporain. En 1989, ce sont probablement des djihadistes dissidents qui ont assassiné Abdallah Azzam, le héraut de l’islamisme afghan. D’autres ont voulu tuer Oussama ben Laden lors de son dernier séjour au Soudan. Al-Qaida est né d’un schisme dans la grande cause arabo-afghane et a souvent eu toutes les difficultés à collaborer avec d’autres djihadistes, sans même parler de les contrôler.

    À la fin des années 1990 et aux lendemains du 11-Septembre, al-Qaida allait toutefois réussir à devenir une figure centrale et unificatrice d’un djihadisme contemporain aux mille factions. Le groupe avait accès à énormément de ressources et contrôlait les camps d’entraînement du Pakistan et d’Afghanistan. Même les djihadistes qui ne partageaient pas son point de vue voulaient de l’argent et améliorer les performances de leurs troupes. Une position dominante qui allait permettre à al-Qaida d’orienter les recrues vers ses clients préférés et à un groupe relativement homogène, capable d’en rallier d’autres sous sa bannière, d’émerger et de propager le djihad sur un territoire d’envergure nationale.

    La philosophie et la personnalité inhabituelles de Ben Laden sont aussi à prendre en compte. L’homme était charismatique, tout en donnant une impression d’humilité, il ne semblait pas tant demander qu’on l’adule qu’il n’était une inspiration pour ceux qui l’entouraient –le cocktail idéal pour unifier un mouvement où pullulent les fortes têtes. Sans oublier, bien évidemment, les attentats du 11-Septembre, qui allaient offrir au groupe un prestige considérable et lui permettre d’attirer encore plus de financements et de recrues. En fin de compte, après le 11-Septembre et la guerre contre le terrorisme lancée par les États-Unis, on comprend facilement que différentes branches du djihadisme aient réussi à s’allier autour d’objectifs et d’un entraînement communs, une unité d’autant plus nécessaire à la survie des bastions afghans et pakistanais, poussés dans leurs derniers retranchements.

    Aujourd’hui, al-Qaida demeure sur la défensive et beaucoup de ces facteurs –mais pas tous– ont perdu de leur vigueur. Si le groupe conserve probablement quelques camps d’entraînement au Pakistan et en Afghanistan, les offensives de l’armée pakistanaise, aidée des drones américains, ont réduit comme peau de chagrin l’empire logistique dont il pouvait se targuer avant le 11-Sseptembre. De même, al-Qaida ne jouit plus de la même force financière et humaine. Ayman al-Zawahiri n’a pas le charisme ni les dons de conciliateur de Ben Laden et, sous son règne, le blason du groupe s’est immanquablement terni. Ces cinq dernières années, les succès opérationnels d’al-Qaida frôlent l’inexistence.

    Allégeance

    En plus de ce déclin, la scission entre al-Qaida et l’EI repose sur des différences idéologiques et stratégiques fondamentales. Si, à long terme, les deux groupes veulent voir le monde gouverné par la charia, l’ordre de leurs priorités diverge radicalement. Du côté d’Abou Bakr al-Baghdadi et de Daech, on se focalise sur la construction d’un État et la plupart des autres objectifs s’y rapportent. Zawahiri, à l’inverse, privilégie toujours la lutte contre l’«ennemi lointain», l’entreprise étatique étant remisée aux calendes –même si, devant la popularité de l’EI, certains de ses officiers semblent revoir leurs priorités.

    Dans les zones qu’il contrôle, al-Qaida incite ses branches –Aqpa, al-Qaida dans la Péninsule arabique ou encore le Front al-Nosra– à bien traiter les minorités (du moins, en comparaison à Daech) et à se faire globalement bien voir des populations locales. Du côté de l’État islamique, on met l’accent sur la pureté religieuse et on gouverne par la terreur. De même, al-Qaida et l’EI ne sont pas d’accord sur la priorité à accorder à la guerre contre les chiites et sur la possible coopération avec des groupes non djihadistes. Enfin, bon nombre des membres de Daech sont millénaristes, une perspective apocalyptique qu’al-Qaida méprise.

    Reste qu’à court terme, beaucoup de djihadistes –surtout s’ils ne sont pas affiliés à des groupes établis ayant déclaré allégeance à tel ou tel camp– sont susceptibles d’œuvrer de concert ou d’alterner entre les groupes, suivant leur prestige du moment. On l’a vu en France en janvier 2015: la tuerie de Charlie Hebdo a été perpétrée par deux terroristes liés à al-Qaida dans la Péninsule arabique, tandis que le meurtre de Clarissa Jean-Philippe et le massacre de l’Hyper Cacher reviennent à Amedy Coulibaly, qui était en contact avec les frères Kouachi, tout en ayant juré allégeance à l’État islamique. En novembre 2015, à San Bernadino en Californie, le couple de tueurs avait été radicalisé par l’idéologue de l’Aqpa, Anwar al-Awlaqi, avant de se tourner vers l’État islamique.

    Pour le moment, Daech semble en position de force, malgré de récents revers. En persévérant dans l’inaction, et face à de possibles et prochaines victoires de l’EI, al-Qaida pourrait voir les défections se multiplier en son sein, ce qui aggraverait d’autant ses problèmes de financement. La mort de Zawahiri, sans successeur désigné, finirait d’accélérer le mouvement. Reste que des succès d’Aqpa ou du Front al-Nosra pourraient aussi rééquilibrer les choses. Dans tous les cas, que l’avenir réserve une unification ou la prolifération des divisions, le mouvement djihadiste, en tant que tel, reste fort –et dangereux.
    Slate
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