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Chantage et coup de pression : l’Europe impose le libre-échange en Afrique

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  • Chantage et coup de pression : l’Europe impose le libre-échange en Afrique

    L’Union européenne veut accélérer la signature d’accords de libre-échange avec l’Afrique en forçant la main aux parlements nationaux.

    Ils font moins de bruit que le fameux Tafta, l'accord de libre-échange Europe – États-Unis, mais leurs conséquences pourraient être tout aussi dramatiques pour les pays africains. L’Afrique et l’Europe sont en passe de ratifier plusieurs « accords de partenariat économique » (APE) qui visent à libéraliser fortement les échanges commerciaux en baissant les droits de douane (1).

    Ces accords régionaux sont en discussion depuis 15 ans et la phase de signature dure depuis 2014. Or, l'Europe est bien décidée à durcir le ton. Selon des documents confidentiels révélés le 10 juin par un collectif d'ONG, la Commission européenne a réuni ses « experts » pour préparer des mesures de rétorsion contre les pays appartenant à la zone géographique qui tarde à valider l'accord. S'ils n'ont pas ratifié le traité de libre échange avant le 1er octobre, l'UE montera arbitrairement ses taxes sur les produits de 6 pays africains (Ghana, Côte d’Ivoire, Kenya, Botswana, Namibie, Swaziland).

    Après avoir fait du chantage à l’aide au développement (2), Bruxelles menace donc ses « partenaires » pour passer outre les nombreuses réticences des États et de la société civile. En pressant ainsi le pas, l'UE force les parlements nationaux africains à ratifier ces accords cruciaux dans l'urgence.

    « Les demandes excessives de l’UE »

    Pour les chefs d’État et de gouvernement des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, la lenteur du processus incombe à l'UE elle-même. Ils ont dénoncé début juin « les demandes excessives de l’UE qui ont affaibli le processus d’intégration économique régional. »

    « L’UE renforce sa stratégie de déstabilisation […] en dépit du péril que représentent ces accords pour le développement de certains secteurs économiques dans ces pays », regrettent six ONG françaises opposées à la course aveugle à la baisse des droits de douane (la Confédération paysanne, CFSI, l’AITEC, Peuples solidaires, Artisans du monde et Sol). Elle dénonce le « chantage » de l’Union européenne.

    Les négociations traînent depuis 2000, car la société civile africaine craint les effets néfastes de la levée des protections douanières. Les marchés agricoles risquent d’être déséquilibrés par la disparition de certaines taxes et la concurrence avec les produits européens et latino-américains. L’industrialisation en marche dans certains pays pourrait subir un coup d’arrêt. La disparition des droits de douane impacterait lourdement les finances de pays déjà criblés de dettes.

    « En réduisant considérablement les recettes fiscales des États d'Afrique de l’Ouest, l'APE réduirait d'autant les budgets consacrés à l'éducation, à la santé, aux petits agriculteurs et à la protection de l'environnement, écrit l’économiste Jacques Berthelot, spécialiste du dossier. D'autant plus que l'Afrique de l’Ouest fait déjà face à un triple défi : démographique, du changement climatique et du déficit alimentaire. »

    Sauter de plain-pied dans le libre-échange

    Pour l’Afrique de l’Ouest, l’accord prévoit une libéralisation de 75 % du commerce, indique Lala Hakuma Dadci, coordinatrice de l’Association internationale de techniciens, experts et chercheurs (Aitec). « L’UE, première zone économique mondiale, cherche à obtenir des concessions commerciales démesurées de la part d’une des régions les plus pauvres du monde », déplore également la Confédération européenne des ONG d’urgence et de développement dans une note de 2015.

    Les relations commerciales entre l’Europe et l’Afrique étaient régies depuis les années 1970 par des accords « non réciproques ». L’UE a en effet ouvert ses marchés aux produits africains, sans taxes, et autorisait ces derniers à maintenir leurs droits de douane. Une mesure de bon sens pour les pays les plus pauvres.

    Or, ces accords contreviennent aux règles de l’Organisation mondiale du commerce et les producteurs latino-américains de bananes s’en sont plaints en 1995. Des négociations ont donc été engagées en 2000 pour remplacer les accords « non réciproques » par des accords plus classiques, qui imposent aux pays africains de sauter de plain-pied dans le libre-échange.

    Après son arrivée au pouvoir en Côte-d’Ivoire en 2011, Alassane Outtara a ouvert une brèche dans la résistance des pays africains, entraînant la signature au compte-gouttes de la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest.

    Les gouvernements ont ainsi cédé à la pression des grandes sociétés européennes qui exploitent les ressources africaines, pointe Jacques Berthelot. En particulier la Compagnie Fruitière, entreprise française et premier producteur de fruits d’Afrique-Caraïbes-Pacifique, le céréalier suisse Mimran, ou encore le groupe Bolloré, « qui gère la plupart des infrastructures portuaires du golfe de Guinée et est impliqué dans l’exportation de 65 % du cacao de Côte-d’Ivoire », note Jacques Berthelot.

    L’Europe se prononce en juillet

    Le parlement européen doit se prononcer mi-juillet sur la procédure dite d’« acte délégué » engagée par l’UE pour imposer aux pays africains une ratification avant le 1er octobre.

    Sur le dossier comparable du « Ceta », l’accord de libre-échange entre l’UE et le Canada, la Commission européenne doit dévoiler, le 5 juillet, la procédure de ratification qu’elle retient. Nous saurons à cette date si Bruxelles accorde aux parlements nationaux européens le droit de se prononcer sur ce texte de libre-échange, « petit frère » du fameux Tafta en cours de négociation avec les États-Unis.

    Cette concordance inédite des calendriers est propice à l’émergence d’un réel débat sur le contrôle démocratique des accords de libres-échanges.

    politis
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