Ils y croyaient encore. Jeudi soir, lors de la fermeture des bureaux de vote, les europhiles britanniques se sont couchés confiants en regardant le dernier sondage qui donnait le camp du « Brimain » (celui du maintien dans l'Union européenne) gagnant. Le réveil a dû être beaucoup plus dur. Le « Brexit» est finalement sorti vainqueur des urnes ce vendredi matin (51,9% des électeurs ont voté pour le « leave ») et le premier ministre David Cameron, qui avait utilisé cette promesse de référendum pour conquérir les voix eurosceptiques avant de faire campagne pour le « remain », vient d'annoncer sa démission.
Il y a un an, une telle issue paraissait encore impensable. Mais, depuis quelques mois, le camp du Brexit, affaibli par la mise en cause de David Cameron dans le scandale du Panama Papers, n'avait cessé de gagner du terrain. Et l'entrée en campagne du très populaire et très fantasque ex-maire de Londres, Boris Johnson, qui a soutenu de tout son poids politique et médiatique la rupture avec l'Union, a renforcé ce mouvement. Il est vrai que ce résultat ne tombe pas du ciel : nos amis britanniques n'ont jamais porté l'Union dans leur cœur. A peine entrés dans la Communauté économique européenne, ils organisaient déjà un référendum pour en sortir. Depuis, leurs griefs se sont accumulés (trop de réglementation, trop de migrants, trop de coûts de fonctionnement) et l'Europe était depuis longtemps montrée du doigt comme la cause de tous les maux.
A première vue, leur défection n'a aucune raison de nous réjouir. D'abord parce que le Royaume-Uni était un membre important de l'Union, contributeur net au budget de Bruxelles, ainsi qu'une puissance diplomatique et militaire de premier plan, difficilement remplaçable, surtout en ces temps troublés. "Dans une période de tempête, il n'est pas bon qu'un membre de l'équipe se désolidarise", regrette Guillaume Klossa, président du think tank EuropaNova.
Ensuite parce que nos voisins d'outre-Manche risquent de subir une catastrophe économique, et qu'il n'est jamais réjouissant de voir l'un de ses partenaires commerciaux souffrir. "Pour les Anglais, l'ajustement causé par une sortie du marché unique sera très douloureux", prévient Patrick Artus, chef économiste chez Natixis.
Ce Brexit ouvre en effet une longue période d'incertitude, car il va leur falloir renégocier un accord de libre-échange avec l'Union européenne. Si, au bout de deux ans, aucun compromis n'est trouvé, les traités actuels cesseront de s'appliquer, à moins que les pays européens ne décident à l'unanimité de les prolonger. Connaissant l'habitude de nos dirigeants de s'enliser dans les négociations à Bruxelles, ce scénario du pire ne serait guère étonnant : selon de nombreux experts, l'affaire pourrait traîner pendant une décennie !
Autant dire que nos voisins d'outre-Manche peuvent se préparer à des lendemains difficiles. Chute de la livre (après l'annonce de la victoire du Brexit, elle a perdu en quelques heures plus de 10% face au dollar et atteint son point le plus bas depuis 1985), instauration de droits de douane, effondrement des exportations, affaiblissement des entrées de capitaux... Au total, l'économie britannique pourrait perdre jusqu'à 100 milliards de livres et presque 1 million d'emplois d'ici 2020, selon les calculs de la CBI (Confédération of British Industry), la principale organisation patronale du pays. Sans parler du divorce avec l'Ecosse, très attachée à l'Union (et qui a voté majoritairement en faveur du « Remain »), qui voudra peut-être plier bagage...
Pour nous, en revanche, l'affaire pourrait se révéler plutôt payante sur le front de l'emploi et de la croissance à long terme. Un Brexit pourrait en effet pousser entreprises et investisseurs à fuir le Royaume-Uni, jusque-là considéré comme une porte d'entrée privilégiée dans l'UE grâce à son marché du travail ultra-flexible, sa fiscalité très attractive et sa stabilité financière. Londres accueille 40% des sièges sociaux européens des 250 plus grandes multinationales.
Les sociétés de la finance pourraient être les premières tentées de faire leurs valises. "Le Brexit va peser sur l'activité de La City en tant que plaque tournante de l'Union européenne", reconnaît Paul McGhee, directeur de la stratégie de l'AFME (Association for Financial Markets in Europe). Bruxelles risque fort, en effet, de se montrer intraitable lors des négociations sur la question des services financiers. La BCE avait déjà essayé une première fois de rapatrier les transactions en euros sur le continent (40% se font à Londres), mais elle s'était heurtée à un refus de la Cour de justice de l'Union européenne, au motif que le Royaume-Uni était un Etat membre. Maintenant que cette raison s'est envolée, on doute que Bruxelles laisse passer cette belle occasion de récupérer certaines activités...
Très certainement privés du "passeport" qui leur permet, une fois agréés dans un Etat membre, d'exercer leurs activités dans les autres pays européens, et incapables de prévoir les conséquences réglementaires et juridiques de ce changement de situation, un certain nombre d'établissements financiers avaient déjà commencé à se poser la question de leur déménagement avant le vote. HSBC avait prévenu qu'en cas de rupture avec l'UE, elle transférerait 20% de ses effectifs (soit 1.000 personnes) à Paris. D'autres, comme la Deutsche Bank, ont déclaré réfléchir sérieusement à un déplacement de certaines activités. Pour les membres de la zone euro, le gâteau à se partager est plutôt appétissant : sur les 12.700 établissements du secteur présents à Londres, plus de la moitié sont des sièges européens de sociétés étrangères.
Mais la délocalisation d'activités pourrait aussi concerner l'industrie. Selon une enquête menée avant le vote par la Bertelsmann Foundation auprès de plus de 700 entreprises britanniques et allemandes présentes au Royaume-Uni, quasiment un tiers d'entre elles se disaient prêtes à réduire leur activité ou à la délocaliser en cas de Brexit.
"Ces sociétés vont subir une perte de chiffre d'affaires et de profitabilité", prévoit Ana Boata, économiste et spécialiste de la zone euro chez Euler Hermes. Les firmes qui exportent beaucoup vers les autres pays de l'Union, en particulier, auront tout intérêt à se placer au plus près de leurs consommateurs pour éviter d'avoir à supporter le poids d'éventuels droits de douane.
Premiers touchés, les constructeurs automobiles (45% de leur production est destinée au Vieux Continent), dont les très faibles marges seraient vite grignotées en cas d'établissement de barrières tarifaires. Selon le think tank Open Europe (eurosceptique), ces dernières pourraient en effet atteindre les 10% si l'Union européenne et le Royaume-Uni ne se mettent pas d'accord ! "Nissan et Toyota iront très certainement faire leurs investissements ailleurs", estime Iain Begg, professeur à la London School of Economics.
Les sociétés du secteur de la chimie (où les droits de douane pourraient monter à 4,6%) ou de l'agroalimentaire (plus de 20%) seraient elles aussi tentées d'aller chercher des cieux plus cléments. "Des milliers d'emplois vont être transférés de l'autre côté du Channel", s'inquiète Tony Burke.
Il y a un an, une telle issue paraissait encore impensable. Mais, depuis quelques mois, le camp du Brexit, affaibli par la mise en cause de David Cameron dans le scandale du Panama Papers, n'avait cessé de gagner du terrain. Et l'entrée en campagne du très populaire et très fantasque ex-maire de Londres, Boris Johnson, qui a soutenu de tout son poids politique et médiatique la rupture avec l'Union, a renforcé ce mouvement. Il est vrai que ce résultat ne tombe pas du ciel : nos amis britanniques n'ont jamais porté l'Union dans leur cœur. A peine entrés dans la Communauté économique européenne, ils organisaient déjà un référendum pour en sortir. Depuis, leurs griefs se sont accumulés (trop de réglementation, trop de migrants, trop de coûts de fonctionnement) et l'Europe était depuis longtemps montrée du doigt comme la cause de tous les maux.
A première vue, leur défection n'a aucune raison de nous réjouir. D'abord parce que le Royaume-Uni était un membre important de l'Union, contributeur net au budget de Bruxelles, ainsi qu'une puissance diplomatique et militaire de premier plan, difficilement remplaçable, surtout en ces temps troublés. "Dans une période de tempête, il n'est pas bon qu'un membre de l'équipe se désolidarise", regrette Guillaume Klossa, président du think tank EuropaNova.
Ensuite parce que nos voisins d'outre-Manche risquent de subir une catastrophe économique, et qu'il n'est jamais réjouissant de voir l'un de ses partenaires commerciaux souffrir. "Pour les Anglais, l'ajustement causé par une sortie du marché unique sera très douloureux", prévient Patrick Artus, chef économiste chez Natixis.
Ce Brexit ouvre en effet une longue période d'incertitude, car il va leur falloir renégocier un accord de libre-échange avec l'Union européenne. Si, au bout de deux ans, aucun compromis n'est trouvé, les traités actuels cesseront de s'appliquer, à moins que les pays européens ne décident à l'unanimité de les prolonger. Connaissant l'habitude de nos dirigeants de s'enliser dans les négociations à Bruxelles, ce scénario du pire ne serait guère étonnant : selon de nombreux experts, l'affaire pourrait traîner pendant une décennie !
Autant dire que nos voisins d'outre-Manche peuvent se préparer à des lendemains difficiles. Chute de la livre (après l'annonce de la victoire du Brexit, elle a perdu en quelques heures plus de 10% face au dollar et atteint son point le plus bas depuis 1985), instauration de droits de douane, effondrement des exportations, affaiblissement des entrées de capitaux... Au total, l'économie britannique pourrait perdre jusqu'à 100 milliards de livres et presque 1 million d'emplois d'ici 2020, selon les calculs de la CBI (Confédération of British Industry), la principale organisation patronale du pays. Sans parler du divorce avec l'Ecosse, très attachée à l'Union (et qui a voté majoritairement en faveur du « Remain »), qui voudra peut-être plier bagage...
Pour nous, en revanche, l'affaire pourrait se révéler plutôt payante sur le front de l'emploi et de la croissance à long terme. Un Brexit pourrait en effet pousser entreprises et investisseurs à fuir le Royaume-Uni, jusque-là considéré comme une porte d'entrée privilégiée dans l'UE grâce à son marché du travail ultra-flexible, sa fiscalité très attractive et sa stabilité financière. Londres accueille 40% des sièges sociaux européens des 250 plus grandes multinationales.
Les sociétés de la finance pourraient être les premières tentées de faire leurs valises. "Le Brexit va peser sur l'activité de La City en tant que plaque tournante de l'Union européenne", reconnaît Paul McGhee, directeur de la stratégie de l'AFME (Association for Financial Markets in Europe). Bruxelles risque fort, en effet, de se montrer intraitable lors des négociations sur la question des services financiers. La BCE avait déjà essayé une première fois de rapatrier les transactions en euros sur le continent (40% se font à Londres), mais elle s'était heurtée à un refus de la Cour de justice de l'Union européenne, au motif que le Royaume-Uni était un Etat membre. Maintenant que cette raison s'est envolée, on doute que Bruxelles laisse passer cette belle occasion de récupérer certaines activités...
Très certainement privés du "passeport" qui leur permet, une fois agréés dans un Etat membre, d'exercer leurs activités dans les autres pays européens, et incapables de prévoir les conséquences réglementaires et juridiques de ce changement de situation, un certain nombre d'établissements financiers avaient déjà commencé à se poser la question de leur déménagement avant le vote. HSBC avait prévenu qu'en cas de rupture avec l'UE, elle transférerait 20% de ses effectifs (soit 1.000 personnes) à Paris. D'autres, comme la Deutsche Bank, ont déclaré réfléchir sérieusement à un déplacement de certaines activités. Pour les membres de la zone euro, le gâteau à se partager est plutôt appétissant : sur les 12.700 établissements du secteur présents à Londres, plus de la moitié sont des sièges européens de sociétés étrangères.
Mais la délocalisation d'activités pourrait aussi concerner l'industrie. Selon une enquête menée avant le vote par la Bertelsmann Foundation auprès de plus de 700 entreprises britanniques et allemandes présentes au Royaume-Uni, quasiment un tiers d'entre elles se disaient prêtes à réduire leur activité ou à la délocaliser en cas de Brexit.
"Ces sociétés vont subir une perte de chiffre d'affaires et de profitabilité", prévoit Ana Boata, économiste et spécialiste de la zone euro chez Euler Hermes. Les firmes qui exportent beaucoup vers les autres pays de l'Union, en particulier, auront tout intérêt à se placer au plus près de leurs consommateurs pour éviter d'avoir à supporter le poids d'éventuels droits de douane.
Premiers touchés, les constructeurs automobiles (45% de leur production est destinée au Vieux Continent), dont les très faibles marges seraient vite grignotées en cas d'établissement de barrières tarifaires. Selon le think tank Open Europe (eurosceptique), ces dernières pourraient en effet atteindre les 10% si l'Union européenne et le Royaume-Uni ne se mettent pas d'accord ! "Nissan et Toyota iront très certainement faire leurs investissements ailleurs", estime Iain Begg, professeur à la London School of Economics.
Les sociétés du secteur de la chimie (où les droits de douane pourraient monter à 4,6%) ou de l'agroalimentaire (plus de 20%) seraient elles aussi tentées d'aller chercher des cieux plus cléments. "Des milliers d'emplois vont être transférés de l'autre côté du Channel", s'inquiète Tony Burke.
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