Les différents occupants qui ont débarqué dans notre pays se sont, en premier lieu, approprié des richesses et autres biens immobiliers, puis se sont attaqué aux fondements de la société dont sa langue qui s’est vue réduite à une simple oralité.
Des siècles se sont écoulés, d’autres colonisateurs atterriront à tour de rôle, sans que cet élément fondamental de cette nation ne soit «effacé» de la vie courante de la population. Ce n’est qu’à l’orée du 19ème siècle que des militants issus du mouvement national, conscients des enjeux que pourrait générer la confiscation de ce facteur identitaire, ont de prime à bord interpellé leur instance politique, à savoir le PPA, pour une éventuelle intégration de cette langue dans toutes ses dimensions dans le projet du cadre politique. Une réponse par la négative de l’instance politique que dirigeait Messali a soulevé le courroux des Bennai, Ait Hammouda, Ait Menguellat et consorts, qui n’ont pas digéré la position de leur parti vis-à-vis de cette question et ont décidé de passer à l’action en faisant pression sur leur chef de file. Ce qui n’a pas tardé à déboucher sur une crise dite berbériste en 1949. Puis, avec le déclenchement de la Révolution, une nouvelle donne a pris la tête des priorités, à savoir l’indépendance, pour voir cette problématique renvoyée à plus tard. Une fois la France ayant quittée l’Algérie, cette demande a, encore une fois, été reformulée pour bâtir le pays sur une cohésion sociale solide mais, hélas, beaucoup de voix se sont opposées et c’est le recours à une lutte armée qui a été déclarée en 1963, où plusieurs centaines de perte en vies humaines seront à déplorer. Avec la constitution de 1976, l’espoir de tous les berbères s’est envolé en découvrant la négation pure et simple de leur identité. C’est ce qui a laissé Haroun, Medjber, Cheradi, Chérifi et autres à passer à une action musclée en planifiant la pose des bombes dans les locaux du journal El Moudjahid et dans ceux de la télévision. Une action avortée puisqu’ils ont été arrêtés avant leur passage à l’acte. Ces jeunes militants ont été condamnés à de lourdes peines de plus de onze années dans les cachots. Ce qui a provoqué à certains parmi eux la contraction des différentes maladies chroniques qui ont, quelques années plus tard, eu raison d’eux avec le décès de Mohamed Haroun. En dépit des restrictions programmées sur le plan culturel et politique, beaucoup de militants ont repris le flambeau pour sortir dans la rue et réclamer à corps et à cri l’instauration d’un état démocratique basé sur le respect des droits de l’Homme un certain 20 avril 1980. Qualifiée de printemps berbère, cette date constitue un repère phare de l’histoire post indépendance de l’Algérie car elle a cassé le mur de la peur érigé par le Pouvoir en place, ce qui a défriché le chemin pour octobre 1988 et le multipartisme «autorisé» avec l’amendement de la constitution en février 1989. Cette étincelle a donné par la suite une lueur d’espoir de voir tamazight retrouver la place qui lui revient dans son pays. Néanmoins, ce n’est qu’avec le boycott scolaire déclaré en 1994 que la langue de Mammeri est introduite officiellement dans le système éducatif algérien, bien sûr après la création du Haut Commissariat à l’Amazighité en 1995.
Passage de l’oralité à l’écrit
L’enseignement de tamazight a pris effet à la mi-octobre 1995, avec un nombre très réduit d’encadreurs. Ils étaient 245 répartis sur 16 wilayas. L’entame de la mission a été des plus rudes compte tenu de l’atmosphère hostile à cet enseignement et au manque criant de supports didactiques. Tout compte fait, les enseignants de tamazight continuent à dispenser leurs cours et puisent dans le terroir pour transférer tout le legs ayant survécu à la disparition pour le mettre à la disposition des apprenants, ce qui a débouché par la suite sur la confection des manuels scolaires et autres supports parascolaires où les poèmes, les dictons et autres contes et légendes ont trouvé leur place. Crescendo, le nombre d’encadreurs progresse d’année en année ainsi que le nombre d’apprenants. Des examens de fin de cycle moyen et secondaire ont été inclus. Cependant, le caractère optionnel infligé à cette langue constitue un frein pour un épanouissement qualitatif et quantitatif de cet enseignement. Mais, fort est de constater que dans des régions berbérophones, des élèves obtiennent des dispenses et n’assistent pas aux cours. À qui incombe la faute dans ce cas de figure ?
Des parents, de surcroit locuteurs de cette langue signent des engagements de dispense à leurs progénitures, particulièrement ceux scolarisés au cycle primaire au motif de leur éviter un emploi du temps «surchargé». Cela a été constaté dans plusieurs localités et on assiste parfois à un net recul des candidats aux examens du BEM et du BAC au motif que ces élèves craignent d’obtenir des notes qui nuiront à leurs moyennes.
Aujourd’hui, une décision capitale a été prise par le président de la République qui hisse le niveau de tamazight au rang de langue officielle. Même si des réserves pourraient être émises à propos du préambule de la Constitution, il y a lieu de souligner que l’acquis est indéniable et plus important. Mais que faire pour une meilleure assise de cette langue ?
Avant de songer à voir d’autres wilayas accueillir l’enseignement de tamazight, il est impératif de passer au stade de la transcription des lieux, des institutions et autres placards publicitaires dans cette langue même. Il est fort regrettable aujourd’hui de voir en Kabylie l’absence, pas totale heureusement, de cette transcription des enseignes sur les devantures des commerces. Si on se focalise sur le chef-lieu de la wilaya de Bouira, on remarque que les édifices publics portent plus ces caractères amazighs que ceux relevant du privé. En majorité, ce sont les édifices relevant du secteur financier qui comptent le plus «d’adhérents» à ce projet. La banque El Khalidj à titre d’exemple porte une transcription amazighe très visible et très lisible en caractères latins. Le contrôle financier, lui aussi, a mis en place une plaque transcrite en tifinagh sur la devanture de son siège situé en plein cœur de la wilaya. Un marché de proximité est également transcrit en tamazight. Quant aux établissements scolaires, seul le lycée «Hamza» appelé communément lycée «de jeunes filles» porte cette transcription. Il faudra aller du côté Est de la wilaya pour trouver quelques établissements scolaires, pas tous, affichant ces caractères berbères. Mais puisque le topo n’est pas identique d’une localité à une autre, on peut donc tirer comme conclusion que cela relève de la volonté de tout un chacun d’y adhérer ou pas. Ce qui est, hélas, regrettable est de trouver encore des écoles où l’enseignement de tamazight est dispensé mais sans pour autant accorder cette importance d’afficher ses enseignes sur leurs vitrines. D’autres édifices publics, à l’image des sièges de communes, ont été «berbérisés» comme celui de M’Chedallah où l’action est menée depuis les premières élections plurielles des années 90 et celle d’El-Esnam où même les indications des différents services ont été transcrits en tamazight. D’autres, portent leurs enseignes dans cette langue sans y introduire d’autres affiches au niveau des bureaux, comme Bechloul et El-Adjiba.
Quant aux autres plaques de signalisation, elles demeurent toujours sous leurs anciennes transcriptions et nulle trace de tamazight n’est visible.
Faut-il attendre une décision émanant de l’administration pour agir ?
Nos différentes sources sont unanimes à dire que leur passage à l’acte dans ce domaine n’est relatif à aucune instruction administrative. Du moment que cette langue est d’abord reconnue nationale en 2002 juste au moment des douloureux évènements de la Kabylie puis hissée au rang de langue officielle en 2016, ajoutent-elles, nous avons décidé de mettre en place ces enseignes. Mais le hic réside dans les lieux privés où on déplore amèrement l’absence de ces enseignes. Là on les retrouve, des cas rares en plus, leurs transcriptions affichent des erreurs de sémantique et d’écriture contrairement aux édifices publics qui ne souffrent pas de ces anomalies.
Il y a lieu également de souligner l’importance accordée par le secteur de la formation professionnelle à cette langue. Des enseignes sont mises en place dans différents centres mais d’un endroit à un autre, on y trouve pas la même typographie.
Que dire des lieux de culte ?
La wilaya de Bouira compte 450 mosquées réparties sur les 12 daïras. Mais aucune d’elles ne porte une enseigne en tamazight. Est-ce un tabou ? C’est véritablement remarquable que même les sépultures ne portent pas ce genre de transcription. Est-ce un péché ou un pas qui reste à franchir dans ce domaine ? Et pour conclure, tamazight ne pourra pas prendre de l’élan si on continue à la confiner dans le milieu scolaire et universitaire. Le milieu social constitue un créneau important que nous devons tous exploiter pour aspirer à un meilleur élargissement de son usage.
par Smail Marzouk.
La dépêche de Kabylie.
Des siècles se sont écoulés, d’autres colonisateurs atterriront à tour de rôle, sans que cet élément fondamental de cette nation ne soit «effacé» de la vie courante de la population. Ce n’est qu’à l’orée du 19ème siècle que des militants issus du mouvement national, conscients des enjeux que pourrait générer la confiscation de ce facteur identitaire, ont de prime à bord interpellé leur instance politique, à savoir le PPA, pour une éventuelle intégration de cette langue dans toutes ses dimensions dans le projet du cadre politique. Une réponse par la négative de l’instance politique que dirigeait Messali a soulevé le courroux des Bennai, Ait Hammouda, Ait Menguellat et consorts, qui n’ont pas digéré la position de leur parti vis-à-vis de cette question et ont décidé de passer à l’action en faisant pression sur leur chef de file. Ce qui n’a pas tardé à déboucher sur une crise dite berbériste en 1949. Puis, avec le déclenchement de la Révolution, une nouvelle donne a pris la tête des priorités, à savoir l’indépendance, pour voir cette problématique renvoyée à plus tard. Une fois la France ayant quittée l’Algérie, cette demande a, encore une fois, été reformulée pour bâtir le pays sur une cohésion sociale solide mais, hélas, beaucoup de voix se sont opposées et c’est le recours à une lutte armée qui a été déclarée en 1963, où plusieurs centaines de perte en vies humaines seront à déplorer. Avec la constitution de 1976, l’espoir de tous les berbères s’est envolé en découvrant la négation pure et simple de leur identité. C’est ce qui a laissé Haroun, Medjber, Cheradi, Chérifi et autres à passer à une action musclée en planifiant la pose des bombes dans les locaux du journal El Moudjahid et dans ceux de la télévision. Une action avortée puisqu’ils ont été arrêtés avant leur passage à l’acte. Ces jeunes militants ont été condamnés à de lourdes peines de plus de onze années dans les cachots. Ce qui a provoqué à certains parmi eux la contraction des différentes maladies chroniques qui ont, quelques années plus tard, eu raison d’eux avec le décès de Mohamed Haroun. En dépit des restrictions programmées sur le plan culturel et politique, beaucoup de militants ont repris le flambeau pour sortir dans la rue et réclamer à corps et à cri l’instauration d’un état démocratique basé sur le respect des droits de l’Homme un certain 20 avril 1980. Qualifiée de printemps berbère, cette date constitue un repère phare de l’histoire post indépendance de l’Algérie car elle a cassé le mur de la peur érigé par le Pouvoir en place, ce qui a défriché le chemin pour octobre 1988 et le multipartisme «autorisé» avec l’amendement de la constitution en février 1989. Cette étincelle a donné par la suite une lueur d’espoir de voir tamazight retrouver la place qui lui revient dans son pays. Néanmoins, ce n’est qu’avec le boycott scolaire déclaré en 1994 que la langue de Mammeri est introduite officiellement dans le système éducatif algérien, bien sûr après la création du Haut Commissariat à l’Amazighité en 1995.
Passage de l’oralité à l’écrit
L’enseignement de tamazight a pris effet à la mi-octobre 1995, avec un nombre très réduit d’encadreurs. Ils étaient 245 répartis sur 16 wilayas. L’entame de la mission a été des plus rudes compte tenu de l’atmosphère hostile à cet enseignement et au manque criant de supports didactiques. Tout compte fait, les enseignants de tamazight continuent à dispenser leurs cours et puisent dans le terroir pour transférer tout le legs ayant survécu à la disparition pour le mettre à la disposition des apprenants, ce qui a débouché par la suite sur la confection des manuels scolaires et autres supports parascolaires où les poèmes, les dictons et autres contes et légendes ont trouvé leur place. Crescendo, le nombre d’encadreurs progresse d’année en année ainsi que le nombre d’apprenants. Des examens de fin de cycle moyen et secondaire ont été inclus. Cependant, le caractère optionnel infligé à cette langue constitue un frein pour un épanouissement qualitatif et quantitatif de cet enseignement. Mais, fort est de constater que dans des régions berbérophones, des élèves obtiennent des dispenses et n’assistent pas aux cours. À qui incombe la faute dans ce cas de figure ?
Des parents, de surcroit locuteurs de cette langue signent des engagements de dispense à leurs progénitures, particulièrement ceux scolarisés au cycle primaire au motif de leur éviter un emploi du temps «surchargé». Cela a été constaté dans plusieurs localités et on assiste parfois à un net recul des candidats aux examens du BEM et du BAC au motif que ces élèves craignent d’obtenir des notes qui nuiront à leurs moyennes.
Aujourd’hui, une décision capitale a été prise par le président de la République qui hisse le niveau de tamazight au rang de langue officielle. Même si des réserves pourraient être émises à propos du préambule de la Constitution, il y a lieu de souligner que l’acquis est indéniable et plus important. Mais que faire pour une meilleure assise de cette langue ?
Avant de songer à voir d’autres wilayas accueillir l’enseignement de tamazight, il est impératif de passer au stade de la transcription des lieux, des institutions et autres placards publicitaires dans cette langue même. Il est fort regrettable aujourd’hui de voir en Kabylie l’absence, pas totale heureusement, de cette transcription des enseignes sur les devantures des commerces. Si on se focalise sur le chef-lieu de la wilaya de Bouira, on remarque que les édifices publics portent plus ces caractères amazighs que ceux relevant du privé. En majorité, ce sont les édifices relevant du secteur financier qui comptent le plus «d’adhérents» à ce projet. La banque El Khalidj à titre d’exemple porte une transcription amazighe très visible et très lisible en caractères latins. Le contrôle financier, lui aussi, a mis en place une plaque transcrite en tifinagh sur la devanture de son siège situé en plein cœur de la wilaya. Un marché de proximité est également transcrit en tamazight. Quant aux établissements scolaires, seul le lycée «Hamza» appelé communément lycée «de jeunes filles» porte cette transcription. Il faudra aller du côté Est de la wilaya pour trouver quelques établissements scolaires, pas tous, affichant ces caractères berbères. Mais puisque le topo n’est pas identique d’une localité à une autre, on peut donc tirer comme conclusion que cela relève de la volonté de tout un chacun d’y adhérer ou pas. Ce qui est, hélas, regrettable est de trouver encore des écoles où l’enseignement de tamazight est dispensé mais sans pour autant accorder cette importance d’afficher ses enseignes sur leurs vitrines. D’autres édifices publics, à l’image des sièges de communes, ont été «berbérisés» comme celui de M’Chedallah où l’action est menée depuis les premières élections plurielles des années 90 et celle d’El-Esnam où même les indications des différents services ont été transcrits en tamazight. D’autres, portent leurs enseignes dans cette langue sans y introduire d’autres affiches au niveau des bureaux, comme Bechloul et El-Adjiba.
Quant aux autres plaques de signalisation, elles demeurent toujours sous leurs anciennes transcriptions et nulle trace de tamazight n’est visible.
Faut-il attendre une décision émanant de l’administration pour agir ?
Nos différentes sources sont unanimes à dire que leur passage à l’acte dans ce domaine n’est relatif à aucune instruction administrative. Du moment que cette langue est d’abord reconnue nationale en 2002 juste au moment des douloureux évènements de la Kabylie puis hissée au rang de langue officielle en 2016, ajoutent-elles, nous avons décidé de mettre en place ces enseignes. Mais le hic réside dans les lieux privés où on déplore amèrement l’absence de ces enseignes. Là on les retrouve, des cas rares en plus, leurs transcriptions affichent des erreurs de sémantique et d’écriture contrairement aux édifices publics qui ne souffrent pas de ces anomalies.
Il y a lieu également de souligner l’importance accordée par le secteur de la formation professionnelle à cette langue. Des enseignes sont mises en place dans différents centres mais d’un endroit à un autre, on y trouve pas la même typographie.
Que dire des lieux de culte ?
La wilaya de Bouira compte 450 mosquées réparties sur les 12 daïras. Mais aucune d’elles ne porte une enseigne en tamazight. Est-ce un tabou ? C’est véritablement remarquable que même les sépultures ne portent pas ce genre de transcription. Est-ce un péché ou un pas qui reste à franchir dans ce domaine ? Et pour conclure, tamazight ne pourra pas prendre de l’élan si on continue à la confiner dans le milieu scolaire et universitaire. Le milieu social constitue un créneau important que nous devons tous exploiter pour aspirer à un meilleur élargissement de son usage.
par Smail Marzouk.
La dépêche de Kabylie.
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