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Apprivoiser la mort

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    « Mourir, c’est rejoindre la plus grande fraternité qui soit. » Deux romans abordent le désir universel de vouloir tirer sa révérence en douceur.

    La mère de Noëlle Châtelet, Mireille, sage-femme énergique et enjouée, avait avec son mari à Paris œuvré à la création de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité. À 92 ans, très souffrante mais lucide, Mireille convia un soir ses enfants à un repas pour leur faire l’annonce, au dessert, qu’elle mettrait bientôt fin à ses jours. Ses enfants, bouleversés mais consentants, savaient que Mireille considérait sa mort comme un droit moral et civique et qu’elle leur offrait, en se suicidant, une leçon de fin de vie.

    La sage-femme avait été assez sage pour accumuler en cachette les produits dont elle aurait besoin pour exécuter son geste. Noëlle Châtelet, qui vivait avec sa mère une véritable relation heureuse, a raconté cette histoire dans un essai, La dernière leçon. Mireille était autonome, elle conduisait toujours sa voiture, aimait rire et faire rire, elle était «une vieille femme frondeuse, militante, animée d’un enthousiasme pour les choses de la vie, y compris sa propre mort». Cette sage-femme avait si souvent aidé à naître, insiste Noëlle Châtelet, qu’elle ne pouvait s’enlever la vie par désespoir.

    La dernière leçon a été adapté au cinéma et a maintenant une suite, qui raconte comment l’auteure a peu à peu accepté de se départir de son expérience intime pour qu’elle serve aux autres, de même qu’aujourd’hui elle a remplacé sa mère dans ses fonctions à l’Association pour le droit de mourir dans la dignité. «Ce n’est pas de mourir que les Français ont peur, mais de mal mourir. Ma mère serait-elle restée davantage parmi nous si elle avait eu cette assurance d’une mort douce, entourée de nous, ses enfants, pour le dernier adieu ?»

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    Le célèbre écrivain suédois Henning Mankell, auteur des aventures de l’inspecteur Kurt Wallander, croyait simplement souffrir d’un torticolis, mais il s’agissait de métastases d’un cancer. «Juste après le Nouvel An, j’ai reçu le diagnostic. Un paysage désertique s’est répandu en moi, recouvrant tout le reste.» Il avait eu à 66 ans une longue et belle vie, comparée à celle de la majorité des Terriens. L’éven*tualité de douleurs insupportables l’amenait par contre à souhaiter, en ultime recours, être endormi. «Je quitterai alors le monde dans mon sommeil. Plutôt cela que le suicide. Je m’y refuse, par souci pour mes proches.»

    Henning Mankell rappelle dans Sable mouvant avoir grandi dans la province suédoise de Härjedalen, où les hivers sont longs et rigoureux. «Pendant une période de ma vie, vers huit ou neuf ans, je me souviens que je réfléchissais intensément au type de mort qui me faisait le plus peur. Celle qui m’effrayait le plus, c’était de mourir sous la glace : qu’elle cède sous mon poids et que je ne réussisse pas à remonter dessus.» Adulte, l’idée de la mort dans les sables mouvants l’effrayait plus encore que la noyade sous les glaces ; l’image de ces grains de sable qui peu à peu vous remplissent la bouche, puis le nez, le tétanisait.

    Le romancier, entre deux traitements de chimiothérapie, cherche à s’occuper l’esprit. Après avoir rédigé son testament, comme l’avait fait son père par respect pour les survivants, il entreprend l’écriture d’un dernier livre. Dans ses romans policiers, Mankell lançait l’intrigue par un meurtre et Wallander sur la piste des criminels. Cette fois-ci, le récit n’a plus d’intrigue, le cancer est le crime et la mort de l’auteur la fin de l’histoire. Ce dernier raconte qu’il voyageait souvent seul et transformait les inconnus qu’il croisait en personnages de roman. Ces rencontres anciennes lui servent de miroir. «Mourir, c’est rejoindre la plus grande fraternité qui soit.»

    Le Suédois a donné à son ultime essai, construit de fragments de vie, le titre de sa plus grande frayeur : Sable mouvant. Ces fragments révèlent une pensée contradictoire, soit le désir de voir l’humanité perdurer, et la certitude de sa finitude. L’écrivain cherche à se situer d’une part dans le continuum de l’aventure humaine : «Je suis chez moi en compagnie des peintres des grottes rupestres dont les fresques représentent des signes d’humanité avan*cée.» L’on sent aussi chez lui un réel souci du legs environne*mental, il s’inquiète des déchets nucléaires et d’une planète surexploitée. D’autre part, envahi de pessimisme, il sait bien que «toutes les espèces disparaissent tôt ou tard, ou se transforment. Il n’y a aucune raison de croire que cela ne nous arrivera pas également.» Et s’il nous invite à admirer à Malte le temple de Hagar Qim, plus vieux de 1 000 ans que la pyramide de Khéops, il se désole que «dans 20 000 ans une période glaciaire recouvrira toute la Suède d’une épaisse banquise».

    Cinq mois se sont écoulés depuis le diag*nostic fatal. Certains jours, quand les substances chimiques l’épuisent, il avoue comprendre que «certains puissent vouloir mourir de leur propre main». Il trouve alors consolation à relire des ouvrages anciens, et lorsque les effets de la chimio l’en empêchent, il contemple des reproductions d’œuvres d’art en écoutant la trompette de Miles Davis ou les harmonies de Beethoven. Un soir, comme souhaité, vient le grand sommeil.

    Tirer sa révérence en douceur est un désir universel, il n’est pas étonnant que ce soit devenu l’objet de discussions byzantines à propos de lois nationales diverses qui encadrent la fin de vie. À la télévision, dans House of Cards, un feuilleton prestigieux, même l’épouse du président des États-Unis aide sa mère, qui le souhaite, à mettre fin à sa vie. Pour bon nombre, le suicide et l’euthanasie demeurent des tabous ; le christianisme aime la souffrance, les médecins nous veulent en vie. Or, chacun devrait pouvoir choisir son départ, tel que l’ont fait Mireille J. et Henning Mankell. Votre mort vous appartient en propre : à preuve, personne n’offre de vous remplacer le moment venu.

    (Suite à La dernière leçon, par Noëlle Châtelet, Seuil, 219 p. Sable mouvant : Fragments de ma vie, par Henning Mankell, Seuil, 352 p.)


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