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Comment naissent les mots nouveaux ?

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  • Comment naissent les mots nouveaux ?

    L’apparition de mots nouveaux, ou « néologismes », terme lui-même créé en 1735 pour dénoncer l’abus de ces inventions, s’observe dans toutes les langues vivantes, bien que les langues anciennes, dites « mortes », n’y échappent pas non plus. Ainsi, « puella exterioris paginae » est, en latin du Vatican, l’équivalent de « cover girl ».


    L’évolution des techniques, l’apparition de nouveaux objets manufacturés sont souvent avancées comme les causes principales de la néologie. De fait, nous devons au développement de l’informatique des mots comme « cloud » et « infonuagique » (ou « nuage » tout court), « tweet », « follower », « brouteur » (maître chanteur menaçant de diffuser des images compromettantes obtenues par ruse), etc.


    Mais bien d’autres raisons président à l’éclosion des mots nouveaux, à commencer par l’évolution des comportements et des mentalités. L’infamant « fille mère » a ainsi cédé la place depuis plusieurs décennies à « mère célibataire », concurrencé maintenant par « foyer monoparental » qui gomme le sexe du parent élevant seul son enfant. Les « nouveaux pères » ont avantageusement remplacé les « papas poules ». Et le « pacs » s’offre en alternative au « mariage ». Ce nouveau sigle s’est vite intégré au lexique et a donné naissance au verbe « se pacser » et à un néologisme sémantique dans « se pacser avec EDF » pour recharger une batterie sur le secteur. La métaphore est aussi à l’œuvre dans la création d’expressions nouvelles telles que « ne pas faire du huit mégabits » ou « ne pas être branché haut débit » pour moquer la lenteur d’esprit de quelqu’un.


    Des créations publicitaires


    Les slogans publicitaires incluent fréquemment des néologismes qui attirent l’attention par leur caractère, au sens propre, inouï : « Revittelisez-vous ! », « Autant d’idées ? J’halloweene !!! » Ils obtiennent aussi cet effet par l’invention d’impropriétés, comme dans « La prise de train bénéficie à la santé de votre voiture », qui est une nominalisation inattendue de l’expression prendre le train. Ils utilisent des mots marqués « jeunes » comme « comater » dans « Tu préfères galérer en scooter ou comater profond dans le TER ? » Ces slogans visent aussi à établir avec les récepteurs une connivence qui les dispose favorablement, et cela d’autant plus que la réussite du décryptage du néologisme flatte leur ego. Parfois, cependant, le publicitaire croit créer un néologisme mais le mot existe déjà : l’« anatopisme » défini, à la manière d’un article de dictionnaire, comme « une agréable sensation de dépaysement ressentie par un touriste en vacances » à tel endroit, est un terme de psychiatrie désignant les troubles psychiques des personnes déracinées ! Les affiches qui arboraient ce message ont vite disparu.


    Les hommes politiques, plus encore que les commentateurs, recourent aux néologismes pour les mêmes raisons que les publicitaires. Souvent, ces mots nouveaux visent à ridiculiser l’adversaire ou à déconsidérer des idées auxquelles on s’oppose. Il faut mettre les rieurs de son côté. Certains sont plus habiles que d’autres. Jean-Marie Le Pen les multiplie pour stigmatiser, par exemple, la « ripoublique » et l’« établissement » (qui est une francisation de l’anglais « establishment », ensemble des personnes détenant le pouvoir). Il surnommait Jacques Chirac « serial menteur » (croisant « supermenteur » des Guignols et « serial » de « serial killer »). Jean-Luc Mélenchon, après avoir qualifié le candidat François Hollande de « capitaine de pédalo », s’en est pris à l’Europe « austéritaire », comme Jean-Pierre Chevènement s’en prenait à l’Europe « maastricheuse » lors du référendum sur le traité de Maastricht.


    Selon les époques et les courants littéraires, les écrivains ont eu plus ou moins recours aux néologismes. On connaît ceux de Ronsard, au XVIe siècle, mais moins les critiques que lui ont adressées ses contemporains. Au xviiie siècle, Voltaire acceptait les néologismes en sciences, mais les condamnait dans la littérature (« fait-on de nouvelles découvertes dans le cœur humain ? »). Il en a cependant créés comme le fait aussi au siècle suivant Victor Hugo qui déclarait pourtant que « la néologie est un triste remède pour l’impuissance ». Les Complaintes (1885) de Jules Laforgue (« violupté ») en regorgent comme, plus près de nous, les œuvres d’Hélène Cixous (« malgérienne »), Frédéric Dard (« mandolinier »), Valère Novarina (« languisme »), sans oublier ceux, nombreux, des slameurs (« arithmétrique »).


    Si l’on reconnaît souvent aux écrivains le droit de créer des néologismes, ce droit est refusé au commun des mortels : l’institution scolaire française stigmatise la créativité lexicale des élèves et des étudiants, sauf dans certaines expériences pédagogiques, ludiques et/ou poétiques d’apprentissage du lexique. Mais il semble que les locuteurs s’affranchissent de plus en plus de ces interdits et recourent à la créativité lexicale pour jouer avec les mots, amuser, séduire, etc. Les enfants aiment jouer avec les mots et mettre « les clapins dans des lapiers », ou rétorquer à leur père qui leur dit qu’ils sont serrés comme des sardines que lui est un « sardin »… Mais ce n’est pas le propre de la jeunesse. Un homme peut appeler sa femme blottie près de la cheminée « pyrowoman » en croisant « pyromane » et « woman », qu’il fait alterner, par erreur volontaire, avec l’anglais « man ». Qualifier de « pélicanesque » un père de famille présentant par plaisanterie sa situation comme pathétique crée une connivence entre les interlocuteurs qui partagent la référence au pélican de La Nuit de mai d’Alfred de Musset qui sacrifie sa vie et ses entrailles pour la vie de ses petits.


    Une raison rarement prise en compte de la créativité lexicale est la nécessité d’accommoder un mot que l’on a en tête à la catégorie grammaticale nécessitée par la phrase en cours d’émission. Le verbe correspondant à l’adjectif « onctueux » est le néologisme « onctuosifier » sous la plume d’un critique gastronomique qui demande à ses lecteurs leur mansuétude pour cette création. Des étudiants ayant à commenter un texte où figure la phrase « elle examine la lettre » écrivent dans leur commentaire, un jour d’examen, « son examination de la lettre », etc.

    Enfin, les néologismes peuvent avoir des fonctions cryptiques et identitaires. Le lexique des jeunes des banlieues en est plein, comme « boloss » (bouffon, boulet). Parfois, certains groupes sociaux appliquent une déformation systématique du code, comme dans le verlan, qui met à l’envers les constituants du mot (« oinj » pour « joint »). Une fois décryptés, ces nouveaux mots passent facilement dans le lexique courant, comme « meuf », « keuf », « beur »…


    L’accélération des échanges internationaux multiplie les contacts entre langues et les emprunts ou créations d’équivalents. Certains pays, dont la France, ont développé des politiques linguistiques avec des institutions (commissions de néologie et de terminologie) qui proposent et diffusent, via la Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France (DGLFLF) des solutions alternatives aux emprunts. Si certaines propositions restent des échecs (mirodrome pour peep show ou bouteur pour bulldozer), d’autres réussissent et s’implantent comme la francisation graphique de fioul ou gazole ou encore les créations de logiciel pour software ou baladeur pour walkman. Ce dernier cas illustre la rapidité du nécessaire renouvellement du lexique puisque ces mots datés de 1985 et 1980 sont déjà quasiment obsolètes. Pour que les langues vivent, elles doivent suivre ces évolutions et innovations et produire les néologismes dont les locuteurs ont besoin.

    SH
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