Ça n'empêche pas Nicolas
Blog de Jean Lévy sur l'actualité politique au jour le jour
Extrait d’un entretien avec Danielle Mitterrand,
Présidente de “France libertés” (28 octobre 2005)
Hernando Calvo Ospina est un journaliste colombien réfugié en France et collaborateur, entre autres, du Monde Diplomatique.
Sa présence dans un avion régulier d’Air-France en avril 2009 effraya à ce point les USA qu’ils lui interdirent le survol de leur territoire et exigèrent son déroutage. Voir : legrandsoir
Hernando Calvo Ospina a bien voulu nous confier le texte d’un entretien qu’il a eu avec Danielle Mitterrand. Qu’il en soit remercié.
Ce qui suit est un extrait de l’entrevue à Mme. Danielle Mitterrand, veuve de l’ex-président français Franço05s Mitterrand, et présidente de l’association « France-Libertés ». A sa lecture il est facile de comprendre pourquoi, et ce depuis plusieurs années, les médias politiques et d’informations dans leur grande majorité ont essayé de l’ignorer.
vendredi 28 octobre 2005 – Entretien réalisé par Hernando Calvo Ospina.
Hernando Calvo Ospina : Mme. Mitterrand, qu’a signifié pour vous l’arrivée au gouvernement de votre époux François ? Est-ce que les idéaux sociaux et politiques qu’il portait dès sa jeunesse ont été reconnus en ces moments-là ?
Danielle Mitterrand : Mai 1981 fut un mois de grande activité, car c’était la préparation de l’arrivée au pouvoir de François. J’essayais d’apporter tout ce qu’il y a de meilleur en moi, pour que ces rêves d’avoir une société socialiste, quoique à l’européenne, deviennent réalité. Mais bien vite j’ai commencé à voir que cette France juste et équitable ne pouvait pas s’établir. Alors je lui demandais à François : Pourquoi maintenant que tu en as le pouvoir ne fais-tu pas ce que tu avais offert ? Il m’a répondu : “Je n’ai pas le pouvoir d’affronter la Banque mondiale, le capitalisme, le néolibéralisme…. J’ai gagné un gouvernement mais je n’ai pas le pouvoir !”
J’appris ainsi que d’être le gouvernement, être président, ne sert pas à grand-chose dans ces sociétés sujettes, soumises au capitalisme. J’ai vécu l’expérience directement durant 14 ans. Même s’il essayait d’éviter le côté le plus négatif du capitalisme, les rêves ont commencé à se briser très rapidement.
HCO : Vous n’avez pas assumé le rôle de « première dame » comme l’« exige » la tradition protocolaire. Était-ce un simple caprice ? Ou à cause de convictions politiques ?
DM : Je n’ai pas voulu être une « première dame » comme toutes les autres, et en conséquence j’ai refusé le protocole qu’on a voulu m’imposer. J’étais l’épouse du chef de l’État, d’un homme que j’aimais, mais j’étais aussi libre d’avoir mes propres convictions. Je n’allais pas accepter d’être la simple image de la femme française typique, représentative d’un secteur social ; de sourire devant les caméras et les personnalités ; ou de servir d’ornement aux oeuvres de bénéfices. Avant tout, mon rôle devait consister en mon apport pour la construction d’une société juste.
J’ai eu mes critères et mes réflexions politiques, qui ont parfois fait choc avec celles de François...
J’ai eu mes critères et mes réflexions politiques, qui ont parfois fait choc avec celles de François. Si le gouvernement n’allait pas sur une bonne voie, je me devais de le dire, de le critiquer. Je sais que ce n’est pas le rôle d’une « première dame », car normalement elles ne sont qu’un instrument du pouvoir. Chaque fois que les autres ont voulu s’opposer à mes tâches militantes pour des « raisons d’État », pour n’être pas « diplomatiquement correctes », François m’a soutenue car il voyait qu’elles étaient justes. Il ne pouvait essayer de m’empêcher de faire ce qu’il disait défendre.
HCO : Mme. Mitterrand, vous avez fondé « France-Libertés », qui s’est distinguée par son engagement politique, social et humanitaire…
DM : Je l’ai fondée non pas dans l’intention d’en faire un contre-pouvoir, ni pour qu’elle serve au pouvoir. Je voulais prendre mes propres initiatives de solidarité politique, indépendantes des desseins du pouvoir, même si je m’attendais qu’avec le gouvernement socialiste nous aurions des objectifs proches. Mais je me suis vite rendu compte que ce ne serait pas facile. Est arrivé le moment où « France-Libertés » voulait aider des populations opprimées, mais le gouvernement socialiste français soutenait d’une manière ou d’une autre leurs bourreaux. Rapidement j’ai dû me poser la question : Jusqu’où peut-on aller sans provoquer d’ « incidents diplomatiques » ?
Dans l’Association s’est présenté pour nous un questionnement qui ne m’a pas du tout plu : sa présidente, épouse du président de la République, devait-elle respecter la sacro-sainte loi de non-ingérence dans les affaires de l’État, et se priver ainsi de son droit à la solidarité politique et humanitaire, pour ne pas aller à contre-courant ? J’ai continué avec mon projet car je le croyais juste. Alors, même de vieux amis personnels et de lutte ont commencé à m’isoler. Tout le pouvoir et le poids de la diplomatie française ont tenté de m’écraser, usant de tout pour « réparer » mes actions et mes expressions politiques publiques.
J’ai constaté que je ne pouvais pas exercer ma fonction de manière exemplaire si je ne servais pas le marché, le capitalisme. Que mon devoir n’était pas de me préoccuper des torturés ni des affamés. Que si ceux qui étaient écrasés réclamaient l’éducation, la santé ou du travail, je devais tourner la tête de l’autre côté. J’étais la « première dame » et je devais aider, avec mes sourires dans les cocktails, à ce que les intérêts commerciaux de la France progressent.
Quand j’écoutais au cours de mes visites aux ambassades les discours du « commercialement correct », où le tout-puissant marché était ce qu’il y avait de fondamental avant la solidarité entre les peuples, cela me donnait l’envie de partir en courant. Je ne pouvais croire que les « bulldozers » du marché pourraient arriver à recouvrir jusqu’aux fondements mêmes de notre culture. Et ils l’ont fait.
Pourquoi un gouvernement qui se disait de gauche ne pouvait-il pas répondre aux attentes qu’il avait créées durant tant d’années dans l’opposition, tant au niveau national qu’international ? Devait-on accepter les impératifs d’un système mercantile jusqu’à la soumission ?
Blog de Jean Lévy sur l'actualité politique au jour le jour
Extrait d’un entretien avec Danielle Mitterrand,
Présidente de “France libertés” (28 octobre 2005)
Hernando Calvo Ospina est un journaliste colombien réfugié en France et collaborateur, entre autres, du Monde Diplomatique.
Sa présence dans un avion régulier d’Air-France en avril 2009 effraya à ce point les USA qu’ils lui interdirent le survol de leur territoire et exigèrent son déroutage. Voir : legrandsoir
Hernando Calvo Ospina a bien voulu nous confier le texte d’un entretien qu’il a eu avec Danielle Mitterrand. Qu’il en soit remercié.
Ce qui suit est un extrait de l’entrevue à Mme. Danielle Mitterrand, veuve de l’ex-président français Franço05s Mitterrand, et présidente de l’association « France-Libertés ». A sa lecture il est facile de comprendre pourquoi, et ce depuis plusieurs années, les médias politiques et d’informations dans leur grande majorité ont essayé de l’ignorer.
vendredi 28 octobre 2005 – Entretien réalisé par Hernando Calvo Ospina.
Hernando Calvo Ospina : Mme. Mitterrand, qu’a signifié pour vous l’arrivée au gouvernement de votre époux François ? Est-ce que les idéaux sociaux et politiques qu’il portait dès sa jeunesse ont été reconnus en ces moments-là ?
Danielle Mitterrand : Mai 1981 fut un mois de grande activité, car c’était la préparation de l’arrivée au pouvoir de François. J’essayais d’apporter tout ce qu’il y a de meilleur en moi, pour que ces rêves d’avoir une société socialiste, quoique à l’européenne, deviennent réalité. Mais bien vite j’ai commencé à voir que cette France juste et équitable ne pouvait pas s’établir. Alors je lui demandais à François : Pourquoi maintenant que tu en as le pouvoir ne fais-tu pas ce que tu avais offert ? Il m’a répondu : “Je n’ai pas le pouvoir d’affronter la Banque mondiale, le capitalisme, le néolibéralisme…. J’ai gagné un gouvernement mais je n’ai pas le pouvoir !”
J’appris ainsi que d’être le gouvernement, être président, ne sert pas à grand-chose dans ces sociétés sujettes, soumises au capitalisme. J’ai vécu l’expérience directement durant 14 ans. Même s’il essayait d’éviter le côté le plus négatif du capitalisme, les rêves ont commencé à se briser très rapidement.
HCO : Vous n’avez pas assumé le rôle de « première dame » comme l’« exige » la tradition protocolaire. Était-ce un simple caprice ? Ou à cause de convictions politiques ?
DM : Je n’ai pas voulu être une « première dame » comme toutes les autres, et en conséquence j’ai refusé le protocole qu’on a voulu m’imposer. J’étais l’épouse du chef de l’État, d’un homme que j’aimais, mais j’étais aussi libre d’avoir mes propres convictions. Je n’allais pas accepter d’être la simple image de la femme française typique, représentative d’un secteur social ; de sourire devant les caméras et les personnalités ; ou de servir d’ornement aux oeuvres de bénéfices. Avant tout, mon rôle devait consister en mon apport pour la construction d’une société juste.
J’ai eu mes critères et mes réflexions politiques, qui ont parfois fait choc avec celles de François...
J’ai eu mes critères et mes réflexions politiques, qui ont parfois fait choc avec celles de François. Si le gouvernement n’allait pas sur une bonne voie, je me devais de le dire, de le critiquer. Je sais que ce n’est pas le rôle d’une « première dame », car normalement elles ne sont qu’un instrument du pouvoir. Chaque fois que les autres ont voulu s’opposer à mes tâches militantes pour des « raisons d’État », pour n’être pas « diplomatiquement correctes », François m’a soutenue car il voyait qu’elles étaient justes. Il ne pouvait essayer de m’empêcher de faire ce qu’il disait défendre.
HCO : Mme. Mitterrand, vous avez fondé « France-Libertés », qui s’est distinguée par son engagement politique, social et humanitaire…
DM : Je l’ai fondée non pas dans l’intention d’en faire un contre-pouvoir, ni pour qu’elle serve au pouvoir. Je voulais prendre mes propres initiatives de solidarité politique, indépendantes des desseins du pouvoir, même si je m’attendais qu’avec le gouvernement socialiste nous aurions des objectifs proches. Mais je me suis vite rendu compte que ce ne serait pas facile. Est arrivé le moment où « France-Libertés » voulait aider des populations opprimées, mais le gouvernement socialiste français soutenait d’une manière ou d’une autre leurs bourreaux. Rapidement j’ai dû me poser la question : Jusqu’où peut-on aller sans provoquer d’ « incidents diplomatiques » ?
Dans l’Association s’est présenté pour nous un questionnement qui ne m’a pas du tout plu : sa présidente, épouse du président de la République, devait-elle respecter la sacro-sainte loi de non-ingérence dans les affaires de l’État, et se priver ainsi de son droit à la solidarité politique et humanitaire, pour ne pas aller à contre-courant ? J’ai continué avec mon projet car je le croyais juste. Alors, même de vieux amis personnels et de lutte ont commencé à m’isoler. Tout le pouvoir et le poids de la diplomatie française ont tenté de m’écraser, usant de tout pour « réparer » mes actions et mes expressions politiques publiques.
J’ai constaté que je ne pouvais pas exercer ma fonction de manière exemplaire si je ne servais pas le marché, le capitalisme. Que mon devoir n’était pas de me préoccuper des torturés ni des affamés. Que si ceux qui étaient écrasés réclamaient l’éducation, la santé ou du travail, je devais tourner la tête de l’autre côté. J’étais la « première dame » et je devais aider, avec mes sourires dans les cocktails, à ce que les intérêts commerciaux de la France progressent.
Quand j’écoutais au cours de mes visites aux ambassades les discours du « commercialement correct », où le tout-puissant marché était ce qu’il y avait de fondamental avant la solidarité entre les peuples, cela me donnait l’envie de partir en courant. Je ne pouvais croire que les « bulldozers » du marché pourraient arriver à recouvrir jusqu’aux fondements mêmes de notre culture. Et ils l’ont fait.
Pourquoi un gouvernement qui se disait de gauche ne pouvait-il pas répondre aux attentes qu’il avait créées durant tant d’années dans l’opposition, tant au niveau national qu’international ? Devait-on accepter les impératifs d’un système mercantile jusqu’à la soumission ?
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