Vice-président de la société internationale Agrofertrans, Lamine Chouiter est persuadé que l’Algérie peut devenir un pays exportateur d’engrais phosphaté dans un proche avenir. Selon ce spécialiste du négoce international des minerais et des engrais, les autorités algériennes ont finalement compris la nécessité de développer le secteur de l’industrie du phosphate. Mais la situation est urgente et le ministère de l’Industrie et des mines doit agir vite.
Lamine Chouiter tient pour responsable les cadres de Ferphos de l'ensemble des échecs du secteur du phosphate. Photo: Impact24
Entretien réalisé par Tarek Hafid
Il y a quelques années, vous tiriez la sonnette d’alarme à propos de l’enlisement du secteur du phosphate algérien. La situation a-t-elle changé depuis ?
Les choses sont en train de bouger lentement. L’action la plus importante a été la dissolution de Ferphos. Cette entreprise était le facteur bloquant du développement de la filière du phosphate, notamment du projet de transformation des engrais phosphatés. Je dirai même que cette dissolution aurait dû intervenir depuis longtemps.
Les autorités ont donc confié cette filière au groupe public Manal et à Asmidal. Cette dernière, malgré les moyens limités dont elle dispose, est une société dont le staff managérial est respecté sur le plan international.
Il faut reconnaître que ce changement, et ceux à venir, sont à mettre sur le compte du ministre de l’Industrie et des mines qui s’est impliqué personnellement dans la gestion de ce secteur. Ce n’est pas pour lui jeter des fleurs, mais j’estime qu’Abdesslam Bouchouareb est le seul ministre à avoir compris l’importance et les potentialités du secteur des mines, surtout de l’industrie des engrais phosphatés. Les échos que j’ai perçus d’opérateurs étrangers indiquent qu’il a reçu de nombreux experts et qu’il a une idée très précise des objectifs et de la voie à suivre.
Pour répondre à votre question, oui la situation commence à changer puisque la volonté politique est aujourd’hui perceptible.
Vous évoquez la volonté politique de développer la filière de transformation du phosphate, mais qu’en est-il de l’exportation du phosphate brut qui est depuis longtemps le monopole de quelques opérateurs étrangers ?
Pour le moment rien n’a changé. J’ai cependant appris que les cadres de Manal s’attellent à mettre de l’ordre dans les activités d’exportations gérées par Ferphos. La politique appliquée par le passé à fait perdre énormément de clients à l’Algérie. D’ailleurs, cette année, les quantités de phosphate brut exportées sont très en deçà des quantités enregistrées durant la même période des deux années précédentes.
Et encore une fois, on ne peut que constater l’échec de la stratégie imposée par les dirigeants de Ferphos. Certains spécialistes se trompent en disant que Ferphos avait une renommée mondiale. Dans le monde, la seule chose qui soit reconnue c’est la qualité du phosphate algérien et non pas les cadres qui avaient la responsabilité de gérer cette ressource naturelle.
Je pense que les choses vont rentrer dans l’ordre progressivement. A ce titre, on annonce un retour des traders polonais qui s’apprêtent à acheter une grande quantité de phosphate algérien.
Pour revenir à la problématique de la transformation du phosphate en engrais, l’Etat a-t-il réussi à trouver un partenaire après le départ du qatari QPI ?
Il est nécessaire de rappeler une réalité : en termes de production, l’Algérie ne pèse rien sur le marché mondial. Nous ne produisons qu’un million de tonnes par an malgré les réserves et les potentialités dont nous disposons. C’est très peu.
Si nous souhaitons passer à la phase de transformation, nous devront nécessairement développer nos capacités de productions. Celles-ci doivent atteindre les 5 millions de tonnes par an. D’où l’obligation de lancer très rapidement la nouvelle mine de Bled El Hedba. Mais ce projet n’a pas été lancé et il reste aujourd’hui encore au stade d’étude.
Concrètement, quelles ont été les causes de l’échec des différents projets de production de fertilisants phosphatés ?
C’était avant tout le manque de volonté politique. Le développement de cette filière exige l’engagement plein et entier des pouvoirs publics. Ensuite, au risque de me répéter, il y a la bureaucratie et les obstacles imposés par les dirigeants de Ferphos.
En l’espace de 20 ans, l’Algérie a lancé une série de projets avec différents partenaire pour créer un complexe de production d’acide phosphorique. Entre 1997 et 2001 il y a eu le partenariat avec l’espagnol Fertibéria à Marmoutia, au sud de Bir-el-Ater. Ce projet a été un échec.
Puis de 2003 à 2010 il y a eu l’usine de Bellara et celle de Bouchegouf avec le pakistanais Ingro. Double échec. En parallèle des négociations avaient été lancées avec le géant indien IFFCO. Confrontés au manque d’engagement des responsables algériens, les dirigeants d’IFFCO ont finalement investi au Maroc dans 8 unités de phosphate de diammonium (engrais DAP) avec l’Office chérifien des phosphates (OCP). Le groupe indien s’est également installé au Sénégal où il a investi dans deux unités d’acide phosphorique tout en obtenant la gestion de la mine de Taïba.
Ensuite, de 2012 à 2015, Ferphos a été la cause d’un autre échec avec les Qataris de QPI qui ont fini par se retirer. Ces revers à répétition ont porté préjudice à l’image de l’Algérie et ont démontré l’incapacité des responsables en charge du secteur des mines à respecter les engagements pris avec les partenaires étrangers. Les pertes financières et le manque à gagner sont incommensurables.
Revenons sur le partenariat avec QPI, qui était présenté comme étant le plus prometteur. Qu’est-ce qui a fait fuir les Qataris ?
Tout simplement car la partie algérienne, essentiellement Ferphos, n’avait pas rempli les engagements définis dans le contrat de partenariat. Ferphos devait réaliser un certain nombre d’études et remettre des analyses sur la qualité du phosphate avant la signature du contrat de constitution de la joint-venture. Rien n’a été fait.
Pour ne pas porter la responsabilité de cet échec, les managers de cette entreprise ont tout collé sur le dos du partenaire qatari. Ils ont tenté de justifier le retrait d’Algérie par une opération de restructuration de QPI. Un argument fallacieux puisque QPI a maintenu ses projets à l’international, notamment à Sra Ouertane en Tunisie.
Ensuite, ils ont dit que le projet ne s’était pas réalisé à cause du désengagement du norvégien Yara, présenté comme partenaire de QPI en Algérie. C’est totalement faux car Yara n’a jamais eu l’intention d’investir dans les engrais phosphatés puisqu’il est spécialiste en engrais azoté. Autre chose, durant cette période Yara avait gelé son programme d’investissement à cause des scandales de corruption des usines d’urée en Libye et en Inde.
Les autorités ont engagé une nouvelle phase de sélection d’un partenaire pour la réalisation d’un complexe de production d’engrais phosphatés. Qui pourrait remporter ce projet et a-t-il des chances d’aboutir ?
Le partenaire devrait être connu dans les prochains jours. Cependant, il semble que l’implication du ministre de l’Industrie dans la promotion de ce projet a eu pour effet de rassurer les partenaires internationaux. Malheureusement, nous faisons face à un déficit de confiance envers les entreprises algériennes. Et cela est d’autant plus vrai dans le secteur des mines.
Si l’Algérie parvient à lancer ce complexe d’engrais phosphaté, pourra-t-elle se faire une place parmi les principaux pays producteur ?
Bien entendu ! A condition que le projet soit réalisé dans les temps. L’Algérie peut devenir un acteur clé du marché mondial du phosphate en l’espace de trois ans. Nous avons l’avantage d’avoir d’importantes réserves de minerai, une énergie disponible et relativement bon marché ainsi qu’une position géographique stratégique. Les engrais phosphatés peuvent rapidement être le deuxième revenu en devises après les hydrocarbures.
De telles perspectives semblent gêner les producteurs de la région…
Je dirai même que c’est la panique. Certains investisseurs ont même été menacés dans leurs intérêts par des pays voisins. Ils subissent de grandes pressions pour éviter qu’ils n’investissent en Algérie. Les enjeux sont colossaux pour ces entreprises car si elles s’engagent ouvertement en Algérie et que le projet capote une nouvelle fois, elles subiront de lourdes conséquences à l’international.
Je peux vous dire que c’est la première fois que nos voisins prennent au sérieux la volonté des autorités algériennes à créer une véritable industrie de transformation des phosphates. Nous n’avons pas le droit de rater cette occasion.
T.H.
Lamine Chouiter tient pour responsable les cadres de Ferphos de l'ensemble des échecs du secteur du phosphate. Photo: Impact24
Entretien réalisé par Tarek Hafid
Il y a quelques années, vous tiriez la sonnette d’alarme à propos de l’enlisement du secteur du phosphate algérien. La situation a-t-elle changé depuis ?
Les choses sont en train de bouger lentement. L’action la plus importante a été la dissolution de Ferphos. Cette entreprise était le facteur bloquant du développement de la filière du phosphate, notamment du projet de transformation des engrais phosphatés. Je dirai même que cette dissolution aurait dû intervenir depuis longtemps.
Les autorités ont donc confié cette filière au groupe public Manal et à Asmidal. Cette dernière, malgré les moyens limités dont elle dispose, est une société dont le staff managérial est respecté sur le plan international.
Il faut reconnaître que ce changement, et ceux à venir, sont à mettre sur le compte du ministre de l’Industrie et des mines qui s’est impliqué personnellement dans la gestion de ce secteur. Ce n’est pas pour lui jeter des fleurs, mais j’estime qu’Abdesslam Bouchouareb est le seul ministre à avoir compris l’importance et les potentialités du secteur des mines, surtout de l’industrie des engrais phosphatés. Les échos que j’ai perçus d’opérateurs étrangers indiquent qu’il a reçu de nombreux experts et qu’il a une idée très précise des objectifs et de la voie à suivre.
Pour répondre à votre question, oui la situation commence à changer puisque la volonté politique est aujourd’hui perceptible.
Vous évoquez la volonté politique de développer la filière de transformation du phosphate, mais qu’en est-il de l’exportation du phosphate brut qui est depuis longtemps le monopole de quelques opérateurs étrangers ?
Pour le moment rien n’a changé. J’ai cependant appris que les cadres de Manal s’attellent à mettre de l’ordre dans les activités d’exportations gérées par Ferphos. La politique appliquée par le passé à fait perdre énormément de clients à l’Algérie. D’ailleurs, cette année, les quantités de phosphate brut exportées sont très en deçà des quantités enregistrées durant la même période des deux années précédentes.
Et encore une fois, on ne peut que constater l’échec de la stratégie imposée par les dirigeants de Ferphos. Certains spécialistes se trompent en disant que Ferphos avait une renommée mondiale. Dans le monde, la seule chose qui soit reconnue c’est la qualité du phosphate algérien et non pas les cadres qui avaient la responsabilité de gérer cette ressource naturelle.
Je pense que les choses vont rentrer dans l’ordre progressivement. A ce titre, on annonce un retour des traders polonais qui s’apprêtent à acheter une grande quantité de phosphate algérien.
Pour revenir à la problématique de la transformation du phosphate en engrais, l’Etat a-t-il réussi à trouver un partenaire après le départ du qatari QPI ?
Il est nécessaire de rappeler une réalité : en termes de production, l’Algérie ne pèse rien sur le marché mondial. Nous ne produisons qu’un million de tonnes par an malgré les réserves et les potentialités dont nous disposons. C’est très peu.
Si nous souhaitons passer à la phase de transformation, nous devront nécessairement développer nos capacités de productions. Celles-ci doivent atteindre les 5 millions de tonnes par an. D’où l’obligation de lancer très rapidement la nouvelle mine de Bled El Hedba. Mais ce projet n’a pas été lancé et il reste aujourd’hui encore au stade d’étude.
Concrètement, quelles ont été les causes de l’échec des différents projets de production de fertilisants phosphatés ?
C’était avant tout le manque de volonté politique. Le développement de cette filière exige l’engagement plein et entier des pouvoirs publics. Ensuite, au risque de me répéter, il y a la bureaucratie et les obstacles imposés par les dirigeants de Ferphos.
En l’espace de 20 ans, l’Algérie a lancé une série de projets avec différents partenaire pour créer un complexe de production d’acide phosphorique. Entre 1997 et 2001 il y a eu le partenariat avec l’espagnol Fertibéria à Marmoutia, au sud de Bir-el-Ater. Ce projet a été un échec.
Puis de 2003 à 2010 il y a eu l’usine de Bellara et celle de Bouchegouf avec le pakistanais Ingro. Double échec. En parallèle des négociations avaient été lancées avec le géant indien IFFCO. Confrontés au manque d’engagement des responsables algériens, les dirigeants d’IFFCO ont finalement investi au Maroc dans 8 unités de phosphate de diammonium (engrais DAP) avec l’Office chérifien des phosphates (OCP). Le groupe indien s’est également installé au Sénégal où il a investi dans deux unités d’acide phosphorique tout en obtenant la gestion de la mine de Taïba.
Ensuite, de 2012 à 2015, Ferphos a été la cause d’un autre échec avec les Qataris de QPI qui ont fini par se retirer. Ces revers à répétition ont porté préjudice à l’image de l’Algérie et ont démontré l’incapacité des responsables en charge du secteur des mines à respecter les engagements pris avec les partenaires étrangers. Les pertes financières et le manque à gagner sont incommensurables.
Revenons sur le partenariat avec QPI, qui était présenté comme étant le plus prometteur. Qu’est-ce qui a fait fuir les Qataris ?
Tout simplement car la partie algérienne, essentiellement Ferphos, n’avait pas rempli les engagements définis dans le contrat de partenariat. Ferphos devait réaliser un certain nombre d’études et remettre des analyses sur la qualité du phosphate avant la signature du contrat de constitution de la joint-venture. Rien n’a été fait.
Pour ne pas porter la responsabilité de cet échec, les managers de cette entreprise ont tout collé sur le dos du partenaire qatari. Ils ont tenté de justifier le retrait d’Algérie par une opération de restructuration de QPI. Un argument fallacieux puisque QPI a maintenu ses projets à l’international, notamment à Sra Ouertane en Tunisie.
Ensuite, ils ont dit que le projet ne s’était pas réalisé à cause du désengagement du norvégien Yara, présenté comme partenaire de QPI en Algérie. C’est totalement faux car Yara n’a jamais eu l’intention d’investir dans les engrais phosphatés puisqu’il est spécialiste en engrais azoté. Autre chose, durant cette période Yara avait gelé son programme d’investissement à cause des scandales de corruption des usines d’urée en Libye et en Inde.
Les autorités ont engagé une nouvelle phase de sélection d’un partenaire pour la réalisation d’un complexe de production d’engrais phosphatés. Qui pourrait remporter ce projet et a-t-il des chances d’aboutir ?
Le partenaire devrait être connu dans les prochains jours. Cependant, il semble que l’implication du ministre de l’Industrie dans la promotion de ce projet a eu pour effet de rassurer les partenaires internationaux. Malheureusement, nous faisons face à un déficit de confiance envers les entreprises algériennes. Et cela est d’autant plus vrai dans le secteur des mines.
Si l’Algérie parvient à lancer ce complexe d’engrais phosphaté, pourra-t-elle se faire une place parmi les principaux pays producteur ?
Bien entendu ! A condition que le projet soit réalisé dans les temps. L’Algérie peut devenir un acteur clé du marché mondial du phosphate en l’espace de trois ans. Nous avons l’avantage d’avoir d’importantes réserves de minerai, une énergie disponible et relativement bon marché ainsi qu’une position géographique stratégique. Les engrais phosphatés peuvent rapidement être le deuxième revenu en devises après les hydrocarbures.
De telles perspectives semblent gêner les producteurs de la région…
Je dirai même que c’est la panique. Certains investisseurs ont même été menacés dans leurs intérêts par des pays voisins. Ils subissent de grandes pressions pour éviter qu’ils n’investissent en Algérie. Les enjeux sont colossaux pour ces entreprises car si elles s’engagent ouvertement en Algérie et que le projet capote une nouvelle fois, elles subiront de lourdes conséquences à l’international.
Je peux vous dire que c’est la première fois que nos voisins prennent au sérieux la volonté des autorités algériennes à créer une véritable industrie de transformation des phosphates. Nous n’avons pas le droit de rater cette occasion.
T.H.
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