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Turquie la soirée bascule à istanbul

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    ISTANBUL — Sur la rive européenne, des Turcs de tous âges, de tous les milieux sociaux remontent Istiklal, la plus belle avenue de la ville, agitant le drapeau rouge et blanc de la république presque centenaire. Des vieux, des jeunes, des femmes marchent en scandant « Erdogan est notre chef ! La Turquie est pour Erdogan ! » Plus loin, des coups de feu tentent de disperser la foule. Sans succès : ces gens sont prêts à prendre une balle pour le président.

    Plus tôt dans la soirée, dans les rues animées du quartier de Péra, haut lieu de la vie nocturne à Istanbul, les noceurs attablés aux terrasses des bars branchés baissent le nez sur leur téléphone. Il est 22 h 30, l’alerte est donnée, les nouvelles se propagent sur Twitter au rythme de la mitraillette. L’armée serait déployée sur les deux principaux ponts de la ville. À Ankara, le parlement est bouclé. Il se passe quelque chose. Mais à cette heure, on ne sait pas encore s’il s’agit de terrorisme.

    Petit à petit, il se murmure ici et là que ce serait un coup d’État. À la fois impensable et tellement prévisible. Cette couche de la société qui sort boire des verres le week-end, généralement éduquée et cosmopolite, est plutôt du côté des opposants au pouvoir actuel. À l’éventualité d’un renversement de celui qui verrouille le pays depuis maintenant trois ans, les jeunes Stambouliotes des terrasses sont incrédules. Recep Tayyip Erdogan, qui semble régner sans conteste, est aussi celui dont la diplomatie isolationniste, et les velléités à gouverner seul, froissent un État profond qui s’estime garant de l’intégrité de la Turquie.

    Malgré le bruit des hélicoptères de combat qui tournoient dans le ciel d’Istanbul, la soirée se poursuit dans les ruelles autour d’Istiklal, l’artère centrale de la rive européenne. Les télés sont allumées sur les chaînes d’information, mais les restaurants sont pleins et les Turcs continuent de festoyer. Comme si dans ce pays, on avait tout vu, et que plus rien ne pouvait vraiment venir perturber le cours des choses. Seuls les quelques touristes présents dans les tavernes ont l’air inquiets et demandent aux serveurs s’ils doivent rentrer.

    MOUVEMENTS DE PANIQUE
    Alors que le premier ministre Binali Yildirim vient de s’exprimer à la télévision, confirmant que le gouvernement fait face à une tentative de coup d’État militaire, la situation se tend. Vers 23 h 30, des mouvements de panique font courir la foule hétéroclite de l’avenue Istiklal dans les rues adjacentes. Des cris, des filles qui se prennent les pieds dans les jupes, on semble fuir, poursuivi. Quelques personnes se réfugient dans les bars, qui tirent leurs rideaux de fer en un tour de main, expérimentées qu’elles sont face aux situations de crise depuis les protestations de Gezi en 2013. En quelques minutes, des militaires investissent la zone et demandent aux gens de rentrer chez eux : « La situation est sous contrôle ! » En fait, il est 23 h 30 et dans cette partie de la ville, la situation bascule.

    En quelques minutes, les rues se vident et les commerces ferment. Les hommes qui se trouvent encore sur les trottoirs regardent, l’air soucieux, vers la place Taksim, le centre névralgique de toutes les démonstrations de foule en Turquie. Le président Erdogan, jusqu’ici invisible, vient de faire une apparition à la télévision nationale via Facetime. Il appelle le peuple turc à sortir en masse dans la rue pour soutenir son pouvoir, « démocratiquement élu ». « C’est un peu pathétique de le voir parler sur un écran de smartphone », dit Mehmet, le veilleur de nuit d’un hôtel qui reste sur le pas de la porte, à écouter les bruits de la ville. « On aurait dit qu’il parlait de sa salle de bain ! »

    Et pourtant, le président s’adressant à ses concitoyens vient de réussir : il est 1 h 30 du matin et maintenant des foules de Stambouliotes se dirigent en cortège sur l’avenue Istiklal. Direction la place Taksim, là même où Erdogan réprimait les manifestations d’opposants en 2013, à coups de gaz lacrymogènes. Un groupe d’étudiants qui part en sens inverse s’arrête un instant pour observer : « C’est le Gezi des pro-AKP » – le Parti de la justice et du développement, le parti du président.

    La Presse
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