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Littérature et société, réflexions sur le roman francophone

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  • Littérature et société, réflexions sur le roman francophone

    Le numéro 190 de la revue Présence Africaine, qui vient de paraître, réunit dans un dossier passionnant une série d’articles consacrés à l’esthétique du réel dans le roman francophone contemporain. Limitant ses propos aux littératures africaine et antillaise, ce dossier explore le rapport étroit que la fiction francophone postcoloniale entretient avec « l’urgence sociale », tout en attirant l’attention sur l’inventivité de langage et de l’imagination qu’elle met en œuvre pour parvenir à « dire la vérité sur le monde et ses complexités ». Rencontre avec Romuald Fonkoua, rédacteur en chef de la revue.

    RFI: Vous venez de publier le numéro 190 de la revue qui fait une large place aux littératures francophones. Faut-il voir dans le dossier que vous consacrez à ces littératures une volonté de légitimer la francophonie littéraire aux dépens des littératures d’Afrique et de sa diaspora que Présence Africaine semblait défendre jusqu’ici ?

    Romuald Fonkoua: Légitimer, non ! La francophonie existe. Elle est, qu’on veuille ou non, l’une des dimensions de la littérature africaine. Les littératures francophones constituent un sous-champ de la production littéraire africaine, au même titre que l’anglophonie, la lusophonie ou la « swahiliphonie ».

    « Imaginaire et urgence sociale dans le roman francophone de la modernité », c’est le titre du dossier littéraire. Que recouvre ce titre ?

    C’était le titre d’un colloque sur la littérature francophone d’Afrique et des Antilles qui s’est tenu au Canada l’année dernière. Les articles réunis dans le dossier que nous publions proviennent de cette rencontre. Le dossier compte une quinzaine d’articles répartis entre trois aires littéraires francophones: l’Afrique sub-saharienne, l’Afrique du Nord et les Antilles. Certains articles portent sur des auteurs spécifiques, allant d’Henri Lopes à Patrick Chamoiseau en passant par Edouard Glissant, Sony Labou Tansi, Fatou Diome, Calixthe Beyala, Yves-Valentin Mudimbe et quelques autres auteurs de la deuxième ou de la troisième génération d’écrivains francophones. Le dossier compte aussi une deuxième série d’articles qui partent des thématiques propres à ces littératures telles que le personnage du héros littéraire, la modernité ou les littératures de la marge au Maroc. Le titre du dossier renvoie à la persistance du social dans la fiction francophone postcoloniale.


    C'est une sensibilité qui remonte aux débuts de la littérature africaine et antillaise.

    En effet, l’intérêt pour l’urgence sociale est une constante dans les littératures francophones. Il nous a semblé que les écrivains parlaient beaucoup mieux de la société contemporaine et de ses maux que tous les livres de sociologie contemporaine réunis, sans que pour autant les oeuvres littéraires soient des copies du réel. Les articles que nous publions portent précisément sur l’art de restituer ce réel à travers des écritures souvent très sophistiquées.

    Les écrivains africains et antillais ne racontent pas les maux de leurs sociétés respectives de la même manière. Qu’est-ce qui rapproche, par exemple, le Congolais Alain Mabanckou du Martiniquais Patrick Chamoiseau ? Et qu’est-ce qui les sépare ?

    Je dirais que ce qui les rapproche, c’est une certaine conscience de l’urgence à se saisir du réel social. Ils rappellent que l’anomie n’est pas la condition naturelle des sociétés humaines. Ce qui les différencie, c’est sans doute le degré de l’urgence sociale propre au lieu d’où ils écrivent. Plus généralement, il y a peut-être dans les œuvres africaines une intensité du rapport au réel qu’on ne trouve pas dans les œuvres antillaises. Pour revenir à Chamoiseau et Mabanckou, ce sont pour moi deux auteurs très proches, malgré leurs différences apparentes. Il faut se méfier d’effets immédiats de lecture. Il y a chez l’un, un semblant de légèreté, un semblant de profondeur chez l’autre.

    Vous dîtes bien « semblant » de profondeur ?

    Oui, je dis bien « semblant » car il y a autant de profondeur et de légèreté chez l’un comme chez l’autre. Tout dépend des sujets. Prenez, par exemple, le thème des inégalités de la société martiniquaise qui est un sujet grave pour Chamoiseau, alors que dans les œuvres de Mabanckou l’inégalité sociale est un sujet secondaire, traité avec plus de flegme. Là où les deux écrivains se rejoignent, c’est dans leur conception de la littérature. Pour Alain Mabanckou comme pour Patrick Chamoiseau, la littérature est avant tout un spectacle. Le spectacle peut être plus ou moins réussi, plus ou moins porteur de convictions idéologiques ou politiques, mais il n’en reste pas moins un spectacle destiné à un public. Cette dimension de littérature comme spectacle est nouvelle dans les champs littéraires francophones.

    Vous qui êtes un observateur aguerri des littératures africaines et antillaises, quels sont selon vous les autres éléments novateurs qui caractérisent la production littéraire francophone de ces dernières années ?

    Depuis les années 2000, j’ai l’impression que nous assistons à un changement majeur dans la production littéraire francophone, où les interrogations sont tournées davantage vers l'auteur lui-même et ses propres abîmes. L’urgence sociale n’est plus fondatrice de la littérature, c’est la question du « moi » qui l’est de plus en plus. Les Antillais ont été pionniers de cette nouvelle sensibilité qui a libéré les imaginaires des contingences politiques ou sociales. L’écrivain le plus emblématique de cette modernité littéraire est sans doute le Martiniquais Edouard Glissant dont l’œuvre n’est pas prisonnière du binôme conflictuel monde occidental/monde non-occidental et puise son miel ailleurs, notamment dans la pensée philosophique.

    Pour finir, un peu d'histoire littéraire. La revue Présence Africaine que vous dirigez a été à l’origine de la maison d’édition du même nom qui a publié Senghor, Césaire et autres grands auteurs du corpus africain et antillais. Pouvez-vous rappeler les circonstances du lancement de la revue ?

    Cette revue a été créée en 1947 par Alioune Diop, ancien sénateur socialiste du Sénégal à l'époque coloniale et membre de la SFIO. Il a siégé trois ans au Sénat avant de quitter ses fonctions, ayant perdu les élections. Cet homme qui était avant tout un intellectuel, s’est alors lancé dans une entreprise de promotion de la culture africaine. Il croyait que l’Afrique, qui était encore colonisée, pouvait se libérer par l’affirmation de sa culture. Le premier numéro de la revue est publié à Paris en novembre-décembre 1947, avec le soutien des intellectuels français prestigieux, tels qu’Albert Camus, Jean-Paul Sartre, André Gide, Théodore Monod, Georges Balandier ou Michel Leiris.

    L’année prochaine, la revue fêtera ses 70 ans d’existence, mais elle reste une publication spécialisée, s’adressant avant tout à une élite culturelle et universitaire. En prenant la direction de la revue en 2000, n’avez-vous pas été tenté de la réorienter vers un format grand public ?

    Non, pas du tout. Le comité de rédaction que je dirige a estimé au contraire qu’il ne fallait pas se départir de la tradition de spécialisation qui a fait la notoriété de Présence Africaine. L’élite culturelle qui constitue notre public s’est élargie au cours des années et elle trouve son compte dans la diversité des sujets que la revue traite, avec gravité et pondération qui sont nos marques de fabrique. En fait, le problème n’est pas le public, mais l’expansion du monde noir qui est le vivier dans lequel nous puisons nos sujets. Aujourd’hui, la diversification des lieux de production des intellectuels africains fait que la revue doit courir après les intellectuels, ce qui n’était pas le cas au moment où la revue est née.

    RFI
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