LE MONDE | 23.07.2016 à 10h57 • Mis à jour le 23.07.2016 à 14h12 | Par Louise Couvelaire (Nice - envoyée spéciale)
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Promenade des Anglais, à Nice, le 21 juillet.
Les petits vieux sont là, ils ont repris leur place sur les chaises bleues, face à la baie des Anges. Les amoureux déambulent main dans la main, les marchands de bonbons sont revenus, de même que les filles en bikini, les touristes, les enfants et les poussettes, les joggeurs et les amateurs de rollers. Huit jours après l’attentat du 14 juillet, qui a fait 84 morts et 330 blessés, la promenade des Anglais a retrouvé ses allures estivales.
Les quatre policiers qui arpentent la Prom’, comme on l’appelle ici, sont formels : « Rien à signaler. C’est comme d’habitude. » Les pierres et les ordures qui avaient été amoncelées là où Mohamed Lahouaiej Bouhlel, l’auteur de l’attentat, est mort ont disparu. Restent les fleurs, les bougies, les petits mots et les peluches déposés en mémoire des victimes et regroupés lundi 18 juillet autour et en face du kiosque à musique du jardin Albert-Ier.
Lire aussi : Sécurité à Nice : les questions en suspens après l’attentat du 14 juillet
A quelques encablures, le Vieux Nice renoue lui aussi avec ses habitudes. La soirée salsa du mercredi, place du Palais, a attiré plusieurs dizaines d’aficionados et les terrasses des restaurants sont bondées. En apparence, la vie reprend ses droits. En coulisses, l’image se ternit. « Depuis l’attentat, l’un de mes livreurs est terrifié de faire sa tournée habituelle, raconte Dominique Le Stanc, 57 ans, le patron du restaurant La Merenda, une institution du quartier. Il est arabe et il conduit un camion… » Regards noirs et insultes, désormais il baisse les yeux et ne s’attarde pas. Il n’est pas le seul. Les Niçois d’origine maghrébine, eux, ne sont pas là. Ni sur la Prom’ ni dans le Vieux Nice.
« La montée de la haine envers les musulmans est terrifiante »
Sandra, médecin et niçoise d’adoption depuis six ans, a la voix qui tremble et les mots qui se bousculent : « Ce qui est en train d’arriver, là, maintenant, après l’attentat, est d’une violence inédite, se désole-t-elle. La montée de la haine envers les musulmans est terrifiante. » Pour la première fois, elle entend des « horreurs », notamment de l’une de ses meilleures amies : « Si j’en croise une avec un foulard, je la plombe, qu’elle rentre chez elle. »
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La coulée verte, promenade du Paillon, à Nice, jeudi 21 juillet.
La coulée verte, promenade du Paillon, à Nice, jeudi 21 juillet. Laurent Carre pour le Monde
Sandra et son mari habitent un appartement avec vue sur la promenade du Paillon, une coulée verte inaugurée fin 2013, et le constat qu’elle fait depuis une semaine la tétanise : « Habituellement, en fin de journée, on voit beaucoup d’Arabes avec leurs enfants. Je n’en vois plus. Et moi-même, je ne veux plus y aller. J’ai honte qu’ils soient si mal traités, si mal regardés. Ils se font insulter et n’osent rien dire, c’est affreux. » Jeudi 21 juillet, une poignée de mères voilées se sont risquées pour la première fois depuis le 14 juillet sur la coulée verte. Wassila, 50 ans, a entendu un retraité siffler entre ses dents : « Elle est encore là celle-là ! », tandis que Samia, la trentaine, a noté que les vieilles dames qui avaient l’habitude de jouer avec ses enfants ne se sont, cette fois, pas approchées.
« Ce tragique événement a complètement libéré la parole des Niçois qui se disent de souche, analyse Teresa Maffeis, de l’Association pour la démocratie à Nice (ADN), militante des causes humanitaires (Roms, réfugiés…). Je suis très inquiète. » Un sentiment que le conseiller municipal d’opposition PS Patrick Allemand partage : « Jusqu’à présent, la cohabitation entre les communautés n’était pas chaleureuse mais elle se passait sans heurts majeurs. Là, les tensions vis-à-vis de la population musulmane sont évidentes et prennent de l’ampleur. »
« Il faut les renvoyer chez eux »
Dans le quartier bourgeois des Musiciens, chemisette à rayures multicolore et chaîne en or, Jean-Claude Millo, 56 ans, « 100 % Niçois », souligne-t-il, témoigne sans hésitation à visage découvert : « Il faut les renvoyer chez eux, au moins les fiches “S”, qu’ils partent. Regardez le boulevard Jean-Médecin, tout a changé, c’est fini, on est plus chez nous… » Même rengaine décomplexée un peu plus au Nord, dans le quartier populaire du Rouret. Jean-Louis, qui lui n’a pas souhaité donner son nom mais se présente comme « Niçois de souche », feutre usé sur ses longs cheveux gris et grande croix autour cou : « Les musulmans, c’est tout sauf de bons éléments de la société, c’est tous de la ******rie. »
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Avenue Auber, dans le quartier des musiciens, à Nice, le 21 juillet.
Nice, la perle de la French Riviera prisée des touristes étrangers et des retraités, la ville où le FN a fait plus de 36 % au second tour des élections régionales en décembre 2015, la cité des vieux-blancs-réac-fachos-mafieux ? « Ce sont des clichés, souligne Hervé Barelli, historien de la ville et conseiller du maire Les Républicains. Nice est bien plus complexe. Mais il est vrai que c’est également une ville méditerranéenne et le peuple d’ici est un peuple violent. On ne le montre pas pour ne pas écorner la carte postale et ne pas perdre nos sous, mais c’est Nice qui a donné naissance à Garibaldi, qui faisait de la politique avec ses poings. »
Lire aussi : A Nice, l’ultra-sécuritaire Estrosi et l’effet boomerang
Mais c’est aussi Nice la cosmopolite, qui s’est employée à faire tomber certaines barrières : la ligne 1 du tramway, en service depuis la fin de l’année 2007, et la promenade du Paillon ont permis aux habitants des quartiers périphériques de se rendre plus facilement dans le centre et sur la promenade des Anglais. « La mixité dans le centre avait progressé, reconnaît Razak Fetnan, ancien conseiller municipal PS et fondateur d’Alpes-Maritimes Diversité, une association de lutte contre les discriminations. Depuis le 14 juillet, elle vole en éclats. »
« La Prom’ pourtant, c’est chez moi »
Chaque jour depuis une semaine, Karim, 38 ans, attend, assis là, avec ses copains en maillots de foot, cafés et clopes posés sur une table de plastique blanc qui jouxte le magasin d’alimentation générale du petit centre commercial en plein air du Rouret, le quartier qu’ils habitent depuis leur enfance, au nord de Nice, et que désormais, ils ne quittent plus.
Chauffeur de poids lourd depuis quatorze ans dans Nice et sa région, Karim attend que son agence d’intérim le rappelle. « Un Arabe au volant d’un camion, ça fait peur à tout le monde maintenant », souffle-t-il, en listant les insultes : « Sale connard », « Il faut tous les éradiquer », « Retourne chez toi »… « Les Arabes tout court, ils n’en veulent pas, renchérit Malik, 41 ans. Il faut voir les regards noirs qu’on nous lance et les parents qui prennent leurs enfants par la main dès qu’ils nous voient. »
Inquiets, les deux hommes ont demandé à leurs mères, voilées, de ne plus se rendre au centre-ville. En vain. Eux n’y ont pas remis les pieds depuis le 14 juillet. « La Prom’ pourtant, c’est chez moi, dit Karim. Mais je n’ose pas, je me sens trop mal. » Et d’ajouter : « Avant, l’ambiance n’était pas tendre mais on ne souffrait pas. Moi, je suis musulman et j’ai la même adresse et le même métier que l’autre con. »
« L’autre con », c’est Mohamed Lahouaiej Bouhlel. Karim et ses copains l’appelleront aussi « le dingue », « la honte de l’islam » ou encore « le diable » qui a été leur voisin et dont l’ex-femme et les trois enfants l’étaient encore il y a quelques jours, jusqu’à ce qu’ils soient exfiltrés par leur avocat. Tous connaissaient le tueur, un homme « sec et parano, il ne venait jamais boire un coup ici avec nous, on n’a jamais réussi à sympathiser avec lui », dit Malik. « Nous, nous sommes français, nous sommes nés ici et nous avons la mentalité française, insiste Karim. Lui, non. »
« Bien fait pour vous! »
Jeudi après-midi, à la mosquée En-Nour – surnommée la mosquée de la discorde, qui a ouvert ses portes le 8 juillet –, Feiza Ben Mohamed, porte-parole de la Fédération des musulmans du Sud, 30 ans, n’arrive pas à sécher ses larmes. A la sortie des trois cercueils, trois femmes mortes sous les roues du camion de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, elle craque. Et n’arrive pas oublier ce qu’elle a entendu ce soir-là du 14 juillet, alors qu’elle veillait le corps gisant de la mère de l’un de ses amis : « Bien fait pour vous ! » ont crié certains passants. « Les gens reculaient en nous voyant et nous demandaient de nous excuser, poursuit-elle, les yeux mouillés. Les gens sont tous devenus fous. Ils veulent un bouc émissaire et c’est nous. » La communauté a pourtant payé un lourd tribu – un tiers des victimes. « On doit s’excuser de quoi ? », poursuit-elle.
« Des islamistes, il y en a chez nous, lance un vieil homme d’origine marocaine du quartier populaire de l’Ariane. Des djihadistes partis en Syrie, il y en a eu de chez nous. Et pas mal. Tout ça, oui. Mais cela n’a rien à voir avec nous. » Solenne, vendeuse dans une boulangerie du centre, elle, s’étonne de n’avoir pas été contrôlé le 14 juillet. A 21 ans, la jeune femme, convertie à l’islam à 15 ans, porte un jilbab bleu. « Mais bien sûr que j’aurai dû l’être, insiste-t-elle. Moi avec ma tenue, mon mari avec sa barbe. Je suis choquée de ne pas l’avoir été. »
Et elle n’est pas la seule. Comme elle, ils sont nombreux à vouloir être plus contrôlés et
à voir une plus forte présence policière dans leur ville. Mariée depuis deux mois à Haiken, elle ne sort plus dans la rue sans lui. Et lui, qui voulait se recueillir sur la promenade des Anglais, il y a renoncé. « J’ai eu peur d’y aller », avoue-t-il.
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Promenade des Anglais, à Nice, le 21 juillet.
Les petits vieux sont là, ils ont repris leur place sur les chaises bleues, face à la baie des Anges. Les amoureux déambulent main dans la main, les marchands de bonbons sont revenus, de même que les filles en bikini, les touristes, les enfants et les poussettes, les joggeurs et les amateurs de rollers. Huit jours après l’attentat du 14 juillet, qui a fait 84 morts et 330 blessés, la promenade des Anglais a retrouvé ses allures estivales.
Les quatre policiers qui arpentent la Prom’, comme on l’appelle ici, sont formels : « Rien à signaler. C’est comme d’habitude. » Les pierres et les ordures qui avaient été amoncelées là où Mohamed Lahouaiej Bouhlel, l’auteur de l’attentat, est mort ont disparu. Restent les fleurs, les bougies, les petits mots et les peluches déposés en mémoire des victimes et regroupés lundi 18 juillet autour et en face du kiosque à musique du jardin Albert-Ier.
Lire aussi : Sécurité à Nice : les questions en suspens après l’attentat du 14 juillet
A quelques encablures, le Vieux Nice renoue lui aussi avec ses habitudes. La soirée salsa du mercredi, place du Palais, a attiré plusieurs dizaines d’aficionados et les terrasses des restaurants sont bondées. En apparence, la vie reprend ses droits. En coulisses, l’image se ternit. « Depuis l’attentat, l’un de mes livreurs est terrifié de faire sa tournée habituelle, raconte Dominique Le Stanc, 57 ans, le patron du restaurant La Merenda, une institution du quartier. Il est arabe et il conduit un camion… » Regards noirs et insultes, désormais il baisse les yeux et ne s’attarde pas. Il n’est pas le seul. Les Niçois d’origine maghrébine, eux, ne sont pas là. Ni sur la Prom’ ni dans le Vieux Nice.
« La montée de la haine envers les musulmans est terrifiante »
Sandra, médecin et niçoise d’adoption depuis six ans, a la voix qui tremble et les mots qui se bousculent : « Ce qui est en train d’arriver, là, maintenant, après l’attentat, est d’une violence inédite, se désole-t-elle. La montée de la haine envers les musulmans est terrifiante. » Pour la première fois, elle entend des « horreurs », notamment de l’une de ses meilleures amies : « Si j’en croise une avec un foulard, je la plombe, qu’elle rentre chez elle. »
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La coulée verte, promenade du Paillon, à Nice, jeudi 21 juillet.
La coulée verte, promenade du Paillon, à Nice, jeudi 21 juillet. Laurent Carre pour le Monde
Sandra et son mari habitent un appartement avec vue sur la promenade du Paillon, une coulée verte inaugurée fin 2013, et le constat qu’elle fait depuis une semaine la tétanise : « Habituellement, en fin de journée, on voit beaucoup d’Arabes avec leurs enfants. Je n’en vois plus. Et moi-même, je ne veux plus y aller. J’ai honte qu’ils soient si mal traités, si mal regardés. Ils se font insulter et n’osent rien dire, c’est affreux. » Jeudi 21 juillet, une poignée de mères voilées se sont risquées pour la première fois depuis le 14 juillet sur la coulée verte. Wassila, 50 ans, a entendu un retraité siffler entre ses dents : « Elle est encore là celle-là ! », tandis que Samia, la trentaine, a noté que les vieilles dames qui avaient l’habitude de jouer avec ses enfants ne se sont, cette fois, pas approchées.
« Ce tragique événement a complètement libéré la parole des Niçois qui se disent de souche, analyse Teresa Maffeis, de l’Association pour la démocratie à Nice (ADN), militante des causes humanitaires (Roms, réfugiés…). Je suis très inquiète. » Un sentiment que le conseiller municipal d’opposition PS Patrick Allemand partage : « Jusqu’à présent, la cohabitation entre les communautés n’était pas chaleureuse mais elle se passait sans heurts majeurs. Là, les tensions vis-à-vis de la population musulmane sont évidentes et prennent de l’ampleur. »
« Il faut les renvoyer chez eux »
Dans le quartier bourgeois des Musiciens, chemisette à rayures multicolore et chaîne en or, Jean-Claude Millo, 56 ans, « 100 % Niçois », souligne-t-il, témoigne sans hésitation à visage découvert : « Il faut les renvoyer chez eux, au moins les fiches “S”, qu’ils partent. Regardez le boulevard Jean-Médecin, tout a changé, c’est fini, on est plus chez nous… » Même rengaine décomplexée un peu plus au Nord, dans le quartier populaire du Rouret. Jean-Louis, qui lui n’a pas souhaité donner son nom mais se présente comme « Niçois de souche », feutre usé sur ses longs cheveux gris et grande croix autour cou : « Les musulmans, c’est tout sauf de bons éléments de la société, c’est tous de la ******rie. »
image: http://s2.lemde.fr/image/2016/07/23/...fe496caa2a.jpg
Avenue Auber, dans le quartier des musiciens, à Nice, le 21 juillet.
Nice, la perle de la French Riviera prisée des touristes étrangers et des retraités, la ville où le FN a fait plus de 36 % au second tour des élections régionales en décembre 2015, la cité des vieux-blancs-réac-fachos-mafieux ? « Ce sont des clichés, souligne Hervé Barelli, historien de la ville et conseiller du maire Les Républicains. Nice est bien plus complexe. Mais il est vrai que c’est également une ville méditerranéenne et le peuple d’ici est un peuple violent. On ne le montre pas pour ne pas écorner la carte postale et ne pas perdre nos sous, mais c’est Nice qui a donné naissance à Garibaldi, qui faisait de la politique avec ses poings. »
Lire aussi : A Nice, l’ultra-sécuritaire Estrosi et l’effet boomerang
Mais c’est aussi Nice la cosmopolite, qui s’est employée à faire tomber certaines barrières : la ligne 1 du tramway, en service depuis la fin de l’année 2007, et la promenade du Paillon ont permis aux habitants des quartiers périphériques de se rendre plus facilement dans le centre et sur la promenade des Anglais. « La mixité dans le centre avait progressé, reconnaît Razak Fetnan, ancien conseiller municipal PS et fondateur d’Alpes-Maritimes Diversité, une association de lutte contre les discriminations. Depuis le 14 juillet, elle vole en éclats. »
« La Prom’ pourtant, c’est chez moi »
Chaque jour depuis une semaine, Karim, 38 ans, attend, assis là, avec ses copains en maillots de foot, cafés et clopes posés sur une table de plastique blanc qui jouxte le magasin d’alimentation générale du petit centre commercial en plein air du Rouret, le quartier qu’ils habitent depuis leur enfance, au nord de Nice, et que désormais, ils ne quittent plus.
Chauffeur de poids lourd depuis quatorze ans dans Nice et sa région, Karim attend que son agence d’intérim le rappelle. « Un Arabe au volant d’un camion, ça fait peur à tout le monde maintenant », souffle-t-il, en listant les insultes : « Sale connard », « Il faut tous les éradiquer », « Retourne chez toi »… « Les Arabes tout court, ils n’en veulent pas, renchérit Malik, 41 ans. Il faut voir les regards noirs qu’on nous lance et les parents qui prennent leurs enfants par la main dès qu’ils nous voient. »
Inquiets, les deux hommes ont demandé à leurs mères, voilées, de ne plus se rendre au centre-ville. En vain. Eux n’y ont pas remis les pieds depuis le 14 juillet. « La Prom’ pourtant, c’est chez moi, dit Karim. Mais je n’ose pas, je me sens trop mal. » Et d’ajouter : « Avant, l’ambiance n’était pas tendre mais on ne souffrait pas. Moi, je suis musulman et j’ai la même adresse et le même métier que l’autre con. »
« L’autre con », c’est Mohamed Lahouaiej Bouhlel. Karim et ses copains l’appelleront aussi « le dingue », « la honte de l’islam » ou encore « le diable » qui a été leur voisin et dont l’ex-femme et les trois enfants l’étaient encore il y a quelques jours, jusqu’à ce qu’ils soient exfiltrés par leur avocat. Tous connaissaient le tueur, un homme « sec et parano, il ne venait jamais boire un coup ici avec nous, on n’a jamais réussi à sympathiser avec lui », dit Malik. « Nous, nous sommes français, nous sommes nés ici et nous avons la mentalité française, insiste Karim. Lui, non. »
« Bien fait pour vous! »
Jeudi après-midi, à la mosquée En-Nour – surnommée la mosquée de la discorde, qui a ouvert ses portes le 8 juillet –, Feiza Ben Mohamed, porte-parole de la Fédération des musulmans du Sud, 30 ans, n’arrive pas à sécher ses larmes. A la sortie des trois cercueils, trois femmes mortes sous les roues du camion de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, elle craque. Et n’arrive pas oublier ce qu’elle a entendu ce soir-là du 14 juillet, alors qu’elle veillait le corps gisant de la mère de l’un de ses amis : « Bien fait pour vous ! » ont crié certains passants. « Les gens reculaient en nous voyant et nous demandaient de nous excuser, poursuit-elle, les yeux mouillés. Les gens sont tous devenus fous. Ils veulent un bouc émissaire et c’est nous. » La communauté a pourtant payé un lourd tribu – un tiers des victimes. « On doit s’excuser de quoi ? », poursuit-elle.
« Des islamistes, il y en a chez nous, lance un vieil homme d’origine marocaine du quartier populaire de l’Ariane. Des djihadistes partis en Syrie, il y en a eu de chez nous. Et pas mal. Tout ça, oui. Mais cela n’a rien à voir avec nous. » Solenne, vendeuse dans une boulangerie du centre, elle, s’étonne de n’avoir pas été contrôlé le 14 juillet. A 21 ans, la jeune femme, convertie à l’islam à 15 ans, porte un jilbab bleu. « Mais bien sûr que j’aurai dû l’être, insiste-t-elle. Moi avec ma tenue, mon mari avec sa barbe. Je suis choquée de ne pas l’avoir été. »
Et elle n’est pas la seule. Comme elle, ils sont nombreux à vouloir être plus contrôlés et
à voir une plus forte présence policière dans leur ville. Mariée depuis deux mois à Haiken, elle ne sort plus dans la rue sans lui. Et lui, qui voulait se recueillir sur la promenade des Anglais, il y a renoncé. « J’ai eu peur d’y aller », avoue-t-il.
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