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Comment le Liban tente de résister à la terreur

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  • Comment le Liban tente de résister à la terreur

    Outre la résistance armée, le Liban combat la radicalisation des esprits par le prisme culturel.

    Dans une région en proie à la montée de groupes ultra-radicaux, de la Lybie à la Somalie, en passant par la Syrie, l’Irak et le Yémen, le Liban fait figure d’exception. Réputé pour ses soirées extravagantes, ses plages dorées et une liberté assez peu commune dans un monde arabe conservateur et désormais vivant sous la chape de groupes terroristes, le pays du Cèdre continue de jouir d’un mode de vie «ordinaire», même si l’atmosphère générale n’est pas totalement intacte ni à l’abri du tourbillon régional. Pas plus tard que lundi 27 juin, huit attentats-suicides ont visé une localité chrétienne, limitrophe de la Syrie, faisant cinq morts et une vingtaine de blessés.

    C’est la première opération-suicide perpétrée par des islamistes de l’EI contre une localité chrétienne depuis le début du conflit syrien et la plus impressionnante en nombre de djihadistes par rapport à celui des victimes humaines. «Nous allons élargir notre police locale pour faire face au danger, en y intégrant plusieurs civils armés», souligne Bachir Matar, le maire du village. Depuis ces attentats, les habitants du village sont aux aguets. Certains ont paradé dans les rues au lendemain du massacre, des armes entre les mains, en signe de défiance à Daech. La photo de femmes arborant des mitraillettes a fait le tour de la toile. L’un d’eux, Georges, affirme être prêt à mourir pour empêcher une nouvelle infiltration des terroristes. «Nous pouvons facilement mobiliser quelques 400 hommes pour soutenir les efforts de l’armée», affirme-t-il.

    Mais le pays ne résiste pas seulement avec les armes. «Nous résisterons par tous les moyens, y compris notre culture, nos fêtes et nos traditions. Les cloches de nos églises continueront de retentir face à ces barbares», précise Bachir Matar. Au cours des cinq dernières années, un vrai modèle de résilience a été élaboré dans le pays. La structure socioconfessionnelle y est sans doute pour beaucoup: trois quarts de la population libanaise n’est pas sunnite –41% sont chrétiens, 27% chiites, et 7% druzes–, sachant que les groupes comme al-Qaida, Daech, ou encore les shebab en Somalie et Boko Haram au Nigeria sont d’obédience sunnite. Sans compter l’existence d’une minorité non négligeable de laïcs, qui se placent au-delà des clivages confessionnels (et ont récemment réussi à faire entendre leur voix de manière assez retentissante, lors des élections municipales, remportant, pour la première dans l’histoire électorale du pays, 40% des suffrages au sein de la capitale).

    L’autre principale raison à cet hermétisme libanais à la terreur: un héritage libéral, consacré dans la constitution, et incarné par des principes tels que la liberté d’expression, la liberté de culte, le respect de la diversité religieuse et culturelle, ainsi qu’une économie de marché. Autre raison sous-jacente: une influence occidentale dans le mode de vie et les langues parlées, véhiculée au XIXe et au XXe siècles par des missions catholiques, protestantes et laïques françaises, américaines et anglaises. Une caractéristique devenue plus ancrée avec les allers-retours ou l’émigration «provisoire» de nombreux Libanais en Europe, aux États-Unis et en Australie.

    Enfin, le souvenir macabre d’une guerre civile (1975-1990) aussi destructive que traumatisante pèse également dans la balance: nombreux sont ceux à vouloir enterrer un épisode de leurs histoire ayant totalement détruit leur pays et dont les séquelles se font encore sentir un quart de siècle plus tard. «Les gens ne veulent plus faire la guerre. Ils ne veulent même plus en entendre parler ni vivre dans la peur et la violence», souligne Mou’taz, un jeune artiste originaire de Tripoli.

    Cette ville côtière du nord du pays, majoritairement sunnite et où plus de 50% de la population vit sous le seuil de pauvreté, a connu une certaine forme de radicalisation au cours des dernières années. Une tendance exacerbée par une paupérisation croissante, à l’ombre du conflit voisin et de ses répercussions sur l’économie locale. Selon la Banque mondiale, quelque 150.000 Libanais auraient basculé dans la misère depuis 2011, alors que 28% de la population vivait déjà sous le seuil de pauvreté avant le conflit. Les replis communautaires et manifestations de haine confessionnelle sont, en parallèle, devenues monnaie courante.

    En effet, le pays du Cèdre n’est pas totalement à l’abri du tourbillon régional: plusieurs tentatives ont même eu lieu pour créer des antennes locales des groupes islamistes dans la région sans que cela ne puisse aboutir à des résultats concrets. «Ce phénomène de radicalisation à Tripoli, ou dans d’autres régions, était passager et concernait davantage les réfugiés que les résidents», assure de son côté Mou’taz, qui a participé à plusieurs activités artistique ou sociales visant à désamorcer le fanatisme croissant dans sa ville originaires. Des pièces de théâtre, des cafés culturels et des séances cinématographiques en plein air organisées ou érigés dans les quartiers chauds de la ville ont permis de «tempérer les tensions», raconte-t-il.

    «Idéal de liberté culturelle»

    Cette «résistance culturelle» se poursuit tant bien que mal à travers l’ensemble du pays depuis le début du conflit syrien, en dépit des incidents sécuritaires récurrents, d’une paralysie politique –marquée jusque-là par vingt-cinq mois de vacance présidentielle– et d’un fort recul sur le plan économique et du pouvoir d’achat.

    Le 21 juin, le pays vibrait encore aux sons de concerts variés, en guise de célébration de la 16e édition de la fête internationale de la musique; celle-ci a rassemblé plusieurs milliers de personnes de divers horizons sociaux, culturels et religieux dans les rues de la capitale ainsi que dans d’autres villes du pays, dont à Zahlé, située dans la Bekaa, une région limitrophe de la Syrie.

    Ce rendez-vous, devenu incontournable, s’inscrit, par ailleurs, dans une série d’événements organisés chaque année depuis le milieu des années 1990 attirant toujours autant de mélomanes, de cinéphiles et de passionnés de littérature: parmi eux, figurent le Salon du livre francophone, le festival du Cinéma européen, et les grands festivals internationaux, qui ont lieu chaque été dans plusieurs villes du pays.
    Pour Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe (IMA), venu spécialement au Liban entre le 18 et le 21 juin pour y célébrer le 35e anniversaire de la fête de la musique dont il était lui-même le principal instigateur en 1981 en France, «Beyrouth incarne un idéal de liberté culturelle et d’harmonie, où une philosophie de la paix, du respect et du pluralisme continue de prévaloir malgré tout». «L’énergie et la volonté de vivre, portées par des artistes et des intellectuels qui inventent, dessinent, filment et écrivent, y sont si fortes» qu’elles constituent un antidote idéal «au poison du fanatisme et de la radicalisation», souligne-t-il dans un entretien à Slate.

    Cinéma, musique et festivals

    Le président de l’IMA s’est réjoui durant son séjour de l’émergence de nombreux groupes musicaux sur la scène locale et la renaissance du cinéma libanais. «Tourner un film est en soi un acte politique», ajoute-t-il. Au cours de la dernière décennie, le cinéma local, jeté aux oubliettes durant les longues années de guerre et d’après-guerre, a connu, en effet, un essor considérable; une trentaine de longs métrages ont été produits en 2015, contre une petite poignée en 2005, tandis que le nombre de spectateurs de films libanais a bondi d’une vingtaine de milliers à plus de 600.000 au cours de cette période. En parallèle, plusieurs réalisateurs ont été récompensés à travers divers festivals internationaux, de Cannes à Toronto en passant par Dubaï, Angers, Bratislava et Carthage.

    Sur le plan musical, l’embellie était également au rendez-vous, avec l’ascension internationale de certains groupes, dont Mashrou’ Leila, devenu l’icône d’une jeunesse laïque et progressiste, et dont le chanteur principal, Hamed Sinno –de confession sunnite– est ouvertement gay. Après l’attentat d’Orlando, l’un des titres conçus par le groupe avant le massacre aux États-Unis, intitulé «Maghawir» (qui signifie «commandos»), avait d’ailleurs fait le tour de la toile. Celui-ci fustige l’homophobie au Liban et dans le monde arabe.
    La culture porte un message de paix, unit les gens et atténue le fanatisme
    Nayla de Freij, présidente du festival de Baalbek
    Enfin, les galeries d’art, les maisons et repères d’artistes ainsi que les centres de performance n’ont cessé de proliférer durant cette période, à l’heure où les principaux festivals d’été ont maintenu leur programmation, contre vents et marées. «La culture porte un message de paix, unit les gens et atténue le fanatisme», insiste Nayla de Freij, présidente du festival de Baalbek, fondé en 1956 et qui célèbre cette année ses 60 ans.
    L’événement, qui rassemble chaque année les plus grands artistes libanais et internationaux –il accueillera pendant l’été Mika, Lisa Simone et Jean-Michel Jarre– a lieu dans les vieux temples romains de Bacchus et de Jupiter à Baalbek, une ville située à quelques kilomètres de la frontière syrienne et, par ailleurs, fief du Hezbollah, parti chiite libanais né au lendemain de la Révolution islamique en Iran, et dont la branche armée combat en Syrie depuis 2012 auprès du régime de Bachar el-Assad.
    Le festival a néanmoins dû délocaliser certaines de ses performances durant l’été 2013, en raison de tirs d’obus ayant ciblé le site romain puis de combats acharnés à Ersal en 2014, une ville non loin de Baalbek, contre les islamistes d’al-Nosra et de Daech. La série d’attaques suicidaires ayant eu lieu le 27 juin 2016 dans le village de Qaa risque également de perturber la programmation. Mais la présidente du festival affiche une détermination sans faille: «Nous sommes habitués aux situations difficiles et nous avons eu à les gérer dans le passé. Rien n’est compromis à ce jour.»
    Bachir El Khoury

    Slate
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