Le candidat républicain à l’élection présidentielle américaine de novembre 2016 sera vraisemblablement moins favorable aux interventions militaires que son adversaire démocrate — une situation inédite depuis la seconde guerre mondiale. Mais la tentation du repli, qui hante la politique étrangère de M. Barack Obama depuis 2009, concerne désormais les deux grands partis.
Faible », « confus », « indécis », « traître », « lâche », « naïf », « incohérent », « sans vision », « inexpérimenté » : pendant huit ans, les républicains n’ont pas eu de mots assez durs pour qualifier M. Barack Obama et sa politique étrangère. Le président aurait sapé la grandeur et le crédit des Etats-Unis en refusant de recourir plus souvent à la force.
S’ils ne manquent jamais de souligner combien M. Obama aurait humilié les Etats-Unis, les deux principaux candidats en lice dans la primaire républicaine ont largement remisé ces discours jusqu’au-boutistes. En décembre 2015, M. Ted Cruz a critiqué les « néoconservateurs fous qui veulent envahir tous les pays de la planète et envoyer nos enfants mourir au Proche-Orient (1) ». Le même mois, lors d’un discours devant la très conservatrice Heritage Foundation, il a souligné le caractère néfaste des interventions américaines en s’appuyant sur l’exemple libyen, puis a ajouté : « Nous n’avons pas de camp à soutenir dans la guerre civile syrienne. » Des propos qui entraient quelque peu en résonance avec une phrase de M. Obama : le 10 septembre 2013, le président avait considéré que le conflit syrien était « la guerre civile de quelqu’un d’autre ».
M. Donald Trump n’entend pas davantage se lancer dans une expédition au Proche-Orient. « Nous y dépensons des milliers de milliards de dollars, alors que l’infrastructure de notre pays est en train de se désintégrer », a-t-il déploré le 3 mars. Là encore, on aurait cru entendre l’actuel occupant de la Maison Blanche : « Durant la dernière décennie, la guerre nous a coûté 1 000 milliards de dollars, à un moment où notre dette explosait et en des temps économiques difficiles (…). Il est temps de nous concentrer sur la construction de notre nation », estimait M. Obama en 2011, tandis qu’il promettait le retrait prochain des soldats encore présents en Afghanistan.
« Se faire examiner le cerveau »
Côté démocrate, il est souvent arrivé que des candidats critiques de l’interventionnisme militaire soient bien placés dans la course à l’investiture. Ce fut le cas de l’opposant à la guerre du Vietnam George McGovern en 1972, du pasteur noir Jesse Jackson en 1984 et en 1988 — il avait par exemple dénoncé les manœuvres des Etats-Unis pour renverser le gouvernement nicaraguayen — ou même de M. Obama, pourfendeur de la guerre d’Irak en 2008. Il faut en revanche remonter à 1952 et à la candidature de Robert Taft pour trouver un républicain hostile aux expéditions militaires et bien placé pour être investi par son parti. Le sénateur de l’Ohio était opposé au plan Marshall et à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), jugés inefficaces et trop coûteux, et estimait que l’Amérique ne devait recourir à la force que si la « liberté de son peuple » était directement menacée. Il perdit de justesse face à Dwight Eisenhower. Depuis, la clé du succès aux primaires républicaines est d’affirmer la vocation des Etats-Unis à guider le monde. C’était encore le thème central des programmes de politique étrangère de M. John McCain en 2008 et de M. Willard Mitt Romney en 2012. L’actuel revirement au sein du Parti républicain est d’autant plus surprenant que le camp conservateur s’est indigné pendant huit ans de la « faiblesse » de M. Obama, au prétexte qu’il était parfois réticent à bombarder des pays étrangers.
Cette inflexion se comprend mieux lorsqu’on analyse l’évolution générale de la politique étrangère américaine depuis 2009. Durant ses deux mandats à la Maison Blanche, l’ancien sénateur de l’Illinois a été accusé de mener une politique que nul grand principe ne guide. A la différence des présidents Harry Truman (« endiguement » de l’Union soviétique), Dwight Eisenhower (« refoulement » du communisme), Richard Nixon (« détente » musclée), James Carter (« droits de l’homme »), Ronald Reagan (confrontation avec l’« empire du Mal » soviétique) ou encore George W. Bush (« guerre contre la terreur »), il ne laissera pas derrière lui une doctrine qui porte son nom, mais un assemblage de choix parfois contradictoires. Il accompagne, en 2011, une coalition pour faire chuter Mouammar Kadhafi en Libye, puis se désintéresse de ce pays ; il s’adonne à des bombardements par drones discrétionnaires et totalement illégaux (au regard du droit international et américain), mais s’engage dans un effort diplomatique multilatéral pour signer un accord sur le programme nucléaire iranien et sait se montrer audacieux quand il décide le rétablissement des relations avec Cuba.
Le président doit naviguer entre des forces qui tentent toutes d’influer sur sa diplomatie : l’opinion publique, susceptible de basculer de l’isolationnisme à l’interventionnisme pour peu qu’un attentat soit commis ou un journaliste américain décapité ; les élus du parti adverse, toujours prompts à l’accuser de faiblesse ; ses conseillers, ministres et collaborateurs ; les alliés des Etats-Unis, qui attendent que Washington se comporte conformément à leurs intérêts ; les adversaires, qui guettent le moindre faux pas pour avancer leurs pions. Certains présidents prenaient leurs décisions en étroite collaboration avec leur secrétaire d’Etat : Truman et Dean Acheson, Eisenhower et John Foster Dulles, Reagan et George P. Shultz. D’autres s’en remettaient à leur conseiller à la sécurité nationale ou à leur secrétaire d’Etat : Nixon et M. Henry Kissinger, Carter et M. Zbigniew Brzeziński. M. Obama, lui, décide seul, ou avec sa garde rapprochée : MM. Benjamin Rhodes, Denis McDonough, Mark Lippert. Ces hommes de moins de 50 ans ont fait leurs armes non pas pendant la guerre froide mais après le 11 septembre 2001, et appartiennent au courant anti-interventionniste (2).
L’actuel président a certes nommé des personnes plus expérimentées aux postes-clés du dispositif diplomatique et militaire : MM. Robert Gates, Leon Panetta et Chuck Hagel au ministère de la défense, Mme Hillary Clinton et M. John Kerry au secrétariat d’Etat, etc. Ces voix ont parfois pesé, comme en 2009, quand Mme Clinton a convaincu M. Obama de soutenir le coup d’Etat contre M. Manuel Zelaya au Honduras. Mais dans les moments de crise, elles ne furent pas toujours écoutées. « Sa Maison Blanche aura été de loin la plus centralisée et la plus autoritaire en matière de sécurité nationale depuis Richard Nixon et Henry Kissinger », analyse M. Gates dans ses Mémoires (3).
Les premiers désaccords entre M. Obama et son entourage apparaissent en septembre 2009, au sujet de l’Afghanistan. Alors que le président a promis de mettre fin à cette guerre, le général Stanley McChrystal, chargé des opérations sur place, lui oppose que la victoire exige une augmentation de la présence militaire américaine ; il estime les besoins à quarante mille soldats. Durant trois mois, réunion après réunion, la secrétaire d’Etat, le ministre de la défense, le directeur de la Central Intelligence Agency (CIA), le conseiller à la sécurité nationale et le directeur du renseignement national tentent de convaincre M. Obama de satisfaire cette demande. « Ce n’est pas dans l’intérêt national », ne cesse de répéter le président, qui ne veut pas « dépenser 1 000 milliards de dollars » et se lancer « dans un effort de reconstruction nationale à long terme » (4). Refusant de choisir entre le retrait et l’engagement militaire illimité réclamé par le général McChrystal, il opte pour une solution de compromis : un engagement de trente mille soldats supplémentaires pour une durée de dix-huit mois. « L’Amérique doit montrer sa force, de manière à mettre fin aux guerres et à prévenir les conflits », déclare-t-il le 1er décembre 2009 pour justifier son choix. La plupart des spécialistes des questions militaires ont jugé cet entre-deux particulièrement inefficace, car il suggérait aux talibans d’attendre que l’orage passe.
Un scénario comparable se déroule en 2011, au début des « printemps arabes ». Faut-il intervenir militairement pour faire tomber Kadhafi, au prétexte qu’il menace de massacrer les insurgés de Benghazi ? Cette fois, à l’exception de Mme Clinton, l’entourage de M. Obama est plus circonspect. M. Gates estime même publiquement que quiconque envisage une nouvelle expédition au Proche-Orient devrait « se faire examiner le cerveau (5) ». Mais les pressions viennent des médias, de l’étranger — en particulier de la France et du Royaume-Uni, bien décidés à en découdre — et du Congrès, où le sénateur démocrate Kerry et son collègue républicain McCain réclament ensemble l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne. A nouveau, le président fait un choix « centriste » : il accepte d’intervenir, mais dans le cadre d’une coalition large, avec un mandat des Nations unies — lequel prévoit uniquement la création d’une zone d’exclusion aérienne et sera rapidement outrepassé — et sans mener les opérations.
Peut-on détecter là une « doctrine Obama » ? Les Etats-Unis entendraient « diriger de l’arrière » (lead from behind) pour défendre leurs intérêts sans trop s’exposer : en bombardant avec des drones, en privilégiant l’usage ponctuel de forces spéciales ou en laissant d’autres intervenir à leur place. « Diriger de l’arrière, ce n’est pas diriger. C’est abdiquer », tempête alors le journaliste néoconservateur Charles Krauthammer dans le Washington Post (6). La guerre en Syrie a démontré qu’il ne s’agissait pas d’une doctrine pour le président américain, mais, comme dans le cas afghan, d’un choix de circonstance : M. Obama a cherché à ménager les partisans et les détracteurs du recours à la force, sans en satisfaire aucun.
Sept pays bombardés depuis 2009
Le précédent libyen n’a fait que renforcer ses réticences à l’égard des interventions militaires. Pendant deux ans, entre 2011 et 2013, dans le prolongement de son discours du Caire en juin 2009, il appelle au départ du président Bachar Al-Assad, proclame son soutien aux rebelles. Mais n’envisage jamais d’utiliser son armée. La Syrie n’est pas la Libye, un Etat sans véritables alliés. La situation change en août 2013, quand le pouvoir de M. Al-Assad est accusé d’avoir utilisé des armes chimiques dans la banlieue de Damas, franchissant ainsi la ligne rouge tracée un an plus tôt par M. Obama. Les Etats-Unis peuvent-ils rester inactifs alors que leur crédit est en jeu ? A la Maison Blanche, un consensus se dessine autour de la nécessité de « punir » M. Al-Assad. « Les grandes nations ne bluffent pas », prévient le vice-président Joe Biden, habituellement peu favorable aux expéditions militaires (7). M. Obama semble lui aussi convaincu, et demande même au Pentagone de proposer les cibles des bombardements.
Mais au dernier moment, après une discussion avec M. McDonough, son conseiller le plus anti-interventionniste, le président fait volte-face et demande à son équipe de lui trouver une porte de sortie. Cette décision déclenche une pluie de récriminations, en France, en Arabie saoudite, en Israël et dans les pays du Golfe. Elle vaut à M. Obama d’être taxé de « couardise » par les républicains en même temps qu’elle exaspère de nombreux démocrates, M. Kerry considérant notamment qu’il s’est « fait entuber (8) ». M. Obama a « envoyé un mauvais message au monde », estime l’ancien ministre de la défense Panetta dans ses Mémoires : « Cet épisode a souligné sa faiblesse la plus évidente (…). Trop souvent, selon moi, le président privilégie la logique d’un professeur de droit sur la passion d’un leader (9). »
Faible », « confus », « indécis », « traître », « lâche », « naïf », « incohérent », « sans vision », « inexpérimenté » : pendant huit ans, les républicains n’ont pas eu de mots assez durs pour qualifier M. Barack Obama et sa politique étrangère. Le président aurait sapé la grandeur et le crédit des Etats-Unis en refusant de recourir plus souvent à la force.
S’ils ne manquent jamais de souligner combien M. Obama aurait humilié les Etats-Unis, les deux principaux candidats en lice dans la primaire républicaine ont largement remisé ces discours jusqu’au-boutistes. En décembre 2015, M. Ted Cruz a critiqué les « néoconservateurs fous qui veulent envahir tous les pays de la planète et envoyer nos enfants mourir au Proche-Orient (1) ». Le même mois, lors d’un discours devant la très conservatrice Heritage Foundation, il a souligné le caractère néfaste des interventions américaines en s’appuyant sur l’exemple libyen, puis a ajouté : « Nous n’avons pas de camp à soutenir dans la guerre civile syrienne. » Des propos qui entraient quelque peu en résonance avec une phrase de M. Obama : le 10 septembre 2013, le président avait considéré que le conflit syrien était « la guerre civile de quelqu’un d’autre ».
M. Donald Trump n’entend pas davantage se lancer dans une expédition au Proche-Orient. « Nous y dépensons des milliers de milliards de dollars, alors que l’infrastructure de notre pays est en train de se désintégrer », a-t-il déploré le 3 mars. Là encore, on aurait cru entendre l’actuel occupant de la Maison Blanche : « Durant la dernière décennie, la guerre nous a coûté 1 000 milliards de dollars, à un moment où notre dette explosait et en des temps économiques difficiles (…). Il est temps de nous concentrer sur la construction de notre nation », estimait M. Obama en 2011, tandis qu’il promettait le retrait prochain des soldats encore présents en Afghanistan.
« Se faire examiner le cerveau »
Côté démocrate, il est souvent arrivé que des candidats critiques de l’interventionnisme militaire soient bien placés dans la course à l’investiture. Ce fut le cas de l’opposant à la guerre du Vietnam George McGovern en 1972, du pasteur noir Jesse Jackson en 1984 et en 1988 — il avait par exemple dénoncé les manœuvres des Etats-Unis pour renverser le gouvernement nicaraguayen — ou même de M. Obama, pourfendeur de la guerre d’Irak en 2008. Il faut en revanche remonter à 1952 et à la candidature de Robert Taft pour trouver un républicain hostile aux expéditions militaires et bien placé pour être investi par son parti. Le sénateur de l’Ohio était opposé au plan Marshall et à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), jugés inefficaces et trop coûteux, et estimait que l’Amérique ne devait recourir à la force que si la « liberté de son peuple » était directement menacée. Il perdit de justesse face à Dwight Eisenhower. Depuis, la clé du succès aux primaires républicaines est d’affirmer la vocation des Etats-Unis à guider le monde. C’était encore le thème central des programmes de politique étrangère de M. John McCain en 2008 et de M. Willard Mitt Romney en 2012. L’actuel revirement au sein du Parti républicain est d’autant plus surprenant que le camp conservateur s’est indigné pendant huit ans de la « faiblesse » de M. Obama, au prétexte qu’il était parfois réticent à bombarder des pays étrangers.
Cette inflexion se comprend mieux lorsqu’on analyse l’évolution générale de la politique étrangère américaine depuis 2009. Durant ses deux mandats à la Maison Blanche, l’ancien sénateur de l’Illinois a été accusé de mener une politique que nul grand principe ne guide. A la différence des présidents Harry Truman (« endiguement » de l’Union soviétique), Dwight Eisenhower (« refoulement » du communisme), Richard Nixon (« détente » musclée), James Carter (« droits de l’homme »), Ronald Reagan (confrontation avec l’« empire du Mal » soviétique) ou encore George W. Bush (« guerre contre la terreur »), il ne laissera pas derrière lui une doctrine qui porte son nom, mais un assemblage de choix parfois contradictoires. Il accompagne, en 2011, une coalition pour faire chuter Mouammar Kadhafi en Libye, puis se désintéresse de ce pays ; il s’adonne à des bombardements par drones discrétionnaires et totalement illégaux (au regard du droit international et américain), mais s’engage dans un effort diplomatique multilatéral pour signer un accord sur le programme nucléaire iranien et sait se montrer audacieux quand il décide le rétablissement des relations avec Cuba.
Le président doit naviguer entre des forces qui tentent toutes d’influer sur sa diplomatie : l’opinion publique, susceptible de basculer de l’isolationnisme à l’interventionnisme pour peu qu’un attentat soit commis ou un journaliste américain décapité ; les élus du parti adverse, toujours prompts à l’accuser de faiblesse ; ses conseillers, ministres et collaborateurs ; les alliés des Etats-Unis, qui attendent que Washington se comporte conformément à leurs intérêts ; les adversaires, qui guettent le moindre faux pas pour avancer leurs pions. Certains présidents prenaient leurs décisions en étroite collaboration avec leur secrétaire d’Etat : Truman et Dean Acheson, Eisenhower et John Foster Dulles, Reagan et George P. Shultz. D’autres s’en remettaient à leur conseiller à la sécurité nationale ou à leur secrétaire d’Etat : Nixon et M. Henry Kissinger, Carter et M. Zbigniew Brzeziński. M. Obama, lui, décide seul, ou avec sa garde rapprochée : MM. Benjamin Rhodes, Denis McDonough, Mark Lippert. Ces hommes de moins de 50 ans ont fait leurs armes non pas pendant la guerre froide mais après le 11 septembre 2001, et appartiennent au courant anti-interventionniste (2).
L’actuel président a certes nommé des personnes plus expérimentées aux postes-clés du dispositif diplomatique et militaire : MM. Robert Gates, Leon Panetta et Chuck Hagel au ministère de la défense, Mme Hillary Clinton et M. John Kerry au secrétariat d’Etat, etc. Ces voix ont parfois pesé, comme en 2009, quand Mme Clinton a convaincu M. Obama de soutenir le coup d’Etat contre M. Manuel Zelaya au Honduras. Mais dans les moments de crise, elles ne furent pas toujours écoutées. « Sa Maison Blanche aura été de loin la plus centralisée et la plus autoritaire en matière de sécurité nationale depuis Richard Nixon et Henry Kissinger », analyse M. Gates dans ses Mémoires (3).
Les premiers désaccords entre M. Obama et son entourage apparaissent en septembre 2009, au sujet de l’Afghanistan. Alors que le président a promis de mettre fin à cette guerre, le général Stanley McChrystal, chargé des opérations sur place, lui oppose que la victoire exige une augmentation de la présence militaire américaine ; il estime les besoins à quarante mille soldats. Durant trois mois, réunion après réunion, la secrétaire d’Etat, le ministre de la défense, le directeur de la Central Intelligence Agency (CIA), le conseiller à la sécurité nationale et le directeur du renseignement national tentent de convaincre M. Obama de satisfaire cette demande. « Ce n’est pas dans l’intérêt national », ne cesse de répéter le président, qui ne veut pas « dépenser 1 000 milliards de dollars » et se lancer « dans un effort de reconstruction nationale à long terme » (4). Refusant de choisir entre le retrait et l’engagement militaire illimité réclamé par le général McChrystal, il opte pour une solution de compromis : un engagement de trente mille soldats supplémentaires pour une durée de dix-huit mois. « L’Amérique doit montrer sa force, de manière à mettre fin aux guerres et à prévenir les conflits », déclare-t-il le 1er décembre 2009 pour justifier son choix. La plupart des spécialistes des questions militaires ont jugé cet entre-deux particulièrement inefficace, car il suggérait aux talibans d’attendre que l’orage passe.
Un scénario comparable se déroule en 2011, au début des « printemps arabes ». Faut-il intervenir militairement pour faire tomber Kadhafi, au prétexte qu’il menace de massacrer les insurgés de Benghazi ? Cette fois, à l’exception de Mme Clinton, l’entourage de M. Obama est plus circonspect. M. Gates estime même publiquement que quiconque envisage une nouvelle expédition au Proche-Orient devrait « se faire examiner le cerveau (5) ». Mais les pressions viennent des médias, de l’étranger — en particulier de la France et du Royaume-Uni, bien décidés à en découdre — et du Congrès, où le sénateur démocrate Kerry et son collègue républicain McCain réclament ensemble l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne. A nouveau, le président fait un choix « centriste » : il accepte d’intervenir, mais dans le cadre d’une coalition large, avec un mandat des Nations unies — lequel prévoit uniquement la création d’une zone d’exclusion aérienne et sera rapidement outrepassé — et sans mener les opérations.
Peut-on détecter là une « doctrine Obama » ? Les Etats-Unis entendraient « diriger de l’arrière » (lead from behind) pour défendre leurs intérêts sans trop s’exposer : en bombardant avec des drones, en privilégiant l’usage ponctuel de forces spéciales ou en laissant d’autres intervenir à leur place. « Diriger de l’arrière, ce n’est pas diriger. C’est abdiquer », tempête alors le journaliste néoconservateur Charles Krauthammer dans le Washington Post (6). La guerre en Syrie a démontré qu’il ne s’agissait pas d’une doctrine pour le président américain, mais, comme dans le cas afghan, d’un choix de circonstance : M. Obama a cherché à ménager les partisans et les détracteurs du recours à la force, sans en satisfaire aucun.
Sept pays bombardés depuis 2009
Le précédent libyen n’a fait que renforcer ses réticences à l’égard des interventions militaires. Pendant deux ans, entre 2011 et 2013, dans le prolongement de son discours du Caire en juin 2009, il appelle au départ du président Bachar Al-Assad, proclame son soutien aux rebelles. Mais n’envisage jamais d’utiliser son armée. La Syrie n’est pas la Libye, un Etat sans véritables alliés. La situation change en août 2013, quand le pouvoir de M. Al-Assad est accusé d’avoir utilisé des armes chimiques dans la banlieue de Damas, franchissant ainsi la ligne rouge tracée un an plus tôt par M. Obama. Les Etats-Unis peuvent-ils rester inactifs alors que leur crédit est en jeu ? A la Maison Blanche, un consensus se dessine autour de la nécessité de « punir » M. Al-Assad. « Les grandes nations ne bluffent pas », prévient le vice-président Joe Biden, habituellement peu favorable aux expéditions militaires (7). M. Obama semble lui aussi convaincu, et demande même au Pentagone de proposer les cibles des bombardements.
Mais au dernier moment, après une discussion avec M. McDonough, son conseiller le plus anti-interventionniste, le président fait volte-face et demande à son équipe de lui trouver une porte de sortie. Cette décision déclenche une pluie de récriminations, en France, en Arabie saoudite, en Israël et dans les pays du Golfe. Elle vaut à M. Obama d’être taxé de « couardise » par les républicains en même temps qu’elle exaspère de nombreux démocrates, M. Kerry considérant notamment qu’il s’est « fait entuber (8) ». M. Obama a « envoyé un mauvais message au monde », estime l’ancien ministre de la défense Panetta dans ses Mémoires : « Cet épisode a souligné sa faiblesse la plus évidente (…). Trop souvent, selon moi, le président privilégie la logique d’un professeur de droit sur la passion d’un leader (9). »
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