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Les Etats-Unis sont fatigués du monde

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  • Les Etats-Unis sont fatigués du monde

    Le candidat républicain à l’élection présidentielle américaine de novembre 2016 sera vraisemblablement moins favorable aux interventions militaires que son adversaire démocrate — une situation inédite depuis la seconde guerre mondiale. Mais la tentation du repli, qui hante la politique étrangère de M. Barack Obama depuis 2009, concerne désormais les deux grands partis.

    Faible », « confus », « indécis », « traître », « lâche », « naïf », « incohérent », « sans vision », « inexpérimenté » : pendant huit ans, les républicains n’ont pas eu de mots assez durs pour qualifier M. Barack Obama et sa politique étrangère. Le président aurait sapé la grandeur et le crédit des Etats-Unis en refusant de recourir plus souvent à la force.

    S’ils ne manquent jamais de souligner combien M. Obama aurait humilié les Etats-Unis, les deux principaux candidats en lice dans la primaire républicaine ont largement remisé ces discours jusqu’au-boutistes. En décembre 2015, M. Ted Cruz a critiqué les « néoconservateurs fous qui veulent envahir tous les pays de la planète et envoyer nos enfants mourir au Proche-Orient (1) ». Le même mois, lors d’un discours devant la très conservatrice Heritage Foundation, il a souligné le caractère néfaste des interventions américaines en s’appuyant sur l’exemple libyen, puis a ajouté : « Nous n’avons pas de camp à soutenir dans la guerre civile syrienne. » Des propos qui entraient quelque peu en résonance avec une phrase de M. Obama : le 10 septembre 2013, le président avait considéré que le conflit syrien était « la guerre civile de quelqu’un d’autre ».

    M. Donald Trump n’entend pas davantage se lancer dans une expédition au Proche-Orient. « Nous y dépensons des milliers de milliards de dollars, alors que l’infrastructure de notre pays est en train de se désintégrer », a-t-il déploré le 3 mars. Là encore, on aurait cru entendre l’actuel occupant de la Maison Blanche : « Durant la dernière décennie, la guerre nous a coûté 1 000 milliards de dollars, à un moment où notre dette explosait et en des temps économiques difficiles (…). Il est temps de nous concentrer sur la construction de notre nation », estimait M. Obama en 2011, tandis qu’il promettait le retrait prochain des soldats encore présents en Afghanistan.

    « Se faire examiner le cerveau »

    Côté démocrate, il est souvent arrivé que des candidats critiques de l’interventionnisme militaire soient bien placés dans la course à l’investiture. Ce fut le cas de l’opposant à la guerre du Vietnam George McGovern en 1972, du pasteur noir Jesse Jackson en 1984 et en 1988 — il avait par exemple dénoncé les manœuvres des Etats-Unis pour renverser le gouvernement nicaraguayen — ou même de M. Obama, pourfendeur de la guerre d’Irak en 2008. Il faut en revanche remonter à 1952 et à la candidature de Robert Taft pour trouver un républicain hostile aux expéditions militaires et bien placé pour être investi par son parti. Le sénateur de l’Ohio était opposé au plan Marshall et à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), jugés inefficaces et trop coûteux, et estimait que l’Amérique ne devait recourir à la force que si la « liberté de son peuple » était directement menacée. Il perdit de justesse face à Dwight Eisenhower. Depuis, la clé du succès aux primaires républicaines est d’affirmer la vocation des Etats-Unis à guider le monde. C’était encore le thème central des programmes de politique étrangère de M. John McCain en 2008 et de M. Willard Mitt Romney en 2012. L’actuel revirement au sein du Parti républicain est d’autant plus surprenant que le camp conservateur s’est indigné pendant huit ans de la « faiblesse » de M. Obama, au prétexte qu’il était parfois réticent à bombarder des pays étrangers.

    Cette inflexion se comprend mieux lorsqu’on analyse l’évolution générale de la politique étrangère américaine depuis 2009. Durant ses deux mandats à la Maison Blanche, l’ancien sénateur de l’Illinois a été accusé de mener une politique que nul grand principe ne guide. A la différence des présidents Harry Truman (« endiguement » de l’Union soviétique), Dwight Eisenhower (« refoulement » du communisme), Richard Nixon (« détente » musclée), James Carter (« droits de l’homme »), Ronald Reagan (confrontation avec l’« empire du Mal » soviétique) ou encore George W. Bush (« guerre contre la terreur »), il ne laissera pas derrière lui une doctrine qui porte son nom, mais un assemblage de choix parfois contradictoires. Il accompagne, en 2011, une coalition pour faire chuter Mouammar Kadhafi en Libye, puis se désintéresse de ce pays ; il s’adonne à des bombardements par drones discrétionnaires et totalement illégaux (au regard du droit international et américain), mais s’engage dans un effort diplomatique multilatéral pour signer un accord sur le programme nucléaire iranien et sait se montrer audacieux quand il décide le rétablissement des relations avec Cuba.

    Le président doit naviguer entre des forces qui tentent toutes d’influer sur sa diplomatie : l’opinion publique, susceptible de basculer de l’isolationnisme à l’interventionnisme pour peu qu’un attentat soit commis ou un journaliste américain décapité ; les élus du parti adverse, toujours prompts à l’accuser de faiblesse ; ses conseillers, ministres et collaborateurs ; les alliés des Etats-Unis, qui attendent que Washington se comporte conformément à leurs intérêts ; les adversaires, qui guettent le moindre faux pas pour avancer leurs pions. Certains présidents prenaient leurs décisions en étroite collaboration avec leur secrétaire d’Etat : Truman et Dean Acheson, Eisenhower et John Foster Dulles, Reagan et George P. Shultz. D’autres s’en remettaient à leur conseiller à la sécurité nationale ou à leur secrétaire d’Etat : Nixon et M. Henry Kissinger, Carter et M. Zbigniew Brzeziński. M. Obama, lui, décide seul, ou avec sa garde rapprochée : MM. Benjamin Rhodes, Denis McDonough, Mark Lippert. Ces hommes de moins de 50 ans ont fait leurs armes non pas pendant la guerre froide mais après le 11 septembre 2001, et appartiennent au courant anti-interventionniste (2).

    L’actuel président a certes nommé des personnes plus expérimentées aux postes-clés du dispositif diplomatique et militaire : MM. Robert Gates, Leon Panetta et Chuck Hagel au ministère de la défense, Mme Hillary Clinton et M. John Kerry au secrétariat d’Etat, etc. Ces voix ont parfois pesé, comme en 2009, quand Mme Clinton a convaincu M. Obama de soutenir le coup d’Etat contre M. Manuel Zelaya au Honduras. Mais dans les moments de crise, elles ne furent pas toujours écoutées. « Sa Maison Blanche aura été de loin la plus centralisée et la plus autoritaire en matière de sécurité nationale depuis Richard Nixon et Henry Kissinger », analyse M. Gates dans ses Mémoires (3).

    Les premiers désaccords entre M. Obama et son entourage apparaissent en septembre 2009, au sujet de l’Afghanistan. Alors que le président a promis de mettre fin à cette guerre, le général Stanley McChrystal, chargé des opérations sur place, lui oppose que la victoire exige une augmentation de la présence militaire américaine ; il estime les besoins à quarante mille soldats. Durant trois mois, réunion après réunion, la secrétaire d’Etat, le ministre de la défense, le directeur de la Central Intelligence Agency (CIA), le conseiller à la sécurité nationale et le directeur du renseignement national tentent de convaincre M. Obama de satisfaire cette demande. « Ce n’est pas dans l’intérêt national », ne cesse de répéter le président, qui ne veut pas « dépenser 1 000 milliards de dollars » et se lancer « dans un effort de reconstruction nationale à long terme » (4). Refusant de choisir entre le retrait et l’engagement militaire illimité réclamé par le général McChrystal, il opte pour une solution de compromis : un engagement de trente mille soldats supplémentaires pour une durée de dix-huit mois. « L’Amérique doit montrer sa force, de manière à mettre fin aux guerres et à prévenir les conflits », déclare-t-il le 1er décembre 2009 pour justifier son choix. La plupart des spécialistes des questions militaires ont jugé cet entre-deux particulièrement inefficace, car il suggérait aux talibans d’attendre que l’orage passe.

    Un scénario comparable se déroule en 2011, au début des « printemps arabes ». Faut-il intervenir militairement pour faire tomber Kadhafi, au prétexte qu’il menace de massacrer les insurgés de Benghazi ? Cette fois, à l’exception de Mme Clinton, l’entourage de M. Obama est plus circonspect. M. Gates estime même publiquement que quiconque envisage une nouvelle expédition au Proche-Orient devrait « se faire examiner le cerveau (5) ». Mais les pressions viennent des médias, de l’étranger — en particulier de la France et du Royaume-Uni, bien décidés à en découdre — et du Congrès, où le sénateur démocrate Kerry et son collègue républicain McCain réclament ensemble l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne. A nouveau, le président fait un choix « centriste » : il accepte d’intervenir, mais dans le cadre d’une coalition large, avec un mandat des Nations unies — lequel prévoit uniquement la création d’une zone d’exclusion aérienne et sera rapidement outrepassé — et sans mener les opérations.

    Peut-on détecter là une « doctrine Obama » ? Les Etats-Unis entendraient « diriger de l’arrière » (lead from behind) pour défendre leurs intérêts sans trop s’exposer : en bombardant avec des drones, en privilégiant l’usage ponctuel de forces spéciales ou en laissant d’autres intervenir à leur place. « Diriger de l’arrière, ce n’est pas diriger. C’est abdiquer », tempête alors le journaliste néoconservateur Charles Krauthammer dans le Washington Post (6). La guerre en Syrie a démontré qu’il ne s’agissait pas d’une doctrine pour le président américain, mais, comme dans le cas afghan, d’un choix de circonstance : M. Obama a cherché à ménager les partisans et les détracteurs du recours à la force, sans en satisfaire aucun.

    Sept pays bombardés depuis 2009

    Le précédent libyen n’a fait que renforcer ses réticences à l’égard des interventions militaires. Pendant deux ans, entre 2011 et 2013, dans le prolongement de son discours du Caire en juin 2009, il appelle au départ du président Bachar Al-Assad, proclame son soutien aux rebelles. Mais n’envisage jamais d’utiliser son armée. La Syrie n’est pas la Libye, un Etat sans véritables alliés. La situation change en août 2013, quand le pouvoir de M. Al-Assad est accusé d’avoir utilisé des armes chimiques dans la banlieue de Damas, franchissant ainsi la ligne rouge tracée un an plus tôt par M. Obama. Les Etats-Unis peuvent-ils rester inactifs alors que leur crédit est en jeu ? A la Maison Blanche, un consensus se dessine autour de la nécessité de « punir » M. Al-Assad. « Les grandes nations ne bluffent pas », prévient le vice-président Joe Biden, habituellement peu favorable aux expéditions militaires (7). M. Obama semble lui aussi convaincu, et demande même au Pentagone de proposer les cibles des bombardements.

    Mais au dernier moment, après une discussion avec M. McDonough, son conseiller le plus anti-interventionniste, le président fait volte-face et demande à son équipe de lui trouver une porte de sortie. Cette décision déclenche une pluie de récriminations, en France, en Arabie saoudite, en Israël et dans les pays du Golfe. Elle vaut à M. Obama d’être taxé de « couardise » par les républicains en même temps qu’elle exaspère de nombreux démocrates, M. Kerry considérant notamment qu’il s’est « fait entuber (8) ». M. Obama a « envoyé un mauvais message au monde », estime l’ancien ministre de la défense Panetta dans ses Mémoires : « Cet épisode a souligné sa faiblesse la plus évidente (…). Trop souvent, selon moi, le président privilégie la logique d’un professeur de droit sur la passion d’un leader (9). »

  • #2
    suite

    De nombreux conservateurs ont vu dans la décision de M. Obama un point de bascule, un « nouveau Munich », auquel ils imputent une longue série de malheurs : si les Etats-Unis avaient puni Damas en 2013, affirment-ils, l’Organisation de l’Etat islamique (OEI) n’aurait pas pris son essor ; l’Iran n’occuperait pas une place aussi considérable sur la scène syrienne ; Moscou n’aurait pas eu l’audace d’annexer la Crimée, etc. M. Obama a rétorqué que la Russie ne s’était pas inquiétée des intonations martiales de M. George W. Bush ni de la présence de cent mille soldats américains en Irak quand elle est intervenue dans le conflit géorgien en 2008. Pour lui, voir dans les agissements de M. Vladimir Poutine la marque d’un retour en force de la Russie revient à « méconnaître la nature du pouvoir en matière de politique étrangère. Le vrai pouvoir signifie que vous pouvez obtenir ce que vous voulez sans devoir recourir à la violence. La Russie était beaucoup plus puissante quand l’Ukraine ressemblait à un pays indépendant mais était en réalité une kleptocratie où Moscou pouvait tirer les ficelles (10) ». En outre, Washington est loin d’être resté inactif pendant la crise ukrainienne : M. Obama, en plus d’avoir réactivé l’OTAN en Europe centrale, a fait pression sur l’Union européenne pour qu’elle impose des sanctions diplomatiques et économiques à la Russie.

    La décision syrienne d’août 2013 représente malgré tout un tournant pour la diplomatie américaine. Pour la première fois depuis 2009, M. Obama n’a pas choisi un entre-deux militaire : en négociant avec la Russie un accord sur le démantèlement de l’arsenal chimique de Damas, il a mis fin au réflexe qui fait suivre d’une riposte militaire toute « provocation » à l’encontre des Etats-Unis. Cette rupture a confirmé le choix par Washington d’une stratégie de « retranchement » (11). Du retrait des troupes d’Irak et d’Afghanistan à la baisse des budgets de l’armée en passant par le refus de lancer de nouvelles expéditions militaires, M. Obama a cherché à réduire la présence américaine dans le monde afin de pouvoir se concentrer sur les problèmes intérieurs et de remédier à l’activisme déstabilisateur des années Bush. L’idée du retranchement est d’ailleurs clairement formulée par le « Guide stratégique » publié en 2012 par le ministère de la défense : « Pour atteindre nos objectifs de sécurité, nous développerons des tactiques à l’empreinte légère et peu coûteuses. (…) Les forces américaines ne seront plus en mesure de mener des opérations prolongées à grande échelle. »

    Ce positionnement n’a pas grand-chose à voir avec l’isolationnisme : les Etats-Unis conservent des dizaines de bases militaires sur la planète, la plus grande armée du monde, des services de renseignement tentaculaires ; ils ont bombardé sept pays (Irak, Syrie, Afghanistan, Libye, Yémen, Pakistan et Somalie) en autant d’années ; ils continuent d’intervenir dans les affaires des autres Etats et d’œuvrer pour déstabiliser des gouvernements, notamment en Amérique latine (12).

    Ce repli ne relève pas non plus de l’idéalisme, au sens où il viserait une redistribution des pouvoirs au niveau mondial, ni du pacifisme. Comme il le répète, M. Obama n’est pas contre la guerre, mais contre les « guerres imbéciles », celles qui ne servent pas les intérêts américains, qui entraînent un rapport coûts-bénéfices négatif. Aujourd’hui, les réfugiés prennent le chemin de l’Europe, de la Turquie ou du Liban ; les prix du pétrole restent bas ; les attentats frappent Ankara, Bruxelles, Tunis et Bamako : pourquoi Washington se lancerait-il dans une expédition au Proche-Orient ? Mais une attaque de grande ampleur sur le sol américain — plus grande que la fusillade du 2 décembre 2015 à San Bernardino, en Californie, qui a fait quatorze morts — peut à tout moment changer la donne. « Si nous sommes arrogants, [les autres pays] éprouveront du ressentiment à notre égard ; si nous sommes une nation humble mais forte, ils nous apprécieront », déclarait M. George W. Bush en octobre 2000, ajoutant même : « Je ne pense pas que nos troupes doivent être utilisées pour faire ce qu’on appelle de la “construction nationale”. » Et puis il y eut le 11-Septembre…

    M. Obama est arrivé à la Maison Blanche déterminé à tourner la page de cet événement et de ses suites afin de pouvoir fixer son attention sur l’Asie, dont le développement l’impressionne. C’était le sens du « pivot » évoqué en 2010. « Le “rééquilibrage” vers l’Asie a joué le même rôle dans la stratégie de retranchement de l’administration Obama que l’ouverture à la Chine dans le retranchement américain à la fin de la guerre du Vietnam, écrit Stephen Sestanovich, professeur à l’université Columbia. Il prouve que les Etats-Unis ne sont pas, comme l’a dit Nixon, en train de “disparaître en tant que grande puissance” (13). » Bien qu’elle ait engendré plusieurs actions symboliques (visites d’Etat, ouverture d’une base militaire en Australie, renforcement de la flotte américaine dans le Pacifique...) et permis la signature, le 4 février 2016, de l’accord de partenariat transpacifique (Trans-Pacific Partnership, TPP), cette réorientation n’a pu être menée à son terme.

    Les « printemps arabes » ont en effet rappelé les Etats-Unis au Proche-Orient dès 2011. Dans ses entretiens avec Jeffrey Goldberg, M. Obama laisse apparaître une lassitude, sinon un désintérêt, vis-à-vis de cette région, qu’il semble considérer comme un cas désespéré. Il affirme sa préférence pour les peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, qui « ne se demandent pas comment tuer des Américains, mais comment avoir une meilleure éducation, comment créer quelque chose qui ait de la valeur ». Les Etats-Unis ont dépensé plus d’argent pour « reconstruire » l’Afghanistan que pour les seize pays européens ciblés par le plan Marshall après la seconde guerre mondiale (14), sans parvenir à y créer un quelconque ordre. La guerre et l’occupation de l’Irak, l’intervention en Libye n’ont pas donné plus de résultats. Ces échecs successifs ont achevé de convaincre M. Obama du caractère limité de la puissance américaine : elle ne peut pas tout, et, en particulier, elle ne peut pas modeler le Proche-Orient à sa convenance.

    Depuis la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis alternent les périodes d’assurance et de doute quant à leur capacité à régenter le monde. L’euphorie qui suit la fin du conflit cède le pas dans les années 1950 à des interrogations sur leur suprématie : sont-ils assez puissants pour contenir la progression du communisme, qui vient de connaître de sérieuses avancées avec la révolution chinoise et l’obtention de la bombe atomique par l’URSS ? « Notre incapacité à conserver nos ressources, le poids croissant de nos engagements budgétaires, l’augmentation vertigineuse de notre dette publique » conduisent le pays sur la pente d’un « déclin relatif », s’alarme, dès 1952, l’ancien commandant suprême des forces alliées Douglas MacArthur, qui voulait bombarder la Corée avec l’arme nucléaire. La décennie suivante marque le retour de la tentation hégémonique. Dans son discours d’investiture, le 20 janvier 1961, John F. Kennedy proclame : « Nous supporterons n’importe quel fardeau, accepterons n’importe quelle épreuve, soutiendrons n’importe quel ami. Nous nous opposerons à n’importe quel adversaire pour garantir le triomphe ou la survie de la liberté. »

    Les phases d’assurance correspondent souvent à des périodes où les inégalités économiques se réduisent, où l’avenir semble dégagé pour la classe moyenne. Sitôt que l’horizon s’assombrit, la puissance redevient un fardeau. Dans les années 1970, tandis que les taux d’intérêt et l’endettement des ménages augmentent et que les deux chocs pétroliers affaiblissent l’économie du pays, le désastre vietnamien et la progression soviétique en Asie et en Afrique dévoilent les failles de la domination militaire américaine. En 1976, d’après une étude du Council on Foreign Relations, 43 % des Américains considéraient que les Etats-Unis devaient « s’occuper d’abord de leurs propres affaires », un record depuis le lancement de cette enquête en 1964 (20 %).

    Les deux formes d’un même nationalisme

    En 2013, ils étaient 52 %, un nouveau record. Selon un sondage de mars 2014, seuls 30 % des Américains voudraient que leur pays défende la Pologne si elle était attaquée par la Russie ; le chiffre tombe à 21 % pour la Lettonie, et même le Royaume-Uni peine à atteindre les 56 %. Sondage après sondage, seuls les attaques par drones et les bombardements contre l’OEI décidés après la prise de Mossoul et la décapitation du journaliste James Foley en août 2014 obtiennent un large soutien.

    Certes, « l’opinion, ça se travaille », et il est possible de rendre populaire une guerre (15). M. Obama n’y est pas disposé, pas davantage que M. Trump — lequel a même proposé de retirer son pays de l’OTAN, au motif que l’organisation était « obsolète » et coûtait trop cher. Comme l’a montré l’historien britannique Perry Anderson, l’interventionnisme et l’isolationnisme constituent deux formes d’un même nationalisme. L’un légitime la domination de l’Amérique en valorisant son universalisme (lequel justifie l’activisme messianique de Washington, qui guiderait la planète sur le bon chemin), l’autre son exceptionnalisme (qui encourage à préserver le caractère unique d’une société à part dans le monde) (16).

    Dominant avant la seconde guerre mondiale, l’isolationnisme disparaît presque entièrement du camp conservateur pendant la guerre froide, avant de réémerger après l’effondrement de l’URSS. Il prend alors deux formes : celle d’un repli strict, représenté par le libertarien Ron Paul, et celle d’un anti-interventionnisme conservateur, promu par M. Patrick Buchanan, ancien collaborateur de Nixon et de Reagan : « Si nous n’arrêtons pas de nous comporter comme l’Empire britannique, nous finirons comme l’Empire britannique (17) », assénait ce dernier en 2006. Ce courant, très minoritaire dans les années 1990 et 2000, connaît une nouvelle vigueur sous la présidence Obama. Regroupé autour du Cato Institute et de la revue The American Conservative (fondée en 2002 par M. Buchanan pour s’opposer à la guerre en Irak), il met en avant les désastres afghan et irakien, mais aussi le contexte de crise économique et sociale. La dette publique conduit certains républicains à préférer une réduction des dépenses au maintien des budgets militaires. En août 2011, le Congrès a ainsi voté un plan d’austérité (dit de « séquestration ») prévoyant 1 000 milliards de dollars de coupes dans les budgets de l’armée sur dix ans. Les « faucons budgétaires » l’ont alors emporté sur les « faucons militaires ».

    Le succès des candidatures de MM. Trump et Cruz dans le camp républicain confirme cette nouvelle tendance et révèle le décalage croissant entre l’establishment de la politique étrangère et des électeurs tentés par le repli. Aujourd’hui encore, les think tanks les plus influents, les hauts fonctionnaires du Pentagone et du secrétariat d’Etat, les éditorialistes du Wall Street Journal, du Washington Post, de Fox News ou de Cable News Network (CNN) demeurent largement acquis à l’interventionnisme, et leur voix est toujours aussi forte. « L’establishment de la politique étrangère est presque entièrement composé de néoconservateurs à droite et d’interventionnistes libéraux à gauche », constate Benjamin Friedman (18). La plupart de ces observateurs avisés ont déclaré qu’ils s’abstiendraient si MM. Cruz ou Trump devaient représenter le Parti républicain à la présidentielle. Certains voteraient même pour Mme Clinton. La prétendante démocrate a soutenu la guerre en Irak, les bombardements en Syrie et en Libye ; elle trouve que l’accord nucléaire signé avec l’Iran manque de fermeté et n’a pas hésité à critiquer M. Obama depuis qu’elle a quitté le secrétariat d’Etat. Même si elle a récemment édulcoré ses propos pour contrer les attaques de son concurrent Bernie Sanders — qui appartient depuis toujours à la frange antiguerre des démocrates —, elle est la candidate la plus interventionniste, et la plus rassurante pour l’élite américaine de la politique étrangère. « Les réalistes et les autres chercheurs sceptiques quant aux interventions sont surtout confinés à l’université », estime Friedman.

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    • #3
      fin

      Se recentrer sur les Etats-Unis : l’argument revient souvent dans la bouche de MM. Cruz, Trump et Obama. Tous trois partagent l’idée que les alliés de Washington — de l’Arabie saoudite à la France en passant par les pays du Golfe, l’Allemagne et le Japon — devraient cesser de s’en remettre à lui et porter leur part du fardeau du système sécuritaire international. Enfin, s’ils affirment tous leur volonté de défendre coûte que coûte Israël et de mettre l’OEI hors d’état de nuire, M. Cruz proposant même de lui appliquer la méthode du « tapis de bombes », ils s’accordent paradoxalement pour considérer que le Proche-Orient n’est plus au centre des intérêts américains.

      Sans doute juste sur le plan économique, cette idée interroge d’un point de vue moral et politique : les Etats-Unis peuvent-ils décréter du jour au lendemain qu’ils ne veulent plus d’un leadership qu’ils ont forgé à la force des canons pendant soixante ans ? Peuvent-ils se détourner, sans aucun état d’âme, sans aucune réparation (compensation financière, soutien diplomatique, mise en place d’une coopération fondée sur le juste échange, etc.), d’une région qu’ils ont patiemment déstabilisée ? L’important « n’est pas de savoir s’il y a la paix [au Proche-Orient], mais si les Etats-Unis sont impliqués dans l’absence de paix », a cyniquement résumé Jeremy Shapiro, chercheur à la Brookings Institution et conseiller au département d’Etat. On ne peut faire table rase de l’histoire : même quand ils ne maintiendront plus de soldats dans la région, les Etats-Unis resteront comptables du chaos qu’ils ont enfanté.

      le monde diplomatique


      1) Tim Alberta et Eliana Johnson, « Many GOP foreign-policy leaders are suspicious of Ted Cruz », National Review, New York, 14 décembre 2015.

      (2) Justin Vaïsse, Barack Obama et sa politique étrangère (2008-2012), Odile Jacob, Paris, 2012.

      (3) Robert M. Gates, Duty : Memoirs of a Secretary at War, Knopf, New York, 2014.

      (4) Bob Woodward, Obama’s War, Simon & Schuster, New York, 2010.

      (5) Greg Jaffe, « In one of final addresses to army, Gates describes vision for military’s future », The Washington Post, 26 février 2011.

      (6) Cité dans Owen Harries et Tom Switzer, « Leading from behind : Third time a charm ? », The American Interest, vol. III, no 5, Washington, DC, mai-juin 2013.

      (7) Cité dans Jeffrey Goldberg, « The Obama doctrine », The Atlantic, Washington, DC, avril 2016.

      (8) Cité dans Jeffrey Goldberg, art. cit.

      (9) Leon Panetta, Worthy Fights : A Memoir of Leadership in War and Peace, Penguin, New York, 2014.

      (10) Cité dans Jeffrey Goldberg, art. cit.

      (11) Colin Dueck, The Obama Doctrine : American Grand Strategy Today, Oxford University Press, New York, 2015.

      (12) Lire Maurice Lemoine, « En Amérique latine, l’ère des coups d’Etat en douce », Le Monde diplomatique, août 2014.

      (13) Stephen Sestanovich, Maximalist. America in the World from Truman to Obama, Knopf, New York, 2014.

      (14) Le calcul est corrigé en fonction de l’inflation. Cf. Ian Bremmer, Superpower. Three Choices for America’s Role in the World, Portfolio Penguin, 2015.

      (15) Cf. Serge Halimi, Dominique Vidal, Henri Maler et Mathias Reymond, « L’opinion, ça se travaille ». Les médias, les « guerres justes » et les « justes causes », Agone, Marseille, 2014 (1re éd. : 2000).

      (16) Perry Anderson, Comment les Etats-Unis ont fait le monde à leur image, Agone, 2015.

      (17) Patrick J. Buchanan, « Why are we baiting Putin ? », antiwar.com, 9 mai 2006.

      (18) Benjamin Friedman, « The state of the Union is wrong », Foreign Affairs, New York, 28 janvier 2014.

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      • #4
        je ne pense pas que les etats unis soit prete pour intervenir a l'etranger deja dans leurs mental s'etait des anciens immigrés qui ont fuie la misere et l'enfere de l'europe ils ont mis une croix deffinitif sur l(ncien monde
        maintenant si 'leurope demande l'aide c'est au departement de leurs trouver des soldats mais jamais compter sur la mobilisation personelle il nya ni ideologie ni sentiment les amercains ne savent meme pas c'est qui le PAPE.

        je pense que les americnais seront plus proche des musulmans arabes et l'islame que sur le catholisisme..comme les arabes ils tiennent a porter leurs armes chose que le clergé le refuse pour les catholique et les colonies ou il a installé ces bases..

        un jour ou l'autre les americians apres que l'europe va entrer de nouveau dans une débacles les americians seront plus libres a lancer leurs propre christianisme..avec ce debacle les agences seront dans la deroute surtout si l'eau commence a s'enfoncer dans le sous sol

        j

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        • #5
          Y'a t il un risque de guerre civile aux USA bientot? et comme du jamais vu ailleurs!
          Par ce que je pense qu'aprés les votes ils vond pas s'entendre, ces partis démoniaques d'Usa!!

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