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Islamisme et droits des femmes : Interview de Malika BOUSSOUF

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  • Islamisme et droits des femmes : Interview de Malika BOUSSOUF

    ISLAMISME ET DROITS DES FEMMES :
    LA LECON DE L’ALGERIE
    Interview de MALIKA BOUSSOUF

    Par Francine Sporenda

    Malika Boussouf vit en Algérie. Grand reporter, rédactrice en chef, directrice de la rédaction puis chroniqueuse-éditorialiste pour « Le Soir d’Algérie », elle est victime d’une fatwa du GIA en 1993, publie « Vivre traquée » (Calmann-Lévy), et contribue à l’ouvrage « Dérives Nord » (Actes Sud). Elle participe régulièrement à des tables rondes sur le Code de la famille et les violences envers les femmes et a publié en 2014 (avec Monique Ayoun) « Musulmanes laïques en révolte, rencontres avec 20 femmes d’exception, leur combat est aussi le nôtre » (éditions Hugo Doc).

    F : Pendant les « années terribles » de l’Algérie, les années 90s, les groupes islamistes ont tué des dizaines de milliers de personnes–et en particulier des femmes considérées comme insoumises et/ou occidentalisées. Comment ce terrorisme islamiste intensif a-t-il affecté la situation des femmes ?

    M : Il y a eu entre 200 000 et 250 000 morts mais je ne peux pas accréditer la thèse selon laquelle les femmes qui ont fait les frais de la barbarie intégriste étaient occidentalisées plus que cela. Considérées comme déviantes, oui, parce que participant à la vie active et sociale dans son ensemble. Insoumises, oui, dès lors qu’on les rencontre autant dehors que dedans. Lorsqu’elles occupent volontairement les postes « logiquement » réservés aux hommes, les normes établies par l’organisation sociale de type patriarcal sont insultées. Et puisqu’elles n’obéissent pas tout à fait à l’autorité, cela leur vaut des fatwas à volonté. Lorsqu’il a été question de s’en prendre aux femmes, au corps de ces dernières ou d’affirmer son pouvoir sur le dos du genre féminin, les assassins n’ont pas fait de quartier. On ne peut pas se détourner d’un corps dénudé en même temps que l’on fantasme sur celui que l’on voile. Les femmes entièrement couvertes n’ont pas été épargnées, comme elles ne le sont pas, aujourd’hui non plus, au Moyen-Orient. Est –il besoin, au regard de ce que les femmes subissent dans les pays musulmans (et le mien n’est pas en marge de ce qui se complote sur le sort des femmes), de conclure que, s’il est des situations qui inhibent l’évolution de celles-ci, il en est d’autres qui les renvoient au Moyen-Age?

    F : Dans l’entretien paru dans le livre « Musulmanes et laïques en révolte », vous mentionnez que, dans l’Algérie des années 90, vous avez vous-même porté le voile (pour vous protéger des islamistes). Le voile vous a-t-il vraiment protégée ?

    M : Quand ma condamnation à mort a été authentifiée par les services de sécurité, j’ai dû quitter la maison mais je n’ai pas cessé d’exercer ma profession et tête nue, même s’il fallait, au moment de me déplacer, changer mes horaires d’arrivée et de départ et me déguiser pour brouiller les pistes et mieux me protéger. J’ai porté le voile et la voilette pour aller rendre visite aux miens dans l’espoir de ne pas être repérée. J’ai porté des perruques, des chapeaux, des lunettes de soleil. Tout cela à la fois, j’ai tout essayé pour passer inaperçue et échapper à la mort. Ca n’a pas marché, les gens du quartier me reconnaissaient quoi que je fasse. Alors j’ai renoncé à me travestir.

    Maintenant, concernant les femmes en général, dire d’elles qu’elles ont été les victimes majoritaires de la violence terroriste est une vérité incontestable. Enlevées pour les besoins de soldats d’Allah avec la bénédiction d’un père contraint à l’acquiescement ! Tout cela, nous l’avons connu et subi avant tout le monde par les pères fondateurs de Daesh, les GIA. La violence barbare a été vécue à l’extérieur comme à l’intérieur des foyers.

    A l’extérieur parce que les femmes ont résisté à la menace terroriste et qu’elles ont refusé de quitter leur travail, de rester chez elles, de porter le foulard ou d’envoyer leurs enfants à l’école, qu’elles ont aussi osé manifester, à l’appel d’associations féminines, leur rejet du terrorisme.

    A l’intérieur, il y a celles qui ont été assassinées par leurs enfants, par leur mari, ou leur frère ou un voisin parce qu’elles n’avaient pas, selon leurs assassins une conduite exemplaire, qu’elles n’étaient pas de bonnes musulmanes. Puisque nous parlons de violence terroriste à l’égard des femmes, je souhaiterais que l’on n’oublie surtout pas de rappeler le sort réservé à toutes celles qui ont été mariées de force dans les maquis, violées ou encore écartelées, éventrées et achevées à coup de sabre par leurs bourreaux. Celles qui ont réussi à s’échapper ont raconté l’horreur subie. Et elles étaient déjà voilées quand leurs bourreaux les ont arrachées à leurs familles.

    F : Comment expliquez-vous que les femmes puissent « travailler à leur propre aliénation » et même à l’oppression d’autres femmes, comme c’est le cas des femmes islamistes qui rejoignent Daesh ?

    M : ll n’y a pas que les femmes qui se mettent au service d’organisations islamistes comme Daesh et tous les groupuscules qui gravitent autour ou lui prêtent allégeance et qui travaillent à leur propre aliénation, mais il est bien connu que les meilleures reproductrices du système patriarcal sont les femmes. On ne dit pas d’elles qu’elles sont d’intraitables gardiennes du temple pour plaisanter. Dans les pays où se pratique l’excision par exemple et pour ne citer que cela, ce sont les femmes qui pratiquent la mutilation. Pas les hommes, même si le tout s’organise avec leur bénédiction.

    Quand elles font la une des médias du monde entier et donnent du crédit à une modernité anachronique de façade, telle Meriem Al Mansouri, la jeune pilote Emiratie lancée à l’assaut de Daesh, elles participent volontairement à absoudre le conservatisme des monarchies et autres régimes totalitaires arabes qui financent les djihadistes.

    Sinon, je trouve que les jeunes hommes qui se réveillent un matin avec la révélation selon laquelle le paradis leur tend les bras en terre d’Islam ne travaillent pas à autre chose qu’à leur aliénation.

    F : Quel impact le désir des politiciens « de gauche » européens de respecter la culture des personnes issues de l’immigration a-t-il sur les droits des femmes d’« origine musulmane » dans ces pays ?

    M : Je ne crois pas en ce désir de respecter quoi que ce soit, je crois juste en un populisme destiné à gagner un électorat supplémentaire. Je ne crois pas non plus en la volonté affichée de promouvoir l’acte démocratique. On commence par la complaisance à l’égard du port du voile, puis par comprendre que les musulmanes enceintes refusent de se faire examiner par des gynécologues de sexe masculin, puis par les piscines que l’on voudrait réservées aux femmes, etc. Les concessions s‘enchaînent sans que l’on comprenne vraiment jusqu’où les promoteurs d’une démocratie à la carte seraient susceptibles de mener la gauche européenne puisque, avec les conservateurs, on a l’avantage de savoir à quoi l’on serait destiné si le pouvoir de redessiner l’avenir leur était confié. Les droits des femmes d’« origine musulmane »? Pourquoi ? Il y en aurait donc qui diffèreraient de ceux des femmes en général ? Vous parlez d’une blague ! Il faut arrêter avec ce paternalisme de mauvais goût. Il est dangereux pour celles auxquelles il prétend faire du bien, alors qu’il continue à les minoriser. Il n’y a pas mieux, si l’on veut les stigmatiser, que de céder à des revendications farfelues. Parce que je ne vois pas, si l’on veut faire respecter l’ordre républicain, en quoi vivre sa religion et la pratiquer en privé, sans l’imposer aux autres, la rendrait moins crédible, peu garante d’un paradis fantasmé ou inférioriserait ces dernières.

    F : Quelle importance est accordée à la cause des femmes par les hommes progressistes en Algérie ? Considèrent-ils –comme beaucoup d’hommes progressistes européens que ce n’est pas une priorité ?

    M : Evidemment, la cause des femmes n’est pas considérée comme une priorité. Comme partout ailleurs, à quelques distinctions près.

    Savez-vous qu’à propos de la résistance des femmes, les hommes démocrates disaient d’elles à l’époque que c’était elles qui étaient les hommes de l’Algérie ? Vous voyez que même dans l’inconscient d’hommes dits émancipés, les femmes restent cataloguées et perçues comme des êtres faibles. On disait des femmes qu’elles étaient les hommes de l’Algérie parce qu’elles faisaient preuve de courage en appelant à la révolte populaire et en tenant tête aux terroristes comme si la force et le courage étaient des qualités typiquement masculines, comme si ce type de comportement était propre aux hommes et aux hommes seulement. Vous constaterez que, même quand ils veulent vous faire un compliment, ces derniers ne peuvent pas s’empêcher d’être machos et faire dans la discrimination.

    Pour revenir à l’importance accordée par les hommes à la cause des femmes, prenez la violence contre les femmes par exemple ! Elle n’est pas vendeuse alors elle ne fait pas la une des journaux sans compter qu’en beaucoup d’hommes journalistes sommeille un petit tyran, un héritier du système patriarcal qui régit notre société.

    La société algérienne n’est pas une société moderne. C’est une société conservatrice, rétrograde avec tout ce que cela induit comme conduites inhérentes à la culture, aux normes et aux codes sociaux établis par les hommes au détriment des femmes.

    F : Pourquoi le corps des femmes est-il un tel tabou et un tel enjeu de pouvoir pour les islamistes (et ils ne sont pas les seuls).

    M : C’est parce que notre société ne fait que semblant d’être moderne qu’elle résiste autant aux revendications de ses femmes qui demandent à être traitées non pas en sous-êtres mais en citoyennes à part entière. Tout ce qui entoure la violence dont les femmes sont victimes, de même que tout ce qui entoure le sexe chez nous reste tabou et est suspecté de porter atteinte à l’équilibre de la société. Une société faut-il le rappeler, dirigée par les hommes et pour le bien-être des hommes.

    Et ce sont ces mêmes hommes ou une partie d’entre eux qui sont les auteurs des violences dénoncées précédemment.

    F : Mouna Izzdine, journaliste marocaine pose que le port du voile islamique et du niqqab ne sont pas berbères. Considérez-vous que ces pratiques relèvent d’une forme de colonisation culturelle du Maghreb par l’Arabie Séoudite ou proposez-vous une autre explication?

    M : Je ne sais pas ce que veut dire l’expression « voile islamique » ! Les deux autres religions monothéistes ne sont pas en reste sur ce plan-là. Tous les fanatismes recommandent à cor et à cri l’enfermement des femmes. Tous réclament d’elles une soumission totale et absolue. Qu’est-ce qu’un voile sinon l’illustration physique de cet asservissement commandé par tous les intégristes de la terre ?

    Aujourd’hui, le port du voile relève plus, à mon humble avis et cela n’engage que moi, d’un problème d’identification à l’origine du mimétisme rampant que nous observons, que d’une colonisation culturelle.

    Même si une volonté extérieure d’anéantir notre mode de pensée et notre résistance se manifeste avec force au quotidien, c’est à nos propres lacunes que nous devons de calquer notre comportement sur d’autres réalités ou approches spirituelles. Pour nous en défaire, il faudrait nous réapproprier notre histoire. Vaste programme !
    Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

  • #2
    Malicka Boussouf a de la chance, elle pourra compter sur l'imam de Strasbourg et Manuel Valls pour la soutenir dans sa lutte pour le droit des femmes en Algérie :

    bastien Ruffet
    le 12.09.2014 à 17:00

    S'il n'y avait qu'un discours à entendre, c'était sans doute celui d'Abdellah Boussouf. L'ancien recteur de la mosquée de Strasbourg s'est souvenu avec émotion des « dons de chrétiens, de juifs, d'athées, de prisonniers, pour que ce projet puisse voir le jour. Cela, je ne l'oublierai jamais. » Des trémolos dans la voix, il a également rappelé cette anecdote : « [aux origines de la construction], les politiques nous ont demandé si nous serions solvables. Tout ce que j'avais, c'était une mallette remplie des bijoux des femmes musulmanes de Strasbourg. Grâce à cette mallette, grâce à ces femmes, nous avons pu réaliser notre rêve, comme l'aurait dit Martin Luther King. Alors, je souhaite que les femmes aient toute leur place dans cette mosquée et dans les instances dirigeantes. »

    Le 25 mars 1993, Abdellah Boussouf avait rencontré Catherine Trautmann, maire (PS) de Strasbourg à l'époque, pour lui soumettre l'idée. Et, dès le départ, il avait reçu l'appui de la communauté juive et du Grand rabbin René Gutman. Celui-ci, invité à s'exprimer devant les fidèles en compagnie de Mgr Jean-Pierre Grallet, a décrit la Grand mosquée comme « une aire de paix sociale et de réconciliation », citant ainsi les sourates du prophète, sous les applaudissements nourris du public et de la longue liste des officiels présents.

    Sur des centaines de chaises alignées, les invités n'ont rien manqué de la cérémonie, téléphones ou appareils photos à la main. Lancée par l'imam de la mosquée, elle s'est achevée sur un discours volontariste de Manuel Valls pour qui, « la laïcité n'est pas la négation des religions ». S'adressant directement aux musulmans de France : « Soyez fiers de l'islam que vous bâtissez ici, nourri d'humanisme, de respect, de dignité et d'honneur. » Le ministre de l'Intérieur a enfin souligné le symbole fort que représentait le discours de René Gutman, estimant que « nulle part ailleurs, ce ne serait possible. »
    Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

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