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Dark Vador de Beni Douala ...

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  • Dark Vador de Beni Douala ...

    Le capitaine Oudinot s'était installé au coeur du donjon kabyle, le Djurdjura, à Tizi Hibel, le village de Mouloud Feraoun, il était le commandant de la SAS de Beni Douala où naquit Matoub Lounès.

    Le général Faure roulait ses cigarettes, il posait un doigt sur le plan et souriait :
    - Ici, il y a Oudinot.
    - Moi, Oudinot, disait le capitaine, je vous attends... Je serai encore là dans deux ans, dans trois ans... Je serai là dans vingt ans... Et si je pars, un autre capitaine viendra... La France ne partira pas...

    Oudinot était cerné de toutes parts, enfermé dans un monde hostile avec ses magies, ses crêtes neigeuses et ses cèdres. Il ne pouvait rien faire, mais l'inaction lui était inconcevable, il imagina de parler à la montagne utilisant les superstitions pour terroriser les rebelles et ceux ou celles qui voudraient leur apporter de l'aide. Oudinot fit installé des pylônes au sommet desquels ils fixèrent des haut-parleurs. Quand la nuit tombait, Oudinot parlait à la montagne. Il criait :
    - Moi, Oudinot, je suis assis devant mon feu et vous, vous êtes comme les chacals qui glissent sur les sentiers de neige. Et moi, Oudinot, j'ai le temps d'attendre que vous soyez las de jouer aux chacals. J'attendrai. Je serai là dans un an. Je serai là dans dix ans. Je serai là dans vingt ans. Et vous, si vous n'êtes pas venus me rejoindre, vous crèverez dans vos tanières comme des bêtes affamées.

    L'énorme voix métallique roulait sur les pentes de l'Akouker au pied du col de Tizi.N'Kouilal. Elle tonnait contre les falaises et s'entendait dans la vallée des Ouadhias jusqu'aux villages des Aït-Larbaa et des Aït-Larhcen.
    - Moi, Oudinot ! ...
    Les villageois écoutaient stupéfaits cette voix qui résonnait dans le Djurdjura, les vieilles femmes juraient que c'était la voix du diable.
    - Moi, Oudinot...

    Des villageois ayant trouvé les hauts parleurs, ils tentèrent de les faire taire mais trop haut perchés, ils n'y parvinrent pas. La voix continuait de s'adresser à la montagne semant le doute et les rumeurs pour obliger les populations à se rallier aux Services Administratifs Spécialisés installés dans les villages du Djurdjura. Les femmes, les enfants et les vieillards priaient pour que les Rebelles fassent taire cette voix semblant sortir des ténèbres, genre Dark Vador. La voix inquiétait les villageois, un peu ironique mais surtout monstrueuse. Les enfants étaient terrifiés. Oudinot le savait, Il continuait, satisfait que son action psychologique terrorise la région. Barbelés, check points, encadrement militaire, « auto-défense » tout est mis en œuvre pour compromettre la population et isoler le village des maquis. En 1956 , à l’âge de 13 ans, Max est de retour au village, sa mère française, native de Troyes étant décédée. A l’entrée du village, il découvre trois personnes pendues à des arbres sur le bord de la route.

    Le contrôle du village devenait un enjeu stratégique. Peu à peu la population se retrouva prise en étau entre les maquisards et la terrible répression de l’armée française qui encerclait, détruisait, emprisonnait, torturait... Les villageois et les femmes surtout n'en pouvaient plus. Certaines voulaient voir et connaitre cette "bête curieuse" qui menaçait les villageois des pires sévices s'ils ne pliaient pas devant l'ordre coloniale qu'elle incarnait. Des bruits terrifiants couraient sur la férocité de la voix. Mais la curiosité étant souvent la plus forte, un jour, des femmes se présentèrent devant le poste, accompagnées de leurs enfants à qui elles voulaient montrer la voix pour qu'ils cessent de faire des cauchemars. Oudinot avait bavardé avec elles, joué avec les enfants et peigné les cheveux des petites filles. La rumeur chuchota que la voix ne mangeait pas les hommes, et les petites filles étaient revenues se faire natter les cheveux par Oudinot. Beaucoup venaient voir la voix et regardaient Oudinot passer le peigne dans les cheveux des petites filles. La voix n'effrayait plus, la voix aimait natter les cheveux des petites filles disait la rumeur.

    La rumeur parvint jusqu'à Paris, en 1959, le Général De Gaulle en visite en Kabylie fit un crochet par Tizi Hibel pour rencontrer ce capitaine dont le général Faure lui vanta les mérites et les exploits. Plus de 600 Kabyles ont péri dans le seul secteur des Ath Douala sous le commandement du capitaine Georges Oudinot.

    Le général de Gaulle face au capitaine Oudinot lui grommela qu'il n'était pas digne des capitaines de passer leur temps à peigner les cheveux des petites filles berbères.

    Max fuit en 1959, comme beaucoup, l’enfer de Beni Douala pour se réfugier chez sa tante qui s’était aussi enfuie vers Alger. De 1960 à 1962, il est de retour au village, il a été incorporé de force à la SAS de Béni-Douala et se retrouvera de nouveau sous les ordres de la voix sous prétexte de service national.

    Le capitaine cessera ses fonctions à la SAS de Beni Douala en avril 1961 suite à sa participation au putsch des généraux.

    Georges Oudinot est décédé en 2013, ses obsèques furent célébrées le mardi 29 janvier, en la chapelle de l'Ecole Militaire à Paris 7ème.

    S. Ait Amrane
    Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent
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