« Autant en Europe qu’en Amérique, aujourd’hui de nombreux enfants sont en réalité en résidence surveillée”.
Je me sentais comme complice de torture malgré moi. Les échos des cris de la victime sonnaient contre les murs vernis. La porte, aussi bien fermée fut-elle, ne pouvait bloquer les cris de panique. Un bébé, seul et emprisonné dans un lit d’enfant.
La mère du bébé était visiblement perturbée, trop. Pâle et au bord des larmes. Elle était elle-même une victime, abusée par les partisans du contrôle des pleurs, ou Méthode Ferber – ce système impitoyable, cruel pour eux deux.
Contrôle. Pleurs. Les mots parlent d’eux-même : un système d’intimidation qui contrôle les sentiments d’un bébé. On a dit à la mère que la situation était inverse, que c’est le bébé qui essayait de lui imposer sa volonté, mais tout ce que je pouvais voir c’était un bébé d’un an affolé par l’abandon qu’il vivait. Une mère américaine a eu ce témoignage poignant sur internet : « La Méthode Ferber vaut-elle le prix de mon chagrin ou suis-je vraiment en train de torturer mon enfant ? Cela me semble être un châtiment cruel et inhabituel”.
L’idée derrière cette méthode, c’est qu’on peut apprendre à un bébé à arrêter de pleurer en le laissant pleurer seul. Un parent ira de temps en temps jeter un coup d’œil, mais ne prendra pas le nourrisson dans ses bras et ne restera pas avec lui. Au bout d’un moment, le bébé intégrera que les pleurs n’apportent pas de réconfort et cessera de pleurer. Les parents sont encouragés à planifier et à limiter le temps qu’ils passent à vérifier que tout va bien. Est-ce que le système fonctionne ? Bien sûr que oui. Ce n’est pas la question. La vraie question est pourquoi un tel système est-il encouragé ? Pourquoi est-il accepté ? Qu’est-ce que cela révèle à propos des priorités de notre époque ? Et en quoi ce système apporte-t-il des réponses à l’énigme des enfants malheureux ?
Des enfants très accompagnés partout dans le monde
Câlinés, soignés et bichonnés, la plupart des nourrissons à travers la plus grande partie de l’histoire ont découvert le monde accompagnés. Chez les Mayas Trojolabales du Chiapas au Mexique, les enfants durant les deux premières années de vie sont toujours auprès de leurs mères, instantanément apaisés avec des jouets ou du lait pour éviter qu’ils se sentent malheureux ne serait-ce qu’un instant. Pour les nourrissons de moins d’un an du peuple Aché, nomades de la forêt au Paraguay, la plupart de la journée est consacrée à un lien tactile avec leur mère ou leur père, et ils ne sont jamais posés sur le sol ou laissés seuls pendant plus de quelques secondes. En Inde et dans de nombreuses autres parties du monde, les enfants partagent le lit de leur mère jusqu’à l’âge de cinq ans.
Beaucoup des raisons pour lesquelles de nombreux parents optent pour la méthode Ferber peuvent se résumer en un seul mot : travail. Les parents qui veulent vivre selon un programme routinier tiennent au contrôle des pleurs, plaide Gina Ford, célèbre défenseur britannique de cette méthode, qui remarque que les bébés qui ont été pliés à une routine sauront ensuite s’adapter facilement à l’organisation du temps à l’école et, on peut le supposer, seront plus adaptables au monde du travail.
Pourtant, à chaque fois que j’ai passé du temps dans les communautés autochtones, je n’ai jamais entendu quelque chose de similaire aux cris de peur et de rage de l’enfant-Ferber. Si un enfant est rassasié de proximité, commente l’écrivain Jean Liedloff, alors en grandissant il ou elle n’aura besoin de revenir à ce contact maternel qu’en cas d’urgence. Cet enfant va grandir pour être plus autonome, pas à cause de la rareté des premiers contacts (comme les défenseurs de la méthode du contrôle des pleurs l’affirment), mais exactement pour les raisons inverses : à cause de leur abondance. Vers l’âge d’environ huit ans, les enfants Aché, qui pendant qu’ils étaient nourrissons n’ont jamais été seuls, ont appris à utiliser les pistes dans les forêts et se révèlent être assez indépendants de leurs parents. En Papouasie Occidentale, j’ai vu la façon dont les nourrissons sont élevés très au contact de leurs parents et deviennent des enfants vraiment très indépendants.
Un désir de liberté inextinguible chez les enfants
Lorsque les enfants sont plus âgés, le désir de liberté semble inextinguible. J’ai récemment tenu un atelier d’écriture à Calcutta pour les enfants de la rue qui avaient été parqués temporairement dans une école où ils étaient visiblement bien soignés et, dans l’ensemble, heureux. Ils avaient soif de la seule chose que l’école ne leur accordait pas, la liberté. Un enseignant m’a dit : « Ils veulent la liberté qu’ils connaissent dans la rue, d’aller où ils veulent, quand ils veulent ». En dépit des problèmes de la rue, la pauvreté, la maltraitance, la faim et la violence, les enfants continuaient de s’enfuir.
Une fois sortis de la petite enfance, les enfants Amérindiens étaient traditionnellement libres de se promener où ils voulaient, à travers les bois ou les rivières. « À l’âge de cinq ans, il est grand, rayonnant de santé… fou de liberté », écrit Roger P. Buliard dans Inuk, faisant la description de l’enfance des garçons Inuits. Vers l’âge d’environ sept ans, les garçons manient les couteaux et veulent un fusil et un endroit pour poser des pièges, et à partir de ce moment ils « « se déplacent avec les hommes, en voyageurs aussi robustes que n’importe lequel d’entre eux. »
J’ai passé quelques jours à élever des rennes avec le peuple Sami, j’ai vu comment les enfants étaient libres pas seulement sur leurs terres, mais à l’intérieur dans les cabanes d’été. Ils farfouillaient, cherchant de la nourriture, trouvant un petit lambeau de viande de renne cuit, un poisson fraîchement pêché ou une boite de biscuits, décidaient quoi et quand ils mangeaient : une situation qui évite cette source majeure de conflits familiaux, l’heure des repas.
L’autonomie alimentaire depuis un très jeune âge semble être une caractéristique de l’enfance dans de nombreuses sociétés traditionnelles. Les enfants Alacaluf de Patagonie se débrouillent seuls tôt, utilisant une lance faite de crustacés et faisant cuire leur propre nourriture dès l’âge d’environ quatre ans. Les très jeunes enfants inuits peuvent utiliser un fouet pour chasser le lagopède, décapitant l’oiseau d’un simple mouvement du poignet. En voyageant à travers les hauts plateaux de Papouasie Occidentale parmi le peuple Yali, j’ai souvent vu les garçons des villages partir ensemble, armés d’arcs et de flèches, pour chasser les oiseaux, attraper des grenouilles et les faire rôtir dans un feu qu’ils avaient eux-mêmes démarré.
Pendant ce temps, en Angleterre, un projet de jeu environnemental baptisé Wild About Play a demandé aux enfants ce qu’ils aimaient le plus faire à l’extérieur, et la réponse était de collecter et manger des aliments sauvages, de faire des feux pour y cuire des aliments. C’est le symbole de l’indépendance montrée par les enfants du monde entier, le contrôle de leur propre nourriture et de leur propre corps. Il semble que les enfants euro-américains modernes ont deux expériences inhabituelles liées à la nourriture : premièrement, ils n’ont pas d’autonomie précoce en ce qui concerne la nourriture et deuxièmement, ils font pourtant face à des problèmes d’alimentation.
Le bonheur, lié à la liberté
Quant à la liberté physique, il y a quelques années j’ai passé une journée avec les enfants de gitans de la mer, le peuple Bajau qui vit sur les côtes de l’île de Sulawesi dans des maisons sur pilotis bâties loin au large. Les enfants étaient nageurs et plongeurs, faisaient du bateau et du Kayak, arrosés d’eau de mer nuit et jour jusqu’à paraître mi-loutre mi-humain. Je leur ai demandé à quoi ressemblait leur enfance. La réponse a été immédiate : « les jeunes ont une enfance heureuse, parce qu’ils ont beaucoup de liberté. » Si le bonheur résulte de la liberté, alors le malheur des enfants occidentaux de nos jours est sûrement causé en partie par le fait qu’ils sont moins libres qu’aucun enfant ne l’a jamais été au cours de l’histoire.
J’ai été frappée par le bonheur évident des enfants de Bajau : ayant passé toute une longue après-midi avec environ 100 d’entre eux, pas un seul ne pleurait, pas un seul n’était en colère, malheureux ou frustré. Je ne peux pas imaginer passer une après-midi avec 100 enfants européens ou américains sans entendre une seule fois un enfant pleurer.
Le cas de la Norvège
En Europe, un pays semble avoir privilégié le lien entre la liberté et le bonheur de l’enfance d’une manière que les enfants gitans de la mer auraient compris : la Norvège. Un pays de lacs et de fjords, un pays qui a inscrit dans la loi un droit ancestral de faire du canoë, de ramer, naviguer et nager, de se promener à travers toutes les terres, à l’exception des jardins privés et des champs cultivés, en une liberté connue sous le nom de « Allemannsretten », le droit de chaque homme, le droit de vagabonder.
En 1960, le psychiatre américain Herbert Hendin étudiait les statistiques de suicide en Scandinavie. Le Danemark, avec le Japon, avait le taux de suicide le plus élevé au monde. Le taux de la Suède était presque aussi élevé, mais que dire de celui de la Norvège ? Tout en bas de la liste. Cela a éveillé la curiosité d’Hendin, tout particulièrement à cause de l’idée reçue qui veut que le Danemark, la Suède et la Norvège partagent une culture semblable. Qu’est ce qui pourrait expliquer une telle différence ? Après des années de recherches, il a conclu que les raisons remontaient à l’enfance. Au Danemark et en Suède, les enfants grandissaient avec une discipline stricte, tandis qu’en Norvège ils étaient libres de se déplacer. Au Danemark et en Suède, les enfants subissaient des pressions pour être les meilleurs à tel point que beaucoup finissaient par s’estimer ratés, tandis qu’en Norvège on les laissait beaucoup plus tranquilles, pas autant instruits mais simplement autorisés à regarder et participer à leur propre rythme. Au lieu d’un sentiment d’échec, les enfants norvégiens ont grandi avec un sentiment d’autonomie.
L’étude a montré que les enfants danois étaient surprotégés, rendus dépendants de leur mère et n’avaient pas le droit de se déplacer librement. En Suède, il était courant qu’à ce moment de l’enfance où les petits avaient besoin de proximité on leur impose une séparation engendrant un sentiment d’abandon alors que plus tard dans l’enfance, au moment où ils avaient besoin de liberté, on leur pose beaucoup trop de limites. Les enfants norvégiens jouaient en plein air pendant des heures sans la surveillance des adultes et la liberté d’un enfant n’était pas susceptible d’être limitée. Ils avaient plus d’intimité avec leurs parents que les enfants suédois à un âge précoce, mais ensuite plus de liberté que les enfants danois et suédois à un âge plus avancé, ce qui suggérait que la proximité affective suivie de liberté produit vraisemblablement les enfants les plus heureux.
Malheureusement, dans les décennies qui ont suivi le travail d’Hendin, au fur et à mesure que la Norvège est devenue plus centralisée et plus urbanisée, l’enfance s’est modifiée. Les enfants norvégiens passent désormais plus de temps à l’intérieur à s’adonner à des activités sédentaires, comme regarder la télévision ou des DVD et jouer à des jeux informatiques, qu’à jouer à l’extérieur. Le taux de suicide est maintenant beaucoup plus élevé.
Des enfants en résidence surveillée
Je me sentais comme complice de torture malgré moi. Les échos des cris de la victime sonnaient contre les murs vernis. La porte, aussi bien fermée fut-elle, ne pouvait bloquer les cris de panique. Un bébé, seul et emprisonné dans un lit d’enfant.
La mère du bébé était visiblement perturbée, trop. Pâle et au bord des larmes. Elle était elle-même une victime, abusée par les partisans du contrôle des pleurs, ou Méthode Ferber – ce système impitoyable, cruel pour eux deux.
Contrôle. Pleurs. Les mots parlent d’eux-même : un système d’intimidation qui contrôle les sentiments d’un bébé. On a dit à la mère que la situation était inverse, que c’est le bébé qui essayait de lui imposer sa volonté, mais tout ce que je pouvais voir c’était un bébé d’un an affolé par l’abandon qu’il vivait. Une mère américaine a eu ce témoignage poignant sur internet : « La Méthode Ferber vaut-elle le prix de mon chagrin ou suis-je vraiment en train de torturer mon enfant ? Cela me semble être un châtiment cruel et inhabituel”.
L’idée derrière cette méthode, c’est qu’on peut apprendre à un bébé à arrêter de pleurer en le laissant pleurer seul. Un parent ira de temps en temps jeter un coup d’œil, mais ne prendra pas le nourrisson dans ses bras et ne restera pas avec lui. Au bout d’un moment, le bébé intégrera que les pleurs n’apportent pas de réconfort et cessera de pleurer. Les parents sont encouragés à planifier et à limiter le temps qu’ils passent à vérifier que tout va bien. Est-ce que le système fonctionne ? Bien sûr que oui. Ce n’est pas la question. La vraie question est pourquoi un tel système est-il encouragé ? Pourquoi est-il accepté ? Qu’est-ce que cela révèle à propos des priorités de notre époque ? Et en quoi ce système apporte-t-il des réponses à l’énigme des enfants malheureux ?
Des enfants très accompagnés partout dans le monde
Câlinés, soignés et bichonnés, la plupart des nourrissons à travers la plus grande partie de l’histoire ont découvert le monde accompagnés. Chez les Mayas Trojolabales du Chiapas au Mexique, les enfants durant les deux premières années de vie sont toujours auprès de leurs mères, instantanément apaisés avec des jouets ou du lait pour éviter qu’ils se sentent malheureux ne serait-ce qu’un instant. Pour les nourrissons de moins d’un an du peuple Aché, nomades de la forêt au Paraguay, la plupart de la journée est consacrée à un lien tactile avec leur mère ou leur père, et ils ne sont jamais posés sur le sol ou laissés seuls pendant plus de quelques secondes. En Inde et dans de nombreuses autres parties du monde, les enfants partagent le lit de leur mère jusqu’à l’âge de cinq ans.
Beaucoup des raisons pour lesquelles de nombreux parents optent pour la méthode Ferber peuvent se résumer en un seul mot : travail. Les parents qui veulent vivre selon un programme routinier tiennent au contrôle des pleurs, plaide Gina Ford, célèbre défenseur britannique de cette méthode, qui remarque que les bébés qui ont été pliés à une routine sauront ensuite s’adapter facilement à l’organisation du temps à l’école et, on peut le supposer, seront plus adaptables au monde du travail.
Pourtant, à chaque fois que j’ai passé du temps dans les communautés autochtones, je n’ai jamais entendu quelque chose de similaire aux cris de peur et de rage de l’enfant-Ferber. Si un enfant est rassasié de proximité, commente l’écrivain Jean Liedloff, alors en grandissant il ou elle n’aura besoin de revenir à ce contact maternel qu’en cas d’urgence. Cet enfant va grandir pour être plus autonome, pas à cause de la rareté des premiers contacts (comme les défenseurs de la méthode du contrôle des pleurs l’affirment), mais exactement pour les raisons inverses : à cause de leur abondance. Vers l’âge d’environ huit ans, les enfants Aché, qui pendant qu’ils étaient nourrissons n’ont jamais été seuls, ont appris à utiliser les pistes dans les forêts et se révèlent être assez indépendants de leurs parents. En Papouasie Occidentale, j’ai vu la façon dont les nourrissons sont élevés très au contact de leurs parents et deviennent des enfants vraiment très indépendants.
Un désir de liberté inextinguible chez les enfants
Lorsque les enfants sont plus âgés, le désir de liberté semble inextinguible. J’ai récemment tenu un atelier d’écriture à Calcutta pour les enfants de la rue qui avaient été parqués temporairement dans une école où ils étaient visiblement bien soignés et, dans l’ensemble, heureux. Ils avaient soif de la seule chose que l’école ne leur accordait pas, la liberté. Un enseignant m’a dit : « Ils veulent la liberté qu’ils connaissent dans la rue, d’aller où ils veulent, quand ils veulent ». En dépit des problèmes de la rue, la pauvreté, la maltraitance, la faim et la violence, les enfants continuaient de s’enfuir.
Une fois sortis de la petite enfance, les enfants Amérindiens étaient traditionnellement libres de se promener où ils voulaient, à travers les bois ou les rivières. « À l’âge de cinq ans, il est grand, rayonnant de santé… fou de liberté », écrit Roger P. Buliard dans Inuk, faisant la description de l’enfance des garçons Inuits. Vers l’âge d’environ sept ans, les garçons manient les couteaux et veulent un fusil et un endroit pour poser des pièges, et à partir de ce moment ils « « se déplacent avec les hommes, en voyageurs aussi robustes que n’importe lequel d’entre eux. »
J’ai passé quelques jours à élever des rennes avec le peuple Sami, j’ai vu comment les enfants étaient libres pas seulement sur leurs terres, mais à l’intérieur dans les cabanes d’été. Ils farfouillaient, cherchant de la nourriture, trouvant un petit lambeau de viande de renne cuit, un poisson fraîchement pêché ou une boite de biscuits, décidaient quoi et quand ils mangeaient : une situation qui évite cette source majeure de conflits familiaux, l’heure des repas.
L’autonomie alimentaire depuis un très jeune âge semble être une caractéristique de l’enfance dans de nombreuses sociétés traditionnelles. Les enfants Alacaluf de Patagonie se débrouillent seuls tôt, utilisant une lance faite de crustacés et faisant cuire leur propre nourriture dès l’âge d’environ quatre ans. Les très jeunes enfants inuits peuvent utiliser un fouet pour chasser le lagopède, décapitant l’oiseau d’un simple mouvement du poignet. En voyageant à travers les hauts plateaux de Papouasie Occidentale parmi le peuple Yali, j’ai souvent vu les garçons des villages partir ensemble, armés d’arcs et de flèches, pour chasser les oiseaux, attraper des grenouilles et les faire rôtir dans un feu qu’ils avaient eux-mêmes démarré.
Pendant ce temps, en Angleterre, un projet de jeu environnemental baptisé Wild About Play a demandé aux enfants ce qu’ils aimaient le plus faire à l’extérieur, et la réponse était de collecter et manger des aliments sauvages, de faire des feux pour y cuire des aliments. C’est le symbole de l’indépendance montrée par les enfants du monde entier, le contrôle de leur propre nourriture et de leur propre corps. Il semble que les enfants euro-américains modernes ont deux expériences inhabituelles liées à la nourriture : premièrement, ils n’ont pas d’autonomie précoce en ce qui concerne la nourriture et deuxièmement, ils font pourtant face à des problèmes d’alimentation.
Le bonheur, lié à la liberté
Quant à la liberté physique, il y a quelques années j’ai passé une journée avec les enfants de gitans de la mer, le peuple Bajau qui vit sur les côtes de l’île de Sulawesi dans des maisons sur pilotis bâties loin au large. Les enfants étaient nageurs et plongeurs, faisaient du bateau et du Kayak, arrosés d’eau de mer nuit et jour jusqu’à paraître mi-loutre mi-humain. Je leur ai demandé à quoi ressemblait leur enfance. La réponse a été immédiate : « les jeunes ont une enfance heureuse, parce qu’ils ont beaucoup de liberté. » Si le bonheur résulte de la liberté, alors le malheur des enfants occidentaux de nos jours est sûrement causé en partie par le fait qu’ils sont moins libres qu’aucun enfant ne l’a jamais été au cours de l’histoire.
J’ai été frappée par le bonheur évident des enfants de Bajau : ayant passé toute une longue après-midi avec environ 100 d’entre eux, pas un seul ne pleurait, pas un seul n’était en colère, malheureux ou frustré. Je ne peux pas imaginer passer une après-midi avec 100 enfants européens ou américains sans entendre une seule fois un enfant pleurer.
Le cas de la Norvège
En Europe, un pays semble avoir privilégié le lien entre la liberté et le bonheur de l’enfance d’une manière que les enfants gitans de la mer auraient compris : la Norvège. Un pays de lacs et de fjords, un pays qui a inscrit dans la loi un droit ancestral de faire du canoë, de ramer, naviguer et nager, de se promener à travers toutes les terres, à l’exception des jardins privés et des champs cultivés, en une liberté connue sous le nom de « Allemannsretten », le droit de chaque homme, le droit de vagabonder.
En 1960, le psychiatre américain Herbert Hendin étudiait les statistiques de suicide en Scandinavie. Le Danemark, avec le Japon, avait le taux de suicide le plus élevé au monde. Le taux de la Suède était presque aussi élevé, mais que dire de celui de la Norvège ? Tout en bas de la liste. Cela a éveillé la curiosité d’Hendin, tout particulièrement à cause de l’idée reçue qui veut que le Danemark, la Suède et la Norvège partagent une culture semblable. Qu’est ce qui pourrait expliquer une telle différence ? Après des années de recherches, il a conclu que les raisons remontaient à l’enfance. Au Danemark et en Suède, les enfants grandissaient avec une discipline stricte, tandis qu’en Norvège ils étaient libres de se déplacer. Au Danemark et en Suède, les enfants subissaient des pressions pour être les meilleurs à tel point que beaucoup finissaient par s’estimer ratés, tandis qu’en Norvège on les laissait beaucoup plus tranquilles, pas autant instruits mais simplement autorisés à regarder et participer à leur propre rythme. Au lieu d’un sentiment d’échec, les enfants norvégiens ont grandi avec un sentiment d’autonomie.
L’étude a montré que les enfants danois étaient surprotégés, rendus dépendants de leur mère et n’avaient pas le droit de se déplacer librement. En Suède, il était courant qu’à ce moment de l’enfance où les petits avaient besoin de proximité on leur impose une séparation engendrant un sentiment d’abandon alors que plus tard dans l’enfance, au moment où ils avaient besoin de liberté, on leur pose beaucoup trop de limites. Les enfants norvégiens jouaient en plein air pendant des heures sans la surveillance des adultes et la liberté d’un enfant n’était pas susceptible d’être limitée. Ils avaient plus d’intimité avec leurs parents que les enfants suédois à un âge précoce, mais ensuite plus de liberté que les enfants danois et suédois à un âge plus avancé, ce qui suggérait que la proximité affective suivie de liberté produit vraisemblablement les enfants les plus heureux.
Malheureusement, dans les décennies qui ont suivi le travail d’Hendin, au fur et à mesure que la Norvège est devenue plus centralisée et plus urbanisée, l’enfance s’est modifiée. Les enfants norvégiens passent désormais plus de temps à l’intérieur à s’adonner à des activités sédentaires, comme regarder la télévision ou des DVD et jouer à des jeux informatiques, qu’à jouer à l’extérieur. Le taux de suicide est maintenant beaucoup plus élevé.
Des enfants en résidence surveillée
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