Vue de la fenêtre de l'Histoire et du récit monographique de l'Algérie, le mois d'août rime avec ''crise de l'été 1962''. Plus que le mois de juillet et la première quinzaine du mois de septembre, le plus chaud des mois méditerranéens a été, en 1962, le plus chaud et le plus chaotique dans la chronologie institutionnelle de l'Algérie indépendante.
Les accords d'Evian signés et le cessez-le-feu proclamé, les ''frères d'armes'' sont sortis d'une guerre – la plus sanglante des conflits de décolonisation—pour basculer dans un conflit fratricide. Si les historiens se gardent d'y voir la première secousse du mouvement national, ils n'en soulignent pas moins la singularité : la ''crise de l'été 1926'' restera au miroir de l'Histoire comme un tournant dans l'histoire contemporaine de l'Algérie.
Avec ses grilles de lecture, la rue algérienne tranche, expéditive : c'est la crise par laquelle les crises ultérieures sont arrivées. Surmédiatisée au moment des faits et érigée premier rang de l'actualité internationale, la ''crise de l'été 1962'' n'a pas meublé, avec suffisamment de travaux, le front de la recherche académique.
Longtemps - récits mémoriels mis à part dont les livres de Benyoucef Benkheda et Mohamed Boudiaf notamment -, cette séquence s'est limitée à un seul travail et il était fondateur et de très grande qualité : ''Le FLN, mirage et réalité des origines à la prise du pouvoir (1945-1962)'' de Mohammed Harbi. .
Un acteur de la ''nouvelle génération des historiens de la guerre d'Algérie'' pour reprendre la formule du regretté Pierre Vidal-Naquet, s'est attaqué, avec beaucoup de mérites, à un grand défi académique : remettre en perspective cette séquence chaotique dans l'histoire de l'Algérie.
Chercheur au CRASC d'Oran, Amar Mohand-Amer a soutenu avec succès en 2010, sous la direction du professeur Omar Carlier, une thèse très fouillée sur ''La crise du Front de libération nationale de l'été 1962 : indépendance et enjeux de pouvoirs''. Ce travail, qui éclaire d'un jour nouveau la crise de ''sebaa s'nine barakat'' (7 ans, ça suffit), en libraire courant 2017. Entretien.
Les accords d'Evian signés et le cessez-le-feu proclamé, les ''frères d'armes'' sont sortis d'une guerre – la plus sanglante des conflits de décolonisation—pour basculer dans un conflit fratricide. Si les historiens se gardent d'y voir la première secousse du mouvement national, ils n'en soulignent pas moins la singularité : la ''crise de l'été 1926'' restera au miroir de l'Histoire comme un tournant dans l'histoire contemporaine de l'Algérie.
Avec ses grilles de lecture, la rue algérienne tranche, expéditive : c'est la crise par laquelle les crises ultérieures sont arrivées. Surmédiatisée au moment des faits et érigée premier rang de l'actualité internationale, la ''crise de l'été 1962'' n'a pas meublé, avec suffisamment de travaux, le front de la recherche académique.
Longtemps - récits mémoriels mis à part dont les livres de Benyoucef Benkheda et Mohamed Boudiaf notamment -, cette séquence s'est limitée à un seul travail et il était fondateur et de très grande qualité : ''Le FLN, mirage et réalité des origines à la prise du pouvoir (1945-1962)'' de Mohammed Harbi. .
Un acteur de la ''nouvelle génération des historiens de la guerre d'Algérie'' pour reprendre la formule du regretté Pierre Vidal-Naquet, s'est attaqué, avec beaucoup de mérites, à un grand défi académique : remettre en perspective cette séquence chaotique dans l'histoire de l'Algérie.
Chercheur au CRASC d'Oran, Amar Mohand-Amer a soutenu avec succès en 2010, sous la direction du professeur Omar Carlier, une thèse très fouillée sur ''La crise du Front de libération nationale de l'été 1962 : indépendance et enjeux de pouvoirs''. Ce travail, qui éclaire d'un jour nouveau la crise de ''sebaa s'nine barakat'' (7 ans, ça suffit), en libraire courant 2017. Entretien.
Chronologiquement, la «crise du FLN de l’été 1962» éclate lors de la cession du Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA, parlement en exil) à Tripoli en Libye, dans la nuit du 5 au 6 juin 1962. Elle prendra fin le 6 septembre 1962, date de la publication de l’accord conclu deux jours auparavant à Alger (le 4 septembre) entre Bureau politique du FLN, dominé par Ahmed Ben Bella et ses partisans (Mohamed Khider, Rabah Bitat, Hadj Benalla et Said Mohammedi), et les wilayas 4 (Algérois) et 3 (Kabylie), qui se sont opposés à lui.
Il est vrai que la formule « crise de l’été 1962 » n’exprime pas, avec pertinence, la réalité et la complexité d’une étape fondamentale dans l’histoire contemporaine de l’Algérie : en l’occurrence celle de l’indépendance et l’après-indépendance. En effet, nous pouvons dire que la crise du FLN de 1962 se termine réellement avec le putsch avorté, le 14 décembre 1967, du chef de l’Etat-major de l’ANP, le colonel Tahar Zbiri, contre le pouvoir du colonel Houari Boumediene, chef du Conseil de la Révolution.
Toutefois, il convient de préciser qu’entre le 6 septembre 1962 et le 14 décembre 1967, l’Algérie a vécu une série de graves crises. Les deux plus importantes sont la caporalisation par le BP du FLN, en janvier 1963, de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) et le coup d’Etat militaire réussi du colonel Boumediene et ses partisans contre le pouvoir civil d’Ahmed Ben Bella.
Comparée aux crises antérieures du mouvement national et aux crises futures qui vont jalonner l'Algérie indépendante, comment se décline la nature de la « crise de l'été 1962 ». Et quel en est l'acuité et le degré ''sismique'' sur la vie politique de l'Algérie indépendante ?
C’est une crise politique majeure, dans le sens où elle va rompre une grande partie des équilibres forgés par le FLN et l’ALN entre 1954 et 1962. Ainsi, des institutions, de grande valeur politique et symbolique, tels que le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) ou le CNRA vont être marginalisées après juin 1962, puis décrédibilisées et délégitimées.
Le cas des wilayas est plus problématique, dans la mesure où, craignant, et à juste titre, la puissance de l’armée des frontières stationnée au Maroc et en Tunisie, elles (les wilayas) vont se renforcer après mars 1962, mais surtout en juillet-août 1962, par le recrutement massif de ceux qu’on appelle les « marsiens » (en référence aux combattants qui vont surgir sur la scène après le cessez-le-feu du 19 mars 1962).
Au final, le nombre des « marsiens » va dépasser celui des moudjahidines de l’ALN (les maquisards de l’intérieur) d’avant mars 1962. A l’inverse, l’armée des frontières est restée soudée et forte de ses 35 0000 hommes. C’est ce qui fera la différence, sur le plan militaire, à l’indépendance.
[quote]Oui, la crise de l'été 1962 a été un séisme pour les institutions du FLN, notamment le GPRA, le CNRA, et aussi les wilayas ; mais également l’UGTA (historique) et la Fédération de France du FLN (la wilaya 7).[quote]
Ces institutions qui constituaient, en grande partie, l’ossature de la Révolution algérienne, seront marginalisées à l’indépendance. Dans la même optique, des personnalités politiques ou militaires, à l’instar de Saad Dahlab, un des acteurs des négociations d'Evian, pour ne citer que lui, vont être écartées.
Racontée par nos parents et la rue algérienne, la crise est réduite à un affrontement armé entre le GPRA et l'Armée des frontières sur fond de cri populaire « sept ans, ça suffit » ! Quid des acteurs de ce conflit ? Combien sont-ils et que cherchent-ils à l'heure de l'affrontement ?
Il y a pléthore d’acteurs. Cela s’explique par l’implosion, dans des conditions dramatiques, du FLN historique à Tripoli dans la nuit du 5 au 6 juin 1962. La nouvelle situation politique crée ainsi les conditions objectives à des processus nombreux et complexes de négociations, marchandages, positionnements…. Les anciens rapports de force au sein du FLN et de l’ALN explosent. De nouvelles configurations se mettent en place.
L’indépendance n’est pas seulement la fin de la colonisation mais le début d’une « guerre de succession » pour paraphraser Mohammed Harbi. Aussi, les acteurs, anciens ou nouveaux, militants ou opportunistes, moudjahidines ou intrigants, tous participent, d’une manière ou d’une autre, à cette course au pouvoir, soit pour maintenir l’unité du FLN, s’accaparer des principaux leviers de l’Etat algérien indépendant, ou bien, tout simplement, bénéficier de parcelles du pouvoir.
Le cri de révolte et de dépit « sabaâ s’nine barakat » (sept ans, ça suffit) et les slogans, tel « Un seul héros, le peuple », renseignent sur l’incompréhension de la population face à l’incapacité du FLN de consolider son unité à l’indépendance, mais surtout de dénoncer le recours, par ce même FLN, à la violence fratricide au moment où le pays accède à la libération.
Finalement, la violence primera, et des centaines d’Algériens périront au début du mois de septembre 1962 au moment où l’armée marchera, sur l’ordre du BP du FLN, sur Alger en écrasant sur son passage les maquisards des wilayas 4 et 3.
Revisiter la « crise de l'été 1962 », c'est planter le décor d'une période agitée en interrogeant les acteurs témoins et en faisant parler les sources. Sur quoi vous vous êtes appuyés pour reconstituer le puzzle de la crise ?
Je me suis appuyé, en premier lieu, sur une importante documentation en arabe, français et anglais et sur les inestimables archives du GPRA et du CNRA (Archives nationales d’Algérie, Alger). Il est à noter que je n’ai pu consulter qu’une petite partie de ce trésor (archives du FLN).
Aussi, les transcriptions des délibérations des réunions du GPRA et les débats du CNRA sont des sources très importantes et inédites pour l’historien. Elles permettent de comprendre la philosophie du moment, les enjeux de la période, les oppositions dans des contextes précis, la vision du FLN face aux Français, la psychologie des acteurs en temps de guerre…
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