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Mao en Chine : indétrônable timonier

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  • Mao en Chine : indétrônable timonier

    Le jeune artiste chinoise avait invité ses amis pour une pendaison de crémaillère dans son studio à Pékin : pour animer la soirée, elle avait fait une vidéo avec de vieilles images noir et blanc de Mao Zedong, montées de manière à produire un effet comique.

    Dans la vidéo projetée sur un vaste mur blanc, on voyait le Grand Timonier plonger dans le fleuve Yangzi et en ressortir aussitôt en images inversées, ou avancer vers les "gardes rouges" pendant la Révolution culturelle et reculer aussitôt, comme s’il hésitait… Un montage qui amusa les invités, membres comme elle de la petite élite de libres-penseurs de la capitale chinoise.

    Mais cette manière de tourner en dérision le quasi-dieu qui dirigea le pays le plus peuplé au monde d’une main de fer n’est pas la norme dans la Chine du XXIe siècle, qu’on devrait appeler post-Mao plutôt que post-maoïste. Mao Zedong reste en effet une référence incontournable et sacro-sainte pour le pouvoir chinois, qui en fait le meilleur usage possible : un instrument de contrôle des "masses", comme on disait en son temps.

    Au rétroviseur des taxis

    Le visage de Mao, que tout Chinois, dès son plus jeune âge, reconnaît sans hésiter, s'affiche toujours sur les plus gros billets de banque, ceux de 100 yuans ; son portrait trône toujours sur la porte de la Paix céleste, place Tian’anmen, le centre névralgique de Pékin, juste en face de son mausolée, point de pèlerinage obligé de tout provincial en visite ; ce même portrait que l’on retrouvera, un peu jauni, dans bon nombre de maisons rurales ou de boutiques, ou même en porte-bonheur accroché au rétroviseur des taxis ; et la pensée de Mao reste une référence idéologique inévitable de tout discours un peu solennel de ses lointains successeurs à la tête du Parti.

    A sa mort, le 9 septembre 1976, à l’âge de 82 ans, tous les Chinois, même ceux qui en avaient été les victimes, racontent qu’ils ont eu l’impression que le monde s’effondrait, tant cet homme avait dominé leurs vies depuis près de trois décennies. Mais contrairement à l’Union soviétique après la mort de Staline en 1953, il n’y eut pas, en Chine, de "démaoïsation", pas d’équivalent du rapport Khrouchtchev sur les crimes du stalinisme.

    Il y eut d’abord une âpre lutte pour le pouvoir avec la Bande des Quatre, noyau dur ultramaoïste comprenant la veuve de Mao, la redoutable Jiang Qing ; puis, après son élimination, un "compromis historique" entre les tenants d’un maoïsme soft, débarrassé de ses excès, et les "pragmatistes " incarnés par Deng Xiaoping, le déjà vieux dirigeant, plusieurs fois "purgé" par Mao.

    "70% positif, 30% négatif"

    Dans un texte de 1983 pour le CNRS, le sinologue Yves Chevrier note que "si la condamnation des Quatre au début de 1981 semblait préfigurer une condamnation de Mao lui-même, le 6e plenum de juin 1981 élude ou du moins émousse cette consécration attendue du cours nouveau au moyen d’une appréciation nuancée des mérites et erreurs de Mao".

    C’est le fameux jugement du Parti sur Mao : "70% positif, 30% négatif", un pourcentage assez commode pour glisser sous le tapis les errances et les crimes du Grand Timonier, les purges "antidroitiers", les morts du Grand Bond en avant, les drames de la Révolution culturelle... Les survivants de ces tragédies politiques sont réhabilités après 1976, mais aucune mise en cause des responsables n’est permise.

    Les livres d’histoire sont le reflet de ce savant dosage : Mao est glorifié pour avoir redonné sa fierté au pays après "un siècle et demi d’humiliations", pour avoir doté le pays de l’arme nucléaire, apanage des "grands", et pour avoir redonné sa place à la Chine dans le monde après la fameuse rencontre avec Richard Nixon en 1972. Mais exit les crimes et les erreurs dont chaque famille chinoise connaît parfaitement l’ampleur et le détail : le Parti est passé maître dans les accommodements avec l’histoire.

    La jeune génération y croit !

    Le calcul politique des dirigeants des années 1980, qui reste valable aujourd’hui, repose sur la nécessité de préserver une continuité historique avec ceux de la Révolution, en gommant ses aspects négatifs, afin de garantir la légitimité du Parti. Cela fut bien utile alors que la politique de réformes économiques tardait à produire ses fruits les premières années, et c’est cette "légitimité" puisée dans l’histoire qui a permis à Deng Xiaoping, alors dénué de toute fonction, d’ordonner le recours à l’armée contre les étudiants le 4 juin 1989.

    Depuis trente-cinq ans, c’est donc cette image presque débonnaire de Mao en tant que "père de la nation" qui est véhiculée en Chine, et même si une bonne partie des Chinois ne sont pas dupes et ne cachent pas leurs critiques en privé, ça marche ! La jeune génération, celle d’internet et des réseaux sociaux, est biberonnée dès l’école à ce "saint Mao" sans qui il n’y aurait pas de "Chine nouvelle". Et elle y croit !

    Le paradoxe est que la vénération de Mao est mise au service de la construction d’une société qui aurait horrifié le Grand Timonier, lequel n’aurait pas manqué d’y voir une tentative de restauration du capitalisme, sa hantise ! Car ses successeurs ont conservé la référence tout en inversant radicalement sa doctrine : ils favorisent le développement du secteur privé, ont ouvert les portes du Parti aux patrons et s’appuient sur la nouvelle classe moyenne aux dépens des paysans, des ouvriers.

    Xi Jinping en "col Mao"

    Le maoïsme politique a laissé des traces. Bo Xilai, l’ambitieux " prince rouge", avait réhabilité les chants et les slogans de la Révolution culturelle pour asseoir son pouvoir dans l’espoir de s’imposer au sommet, avant de "tomber" en 2012. Le vainqueur, un autre " prince rouge", Xi Jinping, l’actuel numéro un, s’inspire lui aussi des méthodes de l’ère maoïste : culte de la personnalité comme la Chine n’en avait pas connu depuis des décennies, autocritiques contraintes de dissidents comme l’avocate Wang Yu début août, parade militaire en "col Mao" quand le reste du temps il est en costume-cravate…

    Le style maoïste sert à asseoir un pouvoir plus autoritaire que jamais depuis la fin du maoïsme – la répression sanglante de Tian’anmen mise à part –, qui refuse toujours toute réforme politique et muselle la société civile. Xi Jinping n’est pas un "nouveau Mao", plutôt le PDG de l’entreprise China Inc. ; mais il a bien compris les leçons de l’histoire et les met au service de son propre pouvoir, du Parti et de la puissance chinoise.

    De nombreux Chinois ne comprennent pas que les laowai – les étrangers – aient de Mao l’image d’un despote sanguinaire, et y voient un signe de plus de leur hostilité à ce que la Chine se redresse. C’est d’autant plus le cas que, le temps effaçant les blessures, Mao leur apparaît souvent comme un homme qui protégeait les laobaixing, les "gens ordinaires", contre les puissants, y compris le pouvoir actuel. Cette image de Mao en Robin des Bois plutôt qu’en Staline chinois est très ancrée dans les campagnes, en particulier ; elle est aussi véhiculée par la "nouvelle gauche" chinoise, elle aussi en mal de repères idéologiques.

    Paradoxalement cet Occident qui a poursuivi le travail de recherche historique sur Mao pour en révéler toutes les facettes, y compris les plus sinistres, est aussi celui qui en a fait une icône pop, avec les célèbres toiles de Warhol. Une rétrospective de l’œuvre de Warhol à Shanghai, en 2013, fut néanmoins censurée pour en expurger les "Mao" : le Parti communiste veut garder le monopole de l’image de son Grand Timonier qui le sert encore si bien.

    l'OBS
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