Annonce

Réduire
Aucune annonce.

La violence de l'économie face à la violence du terrorisme

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • La violence de l'économie face à la violence du terrorisme

    Bertrand Piccard a posé Solar Impulse, Elon Musk fusionne Tesla et SolarCity, MoonExpress a l'autorisation d'envoyer un engin sur la lune. Nicolas Bouzou éclaire les liens entre destruction créatrice de l'économie et violence djihadiste.

    Cet été n'a pas été marqué seulement par la violence terroriste: Bertrand Piccard a posé Solar Impulse, Elon Musk a décidé de fusionner Tesla et SolarCity et MoonExpress a reçu l'autorisation d'envoyer un engin sur la lune. L'immense mutation technico-économique illustrée par les exemples qui précèdent et qui génère une destruction-créatrice d'une ampleur sans précédent n'a pas pris de vacances et n'est pas indépendante de la montée de la violence dans le monde. Exactement comme pendant le siècle de Périclès, la Renaissance ou la Révolution industrielle, les individus perdent leurs repères, affectés par des «blessures narcissiques» qui bousculent leur vision du monde. Freud, dans son Introduction à la psychanalyse de 1916, souligne que Copernic a ramené l'homme à l'état de minuscule parcelle de l'univers et que Darwin a fait de l'homme un animal plus proche du singe que de dieu. La notion de fondamentalisme elle-même est apparue dans le contexte du protestantisme américain au début du 20ème siècle comme une réaction à la science qui sécularise la société.

    Aujourd'hui, l'intelligence artificielle, les nanotechnologies, la génétique, les énergies propres ou la révolution spatiale nous font de nouveau basculer dans un nouveau monde qui tue l'ancien, celui des agendas papiers, de la voiture à essence et des stations-services, de la médecine clinique et du salariat. Cette mutation ne s'arrête pas à l'économie mais pose des questions éthiques immenses, de la sélection des embryons à l'hybridation homme-machines. De fait, ces périodes schumpétériennes déstabilisantes aiguisent l'opposition entre les partisans de la société ouverte, libérale et démocratique, et ceux qui la rejettent, et qui trouvent avec le fondamentalisme religieux ou le nationalisme des débouchés idéologiques simples et cohérents.

    Bien sûr le terrorisme islamiste n'est pas né avec la mutation numérique. Mais, comme le rappelle le philosophe Pierre Henri Tavoillot, il faut expliquer pourquoi le fondamentalisme musulman a attendu les années 1980 pour se traduire en violences. Pour Tavoillot, le basculement date de 1979 pour trois raisons: la révolution islamique d'Iran démontre que l'Islam radical peut trouver un débouché politique ; l'invasion soviétique en Afghanistan amène les Américains à armer les djihadistes ; Den Xiaoping met fin à l'expérience marxiste-léniniste en Chine et donne le coup d'envoi de la modernisation du plus grand pays du monde et à son entrée dans la mondialisation: la société ouverte, est augmentée du géant chinois. La seconde guerre du golfe en 2003 puis le vide étatique laissé par la mort de Kadhafi vont contribuer à la formation de l'Etat Islamique. Mais ces deux derniers éléments sont des déclencheurs et des facilitateurs de terrorisme plus que des causes ultimes. De fait, dans l'histoire longue, les périodes de violence correspondent aux grandes phases de destruction-créatrice et de mondialisation. Le siècle de Périclès débouche sur la guerre entre Athènes (les tenants de la Société ouverte) et Sparte (les fondamentalistes) et mène à la tyrannie des Trente. Au 15ème siècle, la révolution conservatrice de Savonarole (fondamentaliste) frappe le capitalisme rutilant des marchands florentins et les vanités, qui incarnent la société ouverte, sont brulées sur le bucher. A la fin du 19ème siècle, immense période d'innovation qui prépare la Belle Epoque, Ravachol terrorise la France et Sadi-Carnot, Président de la République, est assassiné. Ravachol et Sante Geronimo Caserio étaient de pauvres gens désorientés. La violence terroriste est moins une réaction à la pauvreté ou à l'injustice qu'un réflexe atavique vis-à-vis d'un monde qui change et à des blessures narcissiques plus ou moins bien intériorisées.

    On sait maintenant que la plupart des jeunes djihadistes n'ont pas reçu de véritable éducation religieuse. C'est après avoir basculé dans la radicalité en raison de leur rejet de la société ouverte qu'ils basculent dans le fondamentalisme, ce qu'Olivier Le Roy résume de cette formule: avec le fondamentalisme islamiste nous faisons face, non pas à une radicalisation de l'Islam mais à une islamisation de la radicalité. Autrement-dit, le terrorisme islamique est comparable avec l'anarchisme rouge du 19ème siècle à la Bande à Bader ou Action Directe: des individus exècrent nos sociétés et trouvent dans des discours radicaux, religieux ou politiques, le récit qui donne un sens à leur vie puis à leur mort puisque beaucoup acceptent l'idée du suicide. La pauvreté est éventuellement un facteur aggravant mais lier terrorisme et pauvreté, c'est rester à la surface des choses. L'immense majorité des habitants de notre planète qui souffrent d'extrême pauvreté sont plus abattus que révoltés. Le terrorisme se nourrit de la détestation de la société qui s'ouvre et se modernise. Il est l'antidote de malheur au progrès.

    Aujourd'hui, c'est Daech qui propose le principal récit hostile à la société ouverte mais le terrorisme est relativement fongible. Il peut se greffer sur n'importe quel récit qui considère le monde tel qu'il est comme un bateau qui coule, qui ne peut pas être amélioré et donc aimé. L'idéologie du «c'était mieux avant» est à ce titre la plus mortifère qui soit pour nos sociétés. C'est à nous, les progressistes et les libéraux modérés, de la faire mentir et de bâtir le récit philosophique confiant du monde qui vient, pour contribuer à faire reculer la violence.


    le figaro
Chargement...
X