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Game of Thrones : au commencement de la politique était la peur

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  • Game of Thrones : au commencement de la politique était la peur

    Par Harry Bos
    FIGAROVOX/ANALYSE - Game of Thrones vient de faire l'objet d'une analyse géopolitique par Dominique Moïsi. Pour Harry Bos, qui a lu son essai, la série révèle que la peur est un fondement courant du politique.
    D'origine néerlandaise, Harry Bos travaille dans l'industrie du cinéma et écrit régulièrement des articles sur la dimension politique de l'univers cinématographique.
    C'est le politologue Dominique Moïsi qui s'exclame ainsi, en avouant être devenu «accro» à la série américaine Game of Thrones, dans son livre passionnant La géopolitique des séries (1).
    Depuis la diffusion de la 1e saison en 2011, les observateurs dans le monde entier rivalisent d'éloges pour cette série mythologico-médiévale «enlacée de métaphores à la Hobbes et d'intrigues à la Machiavel» (selon la très sérieuse revue américaine Foreign Affairs). Le philosophe Mathieu Potte-Bonneville, directeur de l'ouvrage collectif Game of Thrones, série noire, affirme que la série «offre (…) des pistes de réflexions. L'interprétation, derrière, est propre à chacun».
    Les interprétations sont variées : feuilleton féministe, série sexiste, plaidoyer pour une politique progressiste ou reflet de la Realpolitik, etc.
    Les interprétations sont en effet variées: feuilleton féministe pour les uns, série sexiste pour les autres, plaidoyer pour une politique progressiste ou reflet de la Realpolitik néoconservatrice etc. Parmi les nombreux livres qui lui ont été consacrée, on trouve même une étude collective commandée par le parti protestataire espagnol Podemos, pour «en tirer les enseignements politiques» et Moïsi estime que la série «pose des questions existentielles de géopolitique».
    Tous seraient donc devenus accros à cette série surdimensionnée - en termes de moyens, de spectacle mais aussi de violence et de sexualité explicites - dont le style visuel navigue entre réalisme cru et kitsch du péplum?
    Pour comprendre l'enjeu d'un tel succès, arrêtons-nous d'abord à la source de Game of Thrones: le cycle des romans A Song of Ice and Fire de l'Américain George R. R. Martin. Martin, on le sait, s'inspire notamment de J. R. R. Tolkien et de sa saga mythico-moyen-âgeuse Le seigneur des Anneaux, à cette différence près que Tolkien, nostalgique invétéré des temps anciens et puritain post-victorien, est autant un modèle qu'un anti-modèle pour l'Américain. A Song of Ice and Fire n'a rien de nostalgique et déborde de références à notre actualité. Le manichéisme de Tolkien du combat entre le bien et le mal devient diffus chez Martin: on a plutôt l'impression qu'il s'agit d'une bataille inégale entre des cyniques et des naïfs. Toutefois, même si, à la différence de Tolkien, les terres du danger ne se trouvent pas ici au sud mais au nord, des créatures fantastiques nous menacent dans les deux cas. Hic sunt dracones, indiquaient les cartes médiévales pour les territoires dangereux et inconnus: «ici sont les dragons».

    «Le jeu ne s'arrête jamais»

    Une séquence qui a choqué et fasciné le monde entier et qui révèle ce qui motive nombre de personnages : la jalousie, le ressentiment, la vengeance.
    Le cycle n'a pas encore été terminé par l'auteur. Martin est un peu comme la Shéhérazade des Mille et une nuits: chaque histoire en déclenche une autre, elle se complique, se décuple, s'interrompt, reprend ailleurs, semble sans fin. L'adaptation télévisuelle renforce encore le côté fragmentaire du livre, le récit saute des étapes, paraît souvent obscur et change constamment de registre. «Le jeu ne s'arrête jamais,» entend-on dire dans la saison 5. En effet. On est au sein d'un dispositif narratif qui n'aboutit pas, qui va constamment à l'encontre de ce qu'on attend et qui est rythmé par des scènes spectaculaires et surtout extrêmement sanglantes. Game of Thrones peut en effet être vue comme une concentrée de toute l'horreur possible.
    On n'oubliera pas de sitôt la scène des «Noces pourpres» (9e épisode de la 3e saison), où plusieurs personnages de premier plan - des membres de la famille Stark qui règne sur le Nord - sont sauvagement assassinés par un clan rival. Une séquence qui a choqué et fasciné le monde entier et qui révèle ce qui motive nombre des personnages de la série: la jalousie, le ressentiment, la vengeance, la soif de sang.
    Car malgré leur éloquence, la plupart des protagonistes de Game of Thrones ne sont pas de fins politiques, encore moins des cyniques, ce sont des êtres primaires qui agissent par pur instinct. Quelques rares personnages dépassent ce niveau, notamment Jon Snow, fils illégitime de Ned Stark et commandant des «Gardes de Nuit» qui doivent protéger la frontière du nord.

    Voilà pour les messagers, qu'en est-il des messages politiques de la série? Peut-on vraiment en tirer des leçons politiques?

    Corruption, fanatisme religieux, liberté et esclavage, déficits, crises financières et légitimité du pouvoir, l'ensemble est riche et hétéroclite.
    Il est vrai que le corpus de références politiques est considérable. Certaines sont indirectes, à travers des renvois aux histoires anciennes et/ou au théâtre de Shakespeare - le meurtre collectif de Jon Snow s'inspire directement de celui de César - d'autres réfèrent directement à notre actualité. Corruption, fanatisme religieux, liberté et esclavage, déficits, crises financières et légitimité du pouvoir, l'ensemble est riche et hétéroclite. Pourtant, les référence se font en général de façon succincte et elles restent subsidiaires à la narration qui recherche avant tout l'effet dramatique et le spectacle.

    Prenons l'exemple des réfugiés dans la saison 5, les habitants dits «sauvageons» des terres au-delà de la frontière du nord qui sont accueillis par Jon Snow. Dominique Moïsi, dans la Géopolitique des séries, y voit une préfiguration de la crise de réfugiés en 2015 en Europe et compare Snow avec Angela Merkel qui, comme lui, obéit à «son seul instinct moral». Snow paie son action - provisoirement - de sa vie, d'où la question de Moïsi: «(Est-il) suicidaire et finalement inutile de vouloir faire le bien?» Interrogation intéressante, notamment quand on prend en compte les événements de ces dernières semaines en Allemagne.
    Dominique Moïsi y voit une préfiguration de la crise de réfugiés en 2015 en Europe et compare Snow avec Angela Merkel.
    Mais qui les réfugiés fuient-ils en vérité? «Les marcheurs blancs», d'horribles créatures aux jeux bleus, sorties droit d'un film d'horreur et qui s'entourent d'une armée de zombies, les «revenants». Même si on prend en considération le schéma d'inversion que Martin emploie par rapport à Tolkien, on est quand même plus près d'un film de George A. Romero que du contexte de Moyen-Orient et de Daesh. Du coup, toute interprétation politique devient hasardeuse. Cette «décontextualisation» est typique de tous les sujets d'actualité évoqués dans Game of Thrones.

    On va ici beaucoup plus loin que dans la série House of Cards, où la vraisemblance politique était déjà bafouée pour les besoins de la dramaturgie. Game of Thrones atteint et dépasse très vite ce qu'on peut appeler «le seuil de fictionalisation», moment où le scénario se détache de toute crédibilité.
    Ce qui reste n'est en effet rien d'autre qu'un jeu, un jeu avec des personnages dont le destin peut basculer sans raison valable et surtout un jeu extrêmement efficace avec les pulsions primaires du spectateur, toujours tiraillé entre empathie et détestation pour les protagonistes.
    Ici sont les dragons. En vérité, ces créatures monstrueuses sont partout dans Game of Thrones et ils sont là pour nous faire peur. Une peur plus primaire que politique.
    (1) Dominique Moïsi, La géopolitique des séries ou le triomphe de la peur, éd. Stock, 2016
    Dernière modification par nacer-eddine06, 24 août 2016, 10h37.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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