Il dira, avec modestie, n’avoir accompli que son devoir vis-à-vis de sa patrie. Bachir Bersi – il s’agit de lui – est né le 2 mai 1932 à Agraradj (Aghribs), un village «idéalement» sis au pied du mont Tamgout, une des zones de la Wilaya III historique.
Bachir est, dès l’adolescence, imprégné des sentiments nationalistes contre la domination coloniale française. Sur son sillon, il entraînera deux de ses 4 frères cadets, Mohand et Saïd (19 et 15 ans, en 1954).
Leurs parents, Amar Oubachir et Tassadit n-Mhenna (née Khelfa), vivront, à cause de leur trio de fils moussebiline, puis maquisards, un calvaire de tortures et d’interrogatoires, jusqu’à l’indépendance. Et, momentanément, car, avec le FFS (1963-1965), le pire était encore au rendez-vous pour eux, à cause de «leur» Bachir. Une autre histoire… La ferveur du jeune Bachir pour l’indépendance est «tétée» auprès de ses aînés cousins et autres cohabitants d’Agraradj, tels Arezki Bwamar (Bersi), Omar Oumeziane (Yermèche), Khijou (Abdoun), Ouyidir Ouheddad (Kaci)… Plus tard, à la veille de Novembre 1954, sa conscience était assez «aiguisée» avec les fréquentes visites du duo Belkacem Krim et Amar Ouamrane dans ce hameau natal appelé «Laâzib Bou-Yemkerkar» (marécage aux grenouilles).
Ce duo, qui sillonnait toute la Kabylie avant l’insurrection armée, venait souvent chez ses cousins paternels, tels M’hand Ourezki, El Bachir dit «Mohand-Amokrane» et ses deux frères (Saïd, Esseïd et Hand), ainsi que leur père (Mohand Bwakli, propriétaire d’un grand rucher dans la région). L’esprit nationaliste de Bachir n-Amar Oubachir se forgera encore en France où il exerça, avant 1954, comme tourneur à la maison Peugeot, aux côtés de nombreux militants, tels que Hand Oumeziane, Hand Ouali, Akli n-M’hand (Yermèche) et son frère Ali. «Nous y payions alors à l’organisation (nidam) 500 francs par mois (5 DA d’aujourd’hui).
Plus tard, nous payions le double. Il y avait Mohand n-Sidi Aïch, Arezki Ouyidir, un responsable d’Abizar (Si Boudjema), ‘‘Maâlit’’ (Boudjema Selami), Akli n-Hand-Moh-Ouhand, etc. Nous partions dans des cafés fréquentés par des Nord-Africains, à Montbéliard et à Sochaux, pour inciter nos compatriotes à ne pas aller au cinéma, en leur disant qu’il est honteux de s’y rendre, pendant que nos frères sont dans des prisons françaises», se souvient Si El Bachir, qui marquera, pendant et après l’opération Jumelles dans la Wilaya III, l’esprit de beaucoup de moudjahidine, notamment cet autre grand maquisard, originaire de Yakouren, pour devenir, avec Si El Bachir, d’intimes amis, à ce jour. Il s’agit de Ali Ameur (hadj), du nom de guerre «Ali Magoura», s’identifiant ainsi à son village natal. Encore une autre histoire... En 1955, ajoute Si El Bachir, «j’ai regagné la Kabylie après avoir su que la quasi-totalité des gens à Agraradj, Tamassit, Hendou…, étaient au maquis dès Novembre 1954. Je suis venu en ‘‘permission’’ avec Saïd El Bachir (Amaouche). Celui-ci retourna à son poste au terme du ‘‘congé’’, tandis que, pour moi, mon esprit ‘‘mijotait’’ d’autres idées».
De prison en prison avec son cadet
«Un jour, alors que j’étais à Laâzib avec mon frère Saïd, soudain un envahissement militaire nous submergea et nous fûmes embarqués manu militari vers la prison de Yakouren, où nous avons été détenus pendant 8 mois. Deux jours après notre libération, nous partîmes à Aghribs pour nous faire établir des permis de circuler. Nous fûmes encore pris et torturés sur place par des militaires en nous reprochant le ‘‘retard’’ des deux jours pour venir. ‘‘Un temps suffisant pour recevoir des conseils auprès des hors-la-loi, comme vous !’’ nous cria en face notre tortionnaire, pendant que je tentais de ‘‘protéger’’ mon frère Saïd (15 ans) des coups qui pleuvaient sur nous», nous narre cet aîné d’une fratrie de 5 garçons, âgé de 23 ans en 1955.
«Nous fûmes, moi et Saïd, conduits aussitôt à Azeffoun pour 8 autres mois de détention avec des tortures quotidiennes, puis direction du Camp du Maréchal (Tadmait) où nous passerons encore 8 mois de souffrances. Avec un collectif de prisonniers algériens, nous entamions une grève de la faim tout en refusant de saluer l’emblème tricolore. Nous écopions ainsi d’un mois (août) de réclusion en représailles à notre acte. Mon frère Saïd étant libéré, je fus transféré, avec d’autres, vers la prison de Boussoui, à la frontière algéro-marocaine, me disait-on. Il y avait avec moi Si L’Hocine Afraoucen, de Hendou, un jeune d’Alma Guechtoum, Akli n-Esseïd, Arezki El Hadj Omar (Kessi), Arezki Ou-Sahnoun, Mohand Ou-M’henna (Amenouche)…»
Tous les détenus algériens trouvés à Boussoui affichaient envers nous, Kabyles, une curieuse méfiance qui nous faisait un peu mal. Avant notre libération, on nous a placés, à quatre, avec nos guenilles, sur une table-estrade. Il y avait un policier kabyle originaire de Djemaâ que l’administrateur de la prison interrogeait en s’en servant d’interprète: «Que méritent des gens comme ceux-là qui aident les rebelles ?» Et le policier de répondre: «Normalement, chef, la loi les condamne à mort !» L’administrateur de la prison enchaîna : «Vous voyez l’indulgence de la France que vous combattiez en obéissant aux fellaghas ? Voyez-vous comment elle vous épargne la vie ?» C’est ainsi que tous les prisonniers, qui avaient des «doutes» sur nous pendant les mois de détention, commençaient à nous jeter, qui une veste, qui un pantalon, qui une chemise ou un tricot, tout en nous collectant de l’argent pour pouvoir rentrer chez nous.
Un émouvant moment de fraternité y naquit. Embarqué sur le train Oran-Alger, Si El Bachir se souvient avoir passé une nuit dans un Hammam à Alger, une ville qu’il n’a pas connue auparavant. «Au matin, ce fut la fille d’un certain Vaucelle qui nous transporta avec sa 2 CV Citroën, pour nous mettre à bord de l’autocar de son père en partance d’Alger pour Azazga. C’était vers le milieu de 1958.»
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