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Ces moudjahidine d’exception (I) : Bersi Bachir, un rescapé de deux guerres

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  • Ces moudjahidine d’exception (I) : Bersi Bachir, un rescapé de deux guerres


    Il dira, avec modestie, n’avoir accompli que son devoir vis-à-vis de sa patrie. Bachir Bersi – il s’agit de lui – est né le 2 mai 1932 à Agraradj (Aghribs), un village «idéalement» sis au pied du mont Tamgout, une des zones de la Wilaya III historique.


    Bachir est, dès l’adolescence, imprégné des sentiments nationalistes contre la domination coloniale française. Sur son sillon, il entraînera deux de ses 4 frères cadets, Mohand et Saïd (19 et 15 ans, en 1954).

    Leurs parents, Amar Oubachir et Tassadit n-Mhenna (née Khelfa), vivront, à cause de leur trio de fils moussebiline, puis maquisards, un calvaire de tortures et d’interrogatoires, jusqu’à l’indépendance. Et, momentanément, car, avec le FFS (1963-1965), le pire était encore au rendez-vous pour eux, à cause de «leur» Bachir. Une autre histoire… La ferveur du jeune Bachir pour l’indépendance est «tétée» auprès de ses aînés cousins et autres cohabitants d’Agraradj, tels Arezki Bwamar (Bersi), Omar Oumeziane (Yermèche), Khijou (Abdoun), Ouyidir Ouheddad (Kaci)… Plus tard, à la veille de Novembre 1954, sa conscience était assez «aiguisée» avec les fréquentes visites du duo Belkacem Krim et Amar Ouamrane dans ce hameau natal appelé «Laâzib Bou-Yemkerkar» (marécage aux grenouilles).

    Ce duo, qui sillonnait toute la Kabylie avant l’insurrection armée, venait souvent chez ses cousins paternels, tels M’hand Ourezki, El Bachir dit «Mohand-Amokrane» et ses deux frères (Saïd, Esseïd et Hand), ainsi que leur père (Mohand Bwakli, propriétaire d’un grand rucher dans la région). L’esprit nationaliste de Bachir n-Amar Oubachir se forgera encore en France où il exerça, avant 1954, comme tourneur à la maison Peugeot, aux côtés de nombreux militants, tels que Hand Oumeziane, Hand Ouali, Akli n-M’hand (Yermèche) et son frère Ali. «Nous y payions alors à l’organisation (nidam) 500 francs par mois (5 DA d’aujourd’hui).

    Plus tard, nous payions le double. Il y avait Mohand n-Sidi Aïch, Arezki Ouyidir, un responsable d’Abizar (Si Boudjema), ‘‘Maâlit’’ (Boudjema Selami), Akli n-Hand-Moh-Ouhand, etc. Nous partions dans des cafés fréquentés par des Nord-Africains, à Montbéliard et à Sochaux, pour inciter nos compatriotes à ne pas aller au cinéma, en leur disant qu’il est honteux de s’y rendre, pendant que nos frères sont dans des prisons françaises», se souvient Si El Bachir, qui marquera, pendant et après l’opération Jumelles dans la Wilaya III, l’esprit de beaucoup de moudjahidine, notamment cet autre grand maquisard, originaire de Yakouren, pour devenir, avec Si El Bachir, d’intimes amis, à ce jour. Il s’agit de Ali Ameur (hadj), du nom de guerre «Ali Magoura», s’identifiant ainsi à son village natal. Encore une autre histoire... En 1955, ajoute Si El Bachir, «j’ai regagné la Kabylie après avoir su que la quasi-totalité des gens à Agraradj, Tamassit, Hendou…, étaient au maquis dès Novembre 1954. Je suis venu en ‘‘permission’’ avec Saïd El Bachir (Amaouche). Celui-ci retourna à son poste au terme du ‘‘congé’’, tandis que, pour moi, mon esprit ‘‘mijotait’’ d’autres idées».


    De prison en prison avec son cadet

    «Un jour, alors que j’étais à Laâzib avec mon frère Saïd, soudain un envahissement militaire nous submergea et nous fûmes embarqués manu militari vers la prison de Yakouren, où nous avons été détenus pendant 8 mois. Deux jours après notre libération, nous partîmes à Aghribs pour nous faire établir des permis de circuler. Nous fûmes encore pris et torturés sur place par des militaires en nous reprochant le ‘‘retard’’ des deux jours pour venir. ‘‘Un temps suffisant pour recevoir des conseils auprès des hors-la-loi, comme vous !’’ nous cria en face notre tortionnaire, pendant que je tentais de ‘‘protéger’’ mon frère Saïd (15 ans) des coups qui pleuvaient sur nous», nous narre cet aîné d’une fratrie de 5 garçons, âgé de 23 ans en 1955.

    «Nous fûmes, moi et Saïd, conduits aussitôt à Azeffoun pour 8 autres mois de détention avec des tortures quotidiennes, puis direction du Camp du Maréchal (Tadmait) où nous passerons encore 8 mois de souffrances. Avec un collectif de prisonniers algériens, nous entamions une grève de la faim tout en refusant de saluer l’emblème tricolore. Nous écopions ainsi d’un mois (août) de réclusion en représailles à notre acte. Mon frère Saïd étant libéré, je fus transféré, avec d’autres, vers la prison de Boussoui, à la frontière algéro-marocaine, me disait-on. Il y avait avec moi Si L’Hocine Afraoucen, de Hendou, un jeune d’Alma Guechtoum, Akli n-Esseïd, Arezki El Hadj Omar (Kessi), Arezki Ou-Sahnoun, Mohand Ou-M’henna (Amenouche)…»

    Tous les détenus algériens trouvés à Boussoui affichaient envers nous, Kabyles, une curieuse méfiance qui nous faisait un peu mal. Avant notre libération, on nous a placés, à quatre, avec nos guenilles, sur une table-estrade. Il y avait un policier kabyle originaire de Djemaâ que l’administrateur de la prison interrogeait en s’en servant d’interprète: «Que méritent des gens comme ceux-là qui aident les rebelles ?» Et le policier de répondre: «Normalement, chef, la loi les condamne à mort !» L’administrateur de la prison enchaîna : «Vous voyez l’indulgence de la France que vous combattiez en obéissant aux fellaghas ? Voyez-vous comment elle vous épargne la vie ?» C’est ainsi que tous les prisonniers, qui avaient des «doutes» sur nous pendant les mois de détention, commençaient à nous jeter, qui une veste, qui un pantalon, qui une chemise ou un tricot, tout en nous collectant de l’argent pour pouvoir rentrer chez nous.

    Un émouvant moment de fraternité y naquit. Embarqué sur le train Oran-Alger, Si El Bachir se souvient avoir passé une nuit dans un Hammam à Alger, une ville qu’il n’a pas connue auparavant. «Au matin, ce fut la fille d’un certain Vaucelle qui nous transporta avec sa 2 CV Citroën, pour nous mettre à bord de l’autocar de son père en partance d’Alger pour Azazga. C’était vers le milieu de 1958.»
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Villages évacués, «Jumelles» s’installe à Tamgout

    «Arrivé au village, la consternation, je trouvais mes parents évacués vers Lahdoud (Tamassit), et mes deux puînés, qui étaient déjà moussebiline avec moi, avaient pris le maquis. Je les rejoins sans tarder en apprenant par mon frère Saïd où les moudjahidine se regroupaient. Au fil des mois, l’opération Jumelles atteint Tamgout. Un jour, vers 3h, nous étions une vingtaine de djounoud qui suivions une tranchée, couverte de buissons, du côté de l’infirmerie, sise au lieudit «Medj Errihane».

    Ce lieu mémorable se trouvait entre un sentier menant vers Ibsekriene et la rivière de Cherfa Bwarzik. Sur place, mon frère Mohand et «Ouchene» (Hadj Djebra, toujours en vie) partis en premier de l’infirmerie. Je leur dis d’être prudents, car on ne sait jamais avec les renforts militaires qui ont envahi tout Tamgout. Je propose ensuite à ce que nous fassions halte sur place jusqu’à la levée du jour, pour voir si les soldats sont partis. Mohand n-Ali Mohand-Saïd nous dira d’accord et prêt à servir de sentinelle. Mais en me réveillant, je trouvais tout ce monde endormi, y compris celui qui s’était proposé de veiller sur nous. Il faisait presque jour. Je constatais aussi que toutes les crêtes alentours d’Iachouva et d’Ibsekriene, pullulaient de soldats. Soudain, une ‘‘tamouchart’’ (Piper Cub) passe et lance des bombes autour de l’infirmerie. Nous tentons d’aller vers Iavache ou Iachouva, ça foisonnait de soldats et nous rebroussions chemin. Nous nous accrochâmes alors à un flanc abrupt de maquis de filaire, myrtille et lentisque où il est impossible de se tenir debout sans s’agripper aux végétations.

    Il y avait Moh Lounes (Djebra) qui toussait. Il me demanda d’user de ‘‘la corde, car, mieux vaut que je meurs seul que de vous entraîner tous avec moi’’. Je lui dis de faire de son mieux, le reste revient au destin. Il prend son burnous et l’enroule sur son cou en introduisant une partie du capuchon dans sa bouche. Il s’endormit avec et nous restâmes sur place toute la journée. Plus aucun soldat ! Soudain, ronronnement ; un autre avion qui lance des bidons de napalm sur l’infirmerie. Tout a été brûlé, entraînant la mort d’un moudjahid paralysé, qui ne voulait pas quitter les lieux. Il est d’Aït Sidi Yahia. Tous les djounoud et les blessés ‘‘valides’’ y avaient fini par comprendre les visées ennemies, avant de quitter précipitamment les lieux. Si El Vachir Oumoussa (d’Ibsekriene) et Hand de Ibdassen, y échappèrent de justesse à une gerbe de flammes.

    Saïd capturé vivant

    Mon frère Saïd sera capturé vivant après avoir été grièvement blessé à la jambe lors d’un accrochage à Ahriq Bwarav (Tamassit)», relate encore ce miraculé de l’opération Jumelles. Ouardia Mohand-Lounes (Laoudia), âgée alors de 16-17 ans, aujourd’hui Mme Amenouche (75 ans), nous dira à propos ce jeune blessé, cousin du côté de la mère. «Avec sa jambe broyée, allongé sur un plancher brancard, Saïd n-Amar a été atrocement interrogé par des militaires, voulant avoir des aveux sur les femmes qui préparaient la nourriture aux fellaghas, rassemblées toutes et défilant devant lui une à une. Saïd répétait le seul mouvement de la tête, balancée d’un côté vers l’autre, signifiant «non concernée» au passage de chacune d’entre nous, alors que nous étions, quasiment toutes concernées, et qui ne rations jamais chaque soir de préparer galette et viatiques à nos moudjahidine», se souvient Mme Amenouche, émue aux larmes, malgré près de 60 ans passés sur cet événement ayant bouleversé toute la région.

    Ce jour-là, beaucoup de filles moussebilate pleuraient à chaudes larmes, au cours de l’interrogatoire, en voyant le courage de Saïd n-Amar Ou-Bachir dans un tel état et maintenant stoïquement son «non» de la tête pour nous toutes, se rappelle encore celle qu’on appelait alors Ouardouche Mohand-Lounes n’At Tahar. Saïd n-Amar sera transféré, après avoir été soigné, à la prison de Berrouaghia où il resta, disait-on, jusqu’à mars 1962, mais pour ne plus donner signe de vie, malgré des recherches de ses vieux parents et de ses frères au lendemain de l’indépendance.

    Mohand tomba à «Aglalaz»

    «Mon frère Mohand (infirmier), ajoute Si El Bachir, est tombé au lieudit «Aglalaz», dans le massif de Tamgout, aux premiers jours de l’opération Jumelles, en compagnie de nos cousins Essaïd Mohand Bwakli et Arezki Bwamar (Bersi), ainsi que de Omar Oumeziane (Yermèche), le vieux nationaliste, âgé alors de 50 ans environ.» «Leurs corps, surveillés dans la même zone par les militaires pendant les premiers jours, avant leur décomposition, furent certainement mangés par des chacals et des sangliers. J’ai retrouvé plus tard l’os du bras de mon frère Mohand, entouré d’un lambeau de tricot que j’ai reconnu», raconte encore Si El Bachir, le miraculé du service Acheminement, avec une mémoire infaillible, si ce n’est une surdité embarrassante dont il souffre aujourd’hui.

    Capture du chef de l’infirmerie

    L’infirmerie de Medj Errihane a été découverte par l’ennemi, avant de la bombarder, après la capture de son responsable, Mohand Ouamar, le fils de Mohand Oulhadj. «En fin d’après midi, nous sortîmes et atteignîmes la crête d’Azrou (Ibsekriene) où il y avait une source d’eau au dessus de laquelle il y avait un grand olivier. Précédés par Mohand Ouali (de Tigherghar), nous arrivions sur place et commencions à étancher notre soif. Je demandais aux premiers arrivés s’il n’y a pas de djounoud qui nous ont précédés? On me répondit que non ! Je leur dis alors de regarder du côté de l’olivier pour voir que tout le site était «hérissé» de militaires.

    Très mal armés, nous nous déviâmes sur le champ vers Agouni Maâfa (Ibsekriene). Je charge Mohand Ouali, originaire de la région, de choisir une voie de sortie. Il me répondit qu’il ne connaissait pas de sentiers appropriés. Donc, il nous reste qu’à camper sans bouger jusqu’à ce que la section de soldats rejoigne son camp. Pour ne pas tomber sur des mines antipersonnelles, j’invitai le groupe à me suivre en emboîtant le pas aux français, tout en gardant une distance de 200 à 250 mètres, et ce, jusqu’à leur campement sis au lieudit ‘‘Tizi Tudeft’’, pour que nous déviions ensuite vers la maison de Ali Mohand-Said, du côté Acherchor (Aït Ouchene). Sur place, nous reçûmes quelques tranches de galettes avec des poignées de figues sèches. L’aube pointait à l’horizon et je demandai conseil à Moh-Lounes comment pouvoir gagner Tamgout ?

    Sur ce, nous voyions des troupes se diriger vers le Bordj du garde champêtre (Ighil Lakhmis). Nous prîmes la distance nécessaire et nous rejoignîmes le lieudit ‘‘Dépôt’’, un peu plus loin au cœur du massif forestier où nous avions caché quelques quantités de lentilles et de haricots. Nous avions préparé juste 5 assiettes pour 20 éléments. A peine avions-nous pris une à deux cuillerées du bouillon qu’un obus éclata sur la crête où nous étions. Chacun tenta de s’abriter sous des rochers, alors que moi et Moh-Lounes restâmes stoïques, jurant de ne pas bouger tant que ces assiettes n’auront pas sauté», raconte encore ce maquisard du service «Acheminement» qui a moult fois, grâce à son flair, sauvé ses compagnons de l’hécatombe.



    Salah Yermèche
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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    • #3
      Chabane Mohand perd son pied à Medj Errihane (Ibsekriene)

      A la dernière décade de juillet 1959, l’opération Jumelles battait son plein à Tamgout (Adrar n-Aït Jennad), une des zones de l’ex- Wilaya III, qui culmine à près de 1300 mètres. Elle sera alors passée au peigne fin par d’interminables contingents français d’infanterie.


      Ce Bersi Bachir, un rescapé, élément primordial au service «Acheminement» dans cette contrée comprenant Tamgout, Azeffoun, Bounamane, Akfadou…, y perdra deux frères (Mohand, 24 ans, et Saïd, 20 ans). Il nous parle de son inséparable compagnon d’armes, Mohand Ourezki Chabane, surnommé «Boukejjir» après la perte de son pied en passant sur une mine antipersonnel à Medj Errihane (Ibsekriene).

      «Nous étions 6 ou 7 moudjahidine à passer normalement dans un sentier très étroit, après avoir descendu de ‘‘Tigherghar’’, au virage ‘‘Akhriv Ouchallal’’ (bas Tamgout). Sur la crête, il y avait une baraque où, de nuit, nous préparions la nourriture. Tout près, une rivière d’eau limpide intarissable. A l’aube, vers 2h30, nous prîmes la route à la recherche de sites ‘‘sûr’’ et comment avoir du ravitaillement. Après avoir dépassé la maison de Ali Mohand-Saïd, sur la route de Tigherghar, nous nous dirigions vers Ibsekriene. J’étais en tête, Mohand Ourezki me suivait.

      En arrivant à la rivière de Medj Errihane, ce dernier s’est arrêté pour boire. Aussitôt sa soif étanchée, il accélère le pas pour reprendre sa place dans la file, car la consigne était que chacun doit se souvenir du compagnon qui le précède et de celui qui le suit. De la sorte, en cas d’accrochage, les rescapés éventuels sauront décrire où auraient pu tomber des absents (?), Qui seraient-ils (?), etc. J’étais le premier, suivi par Abdelkader Chabane (décédé), puis Mohand-Saïd, de Tiaïnssert, Idjermnane (Saâdi et Akli) d’Azeffoun, M’hand n-Bounaâmane, Moh n-Tazebboujt (encore en vie). On était 5 à 6 à passer sans problèmes ; soudain, j’entendis la déflagration ; je retourne sur mes pas et trouve Mohand Ourezki effaré.

      Je constatais que la partie haute de sa chaussette, par laquelle il a enserré le bas de son pantalon à même la chaussure, est sectionnée juste au-dessus des chevilles, serrant toujours la partie du pantalon sur le reste de la jambe. Il me disait ‘‘Al Vachir agma, où est mon pied ?’’ Je lui montrai l’autre pied, il me dit ‘‘pourquoi tout ce sang ?’’, je lui dis que ce n’est que des ronces qui t’ont griffé ! Courage ! Puis s’ensuivirent des tirs de la 24. L’embuscade était bien préparée par l’ennemi, mais guettant des maquisards qui viendraient depuis Ibsekriene pour aller vers Tamgout. Là était notre ‘‘chance’’, nous qui venions en sens inverse, en passant par derrières les embusqués ennemis. Tous les tirs qui nous visaient passaient loin au-dessus de nos têtes, nous ne remarquions que des branches de chêne-liège et de zen, qui tombaient au sol. Affolé par sa blessure et les douleurs, Mohand Ourezki me priait de l’achever et partir. Je lui dis : ‘‘Si tu ne veux pas que nous mourrions tous, calme-toi et résiste’’. Devant la nouvelle situation d’impasse, j’appelle Boudjema Bouqroch (Sadat), plus corpulent par rapport aux autres et lui dis : Tu le transportes et tu choisis les éléments qui t’accompagnent, ou je le transporte et, dans ce cas, j’ai déjà le choix de ceux qui m’accompagneraient».

      Jambe coupée à la scie

      «Boudjemaâ me dit d’accord, c’est moi qui m’en occupe et il prit avec lui Moh Tazebboudjt, Saâdi Idjermnane, Mohand Salah de Iachuva (qui sont toujours en vie). Nous reprîmes donc notre chemin directement vers ‘‘Adghagh Ireqqen’’ (La pierre qui s’enflamme)», un nom bizarre, mais qui existait depuis la nuit des temps. Ce lieudit est situé au bas d’une falaise vertigineuse du même massif forestier, en bas duquel se trouve une source naturelle, appelée ‘‘Ta3wint u-Seklu’’. ‘‘Ils l’ont donc transporté jusqu’à l’infirmerie, que seuls moi et Boudjemaâ Boqroch, qui y a déjà pour sa blessure, connaissions où elle se trouvait et par quel sentier on peut l’y atteindre. Sur place, on lui a coupé alors la jambe avec une scie à métaux, un peu en bas du genou, pour ‘‘éradiquer’’ les endroits de chair atteinte par la poudre de la mine, avant de le coudre avec du fil ordinaire, de jute», pensent-ils, mais pas tout à fait sûrs d’eux-mêmes.

      Est-ce qu’il y avait de l’anesthésie ? Ils l’ignorent, mais ils pensent qu’il n’y en avait pas. On le soignait alors sur place avec des feuilles broyées de cytise et de filaire (illugwi et tametwala), et on lui a confectionné une béquille en bois pour pouvoir se mouvoir. ‘‘Au bout d’un certain nombre de jours, nous l’avions ramené jusqu’à Lahdoud (Tamassit)’’». Il y restera dans la casemate construite par Amokrane n’Amar dans la maison de Mme Chabane (Hesni n-Mhenna, née Khelfa), tante maternelle de Si El Bachir (Bersi), et ce, jusqu’à l’indépendance. Son cousin Chabane Abdelkader (aujourd’hui, décédé) lui tenait compagnie. Les vaillantes femmes s’occuperont de lui jusqu’à sa guérison.

      Ils «partagent» leur café avec des… militaires français !

      Un jour, alors que la région était couverte de neige, un ratissage a été entrepris autour de Lahdoud. Avec ses précautions habituelles, dira le narrateur, «ma tante Hesni, qui retourna à la maison, avec ce calme qu’on lui connaissait, après avoir constaté l’encerclement par des soldats de tout le quartier, interpella en plaisantant : ‘‘At ihdayin ! selkemt imanen kunt, inevgawen !’’ (Filles ! Dépêchez-vous, on a des ‘‘hôtes’’). En ce moment même Abdelkader et Mohand Ourezki étaient autour de l’âtre savourant du café dont les tasses étaient posées sur une table, diminuées juste de quelques gorgées. Ils s’engouffrèrent dans la casemate, sous l’étable abritant les moutons.

      Mohand Ourezki est père d’une fillette attardée mentale. Les soldats arrivent : ‘‘Tiens, tiens ! Il y a du café, les enfants! C’est pour qui, dites-nous ça ?’’, répétait celui qui semblait être leur chef. ‘‘Vous ne voyez pas? Nous venons de nous réveiller ; c’est notre café matinal’’, leur rétorque calmement Hesni n-Mhenna (décédée en 2012, ndlr). ‘‘Je prends une gorgée, Madame ?’’. ‘‘Prenez tout ; on va vous en préparer si vous voulez, il nous reste encore un peu de poudre’’. ‘‘Oh, merci, vous êtes généreuses ! Pas de fellagas par-là ?’’ ‘‘Chez nous, fellaghas, non Messiou!’’. Inimaginable destin : deux maquisards ‘‘partagent’’ du café avec leurs… ennemis. Pendant la discussion, la petite enfant de Mohand Ourezki répétait, toute joyeuse, à l’adresse des soldats : ‘‘Vava, ar va3-va3 ! Vava ar va3va3’’ ! ‘‘Qu’est-ce qu’elle dit?’’ ‘‘Oh ! C’est rien elle veut faire sortir ‘‘ses’’ moutons paître dans la neige’’. Réaction qui fera se marrer tout le monde, alors que l’enfant répétait la vérité, que son papa était auprès des moutons...

      Le compagnon de ‘‘Bouqejjir’’ rapporte encore cette belle anecdote : ‘‘Lorsque nous revenions nombreux au refuge de Lahdoud, nous trouvions l’épouse de Mohand-Ourezki qui nous interroge : ‘‘Mes frères, qu’en est-il advenu de Mohand-Ourezki ?’’ Et tous les moudjahidines s’accordent à la tranquilliser : ‘‘T’inquiète pas Madame, il a été affecté à Akefadou !’’ Sitôt tout le monde dehors, elle vient me dire en aparté, ‘‘Akka Al Vachir agma, les moudjahidine ne mentent jamais !’’ en éclatant de rire.

      Elle le fait sortir ensuite de sa cave pour que nous nous revoyions’»’. De ces anecdotes, nos miraculés maquisards (Bersi Bachir, Chabane Mohand et leurs épouses) n’en finissent pas de raconter, aujourd’hui encore. En les écoutant, nous estimons qu’il est vraiment temps que les moudjahidines encore en vie et les autorités compétentes pensent à leur organiser des hommages. Par la même occasion, il serait impératif d’inviter le nommé Amokrane n-Amar Ou-Boudjemâ (Amenouche), ancien coiffeur, vivant présentement à Alger.

      C’était lui qui venait fréquemment raser les barbes des deux moudjahid et leur couper les cheveux. Une besogne qui durera de 1959 à 1962, période vécue dans cette casemate à Lahdoud chez feue Hesni n-Mhenna. Sacrés miraculés !


      Hidouche d’Igoujdal (18 ans) tomba à Lahdoud

      Si El Bachir n’oubliera jamais aussi l’histoire de Hidouche, un jeune djoundi de 18 ans, du village Igoudjdal (Azeffoun), fils de Hend n-Saïd Lounes, détaché provisoirement du groupe du capitaine Rouget. Il sera gravement blessé dans une embuscade à Lahdoud, alors qu’il accompagnait Boudjema Bouqroch en allant collecter du pain. J’étais avec Saadi n-Hendou, attendions à la mosquée de Lahdoud, après avoir récupéré ce qu’il y a comme nourriture au djeich, tandis que Boudjemaâ imprudent, arrivé à la maison de M’henna Mohand Amokrane, y «tançait» les femmes : «Dépêchez-vous de nous faire du pain». Or, surplace, se souvient Si El Bachir Bersi, tout le monde savait qu’il y avait des militaires embusqués. Certaines femmes passaient ou jetaient des galettes subrepticement à travers l’entrebâillement des portes. Il reste une galette à récupérer à la maison de Mohand Ameziane Moh Ouali (Yermèche), une autre chez Fetta El Mulud (Chabane). Les soldats étaient du coté de la maison d’Amokrane n-Amar. Des rafales ! Pendant ce temps, nous avions, moi et Saâdi, récupéré le pain chez Tatahart (Laoudia) et chez Arezki Boudjemaâ. Le jeune Hidouche a la jambe et l’abdomen traversés par des balles. Par miracle, la nuit aidant, nous réussissions à le récupérer et le transporter jusqu’à «Aslen Ouakkour» (Agraradj) où nous confectionnons un brancard.

      Curieusement, il suffisait de tirer, d’une seule main, sur une branche, notamment des aulnes bordant l’oued «Ighzer Ouzaghar», elle s’arrache comme par enchantement. Et, hormis des cordes, nous n’avions pas de haches, ni de sécateur. Pour la sécurité du groupe, je précédai de plusieurs mètres mes compagnons. En arrivant au bas de la maison de Si El Mehdi, au pied de la forêt, nous fîmes halte. Là, Boudjema Bouqroch donna à boire au blessé qui ne cessait de lui en réclamer. Nous continuâmes notre chemin jusqu’à «Amdiq Taâzrawt», en pleine forêt, Boudjema lui donna encore de l’eau. A notre arrivée à «Azebboudj», plus haut, la fatigue nous imposa une autre pause et Boudjema y resta sur place avec M’hand Ourezki, tandis que nous continuâmes jusqu’à «Agouni g-Ejber» (au flanc du dense Tamgout) où nous déposâmes le jeune Hidouche dans la casemate d’Arezki Bwamar (Bersi), tombé au champ d’honneur aux premiers jours de l’opération Jumelles. Sortant à la recherche de plantes médicinales pour panser les plaies du blessé, les djounouds le trouvèrent à leur retour succombé, suite aux pertes de son sang. Le père du jeune Hidouche, Hend n-Saïd Lounes, avait été victime d’une blessure similaire que celle de son fils. Il resta un mois à l’infirmerie de Medj Errihane, nourri uniquement au lait et aux biscuits.

      En lui donnant une tasse de lait, sitôt bu, sitôt le lait suintait de la blessure de son abdomen. Un jour, ce dernier, bien guéri, voit l’arme de son fils chez Saâdi n’Hendou. «Cette arme est celle de mon fils, Hidouche, je mets la main au feu…». «Oui, c’est vrai, mais ton Hidouche a été affecté à Larbaâ Nath Irathen, avec une autre arme…». Le pauvre, il ne savait pas que son cher enfant était déjà enterré à Agouni g-Ejber (Tamgout), avant la fin du destructeur plan «Jumelles» du général Challe en Wilaya III.


      Salah Yermèche
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