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Toujours plus chaud, le Sahara algérien souffre du changement climatique

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  • Toujours plus chaud, le Sahara algérien souffre du changement climatique



    Vendredi 22 avril, l’Accord de Paris sera signé à New York. Mais le climat n’est pas qu’une affaire diplomatique. C’est une réalité partout dans le monde. Comme aux portes du Sahara, où le réchauffement climatique met en péril les ressources en eau.

    Un soleil de plomb écrase Ghardaïa en cette après-midi hivernale. Coincées entre les maisons rectangulaires badigeonnées de chaux, les ruelles ombragées sont désespérément vides. En une multitude de crissements, les portes métalliques des boutiques se sont fermées pour quelques heures : ici, la sieste est sacrée. « Sans elle, on ne tiendrait pas avec cette chaleur. Mais aujourd’hui, on est obligés d’aller au sous-sol de la maison, comme en été, pour dormir dans un endroit frais », souffle Fatima, qui a toujours vécu dans la ville que l’on surnomme « la perle du Sud » et où les saisons sont désormais déréglées, comme dans le reste du monde.
    « Je ne regarde plus le thermomètre parce que ça me fait peur », se désole la mère de famille en montrant du doigt le fond de sa cour où gît un arbre rabougri : « Cette année, le citronnier a rendu l’âme, c’est la première fois que ça arrive ! » s’exclame-t-elle. Située à 600 km d’Alger, Ghardaïa est la capitale de la vallée du M’zab, un ensemble de cités fortifiées fondées au Xe siècle par les Mozabites, un peuple berbère venu trouver refuge au creux du plateau de la Chebka. Considérée comme la porte d’entrée du Sahara, Ghardaïa a profité de sa situation au carrefour d’anciennes routes caravanières pour se développer en une cité prospère. Des minarets en cône jaillissent des habitations aux couleurs pastel assemblées comme des Lego. Au cœur de ce tableau harmonieux, une plaie béante déchire la ville. Ci-gît l’oued M’Zab. Le lit de la rivière asséchée fait office de parking ou de route secondaire aux heures de pointe ou même de terrain de foot improvisé pour les écoliers. « Il y a huit ans qu’il n’a pas plu normalement ! » s’écrie Ahmed [1], planté dans son jardin de la palmeraie située en bordure de la ville.




    Au soleil couchant, le quinquagénaire veille aux travaux de réfection de son bassin d’eau. Des petits tuyaux d’irrigation sillonnent sa parcelle parsemée de palmiers et de plantes aromatiques. Cet ancien commerçant, qui a fait fortune à Alger avant de revenir au pays, fait fonctionner sa pompe à moteur électrique quelques minutes par jour. « Ça me permet de faire du goutte à goutte et d’économiser l’eau de la nappe phréatique, qui s’épuise. Je ne veux pas creuser plus profond. Je cultive pour le plaisir, pas pour me nourrir », indique-t-il, en jetant un œil sur le cimetière de palmiers-dattiers mitoyen qui appartient à ses cousins : « Ce sont des flemmards », plaisante-t-il. À Ghardaïa comme ailleurs, les palmeraies meurent à petit feu en raison des mutations sociales et économiques qui signent l’arrêt de l’agriculture vivrière. Mais aussi en raison de l’abandon des système d’irrigations traditionnels ingénieux : il faut faire preuve d’ingéniosité pour trouver de l’eau sans forer les nappes fossiles.



    Un petit barrage a été construit à quelques centaines de mètres de là pour stocker les eaux de pluie censées, ensuite, alimenter la nappe phréatique : il n’a jamais servi. Un autre a été détruit lors d’une crue violente qui a dévasté Ghardaïa en 2008, causant des dizaines de morts. En lieu et place des 50 à 100 mm d’eau qui tombaient pendant une dizaine de jours dans l’année, on assiste à une augmentation des pluies diluviennes sur des périodes très courtes. Christophe Lavaysse n’est pas surpris par ce phénomène de trombes d’eau soudaines. Actuellement chercheur au CCR (le Centre commun de recherche, qui est le laboratoire de recherche scientifique et technique de la Commission européenne), il a travaillé de nombreuses années sur le changement climatique et ses effets au Sahara dans le cadre de sa thèse sur la mousson africaine. Selon le climatologue, après deux décennies de période humide (1950-1960) au Sahel, une importante période de sécheresse s’est produite dans les années 1970-1980. Depuis les années 1990, en revanche, on est entré dans une période de transition trompeuse. « On observe une reprise relative des précipitations annuelles mais on remarque aussi un accroissement des évènements majeurs, comme des orages ou des fortes pluies, donc finalement ça n’augmente pas l’usage des pluies disponibles », remarque-t-il. C’est une eau dévastatrice qui s’abat désormais. Ainsi, la crue de 2008 a détruit des centaines d’habitations avec des effets décuplés par le changement des pratiques de construction : en raison d’une urbanisation rapide, les maisons en parpaing ont remplacé les habitations en pisé et en argile, pourtant plus résistantes aux infiltrations et à la chaleur. Aujourd’hui, dans ces habitats construits à la va-vite, le climatiseur est roi. Et tourne à fond.

    Des villes capitalistes à part entière : consuméristes et polluantes

    « C’est une zone du globe où le réchauffement est clairement perceptible », selon Christophe Lavaysse. Entre la période de 1979-1988 et celle de 2004-2014, on observe une augmentation de 2 °C, et une hausse de 15 jours en moyenne par an où le thermomètre dépasse les 40 °C : « Ces différences peuvent sembler faibles mais à ces échelles, les conséquences peuvent être importantes, notamment sur la modification et l’orientation de la mousson africaine », explique le chercheur.



    Dans le contexte du réchauffement climatique global, la modification de la circulation atmosphérique génère ainsi un surplus d’humidité qui, dans un environnement sec, s’évapore aussitôt. Cet afflux de vapeur d’eau atmosphérique, « le plus puissant gaz à effet de serre », précise le climatologue, explique en partie la hausse des températures au Sahara par rapport aux régions voisines. « Il ne s agit pas de l’augmentation la plus forte sur le globe, mais c’est peut-être l’une des régions du Sahel où ce réchauffement a le plus d’impacts parce que le Sahara algérien est plus peuplé que le nord du Tchad ou le Soudan », constate Christophe Lavaysse.
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  • #2
    Un système d’irrigation ingénieux

    Depuis une poignée de décennies, cette terre de conquête connaît une poussée démographique considérable. Une fois les gisements d’hydrocarbures découverts, les concessions pétrolières et gazières ont constellé la vaste étendue de pierres et de sable, charriant des lots d’ingénieurs et de fonctionnaires venus du Nord et sédentarisant les populations nomades. Les vagues de migration continuent de déferler, alimentant la forte croissance des agglomérations traversées par les principaux axes routiers. Ghardaïa, El Minia, In Salah, Tamanrasset, Taghit, Timimoun, Adrar… toutes ces anciennes bourgades sont désormais des villes capitalistes à part entière : consuméristes et polluantes.



    À 600 km au sud-ouest de Ghardaïa. Mohammed [2] roule à toute berzingue dans le Gourara, un ensemble d’oasis bordé par les dunes du Grand Ergg occidental et le plateau de Tademaït. La voiture cabossée s’engage sur une sebkha, un lac salé asséché victime de la désertification commencée il y a 6.000 ans. L’habitant constate lui aussi la montée en flèche des températures, même s’il ne sait jamais combien il fait. « C’est inutile. Officiellement, le thermomètre reste bloqué à 49,9 °C. Parce qu’à partir de 50 °C, c’est considéré comme un jour chômé pour les fonctionnaires et les employés des concessions pétrolières », raille-t-il en pénétrant dans Ouled Saïd. Au fil des siècles, la palmeraie a grignoté peu à peu le sable grâce à un système d’irrigation ingénieux. Inspirées des qanat iraniens, les foggaras du Gourara forment un ensemble complexe de galeries drainant l’eau de la nappe phréatique pour la redistribuer ensuite grâce à des kesra. Ces peignes en terre plantés dans des canaux répartissent l’eau grâce à des trous calculés en doigt ou en demi-doigt, selon la hauteur de l’ouverture.



    Une sortie de foggara équipé de « kesra », ces peignes qui en régulent le débit.



    Cette technique traditionnelle permettait à la fois de limiter le plus possible l’évaporation de l’eau et d’assurer le maintien d’un débit constant. « Elle obligeait aussi les oasiens à ne payer que ce qu’ils consommaient grâce à un livre de compte tenu par un comptable de l’eau. Comme ils ne voulaient pas dépenser, ils faisaient preuve de frugalité », explique Mohammed, penché sur un canal alimentant un jardin verdoyant. Les foggaras sont aujourd’hui en déclin. Rien qu’à Timimoun, la capitale du Gourara, 49 ont disparu sur les 173 inventoriées en 2004, selon les anthropologues Tayeb Otmane et Yaël Kouzmine.
    Dans un article paru en 2011 dans Insaniyt, la revue algérienne d’anthropologie et des sciences sociales, les chercheurs avancent plusieurs raisons pour comprendre cet abandon progressif. Si le manque d’entretien des galeries et la multiplication des châteaux d’eau sont responsables, le tarissement progressif de la nappe albienne est également en cause. En raison de l’urbanisation galopante, « la pression sur l’eau est perpétuelle et le rabattement de la nappe s’accentue davantage du fait qu’elle subit actuellement un déstockage. Les possibilités de renouvellement existent, mais demeurent très limitées », remarquent-ils. Or le Sahara cache sous ses plateaux et ses dunes un trésor précieux : celui de la nappe de l’Albien. La plus grande réserve d’eau douce au monde contiendrait à elle seule près de 50 000 milliards de m3 d’eau directement menacés par l’exploitation du gaz de schiste. Combien de temps encore cet océan d’eau douce pourvoira aux besoins d’une population toujours plus nombreuse et plus que jamais victime du changement climatique ?

    Source : Lina Maoubouté pour Reporterre
    Photos : © Lina Maoubouté/Reporterre
    . chapô : La vallée du M’zab et la ville de Ghardaïa.
    . carte des températures extrêmes : Christophe Lavaysse
    . système des foggaras : Michel Janvois
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