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La théorie des jeux et l’équilibre de Nash

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  • La théorie des jeux et l’équilibre de Nash

    Ce concept décrit un résultat stable lorsque les personnes ou institutions font des choix rationnels en se basant sur la manière dont ils pensent que les autres agiront.
    John Nash est arrivé à l’université de Princeton en 1948 pour faire son doctorat avec une seule phrase de recommandation : “C’est un génie en mathématiques”. Il n’a pas déçu. Il avait 19 ans et n’avait suivi qu’un cours d’économie durant son premier cycle, ce qui ne l’empêcha pas de produire en 14 mois les travaux qui lui valurent, en 1994, le Nobel d’économie pour sa contribution à la théorie des jeux.

    Le 16 novembre 1949, John Nash envoya une note d’à peine plus d’une page aux Actes de l’Académie américaine des sciences, dans laquelle il exposait le concept qui est depuis devenu “l’équilibre de Nash”. Ce concept décrit un résultat stable lorsque les personnes ou institutions font des choix rationnels en se basant sur la manière dont ils pensent que les autres agiront. Dans un équilibre de Nash, nul n’est en mesure d’améliorer sa propre situation en changeant de stratégie : chaque joueur fait de son mieux, même si cela ne signifie pas que le résultat sera optimal pour la société. S’aidant de grandes formules mathématiques élégantes, John Nash démontre que chaque “jeu” avec un nombre donné de joueurs, disposant chacun d’un nombre donné d’options, atteindrait au moins une fois cet équilibre.

    Ses idées ont élargi le champ de l’économie. Dans des marchés parfaitement concurrentiels, où les barrières à l’entrée sont inexistantes et les produits de chacun identiques, aucun acheteur ou vendeur individuel ne peut influencer le marché : nul n’a besoin de porter une attention particulière à ce que font les autres. Mais la plupart des marchés ne sont pas comme cela : les décisions des concurrents et des clients importent. Des ventes aux enchères au marché du travail, l’équilibre de Nash a fourni à une science rébarbative de quoi faire des prédictions réelles en se basant sur les motivations de chacun.

    Un exemple en particulier symbolise l’équilibre : le dilemme du prisonnier. John Nash a utilisé l’algèbre et les chiffres pour définir cette situation dans un document plus important publié en 1951, mais la version familière aux étudiants en économie est tout aussi captivante. (Albert Tucker, le directeur de thèse de John Nash, l’avait pris pour une présentation devant des psychologues.)

    Deux condamnés détenus dans des cellules séparées sont inquiets, ils ont reçu chacun la même offre du procureur du district. S’ils avouent tous deux un assassinat, ils seront condamnés à dix ans de prison. Si l’un n’avoue rien mais que l’autre le dénonce, le mouchard sera récompensé, et son complice sera condamné à perpétuité. Si aucun n’avoue, ils auront une condamnation mineure et un an ferme.

    Il n’y a qu’une seule solution au dilemme du prisonnier de l’équilibre de Nash : les deux avouent. L’aveu est la meilleure réponse à la stratégie de l’autre. Puisque l’autre peut avoir craché le morceau, avouer évite une peine perpétuelle. Le malheur est que s’ils pouvaient trouver un moyen de se coordonner pour ne rien dire, la solution serait meilleure pour chacun

    L’exemple démontre que les foules peuvent être stupides mais aussi raisonnables ; la meilleure solution pour l’individu peut être désastreuse pour le groupe. Ce tragique résultat est trop commun dans le monde réel. Libres de piller la mer, les individus pêchent plus que ce qui est meilleur pour le groupe, épuisant ainsi les stocks de poissons. Les employés qui, pour impressionner leur patron, restent plus longtemps au bureau, poussent leurs collègues à l’épuisement. Les banques sont incitées à prêter davantage plutôt que de ne rien prêter lorsque les prix de l’immobilier montent en flèche.

    La difficulté du groupe
    L’équilibre de Nash a permis aux économistes de comprendre comment l’auto-amélioration des individus peut conduire à l’auto-mutilation du groupe. Mieux encore, il leur a permis de résoudre le problème : ils devaient juste s’assurer que chaque individu soit face aux meilleures motivations possibles. Si les choses tournaient quand même mal – par exemple des parents ne faisant pas vacciner leurs enfants contre la rougeole –, ce serait donc que les gens n’agissent pas dans leur propre intérêt. Dans de tels cas, le défi de la politique publique serait l’information.

    L’idée de John Nash reposait sur des antécédents. L’économiste français Auguste Cournot avait, en 1838, théorisé que dans un marché avec seulement deux entreprises concurrentes, chacune verrait les inconvénients à poursuivre le partage du marché par l’augmentation de sa production, en diminuant les prix et les marges bénéficiaires. Auguste Cournot avait involontairement buté sur un exemple de l’équilibre de Nash. Il était logique que chaque entreprise fixe ses niveaux de production sur la stratégie de sa concurrente ; mais les consommateurs se retrouvent avec moins de produits et à des prix plus élevés qu’en pleine concurrence.

    Le mathématicien hongrois John von Neumann fut un autre pionnier. En 1928, lorsque John Nash naissait, John von Neumann présentait une première théorie formelle de jeux montrant que dans un jeu à somme nulle de deux personnes, il y aurait toujours un équilibre. Lorsque John Nash montra sa découverte à John von Neumann – devenu dans l’intervalle un demi-dieu intellectuel –, celui-ci le rejeta car “trivial”, n’y voyant qu’une extension de sa propre théorie.

    Que John von Neumann se focalise sur un jeu à somme nulle de deux personnes ne permettait que peu d’applications à sa théorie. Ces paramètres étaient de nature militaire pour la plupart ; comme l’idée de destruction mutuelle garantie, selon laquelle l’équilibre est atteint en équipant les adversaires d’armes nucléaires (certains pensent que John von Neumann a inspiré le personnage du film ‘Docteur Folamour’). Rien de tout cela n’est particulièrement utile pour réfléchir aux situations – y compris sur la plupart des marchés – dans lesquelles la victoire d’un camp ne signifie pas automatiquement la défaite de l’autre.

    Cela n’empêcha pas les économistes de partager l’évaluation de John von Neumann, et de négliger complètement la découverte de John Nash. Il se lança dans d’autres activités mathématiques, mais son énorme talent fut compromis quand en 1959, il se mit à souffrir d’hallucinations et de paranoïa. Sa femme l’avait fait hospitaliser. À sa sortie, il devint un personnage familier du campus de Princeton, parlant seul et griffonnant sur des tableaux noirs. Alors qu’il se débattait avec ses problèmes de santé, son équilibre se faisait de plus en plus central dans la discipline. Les articles économiques qui citent l’équilibre de Nash ont septuplé depuis 1980, et le concept a été utilisé pour résoudre une foule de problèmes politiques réels.

    n exemple célèbre: le système hospitalier américain, qui dans les années 1940 se trouvait dans un mauvais équilibre de Nash. Chaque hôpital voulait attirer les plus brillants étudiants en médecine. En pleine guerre, ces étudiants étant particulièrement rares, les hôpitaux durent faire des offres à des candidats prometteurs de plus en plus tôt. Ce qui était la meilleure solution pour chaque hôpital fut terrible pour l’ensemble : les hôpitaux ont dû embaucher avant que les élèves n’aient passé tous leurs examens. Les étudiants détestèrent cela, également, car ils n’avaient aucune chance d’examiner des offres concurrentes.

    Malgré les lettres et les résolutions de toutes sortes des associations médicales et des étudiants eux-mêmes, le problème n’a pu être résolu qu’après des décennies de modifications, et le concept final dans les années 1990 de Elliott Peranson et Alvin Roth – ce dernier remporta un Nobel d’économie. Aujourd’hui, les étudiants soumettent leurs préférences et sont affectés aux hôpitaux selon un algorithme qui assure qu’aucun ne peut changer ses choix pour être envoyé dans un hôpital plus côté qui serait heureux de l’accueillir, et qu’aucun hôpital ne peut choisir un meilleur employé hors du système. Le système exploite l’équilibre de Nash pour se renforcer : tout le monde fait de son mieux en fonction de ce que font les autres.

    Parmi les autres applications stratégiques, il y a la vente aux enchères par le gouvernement britannique des licences d’exploitation de télécommunication mobile 3G en 2000. Les théoriciens des jeux furent appelés pour aider à concevoir la vente aux enchères en utilisant l’équilibre de Nash. Au final, le gouvernement britannique empocha 22,5 milliards de £ (35,4 milliards de $), même si les actionnaires des soumissionnaires ne furent pas tous satisfaits des résultats. Les idées de Nash aident aussi à expliquer pourquoi ajouter une route à un réseau de transport peut allonger la durée moyenne des trajets. Les conducteurs individuels qui optent pour l’itinéraire le plus rapide pour eux ne prennent pas en compte l’effet sur la durée de parcours des autres, et peuvent ainsi annuler un nouveau raccourci. Une étude publiée en 2008 a pointé sept liaisons routières à Londres et douze à New York dont la fermeture stimulait la circulation.

    Dernier jeu
    L’équilibre de Nash n’aurait pas atteint son statut actuel sans quelques améliorations de l’idée originale. D’abord, dans de nombreuses situations, plusieurs équilibres de Nash sont possibles. Les conducteurs choisissent de quel côté de la route conduire par rapport au comportement des autres conducteurs, et les résultats sont très différents selon l’endroit où ils vivent ; ils conduisent à gauche en Grande-Bretagne, mais à droite en Amérique. À la grande déception des économistes qui se piquent d’algèbre, comprendre la stratégie exige une connaissance des normes sociales et des habitudes. Seul, le théorème de Nash ne suffit pas.
    Une seconde amélioration impliquait de bien rendre compte des menaces non crédibles. Si un adolescent menace de quitter la maison parce que sa mère veut lui confisquer son téléphone, alors il y a un équilibre de Nash là où elle lui redonne le téléphone pour maintenir sa tranquillité d’esprit. Mais l’économiste allemand Reinhard Selten co-Nobel en 1994, avec John Nash et John Harsanyi, soutient que ce résultat n’est pas plausible. La mère devrait savoir que la menace de son enfant est vaine : aussi tragique que soit la confiscation d’un téléphone, une nuit à la rue serait pire. Elle devrait simplement confisquer le téléphone, ce qui obligerait son fils à se concentrer sur ses devoirs.

    Les travaux de M. Selten ont permis aux économistes de diminuer le nombre possible d’équilibres de Nash. John Harsanyi aborde le fait que dans de nombreux jeux dans la vie réelle, les gens ne savent pas ce que veut leur adversaire. Les économistes auraient du mal à analyser les meilleures stratégies de deux tourtereaux qui essaient de choisir un lieu pour un rendez-vous sans connaître les préférences de l’autre. En intégrant les croyances de chaque personne dans le jeu (par exemple, qu’ils savent que l’autre aime autant les pizzas que les sushis), John Harsanyi rend le problème solvable. Un problème différent était toujours invisible.

    Le pouvoir de prédiction de l’équilibre de Nash repose sur un comportement rationnel ; que les humains sont souvent loin d’avoir. Dans les expériences répliquant le dilemme du prisonnier, seule la moitié des personnes choisissent d’avouer. Pour les économistes qui avaient passé du temps à intégrer de la rationalité (et John Nash) dans leurs modèles, cela était problématique. Pourquoi intégrer de bonnes motivations, si les gens n’agissent pas selon leurs propres intérêts ?
    Mais cela n’a pas été complètement inutile. Les expériences ont également montré que les joueurs s’assagissaient. Au dixième tour, seuls 10 % des joueurs refusaient d’avouer. Cela a enseigné aux économistes qu’ils devaient être plus prudents dans l’application de l’équilibre de Nash. Avec des jeux compliqués, ou avec lesquels ils n’ont aucune chance d’apprendre de leurs expériences, ses idées peuvent ne pas fonctionner aussi bien. L’équilibre de Nash occupe néanmoins un rôle central en microéconomie moderne.

    John Nash est mort dans un accident de voiture en 2015 ; il avait récupéré sa santé mentale, avait repris l’enseignement à Princeton et avait reçu ce co-Nobel qui reconnaissait que les interactions du groupe avaient plus contribué que les travaux individuels.


    l'économiste
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