Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Les ratés de la rentrée littéraire

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Les ratés de la rentrée littéraire

    Il n'y a pas que de bons élèves dans la promotion 2016, il y a aussi ceux qui usent et abusent de poncifs poussifs ou de lieux communs. Petite sélection éminemment suggestive.

    Rien de nouveau sous le soleil

    Continuer, de Laurent Mauvignier, éd. de Minuit, 240 p.,

    Le nouveau roman de Laurent Mauvignier, Continuer, porte trop bien son titre, en ce qu'il n'ajoute absolument rien à la liste des autres livres de l'auteur. Les êtres en déshérence sont toujours là : Sybille, « souvent enfermée en elle-même, comme si vivait en elle une arrière-pensée », son fils, Samuel, au bord de la délinquance. Mais, si on glane, en suspension, des sédiments de l'ancien Mauvignier (« comme si Samuel était incapable de savoir s'il était seul ou avec quelqu'un dans une pièce ; comme s'il confondait le jour et la nuit »), ils font plus de mal que de bien, nous laissant sur notre faim, et soulignant dans leur saillie le manque d'incarnation du reste. Comme si, justement, on lisait les sous-titres d'une mauvaise série américaine, entre poncifs poussifs et lieux communs (« Il fallait que Samuel comprenne des valeurs qui étaient les choses simples et essentielles, les autres, le respect des autres »).

    On suit donc cette randonnée à cheval comme le deuil de ce qu'on aurait pu lire. Le mépris caricatural du père pour son ex-femme, qui n'aurait pas le « mental » nécessaire à cette opération de sauvetage (redonner goût à la vie au fils), est validé par la narration (la mère enchaîne les coups du sort, jusqu'à tomber dans un trou, comme son auteur), et les personnages ressemblent à un jeu des sept familles grossier (mère Courage, père absent et lâche, ado révolté)... Mais qu'on se rassure : le fils est sauvé à la fin... Tristesse des happy ends.

    Juliette Einhorn



    Postures de la haine
    Province, de Richard Millet, Léo Scheer, 320 p.,

    Avant de devenir un polémiste nauséabond, viré de chez Gallimard pour s'en être pris notamment à Maylis de Kérangal et à Annie Ernaux, on s'en souvient peut-être, Richard Millet avait été un romancier intéressant. (On vous jure.) Et l'on aurait pu naïvement rêver que, abandonnant son combat contre le multiculturalisme et « l'antiracisme d'Etat » (sic), contre les théories du genre ou la pseudo-décadence culturelle contemporaine, et renonçant au culte du nihilisme qui l'avait conduit à son Eloge littéraire d'Anders Breivik, Richard Millet soit enfin retourné à ses premières amours, histoire de prouver qu'il était bien le génie persécuté qu'il entendait être.

    Tel n'est hélas pas le cas, et l'on retrouvera dans Province, tableau d'une ville limousine imaginaire dont l'âme meurt « digne et inutile » tandis que sa communauté est travaillée par la haine, non le talent de ses premiers récits, mais ce que le personnage a de plus délibérément détestable : le machisme et l'homophobie non dissimulés, le discours obsessionnel sur le « grand remplacement » (avec une retranscription complaisante jusqu'à la nausée de discours contre « l'ennemi » maghrébin et turc), le goût masochiste de l'opprobre, la peinture misérabiliste et nostalgique de la province, les relents maurrassiens - et, peut-être pis, la pose et la prétention littéraire à faire du grand style à coup de cadences ronflantes imitées de Proust. Non, décidément, ce n'est pas avec un si mauvais Millet qu'on se remplira la panse.

    Alexandre Gefen



    Ni Duras ni Sarraute
    Babylone, de Yasmina Reza, Flammarion, 300 p.,

    Yasmina Reza a conquis des lauriers mérités, au théâtre surtout, en mettant en scène des incidents insignifiants et en les regardant dégénérer ensuite en pugilats d'où personne ne sort vainqueur : l'achat d'un tableau dans Art, une bagarre d'enfants dans le Dieu du carnage... Satire et effets parfois appuyés s'y mêlaient à une analyse souvent fine et drôle de nos ridicules. Plus que ses autres romans, Babylone transpose en prose ce procédé théâtral : même si l'événement ici incriminé est plus dramatique (un invité étrangle sa femme au sortir d'une réception chez la narratrice), il est surtout traité par ce qu'il est censé révéler de notre indifférence aux autres et de nos ambiguïtés. Hélas, le livre ressemble beaucoup à cette (très) longue scène de soirée qui en occupe le premier tiers : on y croise des tas de gens qu'on ne connaît pas, et qui ne nous intéressent pas beaucoup.

    Même s'il y a de-ci, de-là quelques notations pas trop malvenues (le portrait de la victime, touchante et ridicule militante bio), quelques amorces de portraits intrigants, on fait avec eux trois petits tours, et on les quitte sans que grand-chose nous retienne. Le style se veut neutre, et joue sur les répétitions comme dans une parodie de Duras. Dans Heureux les heureux ou Adam Haberberg, ce dégraissage affinait le trait. Ici, il ne mène qu'à la platitude. Des petits riens qui mènent à pas grand-chose : n'est pas Sarraute qui veut.

    Hubert Prolongeau



    L'amour avec un petit "a"

    Beaux rivages, de Nina Bouraoui, JC Lattès, 250 p.,

    Parisienne quadra et comédienne voix off, A. est en couple depuis huit ans avec le bel Adrian, galeriste zurichois aussi musclé que brillant. La romancière Nina Bouraoui nous décrit donc, par l'entremise d'A., la « fin d'un amour » et l'enfer balisé de la rupture : quand Adrian la plaque pour une artiste, notre antihéroïne sombre dans l'alcool et les antidépresseurs, pense au suicide, maigrit dangereusement, devient végétarienne et écoute en boucle le « répertoire de Shy'm, Natasha St-Pier, Pascal Obispo, Emmanuel Moire ». Comment ne pas la plaindre ?

    Ces errances étonnent dans la mesure où la belle histoire d'A. et d'Adrian tenait surtout d'une relation charnelle, très épisodique, agrémentée, c'est vrai, de nombreuses pérégrinations touristiques. Dès lors, les efforts que déploie l'auteur pour nous faire compatir au sinistre quotidien de son personnage déjà névrosé tombent à plat. « Les larmes ne sont ni des épées ni des fusils », lâche-t-elle. Or, on rit aux larmes lorsque A. s'éprend de sa psy, dont les séances lui font néanmoins réaliser que cette peur panique de l'abandon remonte littéralement au bac à sable : la « bonne » veillant sur elle s'était cachée, le temps d'une farce, traumatisant A. pour la vie. De tels clichés traumatiseront aussi le lecteur. Pourtant, A. s'essaie parfois à la philosophie de boudoir, et l'on redresse l'oreille : « Il suffit d'être patient, de ne pas être trop exigeant sinon les choses la sentent, cette exigence, et s'en défendent. » Ne pas être trop exigeant, en amour comme en syntaxe, voilà donc la solution.

    Thomas Rabino



    Contre le mur
    Molécules, de François Bégaudeau, Gallimard, coll. « Verticales », 250 p.,

    Depuis le début de sa fulgurante carrière littérato-médiatique initiée par Entre les murs, en 2006, récit de son expérience éducative en zone sensible sublimé par l'adaptation de Laurent Cantet, qui obtint la Palme d'or en 2008, François Bégaudeau revendique une amitié qui transcende l'espace-temps... celle de Gustave Flaubert. Aussi, il n'est guère étonnant qu'il se soit lancé après une demi-douzaine de fictions vaines et un Antimanuel de littérature faussement subversif, qui lui a valu d'être érigé en chantre de la branchitude germano-pratine, dans une histoire tirée d'un fait-divers censée épingler l'ultramoderne solitude. Mais n'est pas Flaubert qui veut... Voici donc l'histoire de Jeanne Deligny, infirmière de 44 ans, qui a la chance, dès les premières pages du livre, d'avoir déserté ce roman peu fiévreux. Car c'est son cadavre à la carotide tranchée qu'on contemple en compagnie du capitaine Brun - une femme, que ses collègues appellent Brune, et qui se teint en rousse pour mieux les faire taire, subtil, non ? - et de son second, Calot, qui n'aime rien tant que le calcul de probabilités. Le nôtre est vite fait.

    Sous la trame d'un faux polar, situé à Annecy en cet été 1995 où le terroriste en cavale Khaled Kelkal fit trembler la France, et la quête d'un possible coupable de crime passionnel - un certain Gilles Bourrel, bon Dieu ! mais c'est bien sûr, comme le fameux commissaire des « Cinq dernières minutes » -, Bégaudeau se pique de métaphysique. Hélas, pas celle des fluides, fussent-ils corporels, quoique... puisqu'on s'y interroge sur la mort et sur ce qui part en fumée, et en premier, lors d'une incinération. Comme dans l'Ancien Régime, son dernier essai sur l'élection de Marguerite Yourcenar à l'Académie française, Bégaudeau se contente trop souvent de cabotiner, forçant l'ironie pour masquer la pauvreté et la sécheresse, toute judiciaire, de style. « La vertu, c'est faire ce qu'on peut. Le vice, c'est faire moins que ce qu'on peut », assure-t-il.

    Avec ce récit où tout s'étire sauf notre plaisir, François Bégaudeau montre qu'il est un écrivain très vicieux.

    Marianne
Chargement...
X