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La victoire de l'extrême-droite est aussi une défaite du "modèle allemand"

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  • La victoire de l'extrême-droite est aussi une défaite du "modèle allemand"

    La percée du parti d'extrême-droite AfD lors des élections régionales de Mecklembourg Poméranie Occidentale le 4 septembre est une gifle pour Angela Merkel. Mais c'est aussi une preuve de la fragilité du modèle économique, social et politique de l'Allemagne.

    La gifle reçue par Angela Merkel et son parti, la CDU, lors des élections régionales de Mecklembourg-Poméranie Occidentale ce 4 septembre, est souvent attribué à la seule politique migratoire de la chancelière. Une partie des électeurs ayant rejeté cette politique a choisi le parti de droite radicale Alternative für Deutschland (AfD). Lequel, pour sa première participation, a obtenu 20,8 % des voix, soit 1,8 point de plus que la CDU. Pour beaucoup d'observateurs, les autres facteurs, et notamment le facteur économique, n'ont joué aucun rôle puisque, affirme-t-on, le chômage est en baisse et la croissance vigoureuse.

    La politique migratoire, seule cause de la poussée d'AfD ?
    Cette analyse est cependant superficielle. Certes, nul ne peut nier que la politique migratoire a permis de mobiliser les électeurs autour d'AfD. Il y a là un réflexe de crainte et un rejet de l'ouverture des frontières qui est présente dans toute l'Allemagne, mais particulièrement en ex-RDA. En mars, en Saxe-Anhalt, AfD avait mobilisé 24,3 % de l'électorat. La poussée de ce nouveau parti depuis les élections régionales de septembre 2015 en Saxe et en Thuringe, autres Länder de l'ex-RDA, où AfD avait obtenu respectivement 9,7 % et 10,6 %, montre clairement l'impact de la crise migratoire. Mais une fois cette cause première affirmée, il convient de s'interroger plus avant sur les raisons de ce réflexe. La crainte de la vague migratoire prend en effet pied dans un malaise plus général que prouve les résultats électoraux.

    Défaite de la CDU, mais pas seulement
    Ainsi, si ce Land est le Land d'origine d'Angela Merkel, il n'est pas comme on l'entend souvent un « bastion » de la CDU. Bien au contraire, la CDU avait perdu davantage de terrain en 2011 (- 5,8 points) que ce dimanche (-4 points). Les Chrétiens-démocrates n'y ont plus gagné les élections régionales depuis 1994. Certes, se faire doubler par AfD et passer sous les 20 % est une rude gifle pour la chancelière, mais, en réalité, la CDU était déjà depuis longtemps en déclin dans ce Land, bien avant la politique migratoire. La sanction contre Angela Merkel est claire, mais elle n'est en réalité qu'une partie d'une sanction plus large contre l'ensemble de la classe politique du pays. Car si la CDU a perdu 4 points ce dimanche, la SPD sociale-démocrate a accusé un recul de 5 points, Die Linke, héritière de l'ancien parti dominant de la RDA, a perdu 5,2 points, les Verts ont reculé de 3,9 points et les néo-nazis de la NPD de trois points. Autrement dit : AfD a ratissé large, comme elle le fait depuis sa création. Elle a regroupé les déçus du système politique et économique allemand.

    Il est donc plus probable que la politique migratoire ne soit qu'un élément déclencheur et mobilisateur d'un mécontentement plus général, par le fait que cette politique soit grosso modo acceptée par l'ensemble de la classe politique à l'exception d'AfD. AfD est, avec la CSU bavaroise, le seul parti à s'opposer à cette politique et il apparaît, du coup, comme une alternative politique plus vaste. D'où sa capacité à mobiliser des électeurs de tous bords, notamment ceux venant de Die Linke. La réaction à la politique migratoire traduit en effet souvent une volonté de maîtrise des frontières et de crainte d'un déclassement de l'Etat providence, soucis très répandus parmi les électeurs de Die Linke et même d'une partie de la SPD dans l'ex-RDA.

    La gauche désavouée
    Or, ces électeurs s'interrogent de plus en plus sur la capacité de Die Linke et de la SPD à pouvoir changer la donne. Ce qui est ici en cause, c'est clairement le jeu de coalition de la politique allemande. La participation de la SPD aux « grandes coalitions » avec la CDU au niveau régional (notamment en Mecklembourg-Poméranie Occidentale) et au niveau fédéral l'a disqualifiée pour représenter tout changement. Mais, de plus en plus, Die Linke, qui, en Thuringe et en Brandebourg, gouverne avec la SPD et est présent au Bundestag, apparaît aussi comme un parti membre du système. Pour ne rien dire des Verts qui semblent désormais avoir pour seule ambition de monter une coalition fédérale avec la CDU. Dès lors, le vote de rejet se concentre sur l'opposition extraparlementaire. Ce n'est pas un hasard si le seul parti dimanche qui a progressé, outre AfD, est la FDP libérale, éjectée en 2013 du Bundestag.

    Désaveu du système
    Le vote AfD est donc aussi un vote contre le système politique allemand. Ce vote n'est pas nouveau. La part des deux grands partis n'a cessé de s'effondrer depuis le début des années 2000, même si cette érosion a été temporairement stoppée en 2013. En 1998, CDU et SPD représentaient 76 % des voix, en 2013 seulement 67,2 %. En nombre de voix, la différence est plus nette : huit millions d'électeurs ont abandonné les partis traditionnels. A noter que la « grande coalition » de 2005-2009 avait encore exagéré ce désaveu. Ceci a donné lieu à la montée d'une opposition disparate selon les régions et les moments : on a vu des fortes poussées au cours des 15 dernières années de Die Linke, du FDP, des Verts, de certains partis d'extrême-droite ou encore du parti Pirate. AfD n'est que le dernier épisode de ce mouvement, mais c'est un épisode plus puissant que les autres. A la différence des autres partis ou mouvement protestataire du passé, AfD a la capacité de rassembler ces mécontentements. Il l'a fait en utilisant la critique de la politique migratoire comme catalyseur de ce mécontentement latent.

    Le Mecklembourg-Poméranie Occidentale, un Land symbolique des fragilités de l'ex-RDA
    Rien d'étonnant, de ce point de vue, que l'ex-RDA soit le terrain de prédilection d'AfD. Car, l'image d'un Land de Mecklembourg-Poméranie Occidentale plein de prospérité ne traduit guère la réalité, si l'on s'en tient aux statistiques. Certes, la situation s'améliore et le Land profite de la relativement dynamique croissance de l'Allemagne. Le chômage y a été fortement réduit. Mais, dans le détail, le tableau est moins réjouissant. Le Mecklembourg-Poméranie Occidentale a certes connu une croissance de 1,9 % en 2015, soit 0,2 point de plus que l'Allemagne dans son ensemble, mais depuis 15 ans, la croissance n'a dépassé 2 % qu'une seule fois, en 2007, alors que le Land a connu six ans de contraction de sa richesse (deux pour l'ensemble de l'Allemagne). C'est, en fait, un bien terne bilan pour une ancienne contrée du bloc de l'Est. La croissance moyenne du Land entre 2000 et 2015 a été de 0,84 % contre 1,35 % pour l'ensemble de la République fédérale.

    Si le Land dispose de quelques atouts touristiques, il a vu une grande partie de ses anciennes structures, comme la pêche, les industries lourdes ou les chantiers navals disparaître. Certes, le chômage est à son plus bas niveau depuis la réunification, mais le taux de chômage au sens national demeurait, en moyenne sur l'année 2015, à 10,4 % le troisième taux le plus élevé d'Allemagne, quatre points au-dessus de la moyenne nationale. Surtout, la baisse du chômage s'explique par la situation démographique d'un Land vieillissant que les jeunes fuient. 23 % de la population a plus de 55 ans (20,5 % pour l'Allemagne). En dix ans, la population du Land a reculé de 6 %.

    La raison de cette situation tient aussi à la migration vers les autres Länder. En Mecklembourg-Poméranie Occidentale, le salaire brut moyen représente encore 79,4 % de la moyenne nationale. Certes, en 1991, il était à 55,5 %, mais le rattrapage est inachevé. Le Mecklembourg-Poméranie Occidentale est, du reste, le plus en retard des Länder dans ce domaine : en ex-RDA, le salaire moyen représente 82 % du total. Ramené par heure, la rémunération est encore plus faible : à 18,92 euros, elle ne représente que 75,9 % de la moyenne fédérale. Résultat : le revenu disponible par habitant du Land de Mecklembourg-Poméranie Occidentale reste inférieur de 7,2 % à la moyenne fédérale et de 3,1 % à la moyenne de l'ex-RDA. Depuis 2010, ce revenu n'a quasiment pas bougé. Le Land est alors logiquement la lanterne rouge de la consommation des ménages et de l'épargne en Allemagne.

    Désinvestissement
    On se rend donc compte que les habitants de Mecklembourg-Poméranie Occidentale ont maintes raisons de mécontentements. Ils peuvent considérer, comme ceux de nombreux Länder de l'ex-RDA, qu'ils sont les oubliés de la croissance allemande et que celle-ci n'est clairement plus suffisante pour satisfaire leur volonté de rattrapage et d'égalité avec leurs compatriotes de l'ouest. Certes, on a beaucoup investi dans ces Länder de l'ex-RDA depuis la réunification, mais le mouvement s'est inversé depuis quelques années. Selon l'office statistique régional, le degré de modernité des investissements si l'on exclut le bâtiment est inférieur à la moyenne fédérale et, en 2013, l'investissement par habitant dans ce Land était de 5.004 euros, 3.000 de moins qu'en 1995 et 1.907 euros de moins que la moyenne nationale. Depuis quinze ans, on investit moins en Mecklembourg-Poméranie Occidentale qu'en moyenne en Allemagne. Dans un Land vieilli et encore pauvre, cet absence d'investissement, et singulièrement d'investissement public, est durement ressenti. Rien n'est donc plus faux que de présenter les habitants de ce Land, ou ceux des autres Länder de l'ex-RDA, comme des « enfants gâtés ». Ils restent dans une situation de fragilité et c'est une des sources de leurs craintes liées à l'arrivée des réfugiés. C'est sur ce terreau que prospère l'extrême-droite.

    L'erreur d'Angela Merkel : surestimer le modèle allemand
    La conclusion que l'on peut tirer de cette situation est que l'erreur fondamentale d'Angela Merkel a été de surestimer les forces de l'Allemagne. Son slogan « wir schaffen das » (« nous réussirons ») sous-entendait que la République fédérale disposait d'une telle puissance économique et d'une telle force politique intérieure qu'elle pourrait aisément absorber le choc de l'arrivée de plus d'un million de migrants. En réalité, tout se passe comme si Angela Merkel s'est laissé tromper par son propre discours : son triomphe supposé dans la crise de l'euro où s'est imposé le « modèle allemand » comme référence en Europe, où l'Allemagne a affirmé sa puissance politique et où l'Allemagne est parvenue à réaliser des taux de croissance légèrement plus élevés que la moyenne l'a clairement grisée. En réalité, derrière l'image d'une prospérité insolente, la République fédérale cache de nombreuses poches de mécontentement, fruit de sa politique économique et sociale : le risque de pauvreté y est important, le sous-investissement chronique, la réunification incomplète et la déception politique forte. C'est tout cela qu'a sous-estimé la chancelière et qui a permis à AfD de profiter de sa politique migratoire pour s'imposer comme le troisième parti de la politique allemande. C'est cette surestimation des forces de l'Allemagne que paie aujourd'hui Angela Merkel.

    Boîte de Pandore
    Les conséquences pourraient être redoutables. Désormais, le caractère « anti-système » et alternatif d'AfD semble l'emporter sur les faiblesses d'un parti qui ne cesse de s'entredéchirer et dont le programme économique demeure bien peu convaincant. Par son erreur d'appréciation, Angela Merkel a ouvert la boîte de Pandore qui semblait fermée depuis 1945 : celle de l'impossibilité d'un parti fort à la droite de la CDU/CSU. Les exemples français ou italien montrent qu'une telle boîte une fois ouverte peut avoir des conséquences graves à long terme. Dans l'immédiat, l'émergence d'AfD va conduire naturellement à une réaction des autres partis qui, tous, vont tenter de se présenter comme des éléments « anti-système » en se définissant comme des partis « anti-Merkel ». On le voit déjà dans le comportement de la SPD. Ceci risque de rendre la constitution des alliances après les élections fédérales de 2017 une opération très délicate.


    la tribune fr
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