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Faut-il repenser la démocratie en Afrique ?

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  • Faut-il repenser la démocratie en Afrique ?

    TRIBUNE. Des élections organisées dans la précipitation, parfois boycottées, et des résultats souvent contestés... Comment en est-on arrivé là

    Les élections gabonaises ont malheureusement débouché sur des tensions que craignaient nombre d'observateurs. Elles succèdent à d'autres qui ont eu lieu ces derniers mois sur le continent africain et dont les résultats étaient encore plus prédictibles, pour autant de présidents au pouvoir depuis des décennies : Obiang a été réélu en Guinée équatoriale, Déby au Tchad, Sassou-Nguesso au Congo-Brazzaville, Museveni en Ouganda ou encore Omar Guelleh à Djibouti… En succédant à l'échec du Printemps arabe – hors la fragile mais précieuse exception tunisienne –, cette vague d'élections a rendu plus pressant le questionnement sur la possibilité, et parfois même la nécessité, pour certains pays d'adopter un modèle de démocratie importée

    Souveraineté, nation, démocratisation
    Une démocratie se développe sur l'existence préalable d'un État souverain et d'un État nation. Un processus qui a pris plusieurs siècles aux démocraties actuelles, et qui a peut-être été quelque peu oublié dans l'analyse de l'évolution politique du continent, souvent jugée décevante depuis la fin de la colonisation.

    Au moment des indépendances, le premier défi que de nombreux pays ont dû relever a été l'établissement d'un État souverain au sens moderne du terme, avec pour attributs minimums la capacité à contrôler un territoire significatif - dont les nouvelles frontières n'existaient parfois même pas avant les indépendances -, l'administrer, lever l'impôt et rendre la justice. Le concept même d'État souverain n'avait cependant rien d'évident : si, avant la colonisation, on pouvait le trouver en Afrique du Nord, en Éthiopie ou dans certains empires (Songhai, Ashanti ou encore Sokoto), il restait étranger à une large part du continent, que ce soit pour les peuples nomades du Sahel ou en Afrique centrale et équatoriale[1] où l'environnement naturel restreignait la taille des entités gouvernantes et leur capacité à étendre géographiquement leur pouvoir. Les pays nouvellement indépendants regroupèrent pour la plupart des populations diverses, aux relations séculaires souvent conflictuelles, parfois exacerbées durant la période coloniale. Difficile dès lors de développer une nation qui, avec la création d'un « désir de vivre ensemble » cher à Renan, permette d'établir un régime à la fois représentatif et inclusif.
    Afin de répondre à ce double défi de construction concomitante d'État souverain et d'État nation, tout ce dont disposaient les pays africains était des économies peu diversifiées et dépendantes des matières premières, et des administrations en déshérence. Dans un environnement de guerre froide où les protagonistes instrumentalisaient les conflits locaux pendant que les anciennes puissances coloniales maintenaient une ingérence politico-économique, la question n'était probablement pas de savoir s'il y aurait des crises, mais bien quand elles auraient lieu : la période d'illusion qui a duré jusqu'à la fin des années 70 a été suivie des « décennies perdues », une plongée dans le chaos des crises économiques et des guerres civiles. Entre 1974 et le début des années 2000, 30 conflits majeurs ont traversé un continent qui comprenait 53 pays - et seulement 3 démocraties[2] au début des années 90.

    Néanmoins, l'entrée dans le XXI siècle a semblé marquer le début d'une nouvelle ère pour l'Afrique : boom des matières premières, rééquilibrage de sa position sur la scène internationale - en particulier grâce au développement des relations avec la Chine –, effacement progressif des influences de la guerre froide et des anciennes puissances coloniales. On ne compte plus les couvertures mettant en avant le développement et la diversification des économies, l'émergence des classes moyennes qui font du continent un pôle d'attraction, une des dernières « frontières » de la croissance. L'évolution politique a-t-elle pour autant suivi le même chemin ?

    Une quête de légitimité institutionnelle
    S'il est évidemment difficile de dégager des tendances pour tout un continent, il semble néanmoins possible d'en dégager certaines qui le traversent. La première pourrait être qualifiée de quête de légitimité institutionnelle, incarnée le plus intensément par le Printemps arabe. Les situations en Tunisie, en Libye ou en Égypte partagent un trait commun : leurs régimes ont commencé avec des leaders qui incarnaient les symboles de l'indépendance et du renouveau, et bénéficiaient en tant que tels d'une légitimité auprès de leurs populations. Néanmoins, cette légitimité était ancrée dans le passé, et donc destinée à s'estomper naturellement avec le temps. Le mouvement a été amplifié par l'incapacité des régimes à répondre aux aspirations de leurs peuples en termes de croissance économique et de redistribution des richesses. Et c'est bien l'incapacité de ces régimes à se renouveler qui a été la principale source des soulèvements de la société civile en Égypte et en Tunisie, dont les revendications portaient sur une transformation fondamentale du système politique afin qu'il bénéficie enfin d'une légitimité intrinsèque par des institutions représentatives.

    Cette quête de légitimité s'est étendue à l'Afrique subsaharienne. Ces dernières années ont montré que le prix à payer pour modifier les Constitutions afin de briguer un 3e mandat tendait à être de plus en plus élevé, quand bien même l'objectif fût atteint : le Congo-Brazzaville a traversé des troubles considérables autour des élections, la paix civile n'est toujours pas revenue au Burundi, et les analystes sont très inquiets de la tournure que pourraient prendre les événements en République démocratique du Congo à mesure que l'échéance présidentielle se rapproche. Mais il y a également eu de bonnes surprises : en 2010 l'armée nigérienne a déposé Mamadou Tandja qui souhaitait se maintenir pour un 3e mandat, avant de retransférer le pouvoir aux civils ; en 2014 et 2015, peu avaient parié sur un départ des présidents Wade au Sénégal et Campaoré au Burkina Faso – moins encore sans que cela provoque un nombre considérable de victimes.

    Des nations en devenir
    Cette tendance de la société civile africaine à rechercher des institutions fortes plutôt des hommes forts renforce la notion de communauté de destins et le sentiment d'appartenance à une nation - impossible en effet de construire des institutions légitimes dans lesquelles ne se reconnaîtrait qu'une partie de la population. Cette tendance commence à agir comme contrepoids aux divisions ethniques, et est particulièrement forte au sein d'une jeunesse de plus en plus éduquée, connectée, et qui représente la majorité de la population (plus de la moitié a moins de 20 ans). Lassée d'être marginalisée sous les anciens systèmes, elle est devenue un acteur majeur du changement : tout comme en Égypte et en Tunisie, les réseaux sociaux sont devenus un impressionnant outil de mobilisation, à tel point que la révolte Burkinabè a été qualifiée de révolte 2.0. Et la mobilisation n'a plus lieu uniquement en temps de crise. En Côte d'Ivoire, où 77 % de la population a moins de 35 ans, le projet d'amendement de la Constitution a donné lieu à des consultations avec les partis politiques et les autorités religieuses : se sentant exclues, plusieurs associations de jeunesse se sont invitées d'elles-mêmes dans le débat au travers d'un collectif.

    Cette évolution structurelle reste cependant vulnérable : un élément essentiel à sa poursuite sera le partage de la croissance économique. Bien que l'Afrique ait connu des taux de croissance impressionnants ces dix dernières années (plus de 5 % par an en moyenne), le continent reste touché par la pauvreté : d'après un sondage d'Afrobaromètre conduit dans 35 pays, 46 % des répondants considéraient qu'ils manquaient de nourriture – « la croissance ne se mange pas », comme on dit à Abidjan… Une croissance inclusive n'évitera pas seulement les violences que l'on a pu observer lors des émeutes de la faim en 2008. Sans elle, l'émergence tant vantée des classes moyennes, dont le rôle comme élément moteur des processus de démocratisation a été largement documenté, ne pourra être durable. Or son développement a un effet supplémentaire en Afrique : la création d'une conscience de classe aux intérêts communs, que ce soit en termes de niveau de vie, d'accès à l'éducation, de comptes à obtenir d'autorités qui lèvent l'impôt – et donc de gouvernance –, tend également à faire dépasser les clivages ethniques et à favoriser le vote en fonction de programmes politiques plutôt que sur des appartenances communautaires.

    Les dernières élections au Kenya, au Nigeria et en Afrique du Sud, trois puissances régionales dont l'avenir sera déterminant pour leur sous-région, montrent que le processus est entamé. Dans le premier, après les élections catastrophiques de 2007 qui avaient causé la mort de plus de 1 000 victimes, celles de 2012 ont été un succès. Le pays passera un test majeur lors des élections de l'année prochaine, et l'on peut espérer qu'elles montreront le déclin de la capacité à manipuler des tensions ethniques. Au Nigeria, les élections de 2015 ont marqué un tournant majeur : après cinq élections présidentielles depuis le retour du pouvoir au civil en 1999, le pays a vécu sa première alternance. L'évolution de la carte électorale montre qu'un certain nombre d'États du Sud qui soutenaient le président sortant Goodluck Jonathan (un chrétien du Sud) ont basculé en faveur du président actuel Muhammadu Buhari (un musulman du Nord), ce qui suggère que le vote traditionnel selon des lignes traditionnelles nord-sud/chrétien-musulman tend à diminuer. L'Afrique du Sud, enfin, vient de procéder à des élections municipales qui confirment un mouvement amorcé en 2014, quand pour la première fois l'ANC avait perdu la majorité des deux tiers au Parlement. L'arrivée des « born free » aux urnes, la première génération qui n'a pas connu l'apartheid, change la donne en profondeur : si l'ANC garde la majorité des municipalités, il n'a jamais eu de score aussi faible et est passé en dessous des 50 % à Pretoria et à Johannesburg. Il n'est désormais plus exclu que le parti d'opposition Democratic Alliance puisse dépasser les clivages hérités de l'apartheid, et représenter une alternative à l'ANC aux présidentielles de 2019 ou 2024.

  • #2
    suite

    Des tendances lourdes sur un horizon historique court


    Il y a eu, depuis 2013, 25 élections présidentielles en Afrique, dont 15 ont été considérées comme libres et équitables. Puisqu'aujourd'hui il faut utiliser des index : celui de The Economist sur la démocratie en 2015 classe 10 pays africains dans la catégorie « flawed democracies » (un groupe qui comprend, entre autres, Israël, Taiwan, le Chili ou encore la Pologne), tels que la Tunisie, le Sénégal, le Ghana, le Botswana ou la Zambie – seule Maurice est classée comme « full democracy ». Si l'on ajoute les pays mentionnés plus haut (Nigeria, Kenya, Côte d'Ivoire…), qui n'ont pas encore gagné ce statut mais sont indéniablement en transition, on parle alors de manière conservatrice de plus du tiers de la population du continent. Un chemin pour le moins significatif depuis les trois démocraties esseulées des années 90. Sur un horizon historique court, un grand nombre de pays africains se sont engagés dans au moins deux des trois processus de construction d'État souverain, d'État nation et de démocratisation. Cette dernière est rampante. La question n'apparaît pas de savoir si elle peut être importée, mais plutôt de savoir comment elle peut être mise en place en accord avec les réalités de chaque pays, au travers d'institutions locales, et par ses futurs bénéficiaires. Personne ne peut prétendre savoir ce que sera le produit fini, mais les nations africaines du XXI siècle sont définitivement en train de trouver un nouveau souffle.

    * Guillaume Arditti est le fondateur de Belvedere Advisory, cabinet de conseil en stratégie spécialisé sur l'Afrique. Il est également enseignant en relations internationales à Sciences Po.

    [1] Nic Cheeseman, Democracy in Africa

    [2] The Economist, "Special Report - Emerging Africa", March 2013, p. 4.


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