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Guerre au Yémen : l’échec de la stratégie américaine

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  • Guerre au Yémen : l’échec de la stratégie américaine

    Témoins de l’enlisement progressif des Saoudiens dans le bourbier yéménite, les Etats-Unis ne sont plus prêts à le soutenir.

    Dans les années qui ont suivi les attaques du 11 septembre 2001, le Yémen a pris une importance majeure aux yeux des stratèges du Pentagone. L’attentat perpétré contre le destroyer USS Cole le 12 octobre 20001 dans le port d’Aden avait déjà alarmé les autorités américaines.

    Même si le gouvernement soudanais fut tenu pour responsable de l’attentat, l’implantation d’Al Qaida au Yémen ne faisait aucun doute et l’accueil réservé aux agents du FBI et du NCIS2 chargés d’enquêter sur l’attentat suffisait en lui-même à démontrer la radicalité du sentiment anti-américain partagé tant par le gouvernement que par les chefs de clan yéménites. A leur arrivée à l’aéroport, les enquêteurs furent accueillis avec chaleur sous la menace des kalashnikovs, et durant leur court séjour à Aden, les agents rapportèrent que le niveau de menace était tel qu’ils dormaient tout habillés avec leur arme immédiatement à portée de main.

    La croissance faible du Yémen

    Un peu moins grand que la France (527 000 km2) pour une population trois fois moins nombreuse (23 millions d’habitants), la république du Yémen, située à la pointe sud-ouest de la péninsule arabique, est l’un des pays les plus pauvres du monde. 82 % de la population serait en situation de dépendance humanitaire d’après le CIA World Factbook, 27 % de la population est au chômage et avec 0,50, le pays possède l’un des indices de développement les plus faibles au monde3. C’est avec l’aide de la communauté internationale, et notamment des Etats-Unis et du Fonds Monétaire International que le Yémen a tenté ces dernières années de progresser sur le plan économique en modernisant notamment ses industries gazières et pétrolières.

    En place depuis 1990 (et auparavant président de la République arabe du Yémen de 1978 à 1990), le président Ali Abdallah Saleh, véritable équilibriste politique, n’a pas hésité à s’appuyer sur les éléments salafistes et djihadistes pour lancer une vaste offensive contre les séparatistes houthis4 en 2004, avant de redevenir un allié dans la guerre contre Al Qaida et d’obtenir un surprenant renversement d’alliance en ralliant à sa cause les Houthis au moment où il s’apprêtait à être chassé du pouvoir à l’issue des événements du Printemps Arabe, dans un pays quasiment en proie à la guerre civile.

    Tandis qu’Ali Abdallah Saleh échappe de peu à une tentative d’assassinat et se voit contraint de fuir temporairement le pays quand le Conseil de coopération du Golfe, sous obédience saoudienne et américaine, obtient du président yéménite la signature d’un plan de sortie de crise et le transfert du pouvoir au vice-président Abd Rabbo Mansour Hadi le 23 novembre 2011.

    Le Conseil de coopération du Golfe représente le fer de lance de la diplomatie sunnite à l’oeuvre dans la crise yéménite mais constitue aussi un levier de pression important des Etats-Unis d’Amérique dans la région. Créé en 1981 à l’issue du coup d’état raté initié à Bahreïn par le Front Islamique de Libération de Bahreïn – organisation révolutionnaire chiite soutenue par l’Iran – le Conseil de coopération du Golfe (CCG) se présente dès son origine comme un moyen de faire pièce à l’expansionnisme chiite iranien, deux ans après la révolution de 1979. Composé des six pétromonarchies du Golfe, Arabie Saoudite, Oman, Bahreïn, Qatar, Koweït et Emirats Arabes Unis, le CCG et aussi une alliance militaire défensive dont le siège est à Al-Batin en Arabie saoudite. Durant toute la guerre Iran-Irak, le CCG reçoit le soutien des Etats-Unis et les pays membres de l’organisation intègrent la coalition internationale contre Saddam Hussein en 1990.

    La place stratégique du Yémen dans l’endiguement de l’Iran

    Le 12 mai 2012, les pays membres du CCG ont été à l’origine de la création d’une union renforcée visant à faire à nouveau barrage à l’influence iranienne dans la région. A la médiation des pétro-monarchies, s’ajoute celle du groupe Friends of Yemen, formé à l’initiative du Royaume-Uni, de l’Arabie saoudite et du Yémen, qui réunit régulièrement entre 2011 et 2012 les ministres des affaires étrangères des trois pays fondateurs, ainsi que les représentants du CCG, de la France, des Etats-Unis ou du FMI, chargé notamment de superviser l’aide économique accordée au Yémen. L’équilibre des forces dans la relation triangulaire entre pétro-monarchies, Iran et puissances occidentales était cependant trop précaire pour se maintenir longtemps en l’état.

    La fuite de Saleh et son remplacement par le président Hadi n’ont en rien assuré le retour à la stabilité politique. Bien au contraire, le Yémen est devenu un terrain d’affrontement entre une multitude de groupes armés, religieux ou séparatistes, dont les rebelles Houthis dans le nord du pays, ralliés à Saleh, leur ancien adversaire ou l’AQPA (Al Qaida dans la Péninsule Arabique) dans le sud du pays. Consciente de la dégradation de la situation sur le terrain et de la montée en puissance d’AQPA – nouvelle avatar d’Al Qaida dans la région – l’administration Obama a mené une politique d’intervention discrète, appuyée sur des frappes de drones, dont le but était de réduire autant que possible l’influence de l’organisation islamiste.

    Si ces frappes ont entraîné la mort d’Harith Al-Nadhari, un des principaux chefs de l’organisation5, elles n’ont pas permis de réduire durablement la capacité d’action d’Al Qaida dans la Péninsule Arabique. Le directeur de la CIA, John Brennan, estimait récemment que cette organisation collaborait désormais avec l’Etat Islamique au Yémen contre des ennemis communs : les rebelles Houthis soutenus par l’Iran et le gouvernement yéménite actuel. « Nous voyons une coopération au niveau tactique pour repousser leurs ennemis communs », a confié Brennan lors d’une conférence au Council for Foreign Affairs6, une analyse réitérée lors d’un entretien accordé en septembre 2016 au Combating Terrorism Center de l’Académie de West Point.

    L’éternel allié saoudien

    Cependant, l’opinion publique américaine n’étant pas plus déterminée que le Congrès à allouer des moyens supplémentaires à l’administration Obama pour peser plus largement sur le devenir de la politique yéménite, les Etats-Unis ont été obligés de recourir une fois de plus à l’éternel et encombrant allié saoudien, qui partage une large frontière avec le Yémen et voit les succès remportés par les Houthis chiites comme une menace à son intégrité territoriale. « Avec des ressources limitées et une tolérance encore plus limitée de l’opinion publique pour un fardeau supplémentaire en termes de politique étrangère, les Etats-Unis doivent recourir à l’influence des acteurs régionaux que sont l’Arabie saoudite et le CCG », estimait déjà un analyste américain en 2011.

    Le problème est évidemment que l’agenda des Etats-Unis et des pétro-monarchies du CCG n’est pas vraiment le même. Pour les Etats-Unis, il s’agit de garantir un équilibre instable dans le chaos religieux et clanique du Yémen en misant sur la capacité du gouvernement actuel à reprendre tôt ou tard la main pour que le gouvernement yéménite redevienne l’allié qu’il était du temps de Saleh dans la « guerre contre le terrorisme ». La prise du palais présidentiel par les Houthis en janvier 2015 a mis fin à cet espoir.

    A cours de stratégie à long terme et de ressources, l’administration américaine a donc donné carte blanche à la coalition emmenée par l’Arabie saoudite pour intervenir au Yémen et « Redonner espoir » à la population yéménite7. Mais la communauté d’objectifs entre Washington et Ryad s’arrête à la porte du palais présidentiel de Sanaa, dont il s’agissait de faire déguerpir les Houthis au plus vite. Pour les Saoudiens, le véritable but de guerre était la destruction complète des Houthis au Yémen et la volonté de contrecarrer l’Iran dans toutes ses entreprises…à n’importe quel prix.

    Pourtant, dire que pour le moment la coalition emmenée par l’Arabie saoudite au Yémen ne remplit pas ses objectifs est un doux euphémisme. Si les Houthis ont reculé et essuyé des revers sur le plan militaire, les frappes de la coalition arabe n’ont en rien réussi à les éradiquer : ils campent toujours fermement dans le nord-ouest du pays. En revanche, les frappes aériennes de la coalition aggravent largement la situation humanitaire déjà désastreuse pour la population yéménite. Entre mars 2015 et août 2016, près de 4 000 civils ont perdu la vie. L’intervention saoudienne a conduit à laisser une partie des opérations au sol entre les mains de l’AQPA ou de l’Etat Islamique avant que Ryad ne commence à réaliser son erreur.

    Et tandis que les Saoudiens perdent de plus en plus la main politiquement – échouant à rallier le Pakistan à leur cause et perdant le soutien des Emirats Arabes Unis qui se sont retirés de la coalition en juin 2016 – les bombardements occasionnent des pertes civiles de plus en plus choquantes pour l’opinion internationale : un hôpital de Médecins Sans Frontières détruit en octobre 2015, 16 ouvriers tués dans le bombardement d’une usine alimentaire le 9 août 2016, 19 personnes tuées le 15 août dans le bombardement d’un autre hôpital de MSF.

    Les Etats-Unis en retrait

    Témoins de l’enlisement progressif des Saoudiens dans le bourbier yéménite, les Etats-Unis ne sont plus prêts à le soutenir. Le 19 août dernier, l’armée américaine a décidé de rappeler l’essentiel de son personnel encore basé en Arabie saoudite afin de coordonner le soutien américain. Il ne reste plus, rapporte désormais l’agence Reuters, que…cinq membres du « Joint Combined Planning Cell » en Arabie saoudite. Ainsi que le résume Ted Lieu, représentant démocrate et colonel de l’US Army : « Quand des frappes répétées tuent désormais des enfants, des docteurs, des jeunes mariés ou des malades, vous ne pouvez qu’en arriver à la conclusion que soit les Saoudiens ne nous écoutent pas, soit ils s’en fichent complètement. » Le torchon brûle par ailleurs plus que jamais entre Washington et Ryad, et l’affaire des fameuses 28 pages du rapport de la commission d’enquête américaine sur les attentats du 11 septembre de 2003, dont la déclassification serait susceptible de lever le voile sur l’implication de l’Arabie saoudite dans les attaques, ne fait que publiciser largement la défiance qui s’est installée de longue date entre les deux pays malgré des relations apparemment cordiales.

    On assiste maintenant, avec le désengagement américain au Yémen, son rapprochement avec l’Iran et l’esquisse de condominium avec les Russes au Proche-Orient à une reconfiguration géopolitique dans laquelle les Saoudiens ont beaucoup à perdre. La famille royale saoudienne est-elle en train de payer des années de jeu dangereux et de soutien aux pires factions islamistes entretenues par les membres les plus complaisants de la famille royale ? Rien n’est moins sûr tant que l’Arabie saoudite peut continuer à parler au portefeuille des pays occidentaux en faisant miroiter de mirifiques contrats d’armements aux uns et aux autres.

    Mais sur le plan économique, la chute des cours du pétrole place le Royaume dans une situation financière aussi préoccupante qu’inédite. Et le retour en grâce de l’Iran dans la communauté internationale n’est certainement pas fait pour améliorer les perspectives qui s’offrent aux dirigeants saoudiens. En attendant, les Yéménites paient au prix fort le désarroi de plus en plus marqué de la diplomatie saoudienne et l’égarement de sa politique étrangère…dont l’Etat Islamique et AQPA profitent encore largement. Etats-Unis, Royaume-Uni et France tentent quant à eux de s’éloigner du bourbier sur la pointe des pieds.



    L’attentat perpétré et revendiqué par Al Qaida alors que le Cole mouillait dans le port d’Aden causa la mort de 17 marins américains et en blessa 39 autres.

    Naval Criminal Investigative Service (NCIS)
    Populationdata.net

    Faction d’obédience chiite soutenue par l’Iran et ralliée à l’ex-président Saleh.

    Qui a revendiqué les attentats commis en France en janvier 2015. ↩
    Le CTC est un think tank américain fondé en 1921 qui se consacre à l’étude de la politique étrangère américaine.

    Malheureux choix de nom sans doute. L’opération « Restoring hope », emmenée par l’Arabie saoudite, qui a succédé à l’opération « Decisive Storm », rappelle la funeste « Restore Hope » en Somalie en 1993, l’un des plus gros échecs américains après la guerre froide. De mauvais augure pour Ryad…

    contrepoints
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