On se souvient des centaines de rescapés fuyant l’enfer d’Alep et autres provinces accablées par la violence, venus trouver refuge sous nos cieux à la faveur d’un pont aérien improvisé entre Alger et Damas.
On se rappelle de ce terrible été 2012 quand des familles syriennes désemparées se voyaient réduites à vivre dans la rue, avec femmes et enfants, comme des SDF, et durent passer tout le Ramadhan dans les allées du square Port Saïd et autres places publiques. Leur sort avait suscité une vive émotion, donnant lieu à de belles expressions de solidarité. La présence syrienne en Algérie s’est faite relativement discrète depuis, particulièrement après l’instauration du visa pour les ressortissants syriens en janvier 2015, manifestement pour des considérations sécuritaires. A la barrière géographique couplée au coût du voyage vient ainsi s’ajouter une barrière administrative qui filtre scrupuleusement les flux migratoires en provenance du Cham.
Selon le dernier rapport du département d’Etat américain sur la situation des droits humains en Algérie, la communauté syrienne dans notre pays était évaluée à 24 000 âmes à l’automne 2015, chiffre attribué au ministère de la Solidarité. Le rapport du département d’Etat américain ajoute que «d’autres organisations estiment que leur nombre est proche de 43 000». La même source assure que l’antenne du HCR en Algérie a enregistré 5500 demandes d’asile émanant de ressortissants syriens depuis 2012.
Bureaucratie sécuritaire
La communauté syrienne établie en Algérie, faut-il le préciser, est loin de se limiter à ces hères en haillons dressés au beau milieu de la route ou errant au bord des quais et brandissant une pancarte avec la mention : «Famille syrienne, aidez-nous s’il vous plaît». En réalité, la majorité des Syriens installés en Algérie vivent discrètement, ne tendent pas la sébile, travaillent, louent des maisons, et les plus nantis d’entre eux n’hésitent pas à investir dans de petites affaires. On les retrouve notamment dans la restauration, la pâtisserie «orientale», le bâtiment, l’habillement… «Ils ont réussi à s’intégrer au sein de la société algérienne», observe Saïda Benhabilès, présidente du Croissant-Rouge algérien.
Il importe de souligner qu’officiellement les Syriens n’ont pas le statut de réfugiés. Ils doivent, dès lors, se conformer aux dispositions de la loi relative aux conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers en Algérie (voir encadré). Celle-ci oblige tout ressortissant étranger qui prévoit de s’établir en Algérie d’avoir une carte de résident, un sésame que la grande majorité des Syriens ont du mal à décrocher. En cause : une bureaucratie sécuritaire qui, sous couvert de la prévention contre toute infiltration d’éléments pro-Daech, a évolué très rapidement dans le sens d’un durcissement des conditions de délivrance des titres de séjour pour l’ensemble des exilés syriens.
Loin du lyrisme du discours officiel qui ne cesse de clamer urbi et orbi le soutien indéfectible de l’Algérie «houkoumatan wa chaâban» à «Souria echaqiqa» et de souligner la profondeur des liens historiques entre les deux peuples en rappelant l’épisode de l’accueil de l’Emir Abdelkader lors de son exil damascène, dans les faits, les Syriens ne bénéficient d’aucun régime particulier qui leur permettrait d’accéder plus aisément à la fameuse «iqama» (résidence). On est donc dans un étrange entre-deux où, d’un côté, ils jouissent d’une grande sympathie populaire, et, de l’autre, se trouvent confrontés à une galère administrative telle, qu’une bonne partie d’entre eux sont devenus des «sans-papiers».
Des procédures qui s’apparentent à un contrôle judiciaire
Fayad est ingénieur dans une société pétrolière basée à Hassi Messaoud. Originaire de Dir Ezzour, il est arrivé en Algérie en août 2012. «J’étais venu pour un mois ; après, la situation ayant empiré en Syrie, j’ai dû rester», raconte-t-il. En août 2014, sa famille l’a rejoint sans encombre.
«Mes enfants suivent leur scolarité en Algérie sans problème et cela se passe très bien pour eux», reconnaît-il. En dépit d’un statut en béton, Fayad peine cependant à renouveler sa carte de résident. Etant sous contrat avec une société ayant pignon sur rue dans le secteur pétrolier et «qui travaille avec l’Etat algérien», tient-il à souligner, cela n’aurait dû poser aucun problème. «Habituellement, c’est la société qui s’occupe de tout», explique-t-il. «Les premières années, tout se passait très bien.
Mais ces derniers temps, nous avons perçu des changements dans le régime de délivrance de la résidence qui s’apparente à une forme de pression sur les Syriens», s’agace Fayad. Evoquant son cas personnel, il témoigne : «J’ai été surpris de me voir retirer ma résidence temporaire au niveau de Hassi Messaoud et on a signifié à la société que comme j’étais Syrien, il fallait voir avec la wilaya de Ouargla. La société a présenté mon dossier à la wilaya de Ouargla il y a maintenant plus d’un mois, et jusqu’à présent je n’ai reçu aucune réponse.» Cette lenteur administrative serait-elle inhérente à l’enquête sécuritaire préalable à toute attribution de résidence ? Fayad n’a eu aucune explication.
L’ingénieur pétrolier ne manque pas, en tout cas, d’exprimer son étonnement face à ce traitement auquel il n’est guère habitué en faisant valoir le fait qu’il présente toutes les garanties. «La compagnie où je travaille se porte garante pour moi, de même que mon bailleur qui m’exprime tout son soutien. Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac. Ce n’est pas juste !» peste-t-il.
Fayad rapporte cet autre fait qui en dit long sur les restrictions imposées à la mobilité des Syriens. Non seulement la grande majorité d’entre eux se retrouvent dans l’incapacité d’aller rendre visite à leurs familles, en Syrie, et revenir à leur guise, mais même sur les lignes intérieures, leurs déplacements sont devenus compliqués. «Figurez-vous que même pour prendre l’avion pour aller de Hassi Messaoud à Alger, il faut montrer son visa ou sa carte de séjour. Un policier m’en a fait la remarque récemment, et j’ai dû lui expliquer ma situation par le menu en arguant du fait que cela revient exactement au même que si je prenais un bus puisqu’on est dans les frontières nationales.» Et de faire remarquer : «L’Algérie est devenue notre pays de substitution.
Nous n’avons surtout pas intérêt à créer des problèmes puisque nous en serions les premières victimes.» Fayad croit savoir que «dans le nouveau système, nous serons désormais obligés de pointer tous les deux mois pour mettre à jour nos papiers avec obligation de reconstituer tout le dossier à chaque fois. On ne peut pas appeler cela une carte de résidence. Si au moins le délai était de six mois… Maintenant, on ne va faire que ça.» Eprouvé par les tracasseries administratives, Fayad songe carrément à lâcher prise et faire comme beaucoup de ses compatriotes : mettre une croix sur la résidence jusqu’à nouvel ordre.
«La plupart des employeurs nous font travailler sans contrat»
Devant les difficultés à obtenir certains documents, notamment le contrat de travail et le bail de location, beaucoup de Syriens ont fini par renoncer à entreprendre les démarches nécessaires pour régulariser leur situation. «Aujourd’hui, je peux vous dire que 80% des Syriens en Algérie n’ont pas de papiers», affirme Mahmoud, un jeune Syrien qui vit près de Tipasa. «Je suis entré en Algérie en 2014, avant l’instauration du visa», raconte Mahmoud. «Je suis originaire de Damas même. Ma mère et mon père ainsi que ma petite sœur sont toujours là-bas. J’ai aussi un frère qui a dû s’exiler en Autriche. Je leur parle tous les jours pour prendre de leurs nouvelles», confie-t-il.
Ayant à son actif une expérience d’une quinzaine d’années en menuiserie aluminium, Mahmoud arrive tant bien que mal à se faire embaucher. Il précise que c’est grâce à un ami algérien qui lui a offert de l’héberger qu’il a réussi à obtenir un titre de séjour. Mais sa situation administrative demeure précaire. «J’ai dû m’y prendre à trois reprises pour déposer mon dossier, à chaque fois il manquait un papier. J’ai dû abandonner la procédure et je me suis retrouvé dans la clandestinité pendant une certaine période. Après, j’ai été hébergé par un frère algérien qui m’a aidé à faire mes papiers. Tous les 45 jours, je dois pointer à la sûreté de ma commune de résidence pour prolonger mon titre de séjour.
On se rappelle de ce terrible été 2012 quand des familles syriennes désemparées se voyaient réduites à vivre dans la rue, avec femmes et enfants, comme des SDF, et durent passer tout le Ramadhan dans les allées du square Port Saïd et autres places publiques. Leur sort avait suscité une vive émotion, donnant lieu à de belles expressions de solidarité. La présence syrienne en Algérie s’est faite relativement discrète depuis, particulièrement après l’instauration du visa pour les ressortissants syriens en janvier 2015, manifestement pour des considérations sécuritaires. A la barrière géographique couplée au coût du voyage vient ainsi s’ajouter une barrière administrative qui filtre scrupuleusement les flux migratoires en provenance du Cham.
Selon le dernier rapport du département d’Etat américain sur la situation des droits humains en Algérie, la communauté syrienne dans notre pays était évaluée à 24 000 âmes à l’automne 2015, chiffre attribué au ministère de la Solidarité. Le rapport du département d’Etat américain ajoute que «d’autres organisations estiment que leur nombre est proche de 43 000». La même source assure que l’antenne du HCR en Algérie a enregistré 5500 demandes d’asile émanant de ressortissants syriens depuis 2012.
Bureaucratie sécuritaire
La communauté syrienne établie en Algérie, faut-il le préciser, est loin de se limiter à ces hères en haillons dressés au beau milieu de la route ou errant au bord des quais et brandissant une pancarte avec la mention : «Famille syrienne, aidez-nous s’il vous plaît». En réalité, la majorité des Syriens installés en Algérie vivent discrètement, ne tendent pas la sébile, travaillent, louent des maisons, et les plus nantis d’entre eux n’hésitent pas à investir dans de petites affaires. On les retrouve notamment dans la restauration, la pâtisserie «orientale», le bâtiment, l’habillement… «Ils ont réussi à s’intégrer au sein de la société algérienne», observe Saïda Benhabilès, présidente du Croissant-Rouge algérien.
Il importe de souligner qu’officiellement les Syriens n’ont pas le statut de réfugiés. Ils doivent, dès lors, se conformer aux dispositions de la loi relative aux conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers en Algérie (voir encadré). Celle-ci oblige tout ressortissant étranger qui prévoit de s’établir en Algérie d’avoir une carte de résident, un sésame que la grande majorité des Syriens ont du mal à décrocher. En cause : une bureaucratie sécuritaire qui, sous couvert de la prévention contre toute infiltration d’éléments pro-Daech, a évolué très rapidement dans le sens d’un durcissement des conditions de délivrance des titres de séjour pour l’ensemble des exilés syriens.
Loin du lyrisme du discours officiel qui ne cesse de clamer urbi et orbi le soutien indéfectible de l’Algérie «houkoumatan wa chaâban» à «Souria echaqiqa» et de souligner la profondeur des liens historiques entre les deux peuples en rappelant l’épisode de l’accueil de l’Emir Abdelkader lors de son exil damascène, dans les faits, les Syriens ne bénéficient d’aucun régime particulier qui leur permettrait d’accéder plus aisément à la fameuse «iqama» (résidence). On est donc dans un étrange entre-deux où, d’un côté, ils jouissent d’une grande sympathie populaire, et, de l’autre, se trouvent confrontés à une galère administrative telle, qu’une bonne partie d’entre eux sont devenus des «sans-papiers».
Des procédures qui s’apparentent à un contrôle judiciaire
Fayad est ingénieur dans une société pétrolière basée à Hassi Messaoud. Originaire de Dir Ezzour, il est arrivé en Algérie en août 2012. «J’étais venu pour un mois ; après, la situation ayant empiré en Syrie, j’ai dû rester», raconte-t-il. En août 2014, sa famille l’a rejoint sans encombre.
«Mes enfants suivent leur scolarité en Algérie sans problème et cela se passe très bien pour eux», reconnaît-il. En dépit d’un statut en béton, Fayad peine cependant à renouveler sa carte de résident. Etant sous contrat avec une société ayant pignon sur rue dans le secteur pétrolier et «qui travaille avec l’Etat algérien», tient-il à souligner, cela n’aurait dû poser aucun problème. «Habituellement, c’est la société qui s’occupe de tout», explique-t-il. «Les premières années, tout se passait très bien.
Mais ces derniers temps, nous avons perçu des changements dans le régime de délivrance de la résidence qui s’apparente à une forme de pression sur les Syriens», s’agace Fayad. Evoquant son cas personnel, il témoigne : «J’ai été surpris de me voir retirer ma résidence temporaire au niveau de Hassi Messaoud et on a signifié à la société que comme j’étais Syrien, il fallait voir avec la wilaya de Ouargla. La société a présenté mon dossier à la wilaya de Ouargla il y a maintenant plus d’un mois, et jusqu’à présent je n’ai reçu aucune réponse.» Cette lenteur administrative serait-elle inhérente à l’enquête sécuritaire préalable à toute attribution de résidence ? Fayad n’a eu aucune explication.
L’ingénieur pétrolier ne manque pas, en tout cas, d’exprimer son étonnement face à ce traitement auquel il n’est guère habitué en faisant valoir le fait qu’il présente toutes les garanties. «La compagnie où je travaille se porte garante pour moi, de même que mon bailleur qui m’exprime tout son soutien. Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac. Ce n’est pas juste !» peste-t-il.
Fayad rapporte cet autre fait qui en dit long sur les restrictions imposées à la mobilité des Syriens. Non seulement la grande majorité d’entre eux se retrouvent dans l’incapacité d’aller rendre visite à leurs familles, en Syrie, et revenir à leur guise, mais même sur les lignes intérieures, leurs déplacements sont devenus compliqués. «Figurez-vous que même pour prendre l’avion pour aller de Hassi Messaoud à Alger, il faut montrer son visa ou sa carte de séjour. Un policier m’en a fait la remarque récemment, et j’ai dû lui expliquer ma situation par le menu en arguant du fait que cela revient exactement au même que si je prenais un bus puisqu’on est dans les frontières nationales.» Et de faire remarquer : «L’Algérie est devenue notre pays de substitution.
Nous n’avons surtout pas intérêt à créer des problèmes puisque nous en serions les premières victimes.» Fayad croit savoir que «dans le nouveau système, nous serons désormais obligés de pointer tous les deux mois pour mettre à jour nos papiers avec obligation de reconstituer tout le dossier à chaque fois. On ne peut pas appeler cela une carte de résidence. Si au moins le délai était de six mois… Maintenant, on ne va faire que ça.» Eprouvé par les tracasseries administratives, Fayad songe carrément à lâcher prise et faire comme beaucoup de ses compatriotes : mettre une croix sur la résidence jusqu’à nouvel ordre.
«La plupart des employeurs nous font travailler sans contrat»
Devant les difficultés à obtenir certains documents, notamment le contrat de travail et le bail de location, beaucoup de Syriens ont fini par renoncer à entreprendre les démarches nécessaires pour régulariser leur situation. «Aujourd’hui, je peux vous dire que 80% des Syriens en Algérie n’ont pas de papiers», affirme Mahmoud, un jeune Syrien qui vit près de Tipasa. «Je suis entré en Algérie en 2014, avant l’instauration du visa», raconte Mahmoud. «Je suis originaire de Damas même. Ma mère et mon père ainsi que ma petite sœur sont toujours là-bas. J’ai aussi un frère qui a dû s’exiler en Autriche. Je leur parle tous les jours pour prendre de leurs nouvelles», confie-t-il.
Ayant à son actif une expérience d’une quinzaine d’années en menuiserie aluminium, Mahmoud arrive tant bien que mal à se faire embaucher. Il précise que c’est grâce à un ami algérien qui lui a offert de l’héberger qu’il a réussi à obtenir un titre de séjour. Mais sa situation administrative demeure précaire. «J’ai dû m’y prendre à trois reprises pour déposer mon dossier, à chaque fois il manquait un papier. J’ai dû abandonner la procédure et je me suis retrouvé dans la clandestinité pendant une certaine période. Après, j’ai été hébergé par un frère algérien qui m’a aidé à faire mes papiers. Tous les 45 jours, je dois pointer à la sûreté de ma commune de résidence pour prolonger mon titre de séjour.
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