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Maroc. “Fès, cette ville qui ne ressemble à aucune autre”

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  • Maroc. “Fès, cette ville qui ne ressemble à aucune autre”

    En mai dernier, le 22e Festival des musiques sacrées du monde a célébré une fois de plus la tolérance et l’ouverture à toutes les cultures. Un journaliste britannique en a profité pour découvrir “la médina des médinas”.

    Nichée entre les sommets couverts de cèdres du Moyen Atlas et les oliveraies argentées de la chaîne du Rif, Fès représente pour beaucoup le centre spirituel et culturel du Maroc. C’est aussi l’une des villes médiévales les mieux préservées au monde – on s’y sent très loin de l’Europe et de ses métropoles. Je suis ici pour assister au 22e Festival des musiques sacrées du monde.

    Le Maroc est depuis quelques années l’un des premiers lieux au monde pour les festivals de musique. Outre le festival de Fès, il accueille le Jazzablanca de Casablanca (évidemment), le Timitar d’Agadir, le Festival Gnaoua d’Essaouira, sur la côte, et le Mawazine de Rabat, énorme festival pop qui a récemment reçu Rihanna et Stevie Wonder.

    Une ville aux racines médiévales

    Je pénètre dans la ville close par la porte Bleue, l’une des treize portes majestueuses qui ponctuent les grandes fortifications de grès. Ma première impression, c’est que Fès ne ressemble à rien de ce que j’ai vu. La cité abrite la médina des médinas – 10 000 ruelles remplies d’innombrables échoppes, cafés et boutiques. Elle a été inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, ce qui ne me surprend pas : le tissu médiéval de la ville a survécu aux siècles.

    [Une fois arrivé à mon hôtel], je me détends en m’accordant quelques cocktails bien tassés au bar. Des minarets fins comme des crayons rompent régulièrement la vue sur les toits. Les montagnes bleutées, dans le lointain, créent une atmosphère d’un romantisme invraisemblable.

    [J’explore à nouveau la médina le lendemain.] Les tanneries mettent en évidence les racines médiévales de Fès. On peut encore y voir des ouvriers trimer torse nu sous le soleil brûlant, comme leurs prédécesseurs l’ont fait pendant des centaines d’années. Les peaux sont traitées dans d’immenses cuves colorées où les ouvriers eux-mêmes sont immergés. Heureusement, on nous a donné des bouquets de menthe à tenir devant le nez pour échapper à la puanteur des peaux non traitées.

    La médina est l’une des plus grandes zones urbaines sans voiture au monde. 270 000 personnes vivent coude à coude dans cet espace fermé. Les rues sont parfois tellement étroites qu’on doit se coller aux boutiques pour ne pas se faire écraser par des ânes chargés de bois, de tapis, de peaux et d’épices. Les boulangeries sont souvent communes et proposent toute une série de gourmandises bon marché mais délicieuses, qu’on fait descendre par quelques gorgées de thé à la menthe.”

    La plus ancienne université du monde

    Les madrasas ont aujourd’hui la triste réputation d’être des centres d’extrémisme politique, mais il est bon de se rappeler que ce sont ces institutions qui ont relancé la recherche dans l’Europe médiévale. Pendant des siècles, les lettrés de toute l’Europe sont venus ici pour profiter du savoir avancé qu’on y trouvait.

    Fès était jadis l’un des grands centres d’études du monde arabe et était remplie de bibliothèques et d’écoles. L’université Al-Quaraouiyine est la plus ancienne université en activité dans le monde. Elle a été fondée plus de sept cents ans avant le Trinity College [de Cambridge].”

    A côté se trouve la madrasa Bou Inania, la seule madrasa de Fès à posséder un minaret. A la fois école et mosquée, c’est l’un des rares établissements religieux du Maroc à être accessible aux non-musulmans. Construite dans les années 1350, elle a été magnifiquement restaurée et ses panneaux de cèdre sculptés et ses sols carrelés aux motifs géométriques sont une merveille. Comme l’islam interdit l’art figuratif, il n’y a ni statues ni images à l’intérieur. Cela ne veut pas dire que le lieu n’est pas riche en symbolisme. Les couleurs des dalles et des mosaïques sont chargées de sens : le bleu représente Fès, le vert et le blanc, l’islam, le rose, Marrakech, la ville rivale, et le noir et le jaune, le mauvais œil.

    Je vais déjeuner dans un restaurant éclectique qui a la réputation de servir les meilleurs hamburgers de dromadaire de la ville. Je ne suis pas déçu. La viande de dromadaire est censée être bien plus saine que les autres viandes rouges. Mon hamburger est pratiquement gros comme ma tête mais il est tellement bon que je réussis, je ne sais comment, à le dévorer en entier.

    Des traces bien visibles de la présence juive

    Le Maroc compte une présence juive depuis au moins le VIe siècle avant J.-C., quand les marchands juifs se sont mis à effectuer la difficile traversée de l’Atlas pour faire des affaires avec les Berbères. Fès a en outre accueilli les musulmans et les juifs qui fuyaient les horreurs de l’Inquisition espagnole aux XVe et XVIe siècles.

    Même si nombre de familles sont parties pour Israël et si la population juive s’est considérablement réduite ces dernières années, elle a laissé des signes bien visibles. La synagogue Aben Danan, par exemple. Minuscule mais charmante, elle est ouverte aux visiteurs. L’entrée se fait par une simple porte que rien ne distingue de celles des maisons voisines et qui ne prépare en rien à ce qui se trouve à l’intérieur. Elle est décorée de carreaux bleus aux motifs marocains simples mais beaux, de stuc sculpté et de poutres de bois peint. On peut également visiter des bains souterrains qui servent aux rituels. Quand on se promène dans le Mellah, le quartier juif, on remarque un changement notable dans l’architecture. Contrairement aux maisons musulmanes, closes et construites autour d’une cour centrale, on voit des maisons aux balcons de fer forgé donnant sur la rue.

    La musique contre le fondamentalisme

    Le festival de Fès a été fondé [en 1994] à la suite de la première guerre du Golfe, dans cet esprit historique de tolérance religieuse. Il est strictement non sectaire. “Phare de tolérance” au milieu de la polarisation du monde islamique et de l’Occident, il est porté par une idée simple mais admirable : il s’agissait de faire entendre des musiques religieuses du monde entier, d’inviter des musiciens, des artistes et des conférenciers issus de tout le spectre religieux. Il est aujourd’hui bien établi et le thème central de cette année était le rôle fondateur et novateur des femmes dans la musique sacrée. La programmation a fait venir des artistes féminines du Maroc, de Mongolie, d’Azerbaïdjan, d’Iran, d’Ethiopie, du Liban et d’Italie. Il y avait également un fort contingent de musiciennes venues d’Inde.

    J’ai quand même eu le temps d’explorer la ville antique de Volubilis, dont les ruines se trouvent à environ une heure de voiture de Fès, au pied de la chaîne du Rif. Elle est aujourd’hui entourée d’oliveraies paradisiaques – c’est le commerce de l’huile d’olive qui la faisait vivre par le passé. Ce fut l’une des cités les plus importantes d’Afrique du Nord avant d’être abandonnée au XIe siècle pour Fès, et elle marquait les limites de l’Empire romain. La superficie du site actuel est difficile à évaluer car les lieux ne sont encore que partiellement dégagés. Il est facile de se perdre en en parcourant les rues.

    Nous sommes malheureusement de plus en plus bombardés d’images terrifiantes et négatives de l’islam. Celui-ci est trop souvent associé à un fondamentalisme inflexible, à la répression ou au terrorisme. Les fondamentalistes islamiques, comme les puritains avant eux, abhorrent la musiquent et essaient de l’étouffer. Cependant, comme dans le christianisme, le judaïsme et les autres religions, il existe un courant plus représentatif où la musique est placée au cœur de la pratique religieuse.

    En ces temps inquiétants de peur et de division, ce festival célèbre la tolérance et l’ouverture. Des valeurs qui sont plus nécessaires que jamais.”


    THE INDEPENDENT Londres
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