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Edward Albee, la nostalgie de l’enfant

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  • Edward Albee, la nostalgie de l’enfant

    Pierre Laville Publié le 17/09/2016.
    Dernier hommage à Liz Taylor ?
    Le dramaturge américain, auteur, entre autres, de “Qui a peur de Virginia Woolf ?”, est mort ce vendredi à 88 ans. Pierre Laville, traducteur d'Albee en France et lui-même auteur et metteur en scène (“Le Fleuve rouge”, “Etoiles”...), se souvient pour “Télérama”.
    Le théâtre américain est âgé d’à peine un siècle. Il est dominé principalement, une génération après l’autre, par successivement Eugène O’Neill (le père fondateur), Tennessee Williams, Arthur Miller, Edward Albee, David Mamet et Tony Kushner. Tous s’inscrivent dans une sorte de longue phrase de commentaire critique sur l’Amérique en crise d’identité, dans un règlement prolongé de ce que l’on a appelé le Rêve américain.
    Avec la mort d’Edward Albee, le théâtre perd l’un de ses auteurs majeurs. Il disparaît, âgé de 88 ans, après un Alzeimer, qui lui laissa le temps de recevoir en 2005 un vaste « tribute » pour l’ensemble de son œuvre que lui ont rendu l’ensemble des artistes américains.
    Edward Albee, l’auteur de “Qui a peur de Virginia Woolf ?”, est mort
    Disparition
    Edward Albee, l’auteur de “Qui a peur de Virginia Woolf ?”, est mort
    Mis à la porte par sa mère

    Il a vécu une vie âpre, doublement sous le signe de son homosexualité (enfant né de parents inconnus, adopté par un couple, Reed et Frances Albee, propriétaires de salles de spectacle, il fut mis à la porte par sa mère, quand il avait dix-huit ans en raison de son homosexualité) et par le monde du théâtre, qu’il découvre enfant, puis adolescent dans le Greenwich Village des années cinquante, fréquentant intellectuels, écrivains et musiciens. Double dominance, et source d’inspiration et de souffrance, d’austérité, d’exigence et de rigueur.
    Edward Albee était un petit homme fluet, au visage aigu, presque un museau de renard. Il attirait d’emblée par un regard perçant clair, subitement chargé de tendresse et d’humour et redevenant tout aussitôt sombre, se passionnant sans concession dès qu’il était question de sexualité et de théâtre.
    Albee ou l’exigence

    Si je devais le définir, je retiendrais de lui cette exigence qu’il radicalisait. La première fois que je l’ai rencontré, il se préparait tout bonnement à prendre l’avion pour aller interdire les représentations de Qui a peur de Virginia Woolf ? au Théâtre national de Stockholm, pour avoir enfreint ses didascalies décrivant le décor de sa pièce, car il l’exigeait conforme au plus petit détail près – je n’ai connu semblable rigueur que chez Genêt ou Vauthier.
    Un de mes grands bonheurs fut l’échange que nous avons eu concernant la traduction de ses pièces (*) et je conserve de notre travail commun et de nos commentaires le souvenir de marques d’une époque (bien révolue !) où un auteur voulait et pouvait faire respecter voluptueusement le moindre signe de son texte comme, disait-il, le moindre espace d’un tableau – est-ce qu’on ose corriger l’œuvre d’un peintre ?
    Un théâtre sur la maladie du temps

    Il a écrit une trentaine de pièces. Comme Tennessee Williams, plusieurs chefs d’œuvres de renommée internationale alternent avec autant d’échecs retentissants. D’Edward Albee, lauréat de trois prix Pulitzer et deux Tony Awards, les grandes pièces les plus connues – Qui a peur de Virginia Woolf ?, Zoo Story, Délicate balance ou Trois Femmes grandes – suivent un fil cohérent, celui de l’angoisse du temps et des origines, prolongée par la nostalgie et la perte de l’amour.
    Il ne s’agit pas, sinon en apparence, d'un théâtre naturaliste ou de réalisme psychologique, mais, selon la belle proposition de Jean-Louis Barrault, qui le mit en scène à l’Odéon, d’un théâtre objectif sur « la maladie du temps ». Un théâtre, qui projette une trajectoire humaine, menacée par le déséquilibre de l’échec et de la folie, éperdûment en quête d’un ventre maternel et du désir de l’enfance. Barrault parlait de Tchekhov à son sujet, et il n’avait pas tort – Alain Françon qui le mit en scène récemment a dû y penser.
    Des œuvres, dont se sont régalés nos grands comédiens, de Laurent Terzieff à Xavier Gallais, de Madeleine Robinson à Béatrice Agenin et à Dominique Valadié, de Madeleine Renaud à Geneviève Page, de Raymond-Gérôme à Claude Dauphin et à André Dussollier, d’Edwige Feuillère à Denise Gence… Théâtre d’acteurs, de pure structure classique, davantage que de metteurs en scène.
    Le drame de l’enfant

    C’est enfin une œuvre aux dimensions multiples – à commencer par la vraie portée de sens de Qui a peur de Virginia Woolf ?, dont les héros, prénommés Georges et Martha (Washington), ne se consolent pas de leur incapacité à mettre au monde un enfant, qui préparerait un futur différent à une Amérique privée de son rêve et devenue stérile. Grande métaphore, que l’on retrouve dans The Play about a Baby, pièce encore inédite en France, poussée à l’extrême, apurée, de manière quasi-beckettienne.
    Dramaturgie de l’échec américain, réduit à un étouffement bourgeois comme dans Délicate balance… ou, dans Trois Femmes grandes, à l’horreur d’une reconnaisance maternelle impossible, qui conduit à la déchéance et à la mort. Albee y demeure un éternel enfant seul, au désespoir grinçant.
    Une œuvre au noir

    Le théâtre d’Albee est tout d’une matière brillante et noire, sèche et généreuse, sans indulgence et sans pardon, parfois sec, ce qui le rend singulier et puissant.
    On ressentit cela dès sa première pièce présentée à Paris en 1959, La Mort de Bessie Smith (par Jean-Marie Serreau, celui qui a tout découvert), axée sur la grande Bessie S. abandonnée mourante à la porte de l’hôpital à cause de sa couleur, de son identité, de sa poésie, de sa vie d’artiste, de sa différence, toute une projection qui allait sous-tendre la vie et l’œuvre du dramaturge américain.
    (*) D’Edward Albee, Pierre Laville a traduit Zoo Story, Qui a peur de Virginia Woolf ?, Délicate balance, Trois Femmes Grandes, The Play about a Baby, Occupant, Peter and Jerry.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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