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Au Groenland, une base militaire secrète américaine refait surface

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    Le «Camp Century», dissimulé sous la banquise du Groenland depuis 60 ans, faisait partie d'un projet secret destiné à stocker 600 missiles balistiques à portée de tir de l'URSS. La fonte des glaces menace désormais ce vestige de la guerre froide, avec des risques environnementaux potentiellement dévastateurs.
    Derrière le projet «Iceworm» («Ver de glace»), nom de code indéchiffrable, se cache un des secrets les mieux gardés de la guerre froide. Un secret que la fonte des glaces menace d'exhumer dans les prochaines années. A la fin des années 1950, les États-Unis décident de créer une base secrète forée dans l'immensité blanche du Groenland pour mettre le territoire soviétique à portée de missiles américains. Sur le papier l'idée était juste mais personne ne pensait à la fonte des glaces. Et, à l'heure actuelle, glace et neige fondues ruissellent sur les vestiges de cette Atlantide arctique enfouie sous la banquise, avec le risque de déverser dans l'océan eaux usées, polychlorobiphényles (PCB) et résidus radioactifs.

    «Personne ne pensait que [la base] ferait surface (...) mais le monde a changé», explique William Colgan, glaciologue à l'université canadienne de York. Au train où vont les choses, la base devrait être peu à peu mise au jour à partir de 2090, quand ses architectes espéraient qu'elle repose dans la cryosphère «pour l'éternité», selon une étude publiée sous sa direction dans le journal Geophysical Research Letters. Le Groenland a en effet battu des records de chaleur au printemps et à l'été, avec une fonte de la calotte glaciaire un mois plus précoce que lors des années précédentes. Pis, la glace y a fondu deux fois plus vite entre 2003 et 2010 que durant toute la durée du XXe siècle, selon un article de la revue Nature publié en décembre dernier.
    Un risque écologique majeur

    Ce projet fou naît en 1959, au nord-ouest du Groenland. Le Corps des ingénieurs de l'armée américaine (Usace) entreprend alors de construire «Camp Century», à environ 200 kilomètres à l'est de la base aérienne américaine de Thulé. Officiellement, il s'agit d'établir des laboratoires de recherche sur l'Arctique. D'immenses tunnels sont bien percés pour accueillir les laboratoires, un hôpital, un cinéma et une église, le tout étant alimenté par un petit réacteur nucléaire. Seulement, trois ans plus tard, les militaires américains soumettent à leur état-major le fameux projet «Iceworm»: creuser au même endroit un réseau de galeries et y stocker quelque 600 missiles balistiques.
    200.000 litres de fuel et 240.000 litres d'eaux usées toujours sur place
    Les travaux sont lancés mais ne sont guère concluants. Les ingénieurs réalisent rapidement que la glace est vivante, mouvante, qu'elle menace de broyer les tunnels. Le projet est totalement abandonné en 1967. Le réacteur nucléaire est extrait, les déchets demeurent. Malgré l'ampleur du projet, «Iceworm» restera secret jusqu'en 1997, date à laquelle l'Institut danois de la politique étrangère (Danish Foreign Policy Institute) publia un rapport, à la demande du parlement, concernant l'histoire des armes nucléaires au Groenland. Contactés par Le Figaro, de nombreux chercheurs spécialiste de la période ont en effet découvert l'existence de cette base cette semaine, mais jugent que «Camp Century» devait être avant tout pensé comme «une base de repli» au cas où le sol américain était attaqué dans une période de grande incertitude au lendemain de la Seconde guerre mondiale.
    En 1951, les États-Unis et le Danemark - auquel appartenait alors le Groenland, devenu depuis largement autonome - ont en effet signé un «traité de défense du Groenland», qui n'évoque pas ces missiles balistiques, et encore moins le réacteur nucléaire dans un pays qui ne voulait pas être une zone de transit d'armes nucléaires jusqu'en 1988, comme le rappelait à l'époque le New York Times. Les Américains ont visiblement maintenu volontairement leurs alliés dans l'ignorance.



    Désormais, bien plus que l'incident diplomatique, c'est les risques écologiques qui inquiètent. En cherchant dans les archives de la Défense américaine, les chercheurs ont en effet constaté que les militaires ont laissé sur place près de 200.000 litres de fuel et quelque 240.000 litres d'eaux usées, sans compter l'enceinte de confinement du réacteur nucléaire mobile. Des voix s'élèvent aujourd'hui pour exiger une grande opération de nettoyage. Mais qui pour le faire? Et pour le financer? Le coût du creusement de la banquise et de récupération des déchets à plus de 30 mètres de profondeur serait exorbitant. Pour le glaciologue William Colgan, il n'y a plus qu'à attendre... la fonte. Une solution qui n'enchante pas le Groenland. Par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Vittus Qujaukitsoq, l'ancienne colonie danoise se dit «préoccupée» par ce sujet et déterminé à établir les responsabilités.

    Tensions diplomatiques

    Cette semaine, Kristian Jensen, le chef de la diplomatie du pays scandinave, membre de l'Otan, a sobrement fait savoir que son gouvernement allait «examiner» le dossier «en dialogue étroit avec le Groenland». Après la publication de l'étude de William Colgan, le Pentagone a de son côté assuré «reconnaître la réalité du changement climatique et les risques qu'il pose» dans cette affaire. Les États-Unis vont «continuer à œuvrer avec le gouvernement danois et les autorités groenlandaises pour régler les questions de sécurité communes», a indiqué le département de la Défense en précisant n'avoir pas encore «évalué» les conclusions des scientifiques canadiens. Copenhague, elle, a indiqué qu'elle allait «examiner» le dossier «en dialogue étroit» avec le Groenland.

    L'affaire «Camp Century» constitue «un motif entièrement nouveau de tensions politiques résultant du changement climatique» et pourrait établir un précédent, pour le pire ou le meilleur, estiment les chercheurs de l'étude. Sara Olsvig, une députée de l'opposition groenlandaise qui a saisi le Parlement de Nuuk à ce sujet, déplore que l'accord de défense dano-américain soit resté «flou» sur le sort de plusieurs infrastructures militaires. «Le Groenland n'a pas vraiment son mot à dire, ni dans les relations dano-américaines ni dans l'établissement des responsabilités» et l'assainissement de «Camp Century», analyse-t-elle.
    Kristian Hvidtfelt Nielsen, chercheur en histoire des sciences à l'université d'Arhus, estime pour sa part que Washington et Copenhague devraient partager ces responsabilités. «D'un point de vue moral, je crois que le Danemark et les États-Unis ont tous deux le devoir de nettoyer. Ce sont les Américains qui ont construit la base, et ce sont les Danois qui leur ont donné l'autorisation de le faire», plaide-t-il.


    le figaro
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