Mohammed Bensaïd Ait Idder est un personnage incontournable de la vie politique marocaine. Résistant, homme de gauche, chef de parti, député et figure d’opposition, il a été de tous les combats pendant plus de 65 ans d’action militante. Dans cet entretien à «Zamane», Ait Idder revient sur des pans et épisodes de sa vie, où l’on voit défiler l’évolution politique du Maroc moderne.
Vous êtes originaire d’une famille modeste de la région de Souss où vous avez poursuivi vos études dans des écoles coraniques avant de partir à Marrakech. Quels étaient vos premiers rapports avec la vie politique ?
Au milieu des années 40, j’ai pu profiter de l’ouverture politique amorcée par le résident général Eirik Labonne qui a mis fin à l’exil de certains dirigeants nationalistes. Parmi ces derniers figurait Mokhtar Soussi, que j’ai pu rencontrer lors de son exil à Illigh, dans le Souss. Il m’a proposé d’étudier à Marrakech. En 1946, j’ai quitté alors mon village de Tinmensour, pour rejoindre tout d’abord l’école de la confrérie Darkaouia et, deux ans après, le lycée Ben Youssef de Marrakech. Avant cette période, je vivais dans un isolement total à l’égard de ce qui se passait au Maroc, à part quelques échos de la Guerre mondiale qui nous parvenaient d’Ifni. Je me rappelle que le sentiment populaire était favorable aux pays de l’Axe, par hostilité vis-à-vis de la France, qui occupait le Maroc.
Étiez-vous au courant pour le Manifeste d’appel à l’Indépendance en 1944 ?
Non, pas du tout ! À l’époque, les télécommunications n’étaient pas développées et la radio n’existait pas encore. Au lycée Moulay Youssef, les enseignants étaient très conservateurs et évitaient d’évoquer les affaires politiques. Mokhtar Soussi nous recommandait de nous concentrer sur les études. Heureusement, j’avais un camarade de classe, originaire de Khémisset, qui était cultivé et ouvert sur le monde. Il m’a incité à lire la presse et, grâce à lui, j’ai été au cinéma pour la première fois de ma vie. Je me souviens que j’achetais le quotidien Al Alam. Il fallait patienter dans une longue file d’attente pour acheter ce journal, afin d’être informé sur les événements qui secouaient la Palestine en 1948.
C’est à cette période que vous avez rejoint l’Istiqlal ?
Oui ! J’ai rejoint l’Istiqlal à Marrakech grâce à Abdelkader Hassan, responsable de la section estudiantine du parti à Marrakech. Abdellah Ibrahim dirigeait aussi cette section et il a joué un rôle important dans l’introduction d’idées modernes au sein du parti et pour notre ouverture sur le monde. Les étudiants du lycée Moulay Youssef ont beaucoup appris de lui. Ils ont eu un impact fort sur la lutte pour l’indépendance à Marrakech.
De quelle manière ?
En 1951 par exemple, et sous l’instigation de Abdellah Ibrahim, les étudiants du lycée Moulay Youssef ont mené une grève en soutien à leurs camarades d’Al Qaraouiyine à Fès. Le pacha Glaoui a réprimé violemment cette manifestation et a failli même nous fusiller dans son palais, s’il n’y avait pas eu l’intervention du Contrôleur civil français. Des étudiants comme Fqih Basri, Abdessalam Jebli et Bouchaïb Bidaoui ont été arrêtés et torturés par Glaoui. Et pourtant, on a poursuivi notre grève jusqu’à ce que le sultan Mohammed V nous ait demandé de mettre fin à notre grève.
À quel moment avez-vous commencé à militer au sein de la résistance ?
Au début, j’écrivais des articles pour le journal Al Alam afin de dénoncer l’injustice subie par les paysans de ma région. Cette correspondance avec ce journal était un moyen pour rester en relation avec le parti. Je signais mes articles sous le pseudonyme de « Moumen ». Mais, un jour et par erreur, je crois, un article a été publié sous mon vrai nom.
Mais, jusqu’à cette période, vous n’étiez pas dans l’action armée …
Après décembre 1952, on assistait à une nouvelle configuration politique. L’action légale et pacifique était interdite et les leaders, locaux et nationalistes, étaient arrêtés. À ma sortie de prison en février 1953, je suis revenu dans la région du Souss, où j’ai contacté Abdellah Massi et Ali Aberni, pour mener la lutte armée contre les autorités coloniales.
Vous avez opté pour la lutte armée, avant ou après l’exil de Mohammed V ?
Après la déposition du sultan en août 1953, les contacts ont été entamés pour mettre en place les cellules de la Résistance. C’est ainsi que j’ai rencontré Abdessalam Jebli, mon condisciple à Moulay Youssef, qui m’a livré un pistolet. J’ai caché l’identité de Jebli, même à mon père. Ce dernier s’est fâché pour cette cachoterie. Mais, la nature de l’action secrète l’imposait. Une cellule a été créée pour préparer la liquidation physique des collaborateurs avec le pouvoir colonial. Je devais participer à une opération qui visait Benhayoun, le pacha d’Agadir. Sauf que cela ne s’est pas concrétisé.
Qui vous a appris à manier les armes ?
Personne ! J’apprenais à tirer avec mon pistolet au fond d’un puits, situé sur un terrain vague. Ma première opération a été le fruit du hasard : je guettais le substitut du pacha, mais les autorités ont eu cours de l’opération. Des Makheznis sont venus m’arrêter et en prenant la fuite, j’ai tiré sur l’un d’eux. C’était de la légitime défense. J’étais recherché par la police française en avril 1954 et j’ai pris refuge à Ifni, placé sous protectorat espagnol. Ifni est devenu une base arrière de la Résistance, comme l’était Tétouan au nord du Maroc. Cette base a joué un grand rôle de coordination entre les différentes cellules qui vont composer par la suite l’Armée de libération (ALM).
Les Espagnols étaient-ils au courant de cela ?
Ils n’étaient pas au courant de notre action clandestine, mais ils n’étaient pas très pointilleux sur le reste. Nous avions nos propres moyens pour exfiltrer les recherchés par la police française qu’on accueillait à Ifni. Il fallait juste présenter quelques garanties aux autorités espagnoles. Nous avons réussi à accueillir plus de 90 réfugiés pendant cette période. Nous étions en contact avec la direction de la Résistance basée à Tétouan et au courant de tout ce qui se passait dans le Nord. Après la visite d’un dirigeant de l’Armée de la résistance, en septembre 1955, le feu vert a été donné pour entamer les opérations.
Aucune action n’a été menée à partir d’Ifni ?
Non ! Il faut savoir que c’est l’Organisation secrète qui dirigeait la Résistance. Elle a décidé de créer une structure parallèle, destinée à devenir le noyau de l’Armée de libération. Cette structure a été d’abord mise en place dans la caserne militaire de Bournazel à Casablanca avant de s’élargir aux régions du Tafilalt, Taza, Ouarzazate et Béni Mellal, où sont nées de nouvelles cellules secrètes. Mais, l’opération a été découverte par les autorités françaises, en janvier 1956 et 179 résistants ont été emprisonnés par la suite. Notre mission était d’accueillir les réfugiés, fournir les armes et coordonner entre les cellules secrètes.
Abbas Messaâdi faisait-il partie de cette structure parallèle ?
Oui, il en était membre ! En octobre 1954, la direction centrale de l’Organisation secrète à Casablanca a été découverte par les Français. Une nouvelle direction a été immédiatement mise en place. C’est dans ce cadre que Brahim Roudani a ramené Abbas Messaâdi. En janvier 1955, une réunion s’est tenue au Caire pour conjuguer l’action de la résistance marocaine et algérienne. Allal El Fassi et Abdelkbir El Fassi, les deux dirigeants de l’Istiqlal, représentaient la partie marocaine. Mais les résistants algériens étaient plutôt intéressés par la rencontre des dirigeants de l’Armée de libération, plus que par celle des hommes politiques. C’est ainsi que Mohamed Boudiaf a pu contacter les quatre chefs de l’Armée de libération (Saïd Bounailat, Houceine Berrada, Hassan Larej et Abdellah Senhaji, ndlr). Un accord a été trouvé pour l’échange des armes et la formation militaire. Abbas Messaâdi a eu un rôle plus tard, quand la direction de la Résistance l’a désigné comme chef de la région de Nador, sous la direction de Abdellah Senhaji. Il recevait les armes fournies par le Front de libération algérien.
La ville de Nador était alors devenue le centre de l’Armée de libération…
Tout à fait ! Il y avait un autre camp à Jnan R’Houni à Tétouan, réservé à l’accueil des militants. La direction de l’Armée de libération a demandé aux leaders politiques de l’Istiqlal, sortis de prison, de les rejoindre dans leur action. Mais les négociations avec la France avaient déjà commencé et les politiques n’étaient plus disposés à rallier la lutte armée.
Quels dirigeants du parti aviez-vous approchés ?
Je peux citer Abdellah Ibrahim, contacté par Fqih Fguigui, qui lui a proposé de devenir porte-parole de l’Armée de libération en France. Mais Ibrahim a décliné cette offre, car il souhaitait se consacrer à la création de l’UMT qu’il considérait comme primordiale. Mhammed Douiri et Omar Ben Abdeljlil ont été également approchés, mais sans réponse.
Pourquoi ?
Je me pose encore la question. Je me demande pourquoi des intellectuels du parti n’ont pas pris l’initiative de diriger la lutte armée, malgré tous les services qu’ils ont rendus à l’Armée de libération. Je cite à titre d’exemple les militants actifs au sein du comité de la coordination à Tanger, comme Abderrahman El-Youssoufi, Abdellatif Benjelloun et Abdelkbir El Fassi. Pourquoi Allal El Fassi lui-même n’a pas pris cette initiative.
Quel rôle Abdelkrim Khatib a-t-il joué au sein de l’Armée de libération ?
Il faut savoir tout d’abord que Khatib a rendu beaucoup de services à la Résistance quand il était à Casablanca, mais aussi en France. Quand Ahmed Zyad a cessé de coordonner à Tétouan entre les résistants armés et les politiques, c’est Khatib qui a hérité de cette mission, avec l’appui de Allal El Fassi et Abdelkbir El Fassi. Mais, Khatib n’était pas le chef de l’Armée de libération. Même s’il n’a pas accompli d’action armée, mais c’était un militant qui a rendu d’énormes services à la résistance. Mais par la suite, il a rejoint le camp qui appelait à dissoudre l’Armée de libération.
Et pendant cette période, où étiez-vous ?
J’étais à Ifni jusqu’à décembre 1955, quand je fus appelé pour me rendre à Tétouan. Mais là-bas, il y avait un grand vide au niveau de la direction centrale basée à Tétouan : Ghali Iraki et Abdelkrim Khatib étaient partis en Égypte, Hassan Safiddine et Saïd Bounailate étaient revenus à Casablanca, Houceine Berrada était parti à Madrid et Abbas Messaâdi s’était dirigé vers Le Caire pour coordonner avec les Algériens.
Quelle était votre mission à Tétouan ?
Je n’en avais aucune, car il y avait un grand vide au niveau de la direction. J’ai entamé des contacts avec les camps situés à Nador et Mernissa pour trouver une solution aux problèmes que j’ai rencontrés. À cause de la dispersion des dirigeants de la résistance, nous avons vécu dans un véritable état d’anarchie et d’insécurité.
Par quels moyens avez-vous essayé de régler ce problème ?
Les efforts se sont multipliés pour réunifier la résistance, l’Armée de libération et la direction de l’Istiqlal. Mehdi Ben Barka a essayé de convaincre les chefs de la résistance de la nécessité de négocier avec la France, mais il a échoué. Une autre tentative a été faite, sous l’instigation de Allal El Fassi. La rencontre a eu lieu à Madrid, en février 1956, chez Abdelkbir El Fassi. Des dirigeants nationalistes y ont assisté : Fqih Basri, Hassan Safiddine, Abdelkrim Khatib, Mahdi Benaboud, Abbas Messaâdi, Ghali Iraki et moi-même. Mehdi Ben Barka nous a rejoints plus tard, alors que Abderahmane Youssoufi était cloué au lit à l’hôpital. Mais Abbas Messaâdi a créé beaucoup de tension lors de cette rencontre, car il a refusé la présence de Mehdi Ben Barka et de Abdelkbir El Fassi. Il faut savoir que c’est grâce à ce dernier que Messaâdi a pu rejoindre Le Caire et que ses bonnes relations avec l’Espagne nous ont été d’une grande utilité.
Comment avez-vous vécu cet incident ?
J’ai préféré ne pas intervenir, car ma place dans la hiérarchie de la Résistance ne me le permettait pas. Mais, les hauts dirigeants, comme Fqih Basri, Allal El Fassi et Hassan Safiddine ont gardé le silence sur le comportement de Messaâdi, puisque c’était la première rencontre de ce genre. Je pense que c’était une erreur, car ce qui s’est passé était inadmissible.
Vous êtes originaire d’une famille modeste de la région de Souss où vous avez poursuivi vos études dans des écoles coraniques avant de partir à Marrakech. Quels étaient vos premiers rapports avec la vie politique ?
Au milieu des années 40, j’ai pu profiter de l’ouverture politique amorcée par le résident général Eirik Labonne qui a mis fin à l’exil de certains dirigeants nationalistes. Parmi ces derniers figurait Mokhtar Soussi, que j’ai pu rencontrer lors de son exil à Illigh, dans le Souss. Il m’a proposé d’étudier à Marrakech. En 1946, j’ai quitté alors mon village de Tinmensour, pour rejoindre tout d’abord l’école de la confrérie Darkaouia et, deux ans après, le lycée Ben Youssef de Marrakech. Avant cette période, je vivais dans un isolement total à l’égard de ce qui se passait au Maroc, à part quelques échos de la Guerre mondiale qui nous parvenaient d’Ifni. Je me rappelle que le sentiment populaire était favorable aux pays de l’Axe, par hostilité vis-à-vis de la France, qui occupait le Maroc.
Étiez-vous au courant pour le Manifeste d’appel à l’Indépendance en 1944 ?
Non, pas du tout ! À l’époque, les télécommunications n’étaient pas développées et la radio n’existait pas encore. Au lycée Moulay Youssef, les enseignants étaient très conservateurs et évitaient d’évoquer les affaires politiques. Mokhtar Soussi nous recommandait de nous concentrer sur les études. Heureusement, j’avais un camarade de classe, originaire de Khémisset, qui était cultivé et ouvert sur le monde. Il m’a incité à lire la presse et, grâce à lui, j’ai été au cinéma pour la première fois de ma vie. Je me souviens que j’achetais le quotidien Al Alam. Il fallait patienter dans une longue file d’attente pour acheter ce journal, afin d’être informé sur les événements qui secouaient la Palestine en 1948.
C’est à cette période que vous avez rejoint l’Istiqlal ?
Oui ! J’ai rejoint l’Istiqlal à Marrakech grâce à Abdelkader Hassan, responsable de la section estudiantine du parti à Marrakech. Abdellah Ibrahim dirigeait aussi cette section et il a joué un rôle important dans l’introduction d’idées modernes au sein du parti et pour notre ouverture sur le monde. Les étudiants du lycée Moulay Youssef ont beaucoup appris de lui. Ils ont eu un impact fort sur la lutte pour l’indépendance à Marrakech.
De quelle manière ?
En 1951 par exemple, et sous l’instigation de Abdellah Ibrahim, les étudiants du lycée Moulay Youssef ont mené une grève en soutien à leurs camarades d’Al Qaraouiyine à Fès. Le pacha Glaoui a réprimé violemment cette manifestation et a failli même nous fusiller dans son palais, s’il n’y avait pas eu l’intervention du Contrôleur civil français. Des étudiants comme Fqih Basri, Abdessalam Jebli et Bouchaïb Bidaoui ont été arrêtés et torturés par Glaoui. Et pourtant, on a poursuivi notre grève jusqu’à ce que le sultan Mohammed V nous ait demandé de mettre fin à notre grève.
À quel moment avez-vous commencé à militer au sein de la résistance ?
Au début, j’écrivais des articles pour le journal Al Alam afin de dénoncer l’injustice subie par les paysans de ma région. Cette correspondance avec ce journal était un moyen pour rester en relation avec le parti. Je signais mes articles sous le pseudonyme de « Moumen ». Mais, un jour et par erreur, je crois, un article a été publié sous mon vrai nom.
Mais, jusqu’à cette période, vous n’étiez pas dans l’action armée …
Après décembre 1952, on assistait à une nouvelle configuration politique. L’action légale et pacifique était interdite et les leaders, locaux et nationalistes, étaient arrêtés. À ma sortie de prison en février 1953, je suis revenu dans la région du Souss, où j’ai contacté Abdellah Massi et Ali Aberni, pour mener la lutte armée contre les autorités coloniales.
Vous avez opté pour la lutte armée, avant ou après l’exil de Mohammed V ?
Après la déposition du sultan en août 1953, les contacts ont été entamés pour mettre en place les cellules de la Résistance. C’est ainsi que j’ai rencontré Abdessalam Jebli, mon condisciple à Moulay Youssef, qui m’a livré un pistolet. J’ai caché l’identité de Jebli, même à mon père. Ce dernier s’est fâché pour cette cachoterie. Mais, la nature de l’action secrète l’imposait. Une cellule a été créée pour préparer la liquidation physique des collaborateurs avec le pouvoir colonial. Je devais participer à une opération qui visait Benhayoun, le pacha d’Agadir. Sauf que cela ne s’est pas concrétisé.
Qui vous a appris à manier les armes ?
Personne ! J’apprenais à tirer avec mon pistolet au fond d’un puits, situé sur un terrain vague. Ma première opération a été le fruit du hasard : je guettais le substitut du pacha, mais les autorités ont eu cours de l’opération. Des Makheznis sont venus m’arrêter et en prenant la fuite, j’ai tiré sur l’un d’eux. C’était de la légitime défense. J’étais recherché par la police française en avril 1954 et j’ai pris refuge à Ifni, placé sous protectorat espagnol. Ifni est devenu une base arrière de la Résistance, comme l’était Tétouan au nord du Maroc. Cette base a joué un grand rôle de coordination entre les différentes cellules qui vont composer par la suite l’Armée de libération (ALM).
Les Espagnols étaient-ils au courant de cela ?
Ils n’étaient pas au courant de notre action clandestine, mais ils n’étaient pas très pointilleux sur le reste. Nous avions nos propres moyens pour exfiltrer les recherchés par la police française qu’on accueillait à Ifni. Il fallait juste présenter quelques garanties aux autorités espagnoles. Nous avons réussi à accueillir plus de 90 réfugiés pendant cette période. Nous étions en contact avec la direction de la Résistance basée à Tétouan et au courant de tout ce qui se passait dans le Nord. Après la visite d’un dirigeant de l’Armée de la résistance, en septembre 1955, le feu vert a été donné pour entamer les opérations.
Aucune action n’a été menée à partir d’Ifni ?
Non ! Il faut savoir que c’est l’Organisation secrète qui dirigeait la Résistance. Elle a décidé de créer une structure parallèle, destinée à devenir le noyau de l’Armée de libération. Cette structure a été d’abord mise en place dans la caserne militaire de Bournazel à Casablanca avant de s’élargir aux régions du Tafilalt, Taza, Ouarzazate et Béni Mellal, où sont nées de nouvelles cellules secrètes. Mais, l’opération a été découverte par les autorités françaises, en janvier 1956 et 179 résistants ont été emprisonnés par la suite. Notre mission était d’accueillir les réfugiés, fournir les armes et coordonner entre les cellules secrètes.
Abbas Messaâdi faisait-il partie de cette structure parallèle ?
Oui, il en était membre ! En octobre 1954, la direction centrale de l’Organisation secrète à Casablanca a été découverte par les Français. Une nouvelle direction a été immédiatement mise en place. C’est dans ce cadre que Brahim Roudani a ramené Abbas Messaâdi. En janvier 1955, une réunion s’est tenue au Caire pour conjuguer l’action de la résistance marocaine et algérienne. Allal El Fassi et Abdelkbir El Fassi, les deux dirigeants de l’Istiqlal, représentaient la partie marocaine. Mais les résistants algériens étaient plutôt intéressés par la rencontre des dirigeants de l’Armée de libération, plus que par celle des hommes politiques. C’est ainsi que Mohamed Boudiaf a pu contacter les quatre chefs de l’Armée de libération (Saïd Bounailat, Houceine Berrada, Hassan Larej et Abdellah Senhaji, ndlr). Un accord a été trouvé pour l’échange des armes et la formation militaire. Abbas Messaâdi a eu un rôle plus tard, quand la direction de la Résistance l’a désigné comme chef de la région de Nador, sous la direction de Abdellah Senhaji. Il recevait les armes fournies par le Front de libération algérien.
La ville de Nador était alors devenue le centre de l’Armée de libération…
Tout à fait ! Il y avait un autre camp à Jnan R’Houni à Tétouan, réservé à l’accueil des militants. La direction de l’Armée de libération a demandé aux leaders politiques de l’Istiqlal, sortis de prison, de les rejoindre dans leur action. Mais les négociations avec la France avaient déjà commencé et les politiques n’étaient plus disposés à rallier la lutte armée.
Quels dirigeants du parti aviez-vous approchés ?
Je peux citer Abdellah Ibrahim, contacté par Fqih Fguigui, qui lui a proposé de devenir porte-parole de l’Armée de libération en France. Mais Ibrahim a décliné cette offre, car il souhaitait se consacrer à la création de l’UMT qu’il considérait comme primordiale. Mhammed Douiri et Omar Ben Abdeljlil ont été également approchés, mais sans réponse.
Pourquoi ?
Je me pose encore la question. Je me demande pourquoi des intellectuels du parti n’ont pas pris l’initiative de diriger la lutte armée, malgré tous les services qu’ils ont rendus à l’Armée de libération. Je cite à titre d’exemple les militants actifs au sein du comité de la coordination à Tanger, comme Abderrahman El-Youssoufi, Abdellatif Benjelloun et Abdelkbir El Fassi. Pourquoi Allal El Fassi lui-même n’a pas pris cette initiative.
Quel rôle Abdelkrim Khatib a-t-il joué au sein de l’Armée de libération ?
Il faut savoir tout d’abord que Khatib a rendu beaucoup de services à la Résistance quand il était à Casablanca, mais aussi en France. Quand Ahmed Zyad a cessé de coordonner à Tétouan entre les résistants armés et les politiques, c’est Khatib qui a hérité de cette mission, avec l’appui de Allal El Fassi et Abdelkbir El Fassi. Mais, Khatib n’était pas le chef de l’Armée de libération. Même s’il n’a pas accompli d’action armée, mais c’était un militant qui a rendu d’énormes services à la résistance. Mais par la suite, il a rejoint le camp qui appelait à dissoudre l’Armée de libération.
Et pendant cette période, où étiez-vous ?
J’étais à Ifni jusqu’à décembre 1955, quand je fus appelé pour me rendre à Tétouan. Mais là-bas, il y avait un grand vide au niveau de la direction centrale basée à Tétouan : Ghali Iraki et Abdelkrim Khatib étaient partis en Égypte, Hassan Safiddine et Saïd Bounailate étaient revenus à Casablanca, Houceine Berrada était parti à Madrid et Abbas Messaâdi s’était dirigé vers Le Caire pour coordonner avec les Algériens.
Quelle était votre mission à Tétouan ?
Je n’en avais aucune, car il y avait un grand vide au niveau de la direction. J’ai entamé des contacts avec les camps situés à Nador et Mernissa pour trouver une solution aux problèmes que j’ai rencontrés. À cause de la dispersion des dirigeants de la résistance, nous avons vécu dans un véritable état d’anarchie et d’insécurité.
Par quels moyens avez-vous essayé de régler ce problème ?
Les efforts se sont multipliés pour réunifier la résistance, l’Armée de libération et la direction de l’Istiqlal. Mehdi Ben Barka a essayé de convaincre les chefs de la résistance de la nécessité de négocier avec la France, mais il a échoué. Une autre tentative a été faite, sous l’instigation de Allal El Fassi. La rencontre a eu lieu à Madrid, en février 1956, chez Abdelkbir El Fassi. Des dirigeants nationalistes y ont assisté : Fqih Basri, Hassan Safiddine, Abdelkrim Khatib, Mahdi Benaboud, Abbas Messaâdi, Ghali Iraki et moi-même. Mehdi Ben Barka nous a rejoints plus tard, alors que Abderahmane Youssoufi était cloué au lit à l’hôpital. Mais Abbas Messaâdi a créé beaucoup de tension lors de cette rencontre, car il a refusé la présence de Mehdi Ben Barka et de Abdelkbir El Fassi. Il faut savoir que c’est grâce à ce dernier que Messaâdi a pu rejoindre Le Caire et que ses bonnes relations avec l’Espagne nous ont été d’une grande utilité.
Comment avez-vous vécu cet incident ?
J’ai préféré ne pas intervenir, car ma place dans la hiérarchie de la Résistance ne me le permettait pas. Mais, les hauts dirigeants, comme Fqih Basri, Allal El Fassi et Hassan Safiddine ont gardé le silence sur le comportement de Messaâdi, puisque c’était la première rencontre de ce genre. Je pense que c’était une erreur, car ce qui s’est passé était inadmissible.
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