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MAROC:Mohammed Bensaïd Ait Idder, l’opposant aux trois rois

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  • MAROC:Mohammed Bensaïd Ait Idder, l’opposant aux trois rois

    Mohammed Bensaïd Ait Idder est un personnage incontournable de la vie politique marocaine. Résistant, homme de gauche, chef de parti, député et figure d’opposition, il a été de tous les combats pendant plus de 65 ans d’action militante. Dans cet entretien à «Zamane», Ait Idder revient sur des pans et épisodes de sa vie, où l’on voit défiler l’évolution politique du Maroc moderne.

    Vous êtes originaire d’une famille modeste de la région de Souss où vous avez poursuivi vos études dans des écoles coraniques avant de partir à Marrakech. Quels étaient vos premiers rapports avec la vie politique ?
    Au milieu des années 40, j’ai pu profiter de l’ouverture politique amorcée par le résident général Eirik Labonne qui a mis fin à l’exil de certains dirigeants nationalistes. Parmi ces derniers figurait Mokhtar Soussi, que j’ai pu rencontrer lors de son exil à Illigh, dans le Souss. Il m’a proposé d’étudier à Marrakech. En 1946, j’ai quitté alors mon village de Tinmensour, pour rejoindre tout d’abord l’école de la confrérie Darkaouia et, deux ans après, le lycée Ben Youssef de Marrakech. Avant cette période, je vivais dans un isolement total à l’égard de ce qui se passait au Maroc, à part quelques échos de la Guerre mondiale qui nous parvenaient d’Ifni. Je me rappelle que le sentiment populaire était favorable aux pays de l’Axe, par hostilité vis-à-vis de la France, qui occupait le Maroc.

    Étiez-vous au courant pour le Manifeste d’appel à l’Indépendance en 1944 ?
    Non, pas du tout ! À l’époque, les télécommunications n’étaient pas développées et la radio n’existait pas encore. Au lycée Moulay Youssef, les enseignants étaient très conservateurs et évitaient d’évoquer les affaires politiques. Mokhtar Soussi nous recommandait de nous concentrer sur les études. Heureusement, j’avais un camarade de classe, originaire de Khémisset, qui était cultivé et ouvert sur le monde. Il m’a incité à lire la presse et, grâce à lui, j’ai été au cinéma pour la première fois de ma vie. Je me souviens que j’achetais le quotidien Al Alam. Il fallait patienter dans une longue file d’attente pour acheter ce journal, afin d’être informé sur les événements qui secouaient la Palestine en 1948.

    C’est à cette période que vous avez rejoint l’Istiqlal ?
    Oui ! J’ai rejoint l’Istiqlal à Marrakech grâce à Abdelkader Hassan, responsable de la section estudiantine du parti à Marrakech. Abdellah Ibrahim dirigeait aussi cette section et il a joué un rôle important dans l’introduction d’idées modernes au sein du parti et pour notre ouverture sur le monde. Les étudiants du lycée Moulay Youssef ont beaucoup appris de lui. Ils ont eu un impact fort sur la lutte pour l’indépendance à Marrakech.

    De quelle manière ?
    En 1951 par exemple, et sous l’instigation de Abdellah Ibrahim, les étudiants du lycée Moulay Youssef ont mené une grève en soutien à leurs camarades d’Al Qaraouiyine à Fès. Le pacha Glaoui a réprimé violemment cette manifestation et a failli même nous fusiller dans son palais, s’il n’y avait pas eu l’intervention du Contrôleur civil français. Des étudiants comme Fqih Basri, Abdessalam Jebli et Bouchaïb Bidaoui ont été arrêtés et torturés par Glaoui. Et pourtant, on a poursuivi notre grève jusqu’à ce que le sultan Mohammed V nous ait demandé de mettre fin à notre grève.

    À quel moment avez-vous commencé à militer au sein de la résistance ?
    Au début, j’écrivais des articles pour le journal Al Alam afin de dénoncer l’injustice subie par les paysans de ma région. Cette correspondance avec ce journal était un moyen pour rester en relation avec le parti. Je signais mes articles sous le pseudonyme de « Moumen ». Mais, un jour et par erreur, je crois, un article a été publié sous mon vrai nom.

    Mais, jusqu’à cette période, vous n’étiez pas dans l’action armée …
    Après décembre 1952, on assistait à une nouvelle configuration politique. L’action légale et pacifique était interdite et les leaders, locaux et nationalistes, étaient arrêtés. À ma sortie de prison en février 1953, je suis revenu dans la région du Souss, où j’ai contacté Abdellah Massi et Ali Aberni, pour mener la lutte armée contre les autorités coloniales.

    Vous avez opté pour la lutte armée, avant ou après l’exil de Mohammed V ?
    Après la déposition du sultan en août 1953, les contacts ont été entamés pour mettre en place les cellules de la Résistance. C’est ainsi que j’ai rencontré Abdessalam Jebli, mon condisciple à Moulay Youssef, qui m’a livré un pistolet. J’ai caché l’identité de Jebli, même à mon père. Ce dernier s’est fâché pour cette cachoterie. Mais, la nature de l’action secrète l’imposait. Une cellule a été créée pour préparer la liquidation physique des collaborateurs avec le pouvoir colonial. Je devais participer à une opération qui visait Benhayoun, le pacha d’Agadir. Sauf que cela ne s’est pas concrétisé.

    Qui vous a appris à manier les armes ?
    Personne ! J’apprenais à tirer avec mon pistolet au fond d’un puits, situé sur un terrain vague. Ma première opération a été le fruit du hasard : je guettais le substitut du pacha, mais les autorités ont eu cours de l’opération. Des Makheznis sont venus m’arrêter et en prenant la fuite, j’ai tiré sur l’un d’eux. C’était de la légitime défense. J’étais recherché par la police française en avril 1954 et j’ai pris refuge à Ifni, placé sous protectorat espagnol. Ifni est devenu une base arrière de la Résistance, comme l’était Tétouan au nord du Maroc. Cette base a joué un grand rôle de coordination entre les différentes cellules qui vont composer par la suite l’Armée de libération (ALM).

    Les Espagnols étaient-ils au courant de cela ?
    Ils n’étaient pas au courant de notre action clandestine, mais ils n’étaient pas très pointilleux sur le reste. Nous avions nos propres moyens pour exfiltrer les recherchés par la police française qu’on accueillait à Ifni. Il fallait juste présenter quelques garanties aux autorités espagnoles. Nous avons réussi à accueillir plus de 90 réfugiés pendant cette période. Nous étions en contact avec la direction de la Résistance basée à Tétouan et au courant de tout ce qui se passait dans le Nord. Après la visite d’un dirigeant de l’Armée de la résistance, en septembre 1955, le feu vert a été donné pour entamer les opérations.

    Aucune action n’a été menée à partir d’Ifni ?
    Non ! Il faut savoir que c’est l’Organisation secrète qui dirigeait la Résistance. Elle a décidé de créer une structure parallèle, destinée à devenir le noyau de l’Armée de libération. Cette structure a été d’abord mise en place dans la caserne militaire de Bournazel à Casablanca avant de s’élargir aux régions du Tafilalt, Taza, Ouarzazate et Béni Mellal, où sont nées de nouvelles cellules secrètes. Mais, l’opération a été découverte par les autorités françaises, en janvier 1956 et 179 résistants ont été emprisonnés par la suite. Notre mission était d’accueillir les réfugiés, fournir les armes et coordonner entre les cellules secrètes.

    Abbas Messaâdi faisait-il partie de cette structure parallèle ?
    Oui, il en était membre ! En octobre 1954, la direction centrale de l’Organisation secrète à Casablanca a été découverte par les Français. Une nouvelle direction a été immédiatement mise en place. C’est dans ce cadre que Brahim Roudani a ramené Abbas Messaâdi. En janvier 1955, une réunion s’est tenue au Caire pour conjuguer l’action de la résistance marocaine et algérienne. Allal El Fassi et Abdelkbir El Fassi, les deux dirigeants de l’Istiqlal, représentaient la partie marocaine. Mais les résistants algériens étaient plutôt intéressés par la rencontre des dirigeants de l’Armée de libération, plus que par celle des hommes politiques. C’est ainsi que Mohamed Boudiaf a pu contacter les quatre chefs de l’Armée de libération (Saïd Bounailat, Houceine Berrada, Hassan Larej et Abdellah Senhaji, ndlr). Un accord a été trouvé pour l’échange des armes et la formation militaire. Abbas Messaâdi a eu un rôle plus tard, quand la direction de la Résistance l’a désigné comme chef de la région de Nador, sous la direction de Abdellah Senhaji. Il recevait les armes fournies par le Front de libération algérien.

    La ville de Nador était alors devenue le centre de l’Armée de libération…
    Tout à fait ! Il y avait un autre camp à Jnan R’Houni à Tétouan, réservé à l’accueil des militants. La direction de l’Armée de libération a demandé aux leaders politiques de l’Istiqlal, sortis de prison, de les rejoindre dans leur action. Mais les négociations avec la France avaient déjà commencé et les politiques n’étaient plus disposés à rallier la lutte armée.

    Quels dirigeants du parti aviez-vous approchés ?
    Je peux citer Abdellah Ibrahim, contacté par Fqih Fguigui, qui lui a proposé de devenir porte-parole de l’Armée de libération en France. Mais Ibrahim a décliné cette offre, car il souhaitait se consacrer à la création de l’UMT qu’il considérait comme primordiale. Mhammed Douiri et Omar Ben Abdeljlil ont été également approchés, mais sans réponse.

    Pourquoi ?
    Je me pose encore la question. Je me demande pourquoi des intellectuels du parti n’ont pas pris l’initiative de diriger la lutte armée, malgré tous les services qu’ils ont rendus à l’Armée de libération. Je cite à titre d’exemple les militants actifs au sein du comité de la coordination à Tanger, comme Abderrahman El-Youssoufi, Abdellatif Benjelloun et Abdelkbir El Fassi. Pourquoi Allal El Fassi lui-même n’a pas pris cette initiative.

    Quel rôle Abdelkrim Khatib a-t-il joué au sein de l’Armée de libération ?
    Il faut savoir tout d’abord que Khatib a rendu beaucoup de services à la Résistance quand il était à Casablanca, mais aussi en France. Quand Ahmed Zyad a cessé de coordonner à Tétouan entre les résistants armés et les politiques, c’est Khatib qui a hérité de cette mission, avec l’appui de Allal El Fassi et Abdelkbir El Fassi. Mais, Khatib n’était pas le chef de l’Armée de libération. Même s’il n’a pas accompli d’action armée, mais c’était un militant qui a rendu d’énormes services à la résistance. Mais par la suite, il a rejoint le camp qui appelait à dissoudre l’Armée de libération.

    Et pendant cette période, où étiez-vous ?
    J’étais à Ifni jusqu’à décembre 1955, quand je fus appelé pour me rendre à Tétouan. Mais là-bas, il y avait un grand vide au niveau de la direction centrale basée à Tétouan : Ghali Iraki et Abdelkrim Khatib étaient partis en Égypte, Hassan Safiddine et Saïd Bounailate étaient revenus à Casablanca, Houceine Berrada était parti à Madrid et Abbas Messaâdi s’était dirigé vers Le Caire pour coordonner avec les Algériens.

    Quelle était votre mission à Tétouan ?
    Je n’en avais aucune, car il y avait un grand vide au niveau de la direction. J’ai entamé des contacts avec les camps situés à Nador et Mernissa pour trouver une solution aux problèmes que j’ai rencontrés. À cause de la dispersion des dirigeants de la résistance, nous avons vécu dans un véritable état d’anarchie et d’insécurité.

    Par quels moyens avez-vous essayé de régler ce problème ?
    Les efforts se sont multipliés pour réunifier la résistance, l’Armée de libération et la direction de l’Istiqlal. Mehdi Ben Barka a essayé de convaincre les chefs de la résistance de la nécessité de négocier avec la France, mais il a échoué. Une autre tentative a été faite, sous l’instigation de Allal El Fassi. La rencontre a eu lieu à Madrid, en février 1956, chez Abdelkbir El Fassi. Des dirigeants nationalistes y ont assisté : Fqih Basri, Hassan Safiddine, Abdelkrim Khatib, Mahdi Benaboud, Abbas Messaâdi, Ghali Iraki et moi-même. Mehdi Ben Barka nous a rejoints plus tard, alors que Abderahmane Youssoufi était cloué au lit à l’hôpital. Mais Abbas Messaâdi a créé beaucoup de tension lors de cette rencontre, car il a refusé la présence de Mehdi Ben Barka et de Abdelkbir El Fassi. Il faut savoir que c’est grâce à ce dernier que Messaâdi a pu rejoindre Le Caire et que ses bonnes relations avec l’Espagne nous ont été d’une grande utilité.

    Comment avez-vous vécu cet incident ?
    J’ai préféré ne pas intervenir, car ma place dans la hiérarchie de la Résistance ne me le permettait pas. Mais, les hauts dirigeants, comme Fqih Basri, Allal El Fassi et Hassan Safiddine ont gardé le silence sur le comportement de Messaâdi, puisque c’était la première rencontre de ce genre. Je pense que c’était une erreur, car ce qui s’est passé était inadmissible.

  • #2
    suite

    Quelle a été votre conclusion après cette réunion ?
    Nous avons décidé de continuer à porter les armes, contrairement à ce qu’ont fait nos frères en Tunisie. Il fallait lutter jusqu’au recouvrement de tout le territoire marocain. La décision de juger les collaborateurs de la colonisation a également été prise. Nous avons procédé aussi à la création d’une direction centrale à Casablanca pour réunir l’Armée de libération du nord et du sud du Maroc et rallier les cellules de Résistance. J’étais chargé de conduire l’une des trois commissions mandatées pour rencontrer les résistants et les membres de l’ALM, pour les unifier. Hélas ! Cette union n’a pas eu lieu.

    C’était le début d’un nouveau conflit autour de la lutte armée…
    Oui ! Je me rappelle que Fqih Basri et Hassan Safiddine ont demandé au roi Mohammed V de ne pas désarmer l’ALM tant que les militaires français n’ont pas quitté définitivement le Maroc. Le roi leur a répondu que si la France ne respecte pas les accords d’Aix-les-Bains, il portera les armes avec nous. Mais, pendant cette période, de nouveaux blocs ont commencé à émerger, notamment lors du deuxième gouvernement de Bekkai. Le prince héritier, Moulay Hassan, a joué un grand rôle pendant cette période en ralliant Abdelkrim Khatib, Réda Guedira et Mahjoubi Aherdane. Il a pu créer ainsi le noyau dur d’une force opposée au mouvement de libération.

    Mais, il y avait des conflits à l’intérieur de ce mouvement lui-même…
    Oui ! Par exemple, en 1956, Ben barka m’a contacté. Il souhaitait faire un reportage sur l’ALM, en compagnie de Fqih Basri. Nous sommes allés tous les trois à Nador, quand nous avons appris, un peu plus tard, que Messaâdi a donné des ordres à l’un de ses officiers, Abdelaziz Eldouairi d’arrêter Mehdi Ben Barka à Tizi Ousli, dans la région du Rif. Mais, cet officier a refusé d’exécuter cet ordre.

    Peut-être parce que vous aviez pénétré la zone de commandement de Messaâdi sans le prévenir…
    La réunion de Madrid m’a confié toute latitude pour faire ce genre d’initiatives. Quand Messaâdi nous a rejoints, Fqih Basri et moi, il a essayé d’expliquer que Ben barka était un politique et non un résistant, que le but de ce dernier était de mettre l’ALM sous tutelle et qu’il n’avait pas sa place dans cette zone. Nous avons essayé de lui expliquer qu’il avait tort et que Ben Barka souhaitait uniquement faire connaître une ALM que personne ne connaissait.

    Quelle a été la réaction de Ben Barka ?
    Bien sûr qu’il n’était pas satisfait de ce comportement. Mais, sans plus. Le climat s’est détérioré et aucune direction commune entre l’ALM et la Résistance n’a pu émerger.

    Dans quelles circonstances Abbas Messaâdi a-t-il été assassiné ?
    Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut évoquer l’état du pays après le retour de Mohammed V de son exil. L’absence d’institutions constitutionnelles, qui servent de lieux de médiation et d’arbitrage entre les forces politiques existantes, a été à l’origine d’un véritable chaos. Les conflits partisans ont dégénéré en affrontements armés dont ont été victimes de grands résistants et dirigeants de l’ALM. Parmi ces derniers, je cite Touria Chaoui, Brahim Roudani, Ziraoui, Abbas Messaâdi, Abdelkrim Benabdellah, Abdelouahed Iraki, Ibrahim Ouazzani, Abdellah Hedaoui et Rahal Meskini. Et la liste est longue. Ces liquidations peuvent embarrasser beaucoup d’acteurs politiques et méritent une lecture calme et patiente. Il ne faut pas oublier aussi l’existence de protagonistes qui agissaient derrière le rideau.

    C’est-à-dire ?
    La monarchie n’était pas neutre à l’époque. Elle était partie prenante et décisive dans ce qu’elle considérait comme « une opération chirurgicale » visant à mettre fin au chaos qui guettait le pays et menaçait le Palais lui-même.

    Comment cela s’était-il passé ?
    Je pense surtout à la mise en place de ce qu’on a appelé « l’instance rifaine », dont je ne maîtrise pas toutes les circonstances de sa création. Mais, d’après des camarades de la résistance, qui étaient dans des postes de responsabilité, il y a eu contact entre Mohammed V et un groupe de politiques, syndicalistes et résistants. Il a été décidé de mettre en place un nouveau service sécuritaire, mis sous la responsabilité directe de Mohammed Laghzaoui, chef de la Sûreté nationale et Driss Slaoui, patron de la police à Casablanca. Il s’agit du fameux commissariat du 7e arrondissement de Casablanca. À l’origine, la mission de ce service était de former des cadres compétents, respectables et indépendants, capables de faire régner l’ordre. Mais, après l’apparition de « l’instance rifaine », Mohammed Laghzaoui a ouvert la porte à des individus et clans qui ont procédé à la liquidation de militants politiques, dans des circonstances obscures. Ce service avait dépassé les limites de la légalité. Il rejoignait ainsi ce qui se passait à Dar Bricha, à Tétouan, en terme d’enlèvements et de torture d’éléments qui appartenaient à cette « instance rifaine ».

    Qui était responsable de cette situation ?
    Tous les acteurs politiques ont pris part à ce jeu, d’une manière ou d’une autre, selon leur positionnement, leur poids et leur influence. Même la monarchie y était impliquée. Mohammed V avait transformé son incontestable pouvoir moral en pouvoir politique qui lui a permis d’agir dans des questions épineuses comme celle-là.

    Mais, qui était derrière la liquidation des militants du Parti d’Achourra (PDI), surtout que le patron de la Sûreté nationale était membre de l’Istiqlal ?
    C’est une erreur largement répandue : à sa nomination, Mohammed Laghzaoui n’était plus un militant de l’Istiqlal. Mais, il était du côté du prince héritier Moulay Hassan. Même Mohammed V était en quelque sorte responsable, car il était au courant de ce qui se passait, mais n’agissait pas. Il n’a décidé de le faire qu’au moment où il a été visé et menacé par « l’instance rifaine ».

    Allal El Fassi et Ben Barka étaient-ils les responsables directs des enlèvements et de la torture exercés à Dar Bricha ?
    Ni le parti, ni Allal El Fassi, ni Ben Barka n’étaient responsables de cela. Certains membres de l’Organisation secrète, qui étaient présents à Tétouan, ont été les véritables acteurs. Quant à Abbas Messaâdi, on raconte que l’Organisation secrète a envoyé Hajjaj pour le ramener à Casablanca afin de discuter avec les chefs de la Résistance. Je n’étais au courant de rien, car j’étais chargé des affaires sociales de la Résistance. On raconte aussi que Hajjaj a nié avoir tué Messaâdi, car il était son camarade de Résistance, ils ont été emprisonnés ensemble sous le Protectorat, et ont partagé la même cellule. Or, selon les informations disponibles, les deux hommes n’ont jamais été en prison ensemble. Ce qui décrédibilise la version de Hajjaj.

    Pourquoi l’assassinat de Messaâdi a-t-il eu un tel impact ?
    Tout simplement parce qu’il était devenu le prétexte pour dissoudre l’ALM et mettre en place l’Armée royale. Il a servi aussi pour la création du Mouvement populaire. Le corps de Abbas Messaâdi est devenu un moyen pour surenchérir et comploter contre l’Istiqlal.

    Quelle a été votre réaction après la dissolution de l’ALM ?
    Après cette décision, Mohammed V a accepté la demande d’un groupe de résistants qui souhaitaient continuer leur lutte pour la récupération d’Aït Baâmran, le Sahara et la Mauritanie. L’ALM a réussi d’ailleurs à libérer quelques territoires de Guelmim, Aït Baâmran et une partie du Sahara oriental. Ce qui a obligé le gouvernement espagnol à céder Tarfaya au Maroc. Nous avons proposé de faire de cette ville une base pour libérer le reste du Sahara, mais cette proposition n’a pas été retenue. Au contraire, nous avons assisté à des manœuvres douteuses de l’Armée royale, dont certains officiers, comme le général Oufkir, ne cessaient de répandre des rumeurs sur nous. Nous avons reçu aussi une délégation mauritanienne pour coordonner nos efforts contre la colonisation française, mais malheureusement cette occasion pour la libération et l’union a été ratée.

    Et du côté espagnol ?
    Nous avions pris contact avec des officiers espagnols à Madrid pour trouver une solution au Sahara occidental. Ces officiers ont proposé à la délégation de l’ALM que le Maroc cède Sebta, Mellilia et les Îles à l’Espagne, en contrepartie des territoires de Saguia El Hamra et Rio de Oro. La réponse de l’ALM a été sans équivoque : c’est le peuple marocain qui pourrait décider pour Sebta et Mellilia. Nous avons proposé donc des négociations pour arriver à une solution pacifique. Et effectivement, le gouvernement Balafrej a récupéré Tarfaya et les négociations ont continué sous le gouvernement Abdellah Ibrahim. Mais, certains cercles au sein du Palais ne voyaient pas tout cela d’un bon œil.

    La question du Sahara aurait pu être réglée alors dès 1958…
    Tout à fait ! Mais, l’État n’était pas sérieux à l’époque et le prince héritier Moulay Hassan était plutôt préoccupé par la liquidation de l’ALM. Il nous a coupé le financement, mais nous avons continué à lutter avec l’aide du peuple marocain.

    Comment l’action de l’Armée de libération du Sud (ALS) s’est-elle terminée ?
    Le 15 décembre 1959, Abderrahman Youssoufi et Fqih Basri ont été arrêtés. Trois mois plus tard, c’était mon tour avec d’autres camarades de l’Armée de libération. J’ai été condamné à trois mois de prison. Certains milieux ont réussi à convaincre Mohammed V de dissoudre l’ALS sous prétexte de complot contre la monarchie.

    Cette tension avec le Palais s’est-elle exacerbée avec l’intronisation de Hassan II ?
    Oui ! Après la mort de Mohammed V, nous sommes entrés en conflit ouvert contre Hassan II. Beaucoup de résistants ont été convaincus que la seule solution contre le nouveau règne est de reprendre les armes comme nous l’avons fait contre le Protectorat. Fqih Basri a commencé à prendre contact avec des officiers des FAR pour changer les choses. J’ai fait de même avec d’autres militaires.

    Qui sont ces officiers que vous aviez contactés ?
    J’ai oublié leurs noms. Mais, il y avait un colonel, un capitaine et d’autres militaires. Certains étaient d’anciens camarades de l’ALM. C’est dans ce cadre que Fqih Basri avait approché Medbouh pour lui fournir une carte du palais royal de Rabat. Mais cette opération a été éventée, car un officier syrien, qui y était impliqué, a alerté Dr. Khatib, en contrepartie d’une somme d’argent. L’essentiel, c’est qu’il y avait des militaires disposés à collaborer avec nous contre Hassan II. Dans l’armée, il y avait des mécontents de la situation du pays.

    Cheikh Al Arab a-t-il essayé la même chose ?
    Cheikh Al Arab était membre de l’ALM et il a été condamné en 1961 dans une affaire d’assassinat. Il est venu me voir et je lui ai fourni un faux passeport. Mais, il n’a pas quitté le Maroc. Il a commencé à construire des réseaux au sein des partis pour agir contre la monarchie. Il s’est lié dans ce but à Moumen Diouri pour se procurer des armes auprès de la base militaire américaine à Mehdia. Un officier des services algériens était l’intermédiaire dans cette opération. Fqih Basri a pu rassembler 13 000 dollars pour l’achat des armes. Mais, les Américains ont vendu la mèche aux autorités marocaines.

    Que s’est-il alors passé ?
    Moumen Diouri a été arrêté et a avoué l’implication de Fqih Basri et Mehdi Ben Barka dans ce complot. Nous avons appris que Hassan II préparait une grande campagne contre nous à son retour de France. Fqih Basri a été arrêté donc en 1963. Il faut dire que j’étais contre le fait que Fqih Basri, avec tout son prestige et sa place au sein de l’UNFP, soit impliqué dans ce genre d’aventures.

    Et comment cela s’est-il terminé pour vous ?
    J’ai échappé à l’arrestation. Mais, je suis resté caché à Marrakech jusqu’à 1964 pour me diriger par la suite vers l’Algérie.

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    • #3
      fin

      Qui avez-vous retrouvé en Algérie ?
      Il y avait un camp dirigé par Abdessalam Jebli, Saîd Bounialate et Abdelfatah Sebbata, ainsi que d’autres résistants marocains. Mais, avec Abdessalam Jebli, nous avons entamé une réflexion sur notre présence en Algérie et notre mode d’action. Tout d’abord, nous nous sommes aperçus que nous étions totalement isolés. Même les membres du parti n’étaient pas au courant de notre action, à part Mehdi Ben Barka et Abderrahim Bouabid qui disposaient de quelques informations. Les dirigeants de l’UNFP considéraient que c’était notre affaire : en cas de réussite, ils allaient nous soutenir. Mais, en cas d’échec, nous étions les seuls responsables. Quant aux Algériens, tout ce qui les intéressait, c’était de venger la défaite de la Guerre des sables en 1963. Avec Abdessalam Jebli, nous avons décidé de ne mener aucune action armée qui se déroulerait en dehors du cadre établi par le parti.

      Pourquoi cette décision ?
      Il ne fallait pas se lancer dans des aventures stériles et sans lendemains. Mais, la direction de l’UNFP a continué de traiter avec Fqih Basri et a accepté de combiner l’action politique et les opérations armées. J’étais obligé donc de quitter le parti avec mon camarade Abdessalam Jebli.

      Qu’avez-vous fait après ?
      Je suis parti en France. J’ai traversé une période très difficile pendant deux ans. Mais, j’ai pu dépasser cette crise et je me suis inscrit à la faculté de Vincennes où j’ai pu obtenir une licence en Histoire. En France, j’ai commencé à chercher un nouveau cadre politique. Des jeunes militants de l’organisation 23 mars m’ont contacté par le biais d’Ahmed Herzeni. Ce dernier m’a parlé de résistants à Agadir qui pourraient fournir les armes à cette organisation. Je lui ai conseillé d’éviter les résistants, car ils étaient infiltrés par la police. Effectivement, des militants de 23 mars ont été arrêtés pendant qu’ils cherchaient à se procurer des armes. En tout cas, c’était le début d’une nouvelle expérience avec 23 mars, jusqu’à mon retour au Maroc en 1981


      Pourquoi ne pas avoir pensé à rejoindre l’USFP puisque vous étiez désormais contre l’action clandestine et armée ?

      Déjà en 1974, Mohammed Lakhssassi et Mohammed Aït Kaddour m’ont approché pour revenir à l’UNFP. J’en ai discuté sérieusement avec Abderrahim Bouabid, Omar Benjelloun et Mohammed Abed Jabri. Mais, nous ne nous sommes pas mis d’accord. Je leur avais expliqué que j’étais désormais membre de 23 mars et qu’il fallait être d’accord sur une ligne politique commune ou se contenter d’une coordination de notre travail. Mais, ils voulaient surtout mon retour à l’UNFP et faire partie de sa direction. Je leur avais également recommandé de renouer les liens avec l’Istiqlal. J’avais d’ailleurs rencontré Allal El Fassi après le coup d’État de 1971 et il était enthousiasmé pours cette idée.

      En 1998, vous avez soutenu l’idée d’une participation au gouvernement de l’Alternance…

      Oui ! J’y étais personnellement favorable, mais la majorité du bureau politique de mon parti, l’OADP, a refusé cette participation. Je me suis plié à la décision de la majorité. Surtout que j’en étais le Secrétaire général et obligé d’endosser l’avis de la majorité au sein du parti, exprimé lors d’un vote démocratique.

      En 2011, vous avez eu également une position différente à celle de votre nouveau parti, le PSU…
      Tout à fait ! J’étais pour la participation au débat sur la Constitution et aux élections législatives de 2011. Pour moi, il ne fallait pas laisser une place vide. Il fallait exprimer notre point de vue. Sauf que la majorité au sein du parti a voté contre cet avis.

      Quel regard portez-vous sur un demi-siècle de vie politique marocaine ?
      Je crois que le Mouvement national et le camp progressiste ont rendu d’énormes services et sacrifices au Maroc et ont été à l’origine de beaucoup de réalisations et avancées. Mais, ils acceptaient toujours des compromis fragiles avec le régime. Il fallait, et c’est encore valable, s’accrocher à un contrat clair et public avec des responsabilités et obligations qui ne souffrent d’aucune ambiguïté. Cela nous aurait évité énormément d’occasions gâchées pour démocratiser l’État et la société.


      ZAMANE

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