Aucun peuple n'a été plus sensible que les Arabes à la beauté de l'expression verbale des sentiments et de la pensée; aucun ne s'est voué avec plus de ferveur au nombreux jeu de mots et n'a porté à un plus haut degré de virtuosité la magie de la parole et l'art de la versification.
"Le nombre de leurs poètes est prodigieux; tout homme adonné aux travaux de l'esprit, fût-il astronome, médecin, chimiste, joignait à son talent spécial le talent général de poète.
Faire des vers était pour eux une occupation presque familière et leurs entretiens même étaient souvent mêlés d'improvisations que rendait possible l'extrême richesse d'une langue dont le dictionnaire (celui de Firuzabady) ne comptait pas moins de soixante volumes et portait pour titre l'Océan (a) - Qamous - comme si ce mot eût pu seul exprimer l'immensité du sujet.
L'auteur anonyme d'une histoire de la poésie française, publiée en 1717, n'hésite point à dire que l'Arabie seule à produit plus de poètes que le reste du monde." (1).
La passion pour la poésie se manifesta chez les Arabes bien avan'y l'avènement de l'Islam.
Il était d'usage, dans l'Arabie antéislamique, où la vie se passait en guerre et razzias perpétuelles entre tribus, d'observer annuellement une période de paix et de réconciliations.
Cette sorte de "Trèves de Dieu" était religieusement respectée.
On pouvait alors s'adonner en toute sécurité aux occupations de la paix.
C'est au cours de cette Trèves qu'avait lieu le pèlerinage annuel au sanctuaire de la Kaaba (b) et que se tenait la célèbre foire d'Okaz (c).
Pendant un mois, elle devenait le centre brillant et animé de toute l'Arabie.
Les chefs de tribu, les riches marchands, les poètes ambulants, les pèlerins innombrables y accouraient de tous les coins du vaste pays.
On y échangeait des marchandises de toute nature, mais surtout on y échangeait des idées.
Ce peuple guerrier doué d'un esprit vif et d'une imaginations si fertile, s'y adonnait à cœur joie aux joutes oratoires et aux tournois de poètes.
Là, sous une tente somptueuse, siégeait un jury composé des plus illustres poètes arabes.
Il écoutait les poèmes que les concurrents récitaient à tour de rôle et prononçait son verdict.
Le poème couronné était calligraphié en lettres d'or sur un superbe tissu de chanvre ou sur un papyrus et suspendu au sanctuaire de la Kaaba.
Ces poésies ainsi affichées à l'admiration publique, portaient le nom de Mouallaqats (d) " Suspendues"
Les mo'allakats sui nous sont parvenues nous donnent une haute idée de la perfection à laquelle la poésie arabe était déjà arrivée à cette époque lointaine.
Elles nous obligent à réviser le jugement traditionnel porté sur l'Arabie antéislamique parc les Arabes eux-mêmes qui avaient appelé cette époque: temps de la "Djahiliyat" (e), c'est-à-dire de l'ignorance.
"Il suffit d'extrapoler les Mo'allakates, ces chefs-d'œuvre de decla poésie arabe païenne, ét de cuter les noms de ces merveilleux poètes antérieurs à l'Islam, Imrû'l Kais, Tarafa, Zohaïr, Antara, etc., pour donner à la tradition le démenti le plus éclatant.
Non, ce n'était pas un temps d'ignorance, l'époque où la littérature arabe s'affirmait d'une manière aussi brillante, dans une langue aussi parfaite." (2) (f)
De cette pléiade de poètes remarquables, un nom surtout nous est familier, c'est celui d'Antara, (g) personnification des vertus chevaleresques du paladin du désert, héros populaire du cycle épique qui porte son nom.
Visages de l'Islam, Haïdar Bammate, Enal, Alger, 3ième édition, 1991.
•
a) Al-Mouhit (mot usuel arabe pour Océan)
Voir, entre autres, monuments linguistiques, Lisân al-'Arab, la langue des Arabes, célèbre dictionnaire d'Ibn Mandhûr.
b) Le cube sacré, se dit aussi al-Bayth.
c) L'une des trois foires de Mecque, la plus réputée, rendez-vous de négoce et de littérature (VI siècle)
d) Mouallaqat, exprimant déjà la pluralité des Pièces "Suspendues" (9 et 11 les plus célèbres), l'adjonction de "s" final est tautologique; l'auteur transcrit Mo'allakats, le "k" ne correspond pas à la phonation arabe ق gutturale qui devrait s'écrire mou'allaqat.
Voir, entre autres traductions françaises, autres que celle de Jacques Berque, Sindbad.
Parmi les nombreuses traductions françaises :
Les Mou'allaqât, Un peu de l'âme des Arabes d'avant l'islam, présentés et traduits par Jean-Jacques Schmidt, Seghers, collection, P.S.
"Le seul Bédouin que que sa réputation m'eût fait désirer voir est Antara." aurait dit le Prophète Mohammed (h)
(e) Graphie attestée Djahiliyyah, dans l'acception, souvent occultée, d'ignorance à Dieu Unique Inassociable Existentiateur.
(1) Essai sur l'histoire des Arabes et des Maures d'Espagne, Viardot, Paris, 1833.
(2) Préface à la traduction du Coran, E. Montet, Paris, 1929.
•
Extraits croisés de traduction d'un incipit poétique de Mou'allaqa de Labîb ibn Rabi'â :
Pièce en langue originale :
لخولة أطلال ببرقة ثهمد
تلوح كباقي الوشم في ظاهر اليد
1) Sur la terre caillouteuse de Thahmad,
les vestiges du campement de Khawa brillent comme les restes d'un tatouage sur le dos d'une main. (traduction de Schmidt)
2) Du campement de Khawla
les vestiges dans le désert de pierres de Thahmad affleurent comme le reste d'un tatouage sur le dos de la main (trad. Heidi Toelle, Flammarion
3) De Khawla, les vestiges, à Thahmad, sont visibles
tel reste de tatouage au revers de la main
(Trad. Pierre Larcher, coll.Les Immémoriaux, Fata Morgana )
4) Il reste de Khawla sur les rocailles de Thahmad des vestiges
qui remontent comme des restes de tatouage au dos de la main
(Trad. Jacques Berque, Sindbad, Coll. Bibliothèque Arabe - Les classiques.)
5) Vestiges de Khawlah sur le sol pierreux de Thahmad,
tatouage qui s'exhibe sur le dos d'une main
(Trad. René Rizqallah Khawam, Seghers P.S.)
6) Les vestiges de la maison de Khawla, sur le sol rocailleux de Thahmad, brillent comme la trace du tatouage sur la surface de la main.
(Trad. Max Seligsohn, XIX ème siècle.
Les meilleures traduction au plus près de la fulgurante concision de la langue arabe, à cette célèbre métaphore exprimée en dix mots pour ce merveilleux entame métaphorique, sont les 3 de Pierre Larcher et 4 de Jacques Berque.
Et une autre traduction en latin :
Rudera chaulæ in sabuletis Thamed
splendent sicut reliquiæ glasti in superficie manus
(Trad. Johann Jacob Reiske (XVIII ème siècle)
•
Choix, découpages, notes alphabétiques, extraits croisés traductions E'M.C.
"Le nombre de leurs poètes est prodigieux; tout homme adonné aux travaux de l'esprit, fût-il astronome, médecin, chimiste, joignait à son talent spécial le talent général de poète.
Faire des vers était pour eux une occupation presque familière et leurs entretiens même étaient souvent mêlés d'improvisations que rendait possible l'extrême richesse d'une langue dont le dictionnaire (celui de Firuzabady) ne comptait pas moins de soixante volumes et portait pour titre l'Océan (a) - Qamous - comme si ce mot eût pu seul exprimer l'immensité du sujet.
L'auteur anonyme d'une histoire de la poésie française, publiée en 1717, n'hésite point à dire que l'Arabie seule à produit plus de poètes que le reste du monde." (1).
La passion pour la poésie se manifesta chez les Arabes bien avan'y l'avènement de l'Islam.
Il était d'usage, dans l'Arabie antéislamique, où la vie se passait en guerre et razzias perpétuelles entre tribus, d'observer annuellement une période de paix et de réconciliations.
Cette sorte de "Trèves de Dieu" était religieusement respectée.
On pouvait alors s'adonner en toute sécurité aux occupations de la paix.
C'est au cours de cette Trèves qu'avait lieu le pèlerinage annuel au sanctuaire de la Kaaba (b) et que se tenait la célèbre foire d'Okaz (c).
Pendant un mois, elle devenait le centre brillant et animé de toute l'Arabie.
Les chefs de tribu, les riches marchands, les poètes ambulants, les pèlerins innombrables y accouraient de tous les coins du vaste pays.
On y échangeait des marchandises de toute nature, mais surtout on y échangeait des idées.
Ce peuple guerrier doué d'un esprit vif et d'une imaginations si fertile, s'y adonnait à cœur joie aux joutes oratoires et aux tournois de poètes.
Là, sous une tente somptueuse, siégeait un jury composé des plus illustres poètes arabes.
Il écoutait les poèmes que les concurrents récitaient à tour de rôle et prononçait son verdict.
Le poème couronné était calligraphié en lettres d'or sur un superbe tissu de chanvre ou sur un papyrus et suspendu au sanctuaire de la Kaaba.
Ces poésies ainsi affichées à l'admiration publique, portaient le nom de Mouallaqats (d) " Suspendues"
Les mo'allakats sui nous sont parvenues nous donnent une haute idée de la perfection à laquelle la poésie arabe était déjà arrivée à cette époque lointaine.
Elles nous obligent à réviser le jugement traditionnel porté sur l'Arabie antéislamique parc les Arabes eux-mêmes qui avaient appelé cette époque: temps de la "Djahiliyat" (e), c'est-à-dire de l'ignorance.
"Il suffit d'extrapoler les Mo'allakates, ces chefs-d'œuvre de decla poésie arabe païenne, ét de cuter les noms de ces merveilleux poètes antérieurs à l'Islam, Imrû'l Kais, Tarafa, Zohaïr, Antara, etc., pour donner à la tradition le démenti le plus éclatant.
Non, ce n'était pas un temps d'ignorance, l'époque où la littérature arabe s'affirmait d'une manière aussi brillante, dans une langue aussi parfaite." (2) (f)
De cette pléiade de poètes remarquables, un nom surtout nous est familier, c'est celui d'Antara, (g) personnification des vertus chevaleresques du paladin du désert, héros populaire du cycle épique qui porte son nom.
Visages de l'Islam, Haïdar Bammate, Enal, Alger, 3ième édition, 1991.
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a) Al-Mouhit (mot usuel arabe pour Océan)
Voir, entre autres, monuments linguistiques, Lisân al-'Arab, la langue des Arabes, célèbre dictionnaire d'Ibn Mandhûr.
b) Le cube sacré, se dit aussi al-Bayth.
c) L'une des trois foires de Mecque, la plus réputée, rendez-vous de négoce et de littérature (VI siècle)
d) Mouallaqat, exprimant déjà la pluralité des Pièces "Suspendues" (9 et 11 les plus célèbres), l'adjonction de "s" final est tautologique; l'auteur transcrit Mo'allakats, le "k" ne correspond pas à la phonation arabe ق gutturale qui devrait s'écrire mou'allaqat.
Voir, entre autres traductions françaises, autres que celle de Jacques Berque, Sindbad.
Parmi les nombreuses traductions françaises :
Les Mou'allaqât, Un peu de l'âme des Arabes d'avant l'islam, présentés et traduits par Jean-Jacques Schmidt, Seghers, collection, P.S.
"Le seul Bédouin que que sa réputation m'eût fait désirer voir est Antara." aurait dit le Prophète Mohammed (h)
(e) Graphie attestée Djahiliyyah, dans l'acception, souvent occultée, d'ignorance à Dieu Unique Inassociable Existentiateur.
(1) Essai sur l'histoire des Arabes et des Maures d'Espagne, Viardot, Paris, 1833.
(2) Préface à la traduction du Coran, E. Montet, Paris, 1929.
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Extraits croisés de traduction d'un incipit poétique de Mou'allaqa de Labîb ibn Rabi'â :
Pièce en langue originale :
لخولة أطلال ببرقة ثهمد
تلوح كباقي الوشم في ظاهر اليد
1) Sur la terre caillouteuse de Thahmad,
les vestiges du campement de Khawa brillent comme les restes d'un tatouage sur le dos d'une main. (traduction de Schmidt)
2) Du campement de Khawla
les vestiges dans le désert de pierres de Thahmad affleurent comme le reste d'un tatouage sur le dos de la main (trad. Heidi Toelle, Flammarion
3) De Khawla, les vestiges, à Thahmad, sont visibles
tel reste de tatouage au revers de la main
(Trad. Pierre Larcher, coll.Les Immémoriaux, Fata Morgana )
4) Il reste de Khawla sur les rocailles de Thahmad des vestiges
qui remontent comme des restes de tatouage au dos de la main
(Trad. Jacques Berque, Sindbad, Coll. Bibliothèque Arabe - Les classiques.)
5) Vestiges de Khawlah sur le sol pierreux de Thahmad,
tatouage qui s'exhibe sur le dos d'une main
(Trad. René Rizqallah Khawam, Seghers P.S.)
6) Les vestiges de la maison de Khawla, sur le sol rocailleux de Thahmad, brillent comme la trace du tatouage sur la surface de la main.
(Trad. Max Seligsohn, XIX ème siècle.
Les meilleures traduction au plus près de la fulgurante concision de la langue arabe, à cette célèbre métaphore exprimée en dix mots pour ce merveilleux entame métaphorique, sont les 3 de Pierre Larcher et 4 de Jacques Berque.
Et une autre traduction en latin :
Rudera chaulæ in sabuletis Thamed
splendent sicut reliquiæ glasti in superficie manus
(Trad. Johann Jacob Reiske (XVIII ème siècle)
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Choix, découpages, notes alphabétiques, extraits croisés traductions E'M.C.
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