il est incontestable que les élections qu'a connu le Maroc cet octobre sont une réussite remarquablement significative et qui confirme une exception marocaine,celle qui concilie l'islam et la démocratie.
UNE EXCEPTION MAROCAINE ?
Par Abdeslam Kadiri
DN PHOTOGRAPHY
Dans le monde arabo-musulman d’aujourd’hui, dans ce monde « post-printemps », déstabilisé, menacé, aux prises avec la stagnation économique, le Maroc, ce royaume si longtemps perçu comme fragile, apparaît comme une exception bien singulière. Un pays-clé, dont les nombreux partenaires, en Occident et ailleurs, ne manquent pas de louer la stabilité, les réformes, la diplomatie religieuse et la diplomatie tout court. On reconnaît son efficacité dans la lutte antiterroriste, et la capacité du système à gérer les oppositions et les contradictions. Économiquement, le pays reste en équilibre instable, mais la communication et les paris sur l’avenir alimentent le dynamisme. Exception marocaine ? Même s’il faut être prudent avec ce concept, jadis popularisé par Hassan II – les attentats de Casablanca de mai 2003 ont montré que nul n’était invulnérable –, le socle du royaume est solide, indiscutablement, même lors de la récente polémique autour de l’étrange acquisition de terrains de l’État à prix dérisoires. Et dans cette période de tempête, il propose un étonnant contre-modèle, mélange subtil d’ouverture, de conservatisme et de prises de risques. Un contre-modèle aussi dans la lutte contre l’islamisme radical. Alors, décryptons cette singularité marocaine. Voici dix ingrédients d’une recette qui fait tourner le royaume de Mohammed VI.
Mohammed VI, le patron et l’arbitre
GUIDE DE LA NATION, commandeur des croyants, chef des armées, premier businessman du pays… Le roi a imposé progressivement son style. Proche du peuple, présent sur les fronts intérieurs et extérieurs, capable de discours affirmés, il a insufflé un concept d’autorité à une monarchie proactive et exécutive. Au Maroc, le Palais semble être partout, tout le temps. Toute l’année, le souverain sillonne le pays, mettant à profit une formule de son père : « Le trône des Alaouites est sur la selle de leurs chevaux. » Orientateur stratégique, c’est lui qui dicte la marche à suivre, veille au grain des dossiers sensibles, tout en déléguant volontiers aux technocrates et ingénieurs dont il s’entoure. Fin juillet, c’est ainsi lui qui a annoncé à la surprise générale le retour du pays dans l’Union africaine, qu’il a quittée il y a trente ans. Un signe fort, inattendu, qui marque la primauté des choix. Dès le début de son règne, Mohammed VI a pris des engagements pour son pays : meilleure éthique des forces de l’ordre, justice moins corrompue, lutte contre la pauvreté… Ouvert des chantiers importants : politiques (IER, Ircam), économiques (TGV, autoroutes, barrages), sociaux (INDH, Moudawana – Code de la famille) ou encore géostratégiques (diplomatie religieuse). À la suite du printemps arabe, la nouvelle Constitution de 2011 a délimité ses pouvoirs, clairement énoncés dans les articles 41 et 42 qui font la part des choses entre le roi commandeur des croyants (Amir al-Mouminine) et le roi chef de l’État. Mais le souverain chérifien reste ancré au centre du jeu politique. Si la libéralisation du régime remonte dans les faits au milieu des années 1990 (Hassan II avait alors préparé le terrain pour son fils), Mohammed VI l’a accélérée. Il procède continuellement à des nominations, savant jeu de chaises musicales dont il est le chef d’orchestre. Tout le monde craint ses colères. Même le « fort en gueule » Premier ministre Abdelilah Benkirane (lire ci-après), que des rumeurs persistantes disent sur le départ après qu’il a agacé récemment Sa Majesté.
Abdelilah Benkirane, ou le retour du Premier ministre
AVEC LUI, LE PAYS s’est incontestablement trouvé une bête politique et populaire. Un vrai Premier ministre, patron du Parti de la justice et du développement (PJD), aux commandes depuis novembre 2011, et qui ne laisse personne indifférent. Bosseur, fonceur, probe, il parle la darija, la langue du peuple, pour être au diapason de la base. Ses forces ? Un discours direct, qualifié de populiste, son volontarisme et une image d’incorruptible. Véritable tribun, on l’a vu tonner au Parlement, blaguer, voire écraser la larmichette. Tout en réconciliant la population avec la politique, il fait le grand écart entre l’agenda de son parti et les priorités du Palais, avec lequel le PJD a scellé un compromis. Disons même un deal historique.
Pour pouvoir exister politiquement, le PJD reconnaît l’islam marocain (malékite), ne remet pas en cause le titre de commandeur des croyants dévolu à Mohammed VI, renonce à la violence. De fait, le gouvernement Benkirane offre le visage d’un islam plutôt modéré, dilué dans la société, qui s’articule au jeu politique. Et l’usure du pouvoir n’a pas entamé le capital sympathie dont il bénéficie. L’homme a fait de la lutte contre la corruption et le despotisme son mot d’ordre. Il gère une équipe composite et des dossiers délicats : réforme de la caisse de compensation, retraites, statut des juges, bourses estudiantines… Son parti a rétropédalé sur ceux de la femme ou des enseignants stagiaires… Sans parler de sorties polémiques sur l’alcool ou le tourisme. C’est donc sans surprise que le PJD devrait rafler, face aux partis historiques Istiqlal et USFP – en déconfiture – mais aussi face au Parti authenticité et modernité (PAM), force émergente sur la scène, les élections législatives du 7 octobre prochain.
Un islam du « juste milieu»
APRÈS LES COUPS D’ÉTAT de 1971 et 1972, Hassan II a pris conscience de l’importance du levier religieux pour asseoir son pouvoir vacillant. Intuition fine et payante pour le monarque. Le titre de « commandeur des croyants » devient dès lors un outil au service de la monarchie. Aujourd’hui encore, c’est un des piliers fondamentaux du régime. Dès son avènement, Mohammed VI a porté une attention soutenue au champ religieux, qu’il a réformé en profondeur, ce qui a permis au pays de reprendre le contrôle de son islam : ministère des Habous et Conseils des oulémas restructurés, cadre légal renforcé, cadres religieux formés… Dans le royaume, l’islam officiel est malékite (de l’imam Malik, la voie du juste milieu). Tout autre courant (salafiste, chiite, etc.) ou association (Al Adl Wal Ihsane…) sont étroitement surveillés pour ne pas provoquer de fitna (anarchie, désordre). La refonte de M6 a débuté dès décembre 2000 à Tétouan quand le souverain a renouvelé la composition des Conseils des oulémas, en rajeunissant leurs profils. Mais ce sont les attentats du 16 mai 2003 de Casablanca qui alertèrent le régime sur la nécessité de réaménager le champ religieux en encadrant l’espace vacant laissé aux prédicateurs radicaux, et notamment l’ensemble des mosquées, dont les deux tiers échappaient en 2004 au contrôle des autorités ! Mieux, le leadership religieux du souverain s’est traduit par la création en mars 2015, à Rabat, d’un Institut Mohammed VI de formation des imams. D’une enveloppe budgétaire de 140 millions de dirhams (12,9 millions d’euros), il accueille plus de 400 élèves venus du pays, bien sûr, mais aussi du Mali, de Guinée, de Tunisie, voire de France.
À l’international, l’islam marocain fait recette et est régulièrement vanté par les puissances occidentales, Paris, Washington ou Londres… qui n’ont pas trouvé d’antidote au risque jihadiste. Même Moscou a signé en mars un protocole avec le royaume pour financer la formation d’imams et s’inspirer du « modèle marocain » ! Pour enfoncer le clou, cette diplomatie religieuse s’est déployée en Afrique subsaharienne (Mali, Sénégal…) par le biais de la création d’une Fondation Mohammed VI des oulémas africains.
Par Abdeslam Kadiri
DN PHOTOGRAPHY
Dans le monde arabo-musulman d’aujourd’hui, dans ce monde « post-printemps », déstabilisé, menacé, aux prises avec la stagnation économique, le Maroc, ce royaume si longtemps perçu comme fragile, apparaît comme une exception bien singulière. Un pays-clé, dont les nombreux partenaires, en Occident et ailleurs, ne manquent pas de louer la stabilité, les réformes, la diplomatie religieuse et la diplomatie tout court. On reconnaît son efficacité dans la lutte antiterroriste, et la capacité du système à gérer les oppositions et les contradictions. Économiquement, le pays reste en équilibre instable, mais la communication et les paris sur l’avenir alimentent le dynamisme. Exception marocaine ? Même s’il faut être prudent avec ce concept, jadis popularisé par Hassan II – les attentats de Casablanca de mai 2003 ont montré que nul n’était invulnérable –, le socle du royaume est solide, indiscutablement, même lors de la récente polémique autour de l’étrange acquisition de terrains de l’État à prix dérisoires. Et dans cette période de tempête, il propose un étonnant contre-modèle, mélange subtil d’ouverture, de conservatisme et de prises de risques. Un contre-modèle aussi dans la lutte contre l’islamisme radical. Alors, décryptons cette singularité marocaine. Voici dix ingrédients d’une recette qui fait tourner le royaume de Mohammed VI.
Mohammed VI, le patron et l’arbitre
GUIDE DE LA NATION, commandeur des croyants, chef des armées, premier businessman du pays… Le roi a imposé progressivement son style. Proche du peuple, présent sur les fronts intérieurs et extérieurs, capable de discours affirmés, il a insufflé un concept d’autorité à une monarchie proactive et exécutive. Au Maroc, le Palais semble être partout, tout le temps. Toute l’année, le souverain sillonne le pays, mettant à profit une formule de son père : « Le trône des Alaouites est sur la selle de leurs chevaux. » Orientateur stratégique, c’est lui qui dicte la marche à suivre, veille au grain des dossiers sensibles, tout en déléguant volontiers aux technocrates et ingénieurs dont il s’entoure. Fin juillet, c’est ainsi lui qui a annoncé à la surprise générale le retour du pays dans l’Union africaine, qu’il a quittée il y a trente ans. Un signe fort, inattendu, qui marque la primauté des choix. Dès le début de son règne, Mohammed VI a pris des engagements pour son pays : meilleure éthique des forces de l’ordre, justice moins corrompue, lutte contre la pauvreté… Ouvert des chantiers importants : politiques (IER, Ircam), économiques (TGV, autoroutes, barrages), sociaux (INDH, Moudawana – Code de la famille) ou encore géostratégiques (diplomatie religieuse). À la suite du printemps arabe, la nouvelle Constitution de 2011 a délimité ses pouvoirs, clairement énoncés dans les articles 41 et 42 qui font la part des choses entre le roi commandeur des croyants (Amir al-Mouminine) et le roi chef de l’État. Mais le souverain chérifien reste ancré au centre du jeu politique. Si la libéralisation du régime remonte dans les faits au milieu des années 1990 (Hassan II avait alors préparé le terrain pour son fils), Mohammed VI l’a accélérée. Il procède continuellement à des nominations, savant jeu de chaises musicales dont il est le chef d’orchestre. Tout le monde craint ses colères. Même le « fort en gueule » Premier ministre Abdelilah Benkirane (lire ci-après), que des rumeurs persistantes disent sur le départ après qu’il a agacé récemment Sa Majesté.
Abdelilah Benkirane, ou le retour du Premier ministre
AVEC LUI, LE PAYS s’est incontestablement trouvé une bête politique et populaire. Un vrai Premier ministre, patron du Parti de la justice et du développement (PJD), aux commandes depuis novembre 2011, et qui ne laisse personne indifférent. Bosseur, fonceur, probe, il parle la darija, la langue du peuple, pour être au diapason de la base. Ses forces ? Un discours direct, qualifié de populiste, son volontarisme et une image d’incorruptible. Véritable tribun, on l’a vu tonner au Parlement, blaguer, voire écraser la larmichette. Tout en réconciliant la population avec la politique, il fait le grand écart entre l’agenda de son parti et les priorités du Palais, avec lequel le PJD a scellé un compromis. Disons même un deal historique.
Pour pouvoir exister politiquement, le PJD reconnaît l’islam marocain (malékite), ne remet pas en cause le titre de commandeur des croyants dévolu à Mohammed VI, renonce à la violence. De fait, le gouvernement Benkirane offre le visage d’un islam plutôt modéré, dilué dans la société, qui s’articule au jeu politique. Et l’usure du pouvoir n’a pas entamé le capital sympathie dont il bénéficie. L’homme a fait de la lutte contre la corruption et le despotisme son mot d’ordre. Il gère une équipe composite et des dossiers délicats : réforme de la caisse de compensation, retraites, statut des juges, bourses estudiantines… Son parti a rétropédalé sur ceux de la femme ou des enseignants stagiaires… Sans parler de sorties polémiques sur l’alcool ou le tourisme. C’est donc sans surprise que le PJD devrait rafler, face aux partis historiques Istiqlal et USFP – en déconfiture – mais aussi face au Parti authenticité et modernité (PAM), force émergente sur la scène, les élections législatives du 7 octobre prochain.
Un islam du « juste milieu»
APRÈS LES COUPS D’ÉTAT de 1971 et 1972, Hassan II a pris conscience de l’importance du levier religieux pour asseoir son pouvoir vacillant. Intuition fine et payante pour le monarque. Le titre de « commandeur des croyants » devient dès lors un outil au service de la monarchie. Aujourd’hui encore, c’est un des piliers fondamentaux du régime. Dès son avènement, Mohammed VI a porté une attention soutenue au champ religieux, qu’il a réformé en profondeur, ce qui a permis au pays de reprendre le contrôle de son islam : ministère des Habous et Conseils des oulémas restructurés, cadre légal renforcé, cadres religieux formés… Dans le royaume, l’islam officiel est malékite (de l’imam Malik, la voie du juste milieu). Tout autre courant (salafiste, chiite, etc.) ou association (Al Adl Wal Ihsane…) sont étroitement surveillés pour ne pas provoquer de fitna (anarchie, désordre). La refonte de M6 a débuté dès décembre 2000 à Tétouan quand le souverain a renouvelé la composition des Conseils des oulémas, en rajeunissant leurs profils. Mais ce sont les attentats du 16 mai 2003 de Casablanca qui alertèrent le régime sur la nécessité de réaménager le champ religieux en encadrant l’espace vacant laissé aux prédicateurs radicaux, et notamment l’ensemble des mosquées, dont les deux tiers échappaient en 2004 au contrôle des autorités ! Mieux, le leadership religieux du souverain s’est traduit par la création en mars 2015, à Rabat, d’un Institut Mohammed VI de formation des imams. D’une enveloppe budgétaire de 140 millions de dirhams (12,9 millions d’euros), il accueille plus de 400 élèves venus du pays, bien sûr, mais aussi du Mali, de Guinée, de Tunisie, voire de France.
À l’international, l’islam marocain fait recette et est régulièrement vanté par les puissances occidentales, Paris, Washington ou Londres… qui n’ont pas trouvé d’antidote au risque jihadiste. Même Moscou a signé en mars un protocole avec le royaume pour financer la formation d’imams et s’inspirer du « modèle marocain » ! Pour enfoncer le clou, cette diplomatie religieuse s’est déployée en Afrique subsaharienne (Mali, Sénégal…) par le biais de la création d’une Fondation Mohammed VI des oulémas africains.
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