Aujourd'hui, 10 octobre mais de l'année 2010, les Sahraouis sont sortis dans la banlieue de la ville de El Aaiun, capitale occupée du Sahara Occidental pour protester contre la politique d'appauvrissement pratiquée par le Maroc contre la population sahraouie afin de les mettre à genoux et mater la résistance sahraouie contre l'occupation.
Ils ont dressé le campement de Gdeim Izik en guise de protestation contre leur situation sociale, politique et économique loin d'être l'image d'El Dorado que les autorités d'occupation tentent de projeter à l'extérieur dans le but de vendre leur occupation illégale et contestée par le droit international et la population locale.
La protestation de Gdeim Izik est le produit direct de l'inefficacité du Conseil de Sécurité dans la résolution du conflit du Sahara Occidental en raison du soutien inconditionnel de la France à l'occupation marocaine.
A l'occasion du 6ème anniversaire de l'épopée de Gdeim Izik, nous avons le plaisir de vous présenter pour lecture une étude faite par la revue Années du Maghreb sur le soulèvement de Gdeim Izik.
Sahara Occidental : quel scénario après Gdeim Izik ?
Par Carmen Gómez Martín
À l’automne 2010, comme prélude aux protestations populaires du Maghreb et du Machrek, les Sahraouis accomplissent une action totalement inattendue : ils dressent le campement pacifique de Gdeim Izik afin de dénoncer leur situation sur les plans politique, économique et social au sein des territoires occupés par le Maroc au Sahara Occidental. Plusieurs semaines après son établissement, le camp est violemment démantelé par les forces de sécurité marocaines. Cette opération provoque des émeutes dans la plupart des villes du Sahara Occidental. Le bilan est lourd : plusieurs centaines de blessés et de détenus et la mort de treize personnes (policiers marocains et civils sahraouis).
Gdeim Izik est considéré par certains auteurs comme l’annonce du « printemps arabe ». Le premier à l’interpréter de la sorte, bien qu’il ne soit pas un expert en la matière, est le linguiste américain Noam Chomsky1. Son avis est corroboré, comme on le signalera plus tard, par des spécialistes du dossier comme le chercheur Bernabé López García. Cette révolte partage certains éléments avec les épisodes révolutionnaires déclenchés dans d’autres pays de la région mais, dans le même temps, elle présente des caractéristiques intrinsèques qui se reflètent, par exemple, dans la capacité des Sahraouis à combiner, au sein du campement, trois types de demandes : socio-économiques, de reconnaissance identitaire et de reconnaissance politique (ces dernières concernant le référendum d’autodétermination et l’indépendance du Sahara Occidental).
L’objectif de ce texte2 est de détailler le déroulement des protestations de Gdeim Izik et de fournir les éléments nécessaires à la compréhension des effets que cet événement a eus, à court terme, au sein des territoires occupés et dans les camps de réfugiés sahraouis à Tindouf (Algérie). Ces effets se matérialisent dans la revitalisation du conflit par de nouvelles formes de protestation (l’établissement de campements en dehors des centres urbains), dans l’irruption de nouveaux acteurs dans l’espace de contestation sahraoui (notamment des jeunes chômeurs et des activistes des droits de l’Homme), dans la transition d’actions pacifiques vers des réactions plus radicales et violentes, ou encore dans la montée des tensions entre les différentes populations qui cohabitent dans la région.
Chronologie des faits
Gdeim Izik est le résultat de plusieurs essais infructueux de formation de camps pacifiques de protestation dans la périphérie des principales villes du Sahara Occidental (Laâyoune, Smara, Dakhla et Boujdour). Avec cette stratégie de lutte, les Sahraouis entendent dénoncer les mauvaises conditions sociales et économiques subies dans les territoires occupés, notamment leur marginalisation dans l’accès à l’emploi et au logement, la corruption endémique qui éclabousse les autorités locales (sahraouies et marocaines), la spoliation des ressources naturelles de la région et les politiques étatiques d’assistance qui sont accordées non pas sur des critères socio-économiques, mais selon les appuis obtenus auprès du régime alaouite.
Au début du mois d’octobre 2010, l’idée d’établir un nouveau camp dans la périphérie de la ville de Laâyoune se répand rapidement dans la population sahraouie. La gestion douteuse par les autorités locales de plusieurs dossiers sensibles, dont les fonds de développement et les aides sociales, fait exploser la contestation3. Le 10 octobre les premiers manifestants arrivent à Gdeim Izik, à 12 km de Laâyoune. Il s’agit de plusieurs dizaines de personnes, pour la plupart femmes et jeunes chômeurs. À ce moment, la police et la gendarmerie marocaines n’interdisent pas le rassemblement, encourageant alors l’arrivée d’un nombre croissant de participants4. D’après l’Organisation marocaine des droits de l’Homme (OMDH) (2011, p. 8), l’approche utilisée pour traiter les dossiers sensibles de la région divise les représentants de l’autorité locale à Laâyoune qui soutiennent l’installation du campement de Gdeim Izik. Dans son rapport, l’OMDH affirme également qu’un responsable local, avec l’appui des membres de sa famille et d’autres personnes proches, a encouragé l’installation du camp et a participé activement à son financement.
L’affluence massive de Sahraouis complexifie la gestion du campement. Ainsi, quelques jours après sa constitution il devient nécessaire de former des comités d’organisation : sécurité interne, nettoyage, infrastructure, services primaires et comité de dialogue5. En outre, le camp est divisé en six « quartiers », chacun d’entre eux est placé sous la responsabilité d’un chef. L’installation incontrôlée des khaimas (tentes) amène les forces de sécurité marocaines à clôturer le camp au moyen d’une tranchée et de plusieurs murs de sable renforcés par des camions. Les voies d’accès sont aussi restreintes à une seule entrée, celle de la route connectant les villes de Laâyoune et de Smara, obstruée par trois barrages policiers.
Arrive ainsi le 24 octobre. Ce jour-ci, une voiture avec six personnes à bord est mitraillée par l’armée, alors qu’elle essayait de contourner un poste de contrôle. Au cours de la fusillade un adolescent de 14 ans meurt sur le coup. Il est inhumé trois jours plus tard sans l’autorisation de sa famille et en l’absence de ses proches. Cette mort influe profondément sur la suite des évènements. À l’extérieur du camp le blocage médiatique se durcit. Les autorités marocaines empêchent les journalistes étrangers de se déplacer à Laâyoune, certains d’entre eux sont même expulsés du pays6. Plusieurs observateurs internationaux et parlementaires européens subissent le même sort, tels le parlementaire espagnol Willy Meyer, du parti politique Gauche unie, et le député français Jean-Paul Lecoq, du Parti communiste français. Sans présence d’observateurs, ni de la presse internationale, les informations deviennent invérifiables. La désinformation accroît alors les spéculations et les rumeurs, alors qu’à l’intérieur du camp, les esprits s’échauffent. Comme souligne Mawaba, participante à la contestation de Gdeim Izik :
« Après la mort de El Garny Nayem la tension était palpable au sein des camps. Le comité de négociation et de nombreux Sahraouis installés dans le campement ont continué à parler des revendications sociales et économiques mais la rage engendrée par ce meurtre a fait réagir les manifestants. Le démantèlement du campement s’avérait imminent, alors nous avons commencé à parler ouvertement des revendications politiques, d’autodétermination et d’indépendance »7.
Malgré la tournure des événements, le dialogue se poursuit entre le comité de représentants du camp (composé de neuf membres) et les autorités marocaines. Les contacts s’établissent au début avec Mohamed Jelmous, wali (gouverneur) de Laâyoune, et plus tard avec une commission du ministère de l’Intérieur constituée par trois walis de l’administration centrale. Enfin, au dernier moment, les négociations sont dirigées par le ministre de l’Intérieur en personne, Taïeb Cherkaoui. Le 4 novembre 2010 un accord de principe est conclu, selon lequel l’État marocain s’engage à répondre progressivement aux demandes des manifestants relatives au logement et au travail. Un premier pas est franchi avec la constitution d’un comité mixte (représentants sahraouis et autorités marocaines) chargé d’entreprendre le recensement des personnes défavorisées à l’intérieur du campement. La mise en œuvre des mesures devait débuter le lundi 8 novembre, mais aucune ne sera réalisée car le démantèlement du camp est déclenché ce même jour8.
L’opération se produit à l’aube, après un appel confus des hélicoptères de la police survolant les lieux et ne laissant pas le temps d’organiser l’évacuation. C’est alors le chaos entre ceux qui essaient de fuir et ceux tentant d’organiser la résistance face aux forces de sécurité marocaines équipées de canons à eau, gaz lacrymogènes et balles en caoutchouc. D’après les autorités marocaines l’intervention ne pouvait plus attendre, car le camp était tombé sous les mains de groupes de trafiquants et de criminels qui retenaient une partie de la population sahraouie contre sa volonté9. Or, les organisations sahraouies et marocaines de défense des droits de l’Homme mettent en cause ce discours10. Elles mettent en avant le fait que quatre walis du ministère et le ministre de l’Intérieur lui-même avaient négocié pendant des jours avec ces mêmes représentants censés êtres des criminels séquestrant la population.
L’inconsistance du discours officiel laisse donc sans réponse la question principale. Pourquoi démanteler par la force le campement si le dialogue se poursuit encore entre les deux parties, et si une réunion entre le Front Polisario et les représentants marocains est programmée ce jour même à New York ? L’irruption violente dans le camp est fortement critiquée par certains participants, comme la députée sahraouie du Parti du progrès et du socialisme (PPS) et également membre du Conseil royal consultatif des affaires sahariennes (CORCAS). D’après Bernabé López García (2010)11, seules les pressions exercées par des personnalités influentes hostiles à la décentralisation de l’État et au projet d’autonomie élaboré par Rabat depuis 2007, confortées par le discours radical prononcé par Mohamed VI quelques jours auparavant, au cours de l’anniversaire de la Marche verte, peuvent expliquer le soudain changement d’avis et la violence déclenchée au cours du démantèlement du campement.
L’assaut des forces de sécurité engendre une réponse très violente de la part des jeunes du camp12. Cette violence s’étend peu après à Laâyoune, où le manque d’information favorise la rumeur d’un massacre parmi la population sahraouie. Cette confusion et la faible présence policière entraînent le chaos au sein de la ville : blocage de routes, barricades, saccages et incendies des administrations publiques, des commerces, des banques, des bureaux et des voitures de citoyens marocains13. Au cours des émeutes, un jeune Sahraoui de nationalité espagnole meurt renversé par une voiture de police, attisant davantage les actions contre les établissements publics et les biens privés. L’arrivée du gros des forces de sécurité marocaines, jusqu’alors placées à Gdeim Izik, freine cette vague de violence. Pourtant, au cours de l’après-midi et de la soirée du 8 novembre, des civils marocains sous la protection de la police, voire encouragée par celle-ci, sont à la tête d’une contre-offensive au sein des quartiers à majorité sahraouie, reproduisant les scènes de pillage et de destruction de commerces et de maisons.
Ils ont dressé le campement de Gdeim Izik en guise de protestation contre leur situation sociale, politique et économique loin d'être l'image d'El Dorado que les autorités d'occupation tentent de projeter à l'extérieur dans le but de vendre leur occupation illégale et contestée par le droit international et la population locale.
La protestation de Gdeim Izik est le produit direct de l'inefficacité du Conseil de Sécurité dans la résolution du conflit du Sahara Occidental en raison du soutien inconditionnel de la France à l'occupation marocaine.
A l'occasion du 6ème anniversaire de l'épopée de Gdeim Izik, nous avons le plaisir de vous présenter pour lecture une étude faite par la revue Années du Maghreb sur le soulèvement de Gdeim Izik.
Sahara Occidental : quel scénario après Gdeim Izik ?
Par Carmen Gómez Martín
À l’automne 2010, comme prélude aux protestations populaires du Maghreb et du Machrek, les Sahraouis accomplissent une action totalement inattendue : ils dressent le campement pacifique de Gdeim Izik afin de dénoncer leur situation sur les plans politique, économique et social au sein des territoires occupés par le Maroc au Sahara Occidental. Plusieurs semaines après son établissement, le camp est violemment démantelé par les forces de sécurité marocaines. Cette opération provoque des émeutes dans la plupart des villes du Sahara Occidental. Le bilan est lourd : plusieurs centaines de blessés et de détenus et la mort de treize personnes (policiers marocains et civils sahraouis).
Gdeim Izik est considéré par certains auteurs comme l’annonce du « printemps arabe ». Le premier à l’interpréter de la sorte, bien qu’il ne soit pas un expert en la matière, est le linguiste américain Noam Chomsky1. Son avis est corroboré, comme on le signalera plus tard, par des spécialistes du dossier comme le chercheur Bernabé López García. Cette révolte partage certains éléments avec les épisodes révolutionnaires déclenchés dans d’autres pays de la région mais, dans le même temps, elle présente des caractéristiques intrinsèques qui se reflètent, par exemple, dans la capacité des Sahraouis à combiner, au sein du campement, trois types de demandes : socio-économiques, de reconnaissance identitaire et de reconnaissance politique (ces dernières concernant le référendum d’autodétermination et l’indépendance du Sahara Occidental).
L’objectif de ce texte2 est de détailler le déroulement des protestations de Gdeim Izik et de fournir les éléments nécessaires à la compréhension des effets que cet événement a eus, à court terme, au sein des territoires occupés et dans les camps de réfugiés sahraouis à Tindouf (Algérie). Ces effets se matérialisent dans la revitalisation du conflit par de nouvelles formes de protestation (l’établissement de campements en dehors des centres urbains), dans l’irruption de nouveaux acteurs dans l’espace de contestation sahraoui (notamment des jeunes chômeurs et des activistes des droits de l’Homme), dans la transition d’actions pacifiques vers des réactions plus radicales et violentes, ou encore dans la montée des tensions entre les différentes populations qui cohabitent dans la région.
Chronologie des faits
Gdeim Izik est le résultat de plusieurs essais infructueux de formation de camps pacifiques de protestation dans la périphérie des principales villes du Sahara Occidental (Laâyoune, Smara, Dakhla et Boujdour). Avec cette stratégie de lutte, les Sahraouis entendent dénoncer les mauvaises conditions sociales et économiques subies dans les territoires occupés, notamment leur marginalisation dans l’accès à l’emploi et au logement, la corruption endémique qui éclabousse les autorités locales (sahraouies et marocaines), la spoliation des ressources naturelles de la région et les politiques étatiques d’assistance qui sont accordées non pas sur des critères socio-économiques, mais selon les appuis obtenus auprès du régime alaouite.
Au début du mois d’octobre 2010, l’idée d’établir un nouveau camp dans la périphérie de la ville de Laâyoune se répand rapidement dans la population sahraouie. La gestion douteuse par les autorités locales de plusieurs dossiers sensibles, dont les fonds de développement et les aides sociales, fait exploser la contestation3. Le 10 octobre les premiers manifestants arrivent à Gdeim Izik, à 12 km de Laâyoune. Il s’agit de plusieurs dizaines de personnes, pour la plupart femmes et jeunes chômeurs. À ce moment, la police et la gendarmerie marocaines n’interdisent pas le rassemblement, encourageant alors l’arrivée d’un nombre croissant de participants4. D’après l’Organisation marocaine des droits de l’Homme (OMDH) (2011, p. 8), l’approche utilisée pour traiter les dossiers sensibles de la région divise les représentants de l’autorité locale à Laâyoune qui soutiennent l’installation du campement de Gdeim Izik. Dans son rapport, l’OMDH affirme également qu’un responsable local, avec l’appui des membres de sa famille et d’autres personnes proches, a encouragé l’installation du camp et a participé activement à son financement.
L’affluence massive de Sahraouis complexifie la gestion du campement. Ainsi, quelques jours après sa constitution il devient nécessaire de former des comités d’organisation : sécurité interne, nettoyage, infrastructure, services primaires et comité de dialogue5. En outre, le camp est divisé en six « quartiers », chacun d’entre eux est placé sous la responsabilité d’un chef. L’installation incontrôlée des khaimas (tentes) amène les forces de sécurité marocaines à clôturer le camp au moyen d’une tranchée et de plusieurs murs de sable renforcés par des camions. Les voies d’accès sont aussi restreintes à une seule entrée, celle de la route connectant les villes de Laâyoune et de Smara, obstruée par trois barrages policiers.
Arrive ainsi le 24 octobre. Ce jour-ci, une voiture avec six personnes à bord est mitraillée par l’armée, alors qu’elle essayait de contourner un poste de contrôle. Au cours de la fusillade un adolescent de 14 ans meurt sur le coup. Il est inhumé trois jours plus tard sans l’autorisation de sa famille et en l’absence de ses proches. Cette mort influe profondément sur la suite des évènements. À l’extérieur du camp le blocage médiatique se durcit. Les autorités marocaines empêchent les journalistes étrangers de se déplacer à Laâyoune, certains d’entre eux sont même expulsés du pays6. Plusieurs observateurs internationaux et parlementaires européens subissent le même sort, tels le parlementaire espagnol Willy Meyer, du parti politique Gauche unie, et le député français Jean-Paul Lecoq, du Parti communiste français. Sans présence d’observateurs, ni de la presse internationale, les informations deviennent invérifiables. La désinformation accroît alors les spéculations et les rumeurs, alors qu’à l’intérieur du camp, les esprits s’échauffent. Comme souligne Mawaba, participante à la contestation de Gdeim Izik :
« Après la mort de El Garny Nayem la tension était palpable au sein des camps. Le comité de négociation et de nombreux Sahraouis installés dans le campement ont continué à parler des revendications sociales et économiques mais la rage engendrée par ce meurtre a fait réagir les manifestants. Le démantèlement du campement s’avérait imminent, alors nous avons commencé à parler ouvertement des revendications politiques, d’autodétermination et d’indépendance »7.
Malgré la tournure des événements, le dialogue se poursuit entre le comité de représentants du camp (composé de neuf membres) et les autorités marocaines. Les contacts s’établissent au début avec Mohamed Jelmous, wali (gouverneur) de Laâyoune, et plus tard avec une commission du ministère de l’Intérieur constituée par trois walis de l’administration centrale. Enfin, au dernier moment, les négociations sont dirigées par le ministre de l’Intérieur en personne, Taïeb Cherkaoui. Le 4 novembre 2010 un accord de principe est conclu, selon lequel l’État marocain s’engage à répondre progressivement aux demandes des manifestants relatives au logement et au travail. Un premier pas est franchi avec la constitution d’un comité mixte (représentants sahraouis et autorités marocaines) chargé d’entreprendre le recensement des personnes défavorisées à l’intérieur du campement. La mise en œuvre des mesures devait débuter le lundi 8 novembre, mais aucune ne sera réalisée car le démantèlement du camp est déclenché ce même jour8.
L’opération se produit à l’aube, après un appel confus des hélicoptères de la police survolant les lieux et ne laissant pas le temps d’organiser l’évacuation. C’est alors le chaos entre ceux qui essaient de fuir et ceux tentant d’organiser la résistance face aux forces de sécurité marocaines équipées de canons à eau, gaz lacrymogènes et balles en caoutchouc. D’après les autorités marocaines l’intervention ne pouvait plus attendre, car le camp était tombé sous les mains de groupes de trafiquants et de criminels qui retenaient une partie de la population sahraouie contre sa volonté9. Or, les organisations sahraouies et marocaines de défense des droits de l’Homme mettent en cause ce discours10. Elles mettent en avant le fait que quatre walis du ministère et le ministre de l’Intérieur lui-même avaient négocié pendant des jours avec ces mêmes représentants censés êtres des criminels séquestrant la population.
L’inconsistance du discours officiel laisse donc sans réponse la question principale. Pourquoi démanteler par la force le campement si le dialogue se poursuit encore entre les deux parties, et si une réunion entre le Front Polisario et les représentants marocains est programmée ce jour même à New York ? L’irruption violente dans le camp est fortement critiquée par certains participants, comme la députée sahraouie du Parti du progrès et du socialisme (PPS) et également membre du Conseil royal consultatif des affaires sahariennes (CORCAS). D’après Bernabé López García (2010)11, seules les pressions exercées par des personnalités influentes hostiles à la décentralisation de l’État et au projet d’autonomie élaboré par Rabat depuis 2007, confortées par le discours radical prononcé par Mohamed VI quelques jours auparavant, au cours de l’anniversaire de la Marche verte, peuvent expliquer le soudain changement d’avis et la violence déclenchée au cours du démantèlement du campement.
L’assaut des forces de sécurité engendre une réponse très violente de la part des jeunes du camp12. Cette violence s’étend peu après à Laâyoune, où le manque d’information favorise la rumeur d’un massacre parmi la population sahraouie. Cette confusion et la faible présence policière entraînent le chaos au sein de la ville : blocage de routes, barricades, saccages et incendies des administrations publiques, des commerces, des banques, des bureaux et des voitures de citoyens marocains13. Au cours des émeutes, un jeune Sahraoui de nationalité espagnole meurt renversé par une voiture de police, attisant davantage les actions contre les établissements publics et les biens privés. L’arrivée du gros des forces de sécurité marocaines, jusqu’alors placées à Gdeim Izik, freine cette vague de violence. Pourtant, au cours de l’après-midi et de la soirée du 8 novembre, des civils marocains sous la protection de la police, voire encouragée par celle-ci, sont à la tête d’une contre-offensive au sein des quartiers à majorité sahraouie, reproduisant les scènes de pillage et de destruction de commerces et de maisons.
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