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MAROC :Les corsaires de la « République » de Salé

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  • MAROC :Les corsaires de la « République » de Salé

    L’oued Bouregreg est le fief de corsaires redoutables qui font régner la terreur sur le littoral marocain et bien plus loin encore. A l’image des grandes cités maritimes qui ont toujours aspiré à l’autonomie, ces corsaires vont même jusqu’à fonder un Etat dans l’Etat.

    A l’écart des empires, à l’abri des persécutions, il y eut face à l’Atlantique, ce refuge de forbans des mers, cette cité prospère, cosmopolite et raffinée, aux institutions singulièrement égalitaires pour l’époque. ». C’est ainsi que Lamborn Wilson décrit Salé dans Pirate utopias, Moorish Corsairs & European Renegadoes, (Automedia, 1995). Salé, cité prospère donc, mais Salé, cité corsaire avant tout. Qui sont donc ces corsaires qui ont fait trembler l’Europe pendant des siècles? Y a-t-il eu une déformation de la réalité historique par la mémoire collective de l’époque contemporaine ? Nous savons que, contrairement à une idée très répandue, les fameux corsaires dits de Salé, sont en fait originaires de Rabat, c’est-à-dire de Salé-le-Neuf, qui au XVIIe siècle est devenu une terre d’asile pour quelques milliers d’immigrés venus notamment de la péninsule ibérique (Hornacheros et Morisques).

    En 1614, le religieux espagnol Julian Pastor s’exprime en ces termes pour décrire l’arrivage massif de Morisques et leur installation à Salé-le-Neuf : « Au temps de ce Marabout Layax [le moujahid El Ayachi], beaucoup de Morisques, qui sont sortis d’Espagne, Andalous et Hornacheros (on les appelle Hornacheros parce qu’ils viennent d’un lieu appelé Hornachos, et on appelle communément Andalous le reste des Morisques) ont construit beaucoup de maisons dans Arrabal [le Faubourg]». L’attachement de ces derniers à la patrie perdue, suite aux édits d’expulsion définitifs promulgués contre eux entre 1609 et 1614, explique largement leurs visées politiques, militaires et économiques. Le désir de se venger des Espagnols et de faire fructifier leurs capitaux a pris la forme d’une ravageuse guerre de course.

    Mais la rentabilité des razzias maritimes ne tarde pas à attirer également une foule de personnes étrangères à la région, comme les pirates de la Maamora, anglo-saxons pour la plupart. Salé accueille également un nombre non négligeable de renégats Ulj, appelés communément « Turcs de profession » qui viennent tenter leur chance sous le ciel salétin. Les promesses de butins de la course ne manquent pas d’attirer Portugais, Espagnols, Français et surtout Hollandais, dont le concours en matière nautique est inégalable. Parmi les plus redoutables sur mer figure un groupe de Hollandais dont le célèbre Morat-Raïs. D’autres renégats se distinguent par leur bravoure : Ali Baudry, Mohammad Haj Candil, ou Roussay d’origine française, ou encore l’Anglais Chafar… Certains parmi ces islamisés se voient confier les plus hautes charges administratives et constituent même la corporation dirigeante de Salé.

    Razzias maritimes

    Les Barbaresques sont, eux aussi, nombreux sur le terrain. Originaires des régences de Tripoli, Tunis ou Alger, ils sont, aux dires d’un captif anonyme « plus versés dans la géographie que les Salétins » et affluent en grand nombre à Salé en quête de lucre et de gloire comme Omar El-Hadj, corsaire tunisien, Mohamed Turki et Yahya Trabelsi. La course attire aussi un grand nombre de ruraux qui affluent vers une ville en plein essor, à la recherche de pain et de travail, pour échapper aux épidémies et à la misère qui secouent alors les campagnes marocaines.

    Des navires et des hommes

    Ces événements coïncident avec la crise du commerce saharien et la désagrégation politique du Maroc suite à la mort du sultan Al Mansour en 1603, auxquelles s’ajoute l’effacement progressif de la présence ibérique sur le littoral atlantique marocain. De nouvelles perspectives apparaissent pour les petits ports qui reprennent vie et participent activement à l’essor de la course salétine : Safi, Azemmour, Agadir, etc. L’insécurité sur mer, due aux guerres européennes du XVIIe siècle, a sans nul doute permis aux salétins, comme aux autres corsaires maghrébins, d’exercer à loisir leurs activités. La réussite de Salé et l’expansion du théâtre des opérations corsaires s’expliquent également par les moyens matériels mis en place. Les corsaires ont en effet pu bénéficier du savoir-faire européen qui leur a permis de transformer les techniques de leur navigation. Dès le début du XVIIe siècle, en 1606, un Hollandais de Dordrecht, du nom de Simon Simonsen, dit Danser, enseigne aux Algérois la manière de construire et de manœuvrer des vaisseaux de haut bord, en usage dans l’Atlantique. Néanmoins, leur apport est plus efficace à Salé, port important donnant sur l’Atlantique, que dans les autres repaires corsaires du Maghreb.

    Les navires salétins disposent de deux qualités : la vitesse et la légèreté. La première est à la base de l’efficacité des opérations, car les razzias maritimes dépendent essentiellement de la mobilité, tant pour l’attaque que pour la dérobade.

    A côté de ces caractéristiques techniques, l’armement corsaire de Salé utilise des équipages pléthoriques, notamment pour l’abordage où la supériorité numérique est une arme essentielle. Le ratio moyen effectif-tonnage est de l’ordre de 1,60 homme par tonneau, un taux exceptionnellement élevé : « Les équipages des navires sont toujours nombreux et c’est par cet endroit que leurs abordages sont toujours à craindre » écrit le Chevalier d’Arvieux vers 1670. Outre ces caractéristiques, le logement et les vivres nécessaires à l’équipage embarqué sont réduits au minimum. L’espace restreint disponible est généralement réservé à l’installation des pièces de canon et à l’approvisionnement en poudre et munitions. Les corsaires de Salé, constate le commissaire français Louis de Gastines en 1680, «  n’ont dans leurs vaisseaux aucun coffre, ni bransle, ni embarras quelconques ». Tout est sacrifié à la vitesse et à la puissance offensive.

    Cap vers la haute mer

    Pour ce qui est de l’importance numérique de la flotte, elle reflète l’évolution de la course à Salé. Celle-ci atteint son point culminant avec la première grande poussée, correspondant à la naissance de la « République » en 1627, lorsque Salétins et Tétouanais réussissent à aligner jusqu’à 60 unités. Mais les sources feront ressortir par la suite une diminution constante du nombre de bâtiments au cours du XVIIe siècle. De fait, à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle la course devient un quasi-monopole sultanien. Les fréquentes interventions des puissances maritimes européennes en représailles aux entreprises corsaires, se sont en effet soldées par la capture ou la perte de nombreux bâtiments de la flotte. En 1649, entre les mois de juin et octobre, six navires salétins et deux de leurs prises sont capturés ou détruits par les vaisseaux d’une escadre hollandaise commandée par Joris Van Cats.

    A son apogée dans la première moitié du XVIIe siècle, la course salétine déborde de son champ habituel d’intervention, à savoir les côtes ibériques, pour aller vers la haute mer atlantique, balayant un rayon de 500 à 600 milles et faisant de l’espace entre les Canaries, les Açores et le cap Finistère, un véritable terrain de chasse. Et c’est bien au large de cet espace que les Salétins effectuent la majeure partie de leurs prises. Cette course repose de manière croissante sur l’emploi de vaisseaux de plus en plus puissants. Les corsaires de Salé ont su bénéficier de leur position géographique et de leur savoir faire en matière navale, devenant la terreur des mers du Ponant : « Mon Dieu, gardez nous des Salétins », disait un rituel du Diocèse de Coutances en Normandie.

    En effet, les corsaires ont développé de longues campagnes d’été sur des théâtres plus septentrionaux, encore mal protégés. Leurs pérégrinations les ont menés jusqu’au large des Iles Sorlingues et des Iles de Cornouailles pour capturer les bateaux de pêche revenant de Terre-Neuve. Les pêcheurs de Terre-Neuve ont été particulièrement éprouvés par les Salétins, qui venaient chaque année dans les eaux anglaises et françaises guetter leur départ et leur retour. « Ils firent des ravages si étranges que du Havre de Grâce seul ils amenèrent ou coulèrent à fond plus de quarante vaisseaux qui aloient au poisson, et ce dans l’espace de deux ans ; il en fut aussi pris des autres villes maritimes ».
    Dans l’ouest de l’Angleterre, la population devient si nerveuse que le feu de Lizard est éteint, parce qu’il « conduira les pirates ». L’un de leurs succès les plus spectaculaires est le long voyage qui, en juin 1627, a mené les corsaires en Islande, d’abord à Grindavic, située à l’extrémité de l’île, ensuite à Reykjavik en Islande. Cette campagne, placée sous le commandement de Morat-Raïs, un renégat hollandais originaire de Harlem, constitue une véritable prouesse maritime pour l’époque. L’opération se solde par le pillage du sud de l’île et par la prise de 400 Islandais dont un certain nombre pris en mer sur le chemin du retour. Cette incursion a été précédée par plusieurs raids perpétrés lors des années 1615, 1616 et 1629 conjointement avec les corsaires d’Alger contre les îles Féroé. En 1631, le renégat hollandais se distingue encore une fois par une incursion en Irlande.

    Pourvoyeur d’emplois

    Les razzias, les pillages organisés et les captures en haute mer rapportent un butin économique considérable. La course est la principale activité d’emploi, la principale source d’embauche et de revenus pour Salé et un très vaste hinterland d’où le port tire généralement ses marins. Elle mobilise plus de 4 000 hommes, ce qui signifie que la capacité d’embarquement offerte par la flotte corsaire peut s’élever à plus de 20 % de la population active.

    Outre qu’elle a également stimulé l’activité d’autres branches de l’économie portuaire, la course a entraîné pendant plus d’un siècle un flux continu d’arrivées de prises, qui devaient être vendues sur place ou réexpédiées à destination des grands ports européens. Les sources de la première moitié du XVIIe siècle signalent que pour la période de 1620 et 1630, les corsaires auraient pillé « plus de mil vaisseaux chrestiens de toutes les nations ». Les prises ont avant tout contribué à faire des villes corsaires de grands marchés cosmopolites, attirant des acheteurs et des hommes d’affaires spécialisés dans ce genre de commerce.

  • #2
    suite

    Salé, « république » autonome

    Comme la plupart des cités maritimes qui aspirent à l’autonomie, l’organisation institutionnelle de Salé, richesse aidant, subit un profond changement. Dès l’été 1627, les Salétins cessent de reconnaître l’autorité du Moulay Zidan. Le sultan saadien est, à leur yeux, coupable de prélever la dîme sur leurs revenus. Les corsaires deviennent ainsi indépendants de toute subordination makhzénienne. La « République » de Salé, souvent appelée « La Rochelle d’Afrique » voit alors le jour. Le trinitaire français Pierre Dan fait remarquer que les nouveaux arrivés « vécurent quelques temps avec l’honneur et l’obéissance que de vrais subjets doivent à leur souverain, mais ils se relaschèrent un peu après ».

    La Qasba devient alors la capitale du nouvel Etat, sous lequel la course connaît un essor vigoureux. L’administration portuaire revient à un amiral, aidé par des intendants pour la surveillance des chantiers en construction et l’entretien de la flotte. Quant aux activités du port, elles sont concentrées entre les mains des élites locales, le plus souvent issues de familles estremeno-andalouses. Le pouvoir exécutif appartient quant à lui au gouvernement, élu annuellement et assisté d’un conseil ou Divan composé de 16 membres. Ces derniers sont chargés, à travers l’intendance de la marine, de remettre les commissions aux corsaires.

    Ce nouveau statut de la ville du Bouregreg influe profondément sur la concentration des efforts navals et de fortification de la cité où le système défensif se renforce par la construction de nombreux ouvrages côtiers pour se défendre des croisières anti-corsaires européennes. Mais, de l’année 1640, qui vit la fin de l’épisode de la «République » corsaire, à l’année 1660, l’histoire politique de la région passe sous la domination assez légère des Dilaïtes, une quasi-indépendance.

    Avant de basculer définitivement sous l’autorité des chérifs alaouites en 1666, Salé se plie à l’autorité du raïs Ghaïlan en 1664 et est alors administrée comme les autres villes du pays. Néanmoins, vers la fin du XVIIe siècle, cette charge semble avoir subi quelques changements signalés par Jean-Baptiste Estelle, le consul de la nation française dans la ville. Celui-ci rapporte que l’agglomération salétine comprend pas moins de quatre caïds : à côté de ceux placés à la tête de Salé le Neuf, la Qasba et Salé le Vieux existe, en outre, un gouverneur du port spécialement chargé de s’occuper des marchands européens et de la navigation. L’ère des magistrats quasi indépendants, comme le laisse croire le consul français Louis Chénier, est bien révolue.

    Levier politiqueet diplomatique

    Avec son étatisation sous les premiers sultans alaouites, la course salétine deviendra une sorte de levier politique et diplomatique avec pour fonction de faire payer à certaines puissances maritimes européennes des tributs annuels. Les équipages des navires sont réduits à la portion congrue d’une solde versée par le sultan-armateur. Un changement de mode de rémunération devait entraîner le désengagement progressif des Salétins aux bénéfices éventuels des campagnes corsaires. Quand aux armateurs de la place salétine, ils vont profiter de l’épuisement du pays dans les luttes intestines qui suivent le décès du sultan Moulay Ismail en 1727 pour engager de nouveau leurs capitaux dans l’aventure corsaire. En 1733 encore, Partyet, le consul français à Cadix écrit que les Salétins ne vivent que de la mer. Mais c’est déjà une autre histoire.


    Zamane

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