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Mohand-Akli Haddadou. Linguiste et auteur «La vocation de l’Algérie est plurilingue»

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  • Mohand-Akli Haddadou. Linguiste et auteur «La vocation de l’Algérie est plurilingue»

    - La récente révision constitutionnelle a accordé le statut de «langue nationale et officielle» à tamazight. Quels sont les facteurs qui ont favorisé cette reconnaissance à ce moment précis de l’histoire du pays ? Quelles en seront, selon vous, les conséquences pratiques immédiates ou à moyen terme ?

    L’officialisation de tamazight est l’aboutissement du long combat pour le recouvrement de l’identité algérienne. Bien avant l’indépendance, des efforts ont été menés pour faire revivre cette langue. Ses détracteurs ne manquent pas de souligner que ce sont les Français, missionnaires et militaires, qui ont lancé les études amazighes dans l’objectif de diviser les Algériens, voire de les évangéliser. On oublie que les plus grands défenseurs de cette langue ont été des Algériens.

    Il suffit de citer des noms comme Boulifa, Sedkaoui ou Bensedira, auteurs de méthodes et de dictionnaires qui rivalisaient avec les Foucault ou les Basset que l’on donne comme les «pères» des études berbères. Et puis, il y a eu la fameuse crise berbériste de 1947 où des militants nationalistes ont posé le problème de la reconnaissance de la langue et de la culture amazighes. On sait aussi que durant la guerre de Libération nationale, ce problème a été mis en veilleuse pour ne pas diviser les Algériens, engagés dans la libération du pays.

    Le problème devait être résolu à l’indépendance, mais il y eut un refus de reconnaître la dimension amazighe. Il y eut la répression, le Printemps berbère de 1980, les emprisonnements, les morts de 2001, mais le combat n’avait jamais cessé… L’ouverture démocratique de 1988 a ouvert la voie au multipartisme, et la revendication amazighe a trouvé un cadre légal pour s’exprimer. L’évolution a été rapide : création du HCA, enseignement de la langue, reconnaissance du caractère national de tamazight, lancement d’une chaîne de télévision d’expression amazighe, officialisation de la langue…

    On ne peut nier que des difficultés subsistent, notamment dans l’enseignement, mais que de progrès ! En 1980, on m’avait refusé d’inscrire une thèse sur tamazight à l’université d’Alger ; en 2003, j’ai passé un doctorat d’Etat dans mon propre pays. Aujourd’hui, des centaines de diplômés en tamazight sont formés et sont prêts à prendre en charge l’enseignement de cette langue ! Aujourd’hui, l’Algérie n’est plus celle de 1980, le monolithisme, qu’il soit politique, linguistique ou culturel, est définitivement brisé.

    L’officialisation de tamazight va réconcilier les Algériens avec eux-mêmes. Même ceux qui ne parlent le berbère y trouveront leur compte : cette langue qu’ils ne parlent pas leur appartient aussi, elle est diluée dans l’arabe dialectal qu’ils parlent, dans la dénomination de leurs lieux, voire dans leurs noms ! Déjà, j’ai reçu de la part de nombreux lecteurs la demande de traduire mon dictionnaire en arabe. C’est bien la preuve qu’il y a un intérêt pour cette langue !

    - La formulation des dispositions de la Constitution a suscité des réserves ou carrément un rejet. Selon les détracteurs de cette révision, l’égalité de statut entre les langues officielles (arabe et tamazight) n’est pas garantie. Le statut officiel de la langue amazighe ne serait pas effectif (condition d’une Académie) ni même définitif (art. 212 sur les constances protégées contre une future révision). Qu’en pensez-vous ?

    Pour moi, l’essentiel est que la langue soit officialisée. Je ne pense pas qu’un jour un responsable pense à remettre en cause cette disposition. Un renoncement équivaudrait à un abandon d’une partie de la souveraineté nationale. Tamazigh, comme l’arabe et l’islam, fait partie de l’identité nationale.

    Il faudrait améliorer le texte, assurer la parité des deux langues officielles de l’Algérie, œuvrer à leur promotion. Mais je le répète : ne nous intéressons pas aux détails, ne considérons que l’essentiel : l’officialisation. Quant à l’Académie, elle est absolument nécessaire pour donner une assise à l’officialisation.
    dz(0000/1111)dz

  • #2
    - L’annonce faite par le ministère de l’Education nationale d’introduire la langue parlée, derdja, dans l’enseignement a provoqué une forte polémique. Des «défenseurs de la langue arabe» ont dénoncé une volonté de porter atteinte à «la langue sacrée». D’autres ont salué une décision «salutaire», surtout pour le système éducatif national. Quelle analyse faites-vous des réactions de ces deux camps visiblement irréconciliables ?

    Autant je suis un défenseur de tamazight, autant je défends l’arabe algérien ! C’est la langue standard des Algériens, y compris des berbérophones. Je garde toujours en souvenir la première année de l’école de ma fille. Elle m’avait demandé pourquoi la maîtresse s’obstinait à dire «al nafida» pour désigner «taqa», la fenêtre. Ce conflit, tous nos élèves le rencontrent, et ils sèchent quand on leur demande de faire une rédaction ; mais que d’ingéniosité quand ils s’expriment dans leur langue maternelle ! La darja fait partie des spécificités algériennes.

    Le témoignage le plus évident de la berbérité des populations arabophones de l’Algérie est la toponymie. Les toponymes berbères en terre arabophone se comptent par centaines : Arzew, Aflou, Biskra, Oran, Tlemcen, etc. Il en va de même de l’ethonymie, les noms propres de personnes. Il y a non seulement des noms établissant la filiation avec les tribus berbères (Sanhadji, Zénati, Ghomari…), mais aussi dans les patronymes : Mekhoukh, Meziane, Berkan…

    Mais l’influence la plus évidente est la langue arabe qui, implantée à la fin du VIIe siècle, a conservé un fort substrat berbère : influences phonétiques, morphologiques, syntaxiques et lexicales… Nous pensons qu’il est nécessaire d’introduire la derja d’abord dans les universités, ensuite à l’école. Il ne s’agira pas de remplacer l’arabe classique, qui reste la langue de l’enseignement, mais le dialectal fera des incursions notamment pour expliquer les leçons, et on n’empêchera pas les élèves de s’exprimer dans cette langue.

    Un pays arabe comme l’Egypte utilise le dialectal le plus normalement du monde, pourquoi ne le ferait-on pas chez nous ? Je pense qu’en expliquant l’importance de la darja à ceux qui la refusent, on parviendra à les convaincre de son importance. Ces «irréductibles» comme vous les appelez, sont comme les «irréductibles» adversaires de tamazight. Aujourd’hui, plus personne ne nie tamazight, même ceux qui s’opposent à son officialisation…

    - Dépassera-t-on un jour cette «guerre des langues» ?

    Oui, nous la dépasserons comme nous avons dépassé le tabou de tamazight. La vocation de l’Algérie a, depuis l’antiquité, été le plurilinguisme : le libyque, l’ancien berbère, a cohabité avec le phénicien, le latin, le grec, il a cohabité avec l’arabe, le turc, l’espagnol, le français… pourquoi s’opposer à cette vocation ?

    - Une politique d’arabisation visant à «entretenir un idéal d’unilinguisme» (J. Zenati) a été menée par les différents gouvernements depuis l’indépendance du pays... Quel bilan en faites-vous ?

    Nul ne nie aujourd’hui que la politique d’arabisation a été mal menée. Elle a d’abord été injuste avec la langue berbère et elle a marginalisé les élites francophones, créant un clivage entre les Algériens, elle a surtout précipité la décadence de l’enseignement. On en voit les effets aujourd’hui… Des mesures telles que l’arabisation de toponymes ou de l’environnement ont été des échecs patents, heureusement vite abandonnées…

    Il est tout à fait légitime que la langue arabe occupe une place de choix, mais elle ne doit pas être un prétexte pour écarter les autres composantes linguistiques des Algériens. Le gouvernement algérien a fini par comprendre les enjeux. Le tabou linguistique a été brisé : on a vu des dirigeants s’exprimer en français, d’autres en kabyle. Le couronnement de cette politique d’ouverture est l’officialisation de tamazight. Un indéniable acquis historique !

    - Quel rôle doivent jouer les pouvoirs publics pour la promotion des langues utilisées en Algérie ? La création d’académies (pour les deux langues) peut-elle apporter des solutions aux problèmes liés à l’apprentissage et l’utilisation des langues dans un contexte diglossique ?

    Il appartient aux Etats de promouvoir les langues qu’ils déclarent officielles parce que la promotion ou l’aménagement d’une langue exigent des moyens logistiques et financiers conséquents. La langue amazighe a besoin d’une académie pour réaliser son aménagement (choix d’un système d’écriture, vocabulaire spécialisé…), la langue arabe en a besoin aussi.

    Certes, l’arabe dispose d’apports précieux des académies orientales, mais il est toujours en phase de renouvellement avec les avancées scientifiques et techniques. Savez-vous qu’il n’existe pas de dictionnaire arabe fait en Algérie ? On se contente d’importer les dictionnaires réalisés au Liban et en Egypte, des œuvres qui ne tiennent pas compte des réalités algériennes, mais qui introduisent des modes de pensée étrangers à ces réalités.

    Pour revenir à l’académie berbère, une de ses tâches est de favoriser l’émergence d’une langue standard, notamment pour l’école. Dans les situations de diglossie, on choisit généralement le dialecte le plus utilisé ou qui jouit du plus grand nombre de travaux ; ce dialecte est ensuite enrichi en recourant, au plan du vocabulaire, à d’autres dialectes. D’ailleurs, cette façon d’agir est aujourd’hui utilisée en berbère dans la création de néologies.

    On recourt au targui, au chaoui, au mozabite… La langue standard n’efface pas les particularités des dialectes qu’on continue à utiliser dans d’autres situations… Une autre fonction d’une académie berbère sera de recueillir des données pour tous les parlers algériens, confectionner des dictionnaires, faires des études…

    Par :Nadir Iddir

    EL Watan
    dz(0000/1111)dz

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